Nov 11 2018

Rivalités (VII)

José Tomás vs El Juli

Badajoz, 25 juin 2012

          Ceci est l’histoire d’une rivalité tronquée mais rivalité tout de même. On aurait préféré les voir plus souvent face à face sur les scènes les plus prestigieuses pour que l’afición se partage et s’enflamme et même s’affronte symboliquement mais une chose est claire : ils ont été avec le maestro Ponce, un poil plus âgé, les deux toreros les plus importants de ces 20 dernières années dans deux styles bien différents, le premier dans le classicisme le plus pur et sans concessions et le deuxième dans un toreo plus varié et moderne.

            Lors des derniers épisodes, le 14 août 2016, à Saint-Sébastien puis le 4 septembre suivant à Valladolid, chacun a montré ses arguments dans ce qui promettait être et fut finalement un grand moment de tauromachie dans le premier cas et un vibrant hommage à Víctor Barrio dans le second; numériquement le moins âgé des deux l’emporte à chaque fois mais dans le cœur des aficionados… L’important est que la Fiesta en sorte grandie quand ces deux géants se hissent à leur meilleur niveau.

            Voir José Tomás a l’affiche est depuis longtemps devenu chose rare mais le voir annoncé face à El Juli est un événement encore plus exceptionnel, cependant dans leur première étape, qui commence à remonter il est vrai, ils se sont affrontés plus d’une quarantaine de fois. L’un de mes plus grands souvenirs de corridas est d’ailleurs l’une de ces confrontations, le Dimanche de Pâques de 2001 à Séville où l’ambiance était électrique dans une alternance de l’éclair et du tonnerre pour obtenir la prééminence sur l’Olympe.

            La rivalité entre ces deux là a commencé à Lima fin 98 puis s’est poursuivie 18 fois l’année suivante. Parmi ces dates, la plus importante sans doute est celle du 13 juin à Barcelone, première rencontre en Espagne dans des arènes de première catégorie : 4 oreilles pour José Tomás dans ce qui sera son fief. Notons aussi que quelques jours plus tard, à León, a lieu une corrida où nos deux compères sont précédés d’Enrique Ponce dans un cartel cinq étoiles qui se répétera quelques fois (Puerto Banús et Haro cette même année). C’est à Mont de Marsan, le 20 juillet 1999 que débute leur rivalité sur le sol français mais c’est Manuel Caballero qui triomphe. En revanche, à Dax, le 13 août, avec le même cartel de toreros, c’est le torero de Galapagar qui l’emporte avec un trophée à chaque toro. Le lendemain il coupe un autre appendice à Donostia et le jour suivant a lieu une grande corrida dans la voisine Bayonne où César Rincón, José Tomás et El Juli sortent a hombros dans une corrida de Marca qui permet à chacun de couper 3 oreilles.

            Le 7 mai 2000 la rivalité se précise en même temps que ces deux jeunes toreros atteignent le firmament : José Tomás sort à nouveau en triomphe à Barcelone sous le regard d’El Juli. A Bilbao, le 16 juin, le trio magique se renouvelle mais seul le torero de Velilla touche du poil. Ponce accompagne à nouveau le binôme à Huelva le 3 août et c’est lui qui s’impose avec un double trophée même si José Tomás l’accompagne par la Grande Porte. A Valladolid les trois se retrouvent le 13 septembre  et ce sont les deux plus jeunes qui sortent a hombros. Six jours plus tard, cara y cruz, José Tomás est blessé à Salamanque et El Juli triomphe.

            Le 15 avril 2001 la confrontation a lieu au sommet, sur l’albero de la Maestranza : José Tomás sort par la Porte du Prince. Le 22 ils sortent tous les deux en triomphe des arènes de La Merced accompagnés de Finito. Le 25, à Cordoue, c’est El Juli qui prend sa revanche comme le premier septembre à Bayonne. Le 13 c’est Ponce, à Valladolid.

            Le 31 mars 2002 les deux madrilènes se retrouvent à Séville mais le succès de l’année précédente n’est pas renouvelé. José Tomás est sur le départ, les saisons longues ne sont semble-t-il pas pour lui. Le 31 août, à Bayonne, il est sifflé alors que le stakhanoviste Julián López obtient trois trophées. Du pareil au même à Salamanque le 10 septembre dans des affiches similaires avec Finito de Córdoba en ouvreur, puis le mythe fatigué se retire.

            Il faudra attendre cinq années pour que les deux grands toreros se revoient en piste : lors du mano a mano d’Avila du 22 juillet 2007 c’est El Juli qui remporte la mise, imparable. L’année suivante, le 20 avril, à Barcelone, une seule oreille, elle est pour El Juli. A partir de là les confrontations vont considérablement s’espacer : 3 oreilles chacun le 25 juin 2012 à Badajoz (avec Padilla en tête de l’affiche) avant les rencontres de 2016.

            La Corrida est un Art mais pas seulement. Les statistiques expriment quelque chose mais ne sauraient rendre compte de la puissance émotionnelle du toreo. Ceci dit, elles sont clairement à l’avantage d’El Juli, meilleur technicien que José Tomás : en 48 confrontations, 78 vs 66 oreilles et 27 vs 21 sorties en triomphe. Le reste est de l’ordre de l’ineffable.


Août 20 2015

José Tomás

jose_tomas_retratoJosé Tomás ROMÁN MARTÍN

Il est né à Galapagar (Madrid) le 20 août 1975.

Le petit neveu de l’éleveur Victorino Martín a commencé comme becerrista à Colmenarejo le 25 juillet 1989. Il a ensuite revêtu son premier habit de lumières le 7 février 1991 à Valdemorillo et son début avec picadors a eu lieu le 24 juillet 1993 à Benidorm. Pour la saison 1994, il torée au Mexique où il reçoit son baptême du sang, le 22 mai, à Aguascalientes. Le 18 août, il sort en triomphe des arènes de Barcelone qui seront ses arènes talisman. Il rompt l’année suivante avec Antonio Corbacho pour partir avec Santiago López et lors de cette temporada il sort par la Grande Porte de Las Ventas lors de sa présentation comme novillero, le 24 septembre.

Gaonera

Il prend l’alternative à la fin de l’année, le 10 décembre, dans les arènes de la capitale mexicaine, avec le toro Mariachi de Xajay et avec Manolo Mejía comme parrain et David Silveti comme témoin. Il l’a confirmé le 14 mai suivant, parrainé par Ortega Cano face à Juanito de Jandilla, avant de couper une oreille d’un guardiola. Lors de cette première saison, il coupe également une oreille de poids d’un toro de Cebada Gago à Pampelune.

En 1997 il commence à toréer avec les plus grands toreros du moment, Joselito et Ponce, mais il reçoit un coup de corne de 20 cm dans une cuisse lors de Corrida de la Presse après avoir obtenu sa première Grande Porte madrilène en tant que matador, le 27 mai, après une faena historique à un toro d’Alcurrucén. L’année suivante sera celle de la consolidation avec notamment un nouveau triomphe à Madrid le 28 mai.

Il répétera ce succès le 18 mai 1999, huit jours avant de réaliser une grande faena à un animal de Puerto de San Lorenzo. Le 17 juin il coupa trois oreilles de plus lors de la Corrida de Beneficencia. Cette année-là, « apodéré » par Martín Arranz, il avait déjà coupé une oreille importante à Séville.

Après avoir été absent de Séville en 2000, il réussit à ouvrir la Porte du Prince le 15 avril 2001 pour la traditionnelle corrida du dimanche de Pâques, en coupant trois oreilles à des toros de Torrealta et réalise l’exploit de renouveler ce triomphe pour sa première course de la feria avant de couper un septième appendice et de sortir cette fois par la porte de l’infirmerie. Une véritable geste ! Le chanteur Joaquín Sabina lui consacrera d’ailleurs cette année-là un certain nombre de poèmes. A partir de là cependant, sa motivation semble décroître et le 2 juin il échoue face à un toro d’Adolfo Martín qu’il refuse de tuer (il en avait fait de même l’année précédente à Salamanque). Il sort toutefois en triomphe à trois reprises de la Monumental catalane, autant que l’année précédente.

Le 21 mai 2002 il sort une nouvelle fois en triomphe des arènes néo-mudéjar de la capitale espagnole, en coupant les deux oreilles d’un toro de Martelilla avant son retrait à la fin de la saison après une sortie des arènes de Murcie sous les huées du public.

JT 2 Arjonaphoto Arjona

Il réapparaît plus de quatre ans après, sous le sceau du mystère, le 17 juin 2007, à Barcelone, avec Salvador Boix comme manager. C’est le retour d’un mythe, d’abord par la voie du tragique, en faisant peur dans une attitude parfois téméraire. J’en veux pour preuve le double coup de corne qu’il reçoit à Linares le 29 août, jour du soixantième anniversaire de la mort de Manolete.

En 2008, il est blessé à Xérès au niveau du cou mais il coupe 4 oreilles le jour de sa réapparition à Madrid le 5 juin face à du bétail de Victoriano del Río. Dix jours plus tard il obtient trois appendices auriculaires et reçoit un double coup de corne dans la cuisse de la part d’un animal de Puerto de San Lorenzo. Le 10 août, au Puerto de Santa María, il est à nouveau blessé (aisselle et fessier), c’est la neuvième blessure grave de sa carrière. Le 21 septembre il connaît l’autre face de la monnaie en coupant la queue d’Idílico de Núñez del Cuvillo, à Barcelone pour sa treizième sortie a hombros de la Monumental.

Il ouvre aussi la Grande Porte des arènes de Mexico le 18 janvier 2009 avant de revenir dans la capitale catalane pour un solo, le 5 juillet, d’où il repart avec un bilan de 5 oreilles face, à nouveau, aux toros de Cuvillo. Sa série de triomphes est imparable mais il se refuse à effectuer une saison complète et sans fouler les arènes de troisième catégorie il est absent des principales plazas que sont Madrid, Séville, Pampelune ou Bilbao, réclamant des cachets considérés exorbitants.

En 2009 il commence l’année par un triomphe dans la capitale mexicaine le 18 janvier avant de s’enfermer face à 6 toros 6 dans les arènes de Barcelone, le 5 juillet 2009, d’où il ressort par la Grande Porte après avoir coupé 5 oreilles aux toros de Núñez del Cuvillo.

L’année suivante, le toro Navegante lui inflige un grave coup de corne à l’artère fémorale à Aguascalientes le 24 avril.

Il réapparaît plus d’un après, à Valence, le 23 juillet 2011 avant de toréer 8 corridas de plus : à Huelva, Bayonne, Gijón, Ciudad Real, Linares, Valladolid, Nîmes et Barcelona où il triomphe à nouveau le jour de la dernière, le 25 septembre, en compagnie de Juan Mora et Serafín Marín.

En 2012, sa saison se résume à 3 courses : Badajoz, Huelva et Nîmes dans un solo qui se termine sur un bilan de 11 oreilles, une queue et une grâce.

Il se fracture un pied en s’entraînant au début de la temporada qui suit et qui sera finalement blanche.

En 2014 ce sont trois corridas de plus que le Maître daigne offrir : Grenade, León (la seule où il ne coupe qu’une oreille) et Malaga après être réapparu aux Amériques, concrètement à Juriquilla.

L’année 2015 se résume pour l’instant aux 3 oreilles coupées lors de son retour à Aguascalientes, 5 ans après, le 2 mai. Le 31 janvier 2016, son retour est annoncé dans les arènes de la capitale mexicaine.

En 2016 il commence la saison à Mexico (petite oreille) puis la poursuit à Xérès, où il coupe une queue, avant Alicante (3 oreilles face à Manzanares là aussi), Huelva (4 oreilles face à López Simón), Saint-Sébastien (une face à El Juli) puis Valladolid (une oreille dans la corrida hommage à Víctor Barrio puis 3 oreilles face à Manzanares).

Il faut ensuite attendre deux ans pour le revoir en Espagne, pour une seule corrida, à Algésiras.

***

On a souvent qualifié son toreo d’amanoletado, très vertical en début de faena (commençant souvent ses faenas presque systématiquement par des statuaires) et il est vrai que le torero de Galapar est un admirateur du Monstre. Mais ce qui est indubitable, c’est sa pureté dans le toreo fondamental, « citant » souvent de face mais toréant aussi souvent verticalement, les pieds joints. Son aguante est exceptionnel, mais son temple (malgré quelques accrochages en début de faena) et sa profondeur sont ses autres points forts. Son toreo n’est pas inspiré mais dépuré : les mains sont très basses dans les cites, il est généralement croisé, souvent de face et les cornes passent toujours très près. Parcimonie des gestes, attitude qui suinte la torería. Régularité unique dans la profondeur grâce à un courage froid qui permet le pari de l’immobilité et du temple à partir d’une position (le sitio) délicate, pour certains en dehors de la raison quand la tentative se renouvelle une fois et une autre, comme à Madrid en 2008. Mais si folie il y a, elle est bien au service du toreo, ce n’est nullement une mise en danger stérile et dénuée de sens. On a souvent à l’esprit des fins de faenas par manoletinas impassibles mais il n’est pas rare de le voir « fermer » un toro de manière classique à base d’ayudados, trincheras et autres recortes. Partisan de faenas courtes mais intenses, elles peuvent parfois donner l’impression de finir de manière abrupte. Son toreo a maintenant évolué vers plus de diversité, en particulier à la cape, sans perdre en profondeur. A Nîmes, pour son encerrona, on l’a vu pratiquer un grand nombre de suertes qu’il a rajoutées à son répertoire de base que sont les véroniques, les chicuelinas ou les gaoneras. A la muleta, ses naturelles et sa passe de poitrine à l’épaule opposée ainsi que ses trincheras sont assurément ses points forts. Il tue en règle générale avec décision et efficacité.

Pour résumer, à l’intérieur d’un concept castillan de la tauromachie, José Tomás est sans nul doute un grand artiste, autant à la cape qu’à la muleta. Son toreo cristallin prend appui sur un courage froid qui frôle parfois une témérité sans ostentation. Il a un style personnel mais aucune mise en scène. Il exécute toutes les suertes avec la même profondeur, élevant même les ornements à une catégorie qui leur est impropre. Il est sorti à 8 reprises par la Grande Porte madrilène et 2 par celle de la Maestranza où il a coupé un total de 8 oreilles.