Portraits d’anciens #48 Gérard et Chantal Guyon, tous deux anciens potaches du lycée de garçons de Belfort de 1951 à 1959

A l’âge de 11 ans, je vivais libre dans mon petit village rural de Méroux parcourant sans cesse les bois et les champs, véritable pays de cocagne : la biodiversité étant encore intacte dans son éblouissante magnificence. Je me serais tout à fait contenté de cette vie rustique, mais ma mère n’était pas de cet avis. Au printemps 1950 elle demanda au directeur de mon école de m’inscrire à l’examen d’entrée en 6ème. Celui-ci refusa, prétextant n’avoir pas été prévenu assez tôt pour me préparer à cette épreuve ! L’année suivante, je fus donc le seul élève à passer l’examen d’entrée en 6ème. Je fus reçu et fis mon entrée au mois de septembre en 6ème moderne.

La décision de ma mère était irrévocable et ce fut sans entrain que j’obtempérai. Mon rythme de vie au village m’accordait beaucoup de loisirs, la fréquentation de l’école primaire me convenait très bien et ne me posait aucun problème. Le trajet qui me séparait de l’école s’effectuait joyeusement avec mes petits voisins et nous permettait de batifoler le long des haies et des ruisseaux. La taille du village fournissait des élèves pour trois classes. Mes camarades, pour la plupart étaient issus du monde agricole et quelques autres du monde ouvrier (Peugeot. Alsthom). Bref nous vivions dans un monde homogène, relativement bien « circonscrit » et l’école nous permettait un accès plutôt sympathique à la vie en société.

Le départ pour la capitale, Belfort, et l’accès au lycée qui, toutes classes et niveaux confondus, devaient réunir, au moins cinq cents élèves, m’épouvantait.

Il me fallut plusieurs mois pour retrouver ma place dans cette nouvelle organisation sociale.

Il fallait prendre le car de la S.T.A.B.E. à 7h15 seul moyen pour tous les élèves du département de se rendre au lycée et d’en revenir le soir.

Enfin, me voici en classe de 6ème : l’enfer. Ce fut la pire des années vécues au lycée : le labyrinthe des locaux, le nombre de professeurs, la foultitude des élèves semaient le doute quant à mes capacités à survivre, seul, dans ce milieu hostile et surdimensionné. Je dirais, aujourd’hui, pour bien définir mon ressenti d’alors, que l’expression « melting-pot » définirait parfaitement la classe de 6ème dans laquelle j’avais été « catapulté ». Les élèves avaient des origines beaucoup plus diversifiées qu’à l’école primaire. A l’internat nous côtoyions des élèves de tous les âges, certains dont les études avaient été retardées par la guerre avaient plus de 20 ans. Beaucoup d’élèves, venant de la proche Alsace fréquentaient l’internat, parlant leur dialecte ; ils avaient tendance à se regrouper entre eux. Les autres élèves étaient pour la plupart originaires de Haute Saône ou du territoire de Belfort, ils étaient souvent issus de la classe sinon bourgeoise disons d’un milieu aisé.

Seul le temps permettait de réduire peu à peu les distances entre nous, créées par la langue ou le niveau social.

Pour répondre à vos questions, ma plus mauvaise année fut celle de la 6ème mais la meilleure de toute ma scolarité est sans doute celle de la dernière année, celle de la classe de sciences expérimentales. Nous arrivions au sommet du parcours et surtout nous étions mieux considérés par le personnel administratif et par les professeurs. L’année de terminale fut sans doute la plus fructueuse sur le plan scolaire. Mais surtout, ma petite amie Chantal vint me rejoindre (la section sciences expérimentales n’existant pas au lycée de jeunes filles).

Non seulement, nous fîmes ensemble l’année de sciences expérimentales mais plus tard nous suivîmes ensemble la formation d’instituteurs pour embrasser ensuite une carrière de professeurs des écoles dans le territoire de Belfort. Aujourd’hui nous profitons de la retraite dans le village ou Chantal a exercé les fonctions de directrice d’école et moi mes fonctions de maire. Incorporé au sixième Dragon à Besançon, je fus, après mes classes, chargé de former les jeunes recrues. Puis, nommé sous-officier, je fus affecté en Tunisie. Réintégré dans la vie civile après 22 mois de service militaire, je poursuivis ma formation d’instituteur, tout en enseignant dans le territoire de Belfort.

Nommé professeur des écoles, je continuai à améliorer mes compétences pédagogiques et à augmenter mes aptitudes en acceptant notamment, à titre expérimental, « d’enseigner » l’allemand à mes élèves des Résidences et à leur organiser des séjours en Allemagne. En 1968, je passai le concours de conseiller pédagogique adjoint à l’inspecteur départemental de l’éducation nationale. Cette fonction me confiait la lourde responsabilité de former une cinquantaine de candidats aux fonctions d’instituteurs remplaçants. Ces jeunes bacheliers étaient alors suivis pendant trois années dans leurs classes. Ils devaient de surcroît assister à une journée de formation pédagogique mensuelle et rédiger une dissertation traitant de l’enseignement à l’école élémentaire. A l’issue de ces trois années de formation, ils subissaient les épreuves pratiques du certificat d’aptitude pédagogique, en cas de réussite, ils entamaient une carrière d’instituteur.

Enfin, au cours des deux dernières années de ma vie professionnelle je fus chargé d’accueillir et d’accompagner toutes les classes du département, intéressées par la découverte de la nature, sur le site de la toute nouvelle maison de l’environnement du Malsaucy.

Au cours de ma vie et grâce également à ma formation et à mes fonctions, je fus maire d’Etueffont pendant 37 ans. Mais aussi, président du centre de gestion de la fonction publique territoriale du département ,j’organiserai notamment la formation des élus des différentes communes du territoire de Belfort. Je fus également le président fondateur de l’association départementale des maires du territoire de Belfort.

Pour conclure, je rendrai hommage à tous mes professeurs. Tous à l’exception d’un ou deux, méritent une inscription au « tableau d’honneur », et pour certains, les « félicitations ». Ils remplissaient avec compétence leurs missions éducatives. Jamais absents, ils contrôlaient scrupuleusement nos acquis.

Aujourd’hui, malgré mon âge très avancé, je terminerai mon propos en citant tous les enseignants connus lors de mon séjour au lycée de garçons. Certains d’entre eux ont contribué à former l’homme, mais également l’enseignant, le citoyen, puis l’élu que je fus. Un seul reproche, très peu de nos professeurs nous ont donné l’envie de nous projeter dans l’avenir, d’envisager des carrières nouvelles, des métiers d’avenir, une vie plus sereine.

Cette évocation de lendemains prometteurs nous aurait peut-être aidé à nous surpasser et aurait rendu supportable momentanément l’austérité de la vie en internat, les tristes dortoirs et la médiocrité de la nourriture.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

buy windows 11 pro test ediyorum