Mar 19 2016

L’héritage d’Ojeda

Si nombreux sont ceux qui ont vu en Ojeda un révolutionnaire, force est de constater qu’il n’a pas tout changé du jour au lendemain, c’est progressivement que les éléments de son toreo se sont imposés. D’une part, l’art de toréer, qui va toujours plus vers une absence de déplacements, a continué à évoluer dans le sens d’un toreo statique, en particulier dans l’enchaînement de la dernière passe du toreo en rond (derechazo ou naturelle) et de la passe de poitrine pratiquée par tous les grands toreros.

Mais la grande différence par rapport au toreo d’Ojeda c’est que la plupart des grands toreros actuels cherchent à s’adapter aux conditions de l’animal qu’ils ont en face d’eux, ne rechignant pas à utiliser le cite de loin lorsque celui-ci le permet ou des techniques comme perdre un pas avec un animal au parcours incomplet ou en gagner un avec un animal ayant tendance à fuir. D’autre part, le toreo de proximité de fin de faena s’est amplement développé dans les dernières années face à des animaux toujours aussi volumineux et aussi peu mobiles. Mais, au risque de me répéter, Ojeda n’a pas révolutionné le toreo du jour au lendemain. Les grands toreros des années 90 (Rincón, Joselito et Ponce) ne l’ont pas vraiment suivi dans ses fondements (il n’y a que le toreo de Jesulín au début de sa carrière qui pouvait rappeler celui de son aîné), ne serait-ce que parce qu’il n’était pas possible avec tous les toros quoi que le torero de Sanlúcar de Barrameda ait réussi à être régulier en s’exposant beaucoup dans ses années de gloire (83-88). Il n’était pas si facile de suivre ses pas. Cependant, après visionnage de vieilles cassettes VHS on s’aperçoit que le grand César, considéré comme le torero qui a remis au goût du jour les principes les plus classiques en matière de terrains, dès 1992, ne rechignait pas utiliser le toreo de proximité pour accrocher tout de même le triomphe quand son adversaire ne lui permettait pas son toreo de prédilection.

De plus, si le style de José Tomás n’a bien-sûr rien d’ojedista il y a une similitude dans l’aguante et surtout on peut se dire que si Paco Ojeda n’avait pas montré la voie dans la conquête de nouveaux terrains le torero de Galapagar ne se serait jamais mis aussi systématiquement sur la ligne d’attaque de ses adversaires. La comparaison s’arrête à peu près là (et dans le fait de se mettre au plus près des cornes) mais ce n’est pas rien.

Dans l’actualité on voit que le toreo d’El Juli évolue de plus en plus vers le toreo en 8 de la meilleure époque du sanluqueño, la muleta beaucoup plus basse cependant, comme en témoigne par exemple la faena réalisée à Olivenza (clic) en mars 2013, mais aussi le corps beaucoup plus contorsionné. Dernièrement cependant, après de nombreuses années au sommet, où il a montré une compétence outrageante et où il est apparu comme le torero le plus largo de sa génération, sa tauromachie paraît évoluer parfois (pas forcément dans les toutes premières arènes) dans la sens de la facilité, pas seulement au moment de l’estocade mais dans son invention de ce qu’on pourrait appeler le toreo carré (involution après celui en ellipse), conduisant la charge vers l’extérieur avant de renvoyer brusquement le toro vers l’intérieur avec un angle de 45°, comme il l’a fait dans certains passages de ses faenas de la feria de Hogueras d’Alicante en 2015.