Joseph Fourier – texte conférence

Joseph FOURIER – 1768-1830

[Texte d’une conférence donnée devant le centre Auxerrois de l’Université pour Tous de Bourgogne, par Daniel Reisz]

Une biographie succincte

Période auxerroise.

1768  Naissance de Jean Baptiste Joseph FOURIER à Auxerre.

.               1769  Naissance de Napoléon Bonaparte

.               1774  Mort de Louis XV et avènement de Louis XVI

1776  Décès de la mère de J. FOURIER

1778  Décès présumé du père de J. FOURIER

1783  Année de rhétorique au collège Montaigu à Paris.

1785  J. FOURIER enseigne au collège militaire à Auxerre

1787  Noviciat à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire

1789  Etats Généraux, Prise de la Bastille, Assemblée Constituante.

1789  J. FOURIER présente oralement un mémoire à l’Académie des Sciences

1790  Retour à Auxerre.

1792  Mise en place de la Convention et proclamation de la République

1793  Mobilisation des savants par le Comité de Salut Public où Robespierre fait son entrée

1794  Exécution de Robespierre

Décrets de création de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole Normale

1794  Arrestation, libération, nouvelle arrestation et nouvelle libération de J. FOURIER à Auxerre

Arrivée à Paris ; expédition d’Egypte ; préfet de l’Isère.

1795  J. FOURIER rentre à l’Ecole Normale  dès son ouverture, puis est proposé comme substitut des élèves à l’Ecole Polytechnique

Arrestation, libération, nomination à l’Ecole Polytechnique.

1798  J. FOURIER débarque à Alexandrie avec l’expédition d’Egypte

Publication d’un mémoire sur la mécanique dans le Journal de l’Ecole Polytechnique.

1799  Coup d’état de Bonaparte.

1801  Retour en France.

1802  Nomination comme préfet de l’Isère

1804  Couronnement de l’Empereur (J. FOURIER y assiste)

Charles Fourier publie l’Harmonie Universelle.

1809  J. FOURIER est fait baron d’Empire. Il remet à Napoléon sa préface historique à la Description de l’Egypte.

1810  Parution des premiers volumes de la Description de l’Egypte ;

1811   J. FOURIER présente à l’Institut un mémoire sur Théorie du mouvement de la chaleur dans les solides.

1812  J. FOURIER reçoit le Prix de l’Académie des Sciences.

1814  Abdication de Napoléon.

1815  Retour d’exil de Napoléon ; Les Cent Jours ; Deuxième abdication.

1815  J. FOURIER est révoqué de son poste de préfet.

Savant socialement reconnu

1817  J. FOURIER est élu à l’Académie des Sciences.

1820  Mémoire sur le refroidissement du globe terrestre.

1822  Publication de Théorie analytique de la chaleur.

1824  Mort de LOUIS XVIII et avènement de Charles X.

Publication de la Réflexion sur la puissance motrice du feu de Sadi Carnot

1826  Election à l’Académie Française.

1830  Mort de Joseph FOURIER (30 mai).

La vie et l’œuvre de Joseph FOURIER

Pourquoi parler de FOURIER, aujourd’hui, à Auxerre ?

Il y a à cela au moins 3 raisons :

–         C’est un enfant d’Auxerre et l’un des plus grands. Et pourtant il est assez méconnu, voire parfois confondu avec son homonyme contemporain, Charles FOURIER (franc-comtois, philosophe  du fouriérisme). Et pourtant le nom de notre FOURIER est prononcé, chaque jour, incommensurablement plus souvent de par le monde que celui de Guy ROUX ou de Paul BERT, même si à Auxerre ces deux derniers sont, pour des raisons différentes, plus connus.

–         C’est un des grands savants français, non seulement à son époque et par ses propres travaux, mais aussi par toute une postérité scientifique encore extraordinairement féconde de nos jours. Auguste COMTE disait de son œuvre qu’elle surpassait celle de NEWTON par son coté novateur, celle de NEWTON n’étant que le couronnement des travaux de GALILEE, KEPLER et d’autres.

–         C’est un homme public important, ce qui a parfois occulté son rôle de savant, avec un grand sens du service public et de l’intérêt général : gros travailleur, il a toujours fait preuve de compétence, de patience, et de modération dans toutes les fonctions qu’il a occupées. Signalons en corollaire l’absence de toute vie privée connue, à part, peut-être, une amitié amoureuse et toute platonique pour la mathématicienne Sophie GERMAIN. Il avait néanmoins des amis fidèles, au-delà d’une certaine vie solitaire.

I – SA JEUNESSE AUXERROISE

Son père, d’origine lorraine, s’installe à Auxerre comme garçon tailleur d’habits (on ne sait pas trop quand ). C’est là que naît le 21 mars 1868 son fils, baptisé le jour même avec les prénoms Jean, Joseph. Plus tard il se fera simplement appeler Joseph, La mère, née LEBEGUE, est une cousine d’Agnès LEBESGUE, l’épouse de RESTIF de la BRETONNE. Pour le père il s’agissait d’un second mariage. Il avait déjà trois enfants d’un premier mariage. Il en aura treize de celui-ci. Joseph en était le dixième. De ces seize enfants, neuf meurent  en bas âge, deux disparaissent dans les armées de la République, deux autres succèdent comme tailleurs à leur père. Au bout de trois générations on perd toute trace de la famille.

Il reste peu de traces de la prime jeunesse de Joseph. A l’age de 8 ans sa mère meurt. Le père confie deux enfants dont Joseph à l’Hotel de Ville et disparaît sans laisser de traces. Sa mort est mentionné en 1778, mais aucune sépulture n’a été retrouvée à ce jour.

A 10 ans il est recueilli par Joseph PALLAIS, organiste à la cathédrale d’Auxerre, ami de Jean-Jacques ROUSSEAU, dans le pensionnat qu’il dirige. Il y reçoit les premiers rudiments de français et de latin. Une lointaine et incertaine parenté lorraine avec le futur Saint Pierre FOURIER (déjà béatifié à l’époque) lui vaut la protection de l’évêque et lui permet d’entrer au collège d’Auxerre. Il y est d’abord externe, puis interne : ce sera là sa véritable famille.

Le collège avait depuis peu le statut d’école militaire. On y dispensait un enseignement solide, en particulier en sciences, ce qui était alors tout à fait exceptionnel en France. Ces écoles militaires créées par LOUIS XV à partir de 1751 étaient tenus par des religieux (des bénédictins à Auxerre). A Paris seuls les enfants de la noblesse y accédaient, mais en province on favorisa un recrutement plus large à des fins d’émulation. FOURIER s’y révèle excellent élève en toute matière, avec déjà un goût très prononcé pour les mathématiques. Doté d’un beau style, il semblerait (ARAGO le prétend dans son éloge funèbre) qu’on lui aurait demandé d’écrire quelques sermons pour des ecclésiastiques parisiens, ce dont ces derniers ne se vantèrent évidemment pas. Un de ses professeurs de mathématiques et futur ami rapporte aussi qu’il faisait provision de bouts de chandelle et s’enfermait le soir dans un placard   pour y étudier les mathématiques dans des ouvrages très modernes pour l’époque : BOSSUT, BEZOUT, CLAIRAULT. Ces ouvrages étaient disponibles précisément à cause de l’importance qu’on accordait aux sciences dans les écoles militaires.

A 14 ans Joseph FOURIER termine son année de rhétorique et son palmarès est éloquent : 1er prix de version latine, 2ème prix d’amplification latine, de versification et de musique vocale (les sciences n’avaient pas encore droit au palmarès). Comme il était brillant et en avance, on lui fera faire une seconde classe de rhétorique au collège Montaigu à Paris. Il n’y brille pas particulièrement et revient à Auxerre, cette fois pour y enseigner. A 16 ans et demi le voilà professeur à l’école militaire. Il y enseignera diverses disciplines mais pas les mathématiques dont l’enseignement étaient assuré par ROUX et BONARD qui furent ses professeurs et devinrent vite ses amis.

C’est aussi à cette époque qu’il commencera ses premiers travaux de recherche sur un sujet alors à la mode : la résolution des équations algébriques. Il s’intéressera toute sa vie à ce sujet, même si ce n’est pas dans ce domaine que son nom passera à la postérité. BONARD, son professeur, son ami et aussi son correspondant régulier pour notre connaissance de la jeunesse de FOURIER, parle dès 1785 d’un « mémoire d’algèbre de 14 feuillets » qui le remplit d’admiration. Mais BONARD, excellent professeur, n’était pas pour autant un mathématicien au fait des derniers développements de cette question.

FOURIER doit décider de son avenir. Issu d’une école militaire, son choix est simple : l’armée ou les ordres. Il opte pour l’armée et plus précisément pour l’artillerie en raison de son goût pour les mathématiques. LEGENDRE, mathématicien et aussi inspecteur des écoles militaires appuiera ce choix, mais la réponse est sans appel : « FOURIER n’étant pas noble, ne pourra entrer dans l’artillerie, même s’il était un second NEWTON. »

Il entre donc comme novice à l’abbaye bénédictine de Saint-Benoît sur Loire et y restera jusqu’en 1789. Il s’adaptera sans rechigner aux nouvelles règles de vie. C’est un trait constant de son caractère. Et pourtant si la vie des moines était assez agréable, celle des novices était fort rude. Mais Joseph FOURIER échappe à quelques exercices religieux et en particulier à l’office de nuit, sous prétexte d’enseigner les mathématiques  aux autres novices. Cette vie régulière lui permet aussi de retrouver une santé convenable, de réfléchir, d’étudier. Dans sa correspondance avec BONARD apparaît alors sa détermination de se consacrer entièrement aux mathématiques et à la physique, mais il se plaint aussi de son isolement : la bibliothèque est très riche en livres de théologie et de littérature, mais n’offre que peu de ressources en sciences. Il compte beaucoup sur BONARD pour le tenir au courant des dernières parutions : on attend alors les traités de CONDORCET et du Marquis de l’HOPITAL. Il espère aussi, mais en vain, que LEGENDRE profitera d’une tournée d’inspection pour lui rendre visite.

Son travail mathématique à Saint-Benoît se situera à trois niveaux :

– son enseignement, assez élémentaire, mais qui lui donnera l’occasion de réfléchir à différentes questions ;

– son travail sur la résolution des équations algébriques

– des « questions diverses » : petits problèmes qui l’interpellent, isolés mais délicats (Ex : comment disposer 17 droites pour avoir 101 points d’intersections) ?

Mais pour toutes ces questions, l’absence d’ouvrages et d’interlocuteurs l’handicapera beaucoup. Il est pratiquement limité à sa correspondance « scientifique » avec BONARD. Il terminera d’ailleurs une de ces lettres à ce dernier par ce cri : « J’ai eu hier 21 ans accomplis. A cet âge NEWTON et PASCAL avaient déjà acquis bien des droits à l’immortalité. » Cri qui montre à la fois la conscience de son isolement, mais aussi de sa valeur !

En 1789 les évènements de la révolution se précipitent et l’Assemblée Nationale décide de mettre les biens du clergé à la disposition de la Nation. Joseph FOURIER quitte l’abbaye de Saint-Benoît et regagne Auxerre.

Entre temps il avait rédigé un mémoire sur la résolution algébrique des équations qu’il avait envoyé au mathématicien MONTUCLA, mais ce dernier était déjà trop âgé pour réagir. Il l’a ensuite envoyé à MONGE et espérait que BONARD puisse le présenter à LEGENDRE. Finalement, sans réponse d’aucune sorte, il décide de le présenter lui-même à l’Académie des Sciences. Le 9 décembre il lit son mémoire devant les académiciens dont le grand LAGRANGE. L’examen approfondi du texte est confié à MONGE, LEGENDRE et COUSIN. Ces derniers comprirent rapidement que le travail de FOURIER n’était pas très original, mais surent y distinguer des qualités mathématiques certaines et leurs conclusions, très encourageantes, incitaient ce dernier à poursuivre dans cette voie. Remarquons là un rôle que l’Académie n’aurait jamais dû abandonner, celui d’encourager les jeunes chercheurs talentueux.

Joseph FOURIER a 21 ans. Pour lui va commencer sa « carrière » auxerroise, en tant que professeur, mais aussi en tant que « révolutionnaire ». Jusqu’en 1793 il sera avant tout professeur : la révolution lui apparaît comme une prise de pouvoir d’un groupe au détriment d’un autre et il reste très indifférent, voire désabusé. Par contre, dès 1790, il participe à la création de la Société d’Emulation, ancêtre de notre SSNHY, dont il sera le premier président. Mais jugé trop actif et entreprenant, il est remplacé au bout de quelques semaines par son ami BONARD, plus prudent, mais aussi moins actif. A coté de thèmes classiques des sociétés savantes de province, la science y tenait une belle place, y compris dans des contributions d’un niveau élevé sur les fondements des mathématiques et de la physique : l’époque était à la rationalisation et à la recherche de la cohérence, plus qu’aux explorations expérimentales. FOURIER s’y illustre par un éloge de FRANKLIN, un hommage à NEWTON où « il dissipera avec le flambeau du calcul intégral  les points obscurs de l’attraction universelle ». La dernière séance se tiendra le 17 juillet 1792 : la fièvre politique de l’époque, des querelles internes amènent à la dissolution de la Société.

Au collège, à partir de 1790, les difficultés s’accumulent : délabrement des bâtiments, professeurs impayés, crise morale,….. Beaucoup d’enseignants quittent l’établissement. De vastes réformes sont entreprises :

le collège qui jusque là était dans la partie ancienne de l’actuel lycée Jacques-Amyot, s’installe dans de nouveaux locaux, au sein de l’abbaye Saint-Germain. (Il ne regagnera Jacques-Amyot qu’en 1804 avec le statut de collège municipal.)

les enseignants sont pour la plupart des prêtres et même FOURIER, qui n’a jamais prononcé ses vœux se fait appeler « Abbé FOURIER », ce qui sous-entend qu’il portait sans doute l’habit.

un contrôle minutieux, voire tatillon, est exercé par le département.

Fourier participe à la rédaction d’un nouveau plan d’étude, inspiré des besoins nouveaux. Ce plan est présenté aux autorités de tutelle par le Directeur, Dom ROSMAN. On y critique la place trop envahissante qu’avait pris le latin (plusieurs heures par jour), on y souligne l’intérêt d’étudier les langues étrangères, l’histoire, la géographie, les mathématiques. Le programme de cette dernière discipline sera détaillé par FOURIER qui installe aussi une option de cosmographie.

Dans la réalité, FOURIER enseignera surtout les disciplines littéraires, l’enseignement des mathématiques étaient tenus par ses amis, mais aussi ses aînés, ROUX et BONARD. Les rapports d’inspection sont élogieux. Mais en 1793 s’ouvre une grave crise. Les « sociétés fraternelles » qui regroupent les révolutionnaires les plus radicaux supportent de moins en moins que l’enseignement soit aux mains  des prêtres. En avril 93 une pétition de la Société Populaire d’Auxerre demande la laïcisation du collège. L’assemblée générale de la commune, ainsi que le Directoire du district prennent cette pétition à leur compte. Nombre de professeurs démissionnent. Et c’est à cette époque que FOURIER prend fait et cause pour les idées révolutionnaire et reste au collège, devenu Ecole Centrale, comme professeur principal de la classe de rhétorique. Il adhère à la Société Populaire qui est dans la mouvance des Jacobins et s’y fait remarquer par ses interventions. Son engagement politique, ou plutôt son engagement civique et républicain, est résolu et il n’hésite pas à endosser des responsabilités importantes. Il devient en particulier commissaire chargé du recrutement du contingent que l’Yonne  doit fournir à l’armée. Par la suite il fera aussi parti d’un Comité de Surveillance (des étrangers et des suspects) ce qui finit par le mettre mal à l’aise. Il proposera sa démission, mais celle-ci est refusée.

C’est dans ce contexte que se situe le célèbre épisode tonnerrois. FOURIER doit arrêter et conduire à l’échafaud un personnage dont la culpabilité lui paraît douteuse. Il le fait prévenir et distrait l’attention de son compagnon dans cette mission lorsqu’ils croisent le coupable présumé dans la rue en train de fuir son logis, lui laissant ainsi la vie sauve.

L’Yonne est relativement calme, mais dans le Loiret et en particulier à Orléans de nombreux incidents opposent partisans des Jacobins, des Girondins et des royalistes. En mars 93, la Convention déclare Orléans « en rébellion ». Des commissaires sont envoyés pour rétablir l’ordre et calmer les esprits, dont LAPLANCHE, membre de la Convention, et FOURIER. LAPLANCHE, plus démagogue qu’efficace s’appuie d’abord sur les sans-culottes, mais ces derniers finissent par se retourner contre lui, alors que FOURIER leur restera fidèle.  A l’instigation de LAPLANCHE  la bourgeoisie orléanaise, proche des Girondins, dénoncera  FOURIER  à Paris.  FOURIER est en grand danger, seul à Orléans. Il décide de rentrer à Auxerre. Le Comité de Salut Public le démet de toutes ses fonctions et donne l’ordre de l’arrêter, ordre qui n’est pas exécuté. FOURIER reprend alors à Auxerre une vie plus discrète, vouée à l’enseignement et à la vie culturelle de sa ville. En 1794, après avoir collaboré avec le Père LAIRE, pour la conservation des archives et la création de bibliothèques, il demande le poste de bibliothécaire d’Auxerre, mais finalement ce poste ne sera pas créé. Vexé par les accusations orléanaises, il plaide sa cause à Paris, devant le Comité de Salut Public, mais l’effet est désastreux : au lieu de se faire oublier, il relance cette affaire et il est arrêté fin juin 94. Ses amis auxerrois plaident sa cause, arrive à le faire libérer, mais pas à le faire innocenter. Trois jours après il retourne en prison : le Comité de Salut Public n’aime pas se soumettre à des pressions provinciales.

Robespierre et ses proches sont guillotinés. Deux semaines plus tard, FOURIER est libéré comme nombre d’autres prisonniers politiques. En septembre, moins de deux mois après sa libération, FOURIER est chargé par le Comité Révolutionnaire d’Auxerre de la surveillance du district. La loi l’oblige alors à choisir entre ces fonctions ou celles d’enseignant. Il optera pour celle d’enseignant où il est remarqué par le mathématicien GARNIER, venu faire passer à Auxerre les premiers oraux du concours d’entrée à l’Ecole Centrale des Travaux Publics, la future Ecole Polytechnique.

En réalité c’est un autre événement qui allait définitivement décider de la vocation de savant de FOURIER. Le 30 octobre 1994 fut créé l’Ecole Normale de l’an III, la future Ecole Normale Supérieure.. Cette école n’était pas destinée à recruter des étudiants, mais à parfaire la formation des instituteurs et professeurs déjà en fonction. Chaque département devait y envoyer un nombre fixé de candidats à la fois bons enseignants et bons révolutionnaires. FOURIER avait les deux qualités, mais ses difficultés politiques passées rendait son choix impossible à Auxerre. C’est donc le district de Saint-Florentin qui présenta la candidature de FOURIER.

FOURIER quittera Auxerre à la fin de l’année 1794. Il n’y reviendra plus que pour de brefs séjours privés. Il a 26 ans.

II – SA FORMATION SCIENTIFIQUE, L’EGYPTE, GRENOBLE.

FOURIER rentre donc à l’Ecole Normale. Les maîtres les plus éminents y enseignent (et assistent aux cours de leurs collègues). L’enseignement des mathématiques y est assuré par MONGE, LAPLACE et LAGRANGE, c’est-à-dire pratiquement ce que la France comptait de mieux en ce domaine.

FOURIER se fait rapidement remarquer. Il était incontestablement au-dessus  du niveau de ses collègues. Durant et après les cours les discussions étaient de règle et les interventions de FOURIER permettent de mettre en valeur ses grandes qualités intellectuelles et aussi celles d’orateur : il avait l’habitude de parler en public. Chez MONGE, et en présence des autres professeurs, il présente une alternative à la conception de la géométrie telle que la voyait ce dernier. MONGE lui répond, en le tutoyant, reconnaît la pertinence de ses propositions, défend les siennes au nom d’une bonne pédagogie. Tout au long du cours de MONGE, FOURIER, inspiré par les conceptions de LAPLACE et LAGRANGE, apportera ses remarques. On ne peut pas ne pas citer ce que FOURIER écrivait à BONARD, parlant de ses professeurs.

LAPLACE paraît assez jeune, a la voix faible, mais nette ; il parle avec précision, mais non sans quelques difficultés ; il est d’un extérieur agréable et vêtu fort simplement ; il est de taille moyenne. L’instruction mathématique qu’il donne n’a rien d’extraordinaire et est fort rapide.

MONGE a la voix forte, il est actif, ingénieux et très savant. Comme on le sait, il excelle dans la  géométrie, la physique et la chimie ; la science dont il donne des leçons est infiniment curieuse et il l’expose avec toute la clarté possible. On trouve même qu’il est trop clair ou plutôt que la méthode n’est pas assez rapide. Il donnera des leçons particulières de pratique. Il parle familièrement, avec précision le plus souvent. Il n’est pas seulement recommandable pour ses hautes connaissances, on le dit très estimable sous tous les rapports publics et privés ; son extérieur est fort ordinaire.

LAGRANGE, le premier des savants de l’Europe, paraît avoir de cinquante à soixante ans ; il est cependant plus jeune. Il a l’accent italien très marqué, il prononce les « s » comme des « z ». Il est très modestement vêtu en noir ou en brun. Il parle très familièrement et avec quelque peine. Il a dans la parole l’embarras et la simplicité d’un enfant. Tout le monde voit bien que c’est un homme extraordinaire, mais il faut l’avoir vu pour y reconnaître un grand homme. Il ne parle que dans des conférences, et il y a telles de ses phrases qui exciteraient la risée. Il disait l’autre jour : « Il y a encore sur cette matière beaucoup de choses importantes à dire, mais je ne les dirai pas. » Les élèves, dont la plupart sont incapables de l’apprécier, lui font assez peu d’accueil, mais les professeurs le dédommagent.

FOURIER suit aussi l’excellent cours de HAÜY.

Au vu de ses qualités mathématiques FOURIER est chargé au bout de quelques mois d’encadrer un groupe d’élèves à raison de deux heures tous les deux jours. On crée pour lui le titre de directeur des conférences de mathématiques. Par là il devient un proche de LAPLACE et de LAGRANGE. Par ailleurs, ne serait-ce que pour des raisons bassement financières, il participera à un cours de préparation au concours d’entrée à l’Ecole Polytechnique.

Mais l’Ecole fonctionne difficilement et les professeurs des disciplines littéraires s’entredéchirent, proposent des réformes irréalistes, comme, par exemple, une  réforme de l’alphabet. Tout le monde finit par se lasser et l’Ecole fermera ses portes le 18 juin 1795.

FOURIER est rattrapé par ses affaires auxerroises et orléanaises. Il fait l’objet d’une dénonciation et est mis sous les verrous le 8 juin 1795. Sous la pression de ses professeurs de l’Ecole, personnages socialement importants, il sera libéré peu après. Les mêmes essayeront de le faire rentrer dans le corps des professeurs de l’Ecole Polytechnique. D’abord sans succès : pour lui assurer un modeste revenu, ils arriveront tout juste à le faire nommer substitut de l’administration chargé de la police de l’Ecole. Mais MONGE est âgé et fatigué. On propose à FOURIER de le remplacer. Un mois plus tard le Conseil de l’Ecole lui confie le cours d’analyse algébrique, préparatoire au cours d’analyse infinitésimale de LAGRANGE. Il donnera sa première leçon le jour de Noël 95. Dès 96 ses responsabilités d’enseignant s’étendent au calcul des variations et au calcul différentiel et intégral.

FOURIER, peu avare de son temps sera un excellent professeur, proche de ses étudiants. La préparation de ses cours souvent de haut niveau participera fortement à sa formation mathématique, l’obligeant en particulier à mettre des connaissances éparses en perspective. LAPLACE et LAGRANGE sont ses maîtres à penser en ce domaine et comme LAGRANGE il attachera vite une grande importance scientifique à la compréhension, historique des progrès des mathématiques, faisant là œuvre d’épistémologue. Il publiera son premier article savant dans le Journal de l’Ecole Polytechnique, article consacré à une question de mécanique (le principe des vitesses virtuelles). Ce n’est pas du tout un domaine privilégié chez FOURIER, mais son maître LAGRANGE y travaille beaucoup à cette époque.

En mars 98 la rumeur de l’organisation d’une expédition miltaro-scientifique en Egypte se répand à l’Ecole : professeurs, ingénieurs et élèves seraient concernés. FOURIER est requis sans affectation précise. GARNIER le remplacera comme professeur à l’Ecole. FOURIER quitte Paris le 20 avril et embarquera à Toulon le 19 mai. En Egypte, FOURIER restera à l’écart des premières batailles et sera chargé à Rosette de la responsabilité matérielle et éditoriale du Courrier de l’Egypte.

En août 98, BONAPARTE crée l’Institut d’Egypte. FOURIER en est nommé secrétaire perpétuel, MONGE président,, BONAPARTE vice-président. Ce poste permet à FOURIER d’acquérir des qualités de diplomate, d’organisateur qui lui seront très utiles dans la suite de sa carrière. On s’occupait à cet institut de questions égyptiennes, mais aussi de questions très diverses : FOURIER s’y fera remarquer par un nouveau mémoire sur la résolution des équations algébriques.

Mais le goût des choses égyptiennes, la fréquentation de DENON, l’amènera vite à quitter le Caire et Rosette, pour visiter les grands sites archéologiques, puis à devenir un véritable expert en méthodes de recherches archéologiques : on lui doit des instructions très précises sur les méthodes de relevé des fouilles. De plus, doté d’une belle plume, il entreprend la description de tel ou tel monument dans un style rigoureux et concis, à l’opposé du style romantique très en vogue chez ses collègues. DHOMBRES le décrit comme un « égyptologue sévère ». C’est aussi de cette époque que lui viendra sa fascination pour les hiéroglyphes qui vont le rattraper quelques années plus tard à Grenoble avec les frères CHAMPOLLION. En Egypte, il passera rapidement pour le « savant », doté d’une déontologie, d’une méthodologie très strictes.

Afin de laisser une trace écrite prestigieuse de cette expédition et d’en occulter quelque peu le coté militaire, BONAPARTE, à l’instigation de KLEBER, véritable patron de l’expédition, décide de faire publier un état complet de l’Egypte ancienne et moderne, la fameuse Description de l’Egypte. A l’instar du succès financier que représentait le rachat par PANKOUCHE de l’Encyclopédie, HAMELIN, financier un peu trouble de l’expédition, propose de créer une société par actions, mais pour des raisons de prestige, BONAPARTE décidera que ce sera une affaire publique. Une commission, placée sous la présidence de FOURIER est nommée. Ce dernier est aussi chargé de rédiger une introduction générale à l’ouvrage : son style, à la fois brillant et précis, est maintenant connu.

Tant dans cette affaire qu’à l’Institut d’Egypte, FOURIER se révèle un excellent diplomate, sachant arrondir les angles tout en imposant ses vues, sévères et rigoureuses, des affaires. Il est ainsi chargé par KLEBER des négociations officieuses avec les beys et avec l’armée ottomane qui menace les Français. DESAIX, négociateur officiel auprès des Turcs, accepte le retrait d’Egypte des savants et des ingénieurs. Mais ces derniers restent bloqués au Caire : la Méditerranée  est tenu par les Anglais qui ne veulent pas les laisser passer. Au Caire, KLEBER doit faire face à des révoltes importantes, FOURIER, partisan sincère de la colonisation, en voit pourtant l’impossibilité.

KLEBER est assassiné  le 14 juin 1880. Joseph FOURIER prononce son éloge funèbre en véritable orateur :

Français, lorsque vous jetterez désormais les yeux sur cette place dont les flammes ont presque entièrement dévoré l’enceinte [  ]vos regards s’arrêteront, malgré vous, sur le lieu fatal où le poignard a tranché les jours du vainqueur de Maastricht et d’Héliopolis. Vous direz : c’est là qu’a succombé notre chef et notre ami. Sa voix, subitement anéantie n’a pu nous appeler au secours. Oh ! Combien de bras, en effet, se seraient levés pour sa défense ! Combien de vous eussent aspiré à l’honneur de se jeter entre lui et son assassin ! Je vous prends à témoin, intrépide cavalerie qui accourûtes pour le sauver sur les hauteurs de Karaïm, et dissipâtes en un instant la multitude d’ennemis qui l’avaient enveloppé. Cette vie qu’il devait à votre courage, il vient de la perdre !

MENAU succède à KLEBER et commence alors la période d’activité scientifique la plus intense, malgré la situation politique et militaire. MENAU écrit à BONAPARTE : « FOURIER se conduit à merveille et nous est d’une grande utilité. » Mais en mai 1801 il faut se rendre à l’évidence : il n’y aura d’Egypte française et les Anglais semblent disposés à laisser partir les membres de l’expédition. De difficiles négociations opposent savants et ingénieurs d’une part, militaires de l’autre : le 10 juin les scientifiques quittent Le Caire, mais laissent aux Anglais les restes archéologiques recueillis  dont la fameuse pierre de Rosette. En mer les Anglais arraisonnent le navire et tout le monde revient à Alexandrie. Et ce n’est finalement qu’en septembre, après la  reddition finale, que tout le monde  est rapatrié en France. Notre FOURIER retourne aux mathématiques et à l’Ecole Polytechnique dès janvier 1802  s’imagine faire dorénavant une carrière de savant avec une situation matérielle stable.

C’était sans compter avec ses amis MONGE et BERTHOLLET, proches de BONAPARTE qui est en train de réorganiser l’administration française. En février 1802 FOURIER est nommé préfet de l’Isère. Cela contrecarre tous ses projets, mais il n’est pas dans sa nature de refuser une mission que lui confie le Premier Consul. Il gardera toutefois son poste à Polytechnique ce qui soulève quelques difficultés : cumul de l’appartenance au corps préfectoral et à celui des professeurs de l’Ecole Polytechnique au moment où BONAPARTE est entrain de clarifier et de réformer toute la haute administration…Pour Joseph FOURIER, Grenoble sera à la fois un exil scientifique et une promotion sociale sinon financière (les préfets étaient peu rétribués et FOURIER était un des rares à ne pas avoir de fortune personnelle). BONAPARTE voulait peut-être aussi éloigner de Paris un esprit indépendant qui avait trop célébré les mérites de KLEBER à son détriment. Mais il est aussi tout à fait dans l’esprit de BONAPARTE de nommer à de hautes responsabilités des hommes de sciences pour lesquels il avait une profonde admiration.  FOURIER arrive à Grenoble le 17 avril 1802, sans s’arrêter moindrement à Auxerre qu’il  traverse pourtant.

Les tâches d’un préfet sont complexes, allant de simples réglementations ou décisions jusqu’à l’organisation de grands travaux. Il se retrouve constamment pris entre la politique centralisatrice et la réalité du terrain. FOURIER assumera cette charge avec une étonnante énergie et un remarquable sens des responsabilités. Et malgré ce travail harassant, c’est à cette époque qu’il établira l’expression la plus générale de l’équation qui régit le mouvement de la chaleur dans les corps solides et qu’il introduira le développement en série d’une fonction en séries trigonométriques qui portent encore aujourd’hui son nom et sur lesquelles nous reviendrons plus loin.

Parmi les grands travaux initiés par FOURIER en Isère il y a l’assèchement des marais de la région de Bourgoing : travail colossal tant au plan technique qu’au plan administratif  (37 communes, des milliers de petits propriétaires, 600 ouvriers sont concernés). Puis il prend en charge le projet hautement stratégique de la liaison Grenoble Turin. Deux projets sont en concurrence, l’un par la vallée de la Maurienne et le Mont Cenis, l’autre par Bourg d’Oisans, le Lautaret, Briançon et le Mont Genèvre. FOURIER imposera ce second projet qui lui semble plus intéressant au plan du désenclavement des régions traversées. Il sera souvent sur le chantier y prendra des décisions que l’on qualifierait aujourd’hui d’environnementales : conservation autant que faire se peut, plantation de forêts, protection contre les avalanches, mise en place d’un hôpital pour soigner les blessés du chantier, …Mais en 1814, lorsque FOURIER quittera Grenoble les travaux ne sont pas achevés. Il s’occupera aussi de la réorganisation économique de la production de charbon dans les environs de La Mure et en profitera pour relever quelques températures au fond des puits.

FOURIER saura aussi soigner l’image du ce nouveau haut dignitaire qu’est le préfet : cérémonies officielles, réceptions, représentations théâtrales le verront en grand uniforme. La Légion d’Honneur, puis le titre de baron d’Empire lui sont accordés. A ces deux distinctions sont liés des avantages financiers qui aideront FOURIER à tenir son rang.

Dernier volet important du séjour de FOURIER à Grenoble : sa rencontre avec les frères CHAMPOLLION. L’aîné des CHAMPOLLION, passionné de philologie et d’archéologie rencontrera FOURIER à la Société des Sciences et des Arts de Grenoble. L’archéologie, et en particulier l’archéologie égyptienne, les réunit assez vite : FOURIER le prend comme secrétaire particulier et ils deviennent des amis intimes (c’est la seule amitié aussi forte que l’on connaisse à FOURIER). Le sujet de cette amitié était très souvent l’éducation du jeune CHAMPOLLION, le futur déchiffreur des hiéroglyphes. A cette époque il est encore élève dans une institution privée où il se passionne pour l’hébreu. FOURIER le qualifie dans une correspondance de « poulain fougueux qui demande triple ration ». Avec l’aîné des CHAMPOLLION, FOURIER s’attaquera à l’organisation de l’enseignement dans l’Isère. Un lycée est créé, le futur lycée Champollion, dont le jeune CHAMPOLLION sera un des premiers élèves, mais en supportera assez mal la discipline toute militaire. Puis, en 1810, une Université (la future Université Joseph FOURIER) est ouverte, avec en particulier sa Faculté des Sciences qui comptera en tout et pour tout trois professeurs. Le succès est immense et les bâtiments se révéleront tout de suite insuffisants.

Mais FOURIER aura aussi de longues absences de plusieurs mois de Grenoble. Elles sont essentiellement justifiées par la responsabilité de la rédaction de la Description de l’Egypte et en particulier de la rédaction de la préface historique laquelle nécessite l’accord de NAPOLEON. Ce dernier fait confiance à FOURIER et n’exigera finalement que très peu de modifications. FOURIER profitera aussi de ces séjours parisiens pour garder le contact avec ses collègues mathématiciens et physiciens et leur soumettre le résultat de l’important travail scientifique qu’il élabore malgré sa charge de préfet et malgré l’isolement scientifique auquel il est confronté à Grenoble, alors petite ville d’à peine 20 000 habitants. FOURIER, avec des moyens rudimentaires effectuera des expériences qui viennent confirmer ses idées sur la propagation de la chaleur. Tout cela le mène vers la rédaction d’un mémoire imposant : Théorie de la propagation de la chaleur dans les solides, où théorie physico-mathématique et résultats d’expériences se complètent. En 1807 il en envoie une copie à BIOT et  à POISSON, puis le soumet à l’Académie des Sciences qui nomme les mathématiciens LAGRANGE, LAPLACE,  MONGE et LACROIX comme rapporteurs, à l’exclusion de tout physicien (BIOT et Lazare CARNOT se sont tous deux déjà occupés de questions ayant trait à la chaleur.). L’Académie avait compris qu’en réalité c’était bien d’une théorie d’essence mathématique dont il s’agissait.. Sous la signature de P (qui cache à peine POISSON qui à cette époque n’est pas encore membre de l’Académie) paraît un compte-rendu très neutre, presque réticent, purement descriptif de l’ouvrage, sans prise de position et sans mentionner ce qui était tout à fait nouveau. Dans une correspondance  avec LAPLACE, FOURIER précise quelques points obscurs, mais non seulement l’Académie refuse de porter un jugement, mais fait du titre du mémoire l’intitulé du sujet pour le prix de l’année  1812. FOURIER est d’abord dépité, puis se remet au travail, structure mieux son texte, le rend plus didactique et en janvier 1812  son travail est couronné à sa grande joie. Pourtant l’avis rendu par l’Académie reste encore critique sur certains points et mérite d’être cité :

Cette pièce renferme les véritables équations différentielles de transmission de la chaleur, soit à l’intérieur des corps, soit à leur surface ; et la nouveauté du sujet, jointe à son importance, a déterminé la Classe à couronner cet ouvrage, en observant cependant que la manière dont l’auteur parvient à ses équations n’est pas exempte de difficultés, et que son analyse, pour les intégrer, laisse encore quelque chose à désirer, soit relativement à la généralité, soit même du côté de la rigueur.

Mais l’histoire politique va rattraper  FOURIER à la fin de 1812 et ce ne sera que bien plus tard qu’il pourra reprendre ce travail. La retraite de Russie s’amorce et en 1814 NAPOLEON est déposé et part en exil pour l’île d’Elbe. Les troupes autrichiennes occupent Grenoble, FOURIER, en parfait serviteur de l’Etat adhère au nouveau pouvoir et cela malgré les pressions de CHAMPOLION, bonapartiste convaincu, qui lui conseillera de suivre NAPOLEON dans son exil. Lors des Cent Jours, FOURIER se trouvera donc dans une position très inconfortable, d’autant plus que le chemin de retour de NAPOLEON passe par Grenoble. Officiellement FOURIER veut barrer la route à l’Empereur et refuse de le recevoir à la Préfecture. Il lui fait quand même préparer une chambre dans un hôtel. Le lendemain NAPOLEON le destitue de ses fonctions, mais par l’entremise de CHAMPOLION, une rencontre a lieu en dehors de Grenoble. NAPOLEON commence par « engueuler » FOURIER qui reste parfaitement silencieux, puis le nomme préfet du Rhône et le fait comte. FOURIER obéit et prend son poste à Lyon, mais, en refusant d’exécuter l’épuration décidée par NAPOLEON, il est démis de ses fonctions deux mois plus tard. Il regagne Paris quelques jours avant Waterloo.

III – LE SAVANT SOCIALEMENT ET SCIENTIFIQUEMENT RECONNU.

En mai 1815, FOURIER est donc à Paris, sans emploi et sans ressource. En juillet, LOUIS XVIII prend le pouvoir. Heureusement l’un de ses premiers élèves à l’Ecole Polytechnique, CHABROL, est nommé préfet de la Seine. Il lui propose, faute de mieux, la direction du bureau des statistiques de la préfecture. FOURIER, toujours zélé, y fait un travail tout à fait remarquable tant au plan mathématique et méthodologique (il perfectionnera un certain nombre de méthodes statistiques, en particulier pour mesurer la dispersion plus ou moins grande d’une population autour de sa moyenne) qu’au plan pédagogique (il formera de façon plus approfondie ses collaborateurs qui étaient pour la plupart des employés sans compétences particulières en matière de statistiques)

En 1816,  il publie dans les prestigieuses Annales de Physique et de Chimie un article de 26 pages : Théorie de la Chaleur. POISSON le critiquera encore, estimant que lui-même avait fait une bien meilleure analyse des phénomènes liés à la chaleur. FOURIER est furieux car il est sûr que son analyse est la réalité physique. Il écrit à LAPLACE, avec vigueur et ironie, et ce dernier finit par comprendre en quoi le travail de FOURIER est profondément nouveau et important. Le soutien de LAPLACE  lui permet alors d’envisager une candidature à l’Académie des Sciences d’où ont été exclus, pour bonapartisme excessif, MONGE et CARNOT. Le mathématicien CAUCHY y est nommé sans vote, LAGRANGE meurt, ARAGO devient la personnalité importante de la science française. Deux postes sont vacants, FOURIER fait les visites usuelles, trouve souvent porte close, mais aussi quelques soutiens. Le  27 mai 1816 il est élu, mais le roi, à qui on a rappelé l’éminent rôle de FOURIER sous NAPOLEON, refuse d’approuver cette élection. L’astronome DELAMBRE, secrétaire perpétuel de l’Académie, conseille à FOURIER d’être patient. Ce dernier se représentera en 1818 contre FRESNEL (encore jeune et peu connu) et DULONG. L’élection de FOURIER sera triomphale (47 voix contre 2 et 1). Le roi approuve. ARAGO commentera : « Dans notre pays l’absurde ne dure jamais bien longtemps »

C’est un tournant décisif dans la vie de FOURIER. Désormais le reste de sa vie sera consacré à la Science, à la fois par une production propre sous forme de publications et de communications et aussi par le rôle qu’il va jouer dans le sérail scientifique de l’époque.

1822, l’année phare de la vie scientifique de FOURIER ! Paraît en cette année l’œuvre maîtresse, la fameuse Théorie analytique de la chaleur qui reprend, complète, clarifie tous ses travaux précédents sur la propagation de la chaleur et les outils mathématiques créés à cette occasion. Nous y reviendrons plus loin. Par ailleurs DELAMBRE, secrétaire perpétuel, meurt. Trois noms sont proposés au vote : BIOT, ARAGO, FOURIER. Le poste est important par le poids avec lequel il permet de peser sur la politique scientifique du pays, mais aussi par les avantages matériels qui s’y rattachent. FOURIER représentera un courant classique et libéral face  à  ARAGO aux conceptions plus dirigistes. Il trouvera à cette occasion un soutien très actif de Sophie GERMAIN, seule femme mathématicienne reconnue à l’époque.  Une amitié profonde et sincère les lie. Ce sera la seule « femme » que l’on connaisse dans la vie de FOURIER, mais leur correspondance laisse penser qu’ils en sont restés à une amitié profonde et une admiration réciproque, sans plus. FOURIER est élu brillamment. LAPLACE, prudent, fait deux bulletins, les montrent à l’assemblée et en déchire un, prétextant ainsi ne pas avoir fait un choix entre FOURIER et ARAGO. Ce dernier, qui était son voisin, a ensuite prétendu que les deux bulletins étaient au nom de FOURIER Toujours en cette année 1822, CHAMPOLLION déchiffrera les hiéroglyphes. FOURIER est évidemment enthousiaste.

Au vu de son passé au bureau des statistiques de la préfecture de la Seine, FOURIER devient à l’Académie, avec LAPLACE, le spécialiste des questions de statistiques. Il saura encourager de jeunes statisticiens et en particulier le Belge QUETELE. Enfin, comme secrétaire perpétuel, FOURIER prononcera de nombreux discours et éloges. C’est un art dans lequel il excellera et qu’il est fier de maîtriser. Les éloges de DELAMBRE et de LAPLACE sont de véritables morceaux d’anthologie.

En 1826 il est élu à l’Académie Française où se trouvent déjà LAPLACE et CUVIER. En 1829 il devient membre de l’Académie des Sciences de Saint-Petersbourg. Les rhumatismes et des difficultés respiratoires rendent la fin de sa vie difficile. Il meurt le 30 mai 1830 d’une rupture d’anévrisme.  ARAGO lui succèdera comme Secrétaire Perpétuel et prononcera son éloge, lui aussi véritable morceau d’anthologie.

IV – L’ŒUVRE SCIENTIFIQUE ET EN PARTICULIER MATHEMATIQUE.

L’œuvre de FOURIER s’organise en cercles concentriques autour du noyau central et fondamental qu’est la Théorie analytique de la chaleur. C’est cet ouvrage et uniquement cet ouvrage qui fait de FOURIER l’un des très grands mathématiciens de l’humanité et dont la postérité scientifique reste encore de toute première importance. Le reste de son œuvre, pour intéressante qu’elle soit, en ferait simplement un savant parmi bien d’autres.

Un premier cercle, que j’ai déjà évoqué au fil de sa biographie, est constitué par ses textes non scientifiques, au sens restrictif du terme : éloges, discours, rapports, Introduction à la Description de l’Egypte, ….. Ces textes sont toujours écrits dans un style élégant, précis, clair. Et FOURIER aimait écrire ce genre de textes, comme il aimait prendre la parole en public.

Un second cercle contient ses travaux scientifiques, pour l’essentiel mathématiques, non liés au problème de la chaleur. Ces travaux, non fondamentaux, méritent quand même notre attention et ont trop souvent été occultés par son travail sur la propagation de la chaleur.                                                          .         Il y a là des travaux qui tournent autour d’une question qui l’a préoccupé durant toute sa vie : la résolution des équations algébriques où il met en avant des idées nouvelles reprises par ses successeurs. On y trouve aussi un algorithme complètement ignoré de ses contemporains, qui correspond à ce que nos informaticiens appellent la méthode du simplexe et qui est à la base de la programmation linéaire.

Il y là une multitude d’articles et de communication sur des questions mathématiques diverses, y compris sur les géométries non-euclidiennes et plus généralement sur les bases de la géométrie

Il y là ses travaux statistiques. Au plan des textes il s’agit pus de textes didactiques que de véritables travaux de fond, mais il a quand même clarifié des problèmes liés à l’étude de la dispersion d’une population ou d’un ensemble de mesures expérimentales autour de leur moyenne.

Il y a là ses travaux en liaison avec la physique. L’invention d’un marégraphe, l’étude, avec PRONY et LAGRANGE des bases de la statique, son travail de jeunesse sur le principe des vitesses virtuelles, des travaux en thermoélectricité avec OERSTED.

Un troisième cercle est constitué par tout ce qui touche à la propagation de la chaleur : les textes successifs qui le mènent à la Théorie analytique de la chaleur, textes que nous évoquerons un peu plus loin, et puis il y a les textes qui tournent autour de cette question de chaleur et qui vont dans toutes les directions : chaleur animale, refroidissement du globe terrestre, chauffage et aération des immeubles d’habitation, ….

Et puis il y a la Théorie analytique de la Chaleur, fondement de sa postérité, de son actualité, de sa situation de mathématicien essentiel dans l’histoire des mathématiques. Comme son titre l’indique il s’agit d’une problématique de nature essentiellement physique : Comment la chaleur se propage-t-elle à travers un corps ? Comment se réalisent les échanges de chaleur entre deux corps ? Entre un corps et l’air ambiant ? Entre un corps et le liquide dans lequel il est plongé ? L’inventivité mathématique dont il fait preuve à ce sujet est tout à fait extraordinaire et il met en place les fondements de tout un secteur des mathématiques, l’analyse de FOURIER, encore fécond de nos jours tant en mathématiques pures qu’en mathématiques appliquées à divers secteurs. L’imagerie médicale moderne, la renumérisation de nos vieux 78 tours en CD nettoyés de tout bruit de fond sont des applications de l’analyse de FOURIER et donc lointaines héritières des travaux sur la propagation de la chaleur.

Ses travaux sur la propagation de la chaleur débutent en 1805 au retour d’Egypte. alors qu’il est préfet à Grenoble. La légende veut que c’est parce qu’il a beaucoup souffert de la chaleur en Egypte qu’il se lance dans cette étude. Remarquons que la notion même de chaleur est purement conceptuelle, contrairement à la température qui se mesure et elle se prête donc à toute sorte de considérations plus ou moins philosophiques ou scientifiques. Le 21 décembre  1807 il lit à l’Académie des Sciences un mémoire intitulé Théorie de la Propagation de la Chaleur dans les Solides. Mais LAGRANGE et LAPLACE firent de nombreuses objections et ce mémoire ne fut jamais publié ni par l’Académie, ni par FOURIER, ni ultérieurement par Gaston DARBOUX dans les œuvres complètes. Pourtant on est maintenant certain que DARBOUX a  consulté ce manuscrit à l’Ecole des  Ponts et Chaussées et il en dit grand bien. Ce n’est qu’en 1972 que l’historien des sciences anglais, GRATTAN-GUINESS, grand spécialiste de FOURIER, publiera ce premier texte sur la propagation de la chaleur. Pendant les années 1808 et 1809 FOURIER publiera de nombreuses mises au point qui essayent de répondre aux critiques de LAGRANGE et LAPLACE. Il trouve dans ce travail l’aide de POISSON. En 1811, il soumet à nouveau son mémoire, nettement amélioré, à l’Académie des Sciences. LAGRANGE souligne alors « la nouveauté du sujet et son importance » mais reste encore réservé « du coté de la rigueur ». Et pourtant on peut sans doute dire que c’est partiellement à cause de cette indifférence envers la rigueur, accompagnée d’une très grande sûreté  de jugement, que FOURIER a été capable de franchir certaines étapes conceptuelles, ce qui aurait été proprement impossible pour des savants ayant un sens de la rigueur plus aigu. Dans ce sens FOURIER est dans le droit fil des mathématiciens du XVIIIème siècle tel EULER, ou les BERNOULLI. Sa perspicacité, conduisant à la réponse correcte à travers de flagrantes insuffisances du coté de la rigueur, ne pouvait satisfaire le fin analyste qu’était LAGRANGE. Il faut d’autant plus souligner l’intelligence de ce dernier, ainsi que celle de LEGENDRE et de LAPLACE, qui, en lui accordant, au-delà de ces insuffisances, le Grand Prix de l’Académie des Sciences, ont compris en quoi le travail de FOURIER était fondamentalement novateur.

Finalement c’est en 1822 que FOURIER publiera sa Théorie analytique de la chaleur dont DARBOUX dira qu’il s’agit « d’un bel ouvrage que l’on peut placer sans injustice à coté des écrits scientifiques les plus parfaits de tous les temps ». C’est en tout cas l’exposé le plus achevé de FOURIER sur cette question.

Nous allons à présent essayer de faire comprendre à quelles questions mathématiques répond le travail de FOURIER, travail qui, rappelons-le, paraît sous un titre de physique, Théorie analytique de la chaleur. Mais cela était dans le droit fil des conceptions de FOURIER : faire subir à une question de physique un traitement purement mathématique. Une question de physique peut s’aborder de deux façons : une étude expérimentale qui permettra de conjecturer des lois ou une modélisation mathématique qui produira les réponses de façon purement calculatoire. La démarche de FOURIER s’inscrit clairement dans la seconde perspective, mais dans tous ses textes il signale qu’il s’est appuyé en amont ou en aval de ses calculs sur des études expérimentales. Cela mérite d’être signalé, mais ne s’agit-il pas plutôt de précautions de style que d’une véritable attention au coté expérimental de la physique ? En tout cas c’est à travers l’inventivité mathématique dont il fait preuve que FOURIER est beaucoup plus perçu comme un mathématicien de première grandeur que comme un physicien. Remarquons d’ailleurs à ce propos que ses interlocuteurs scientifiques sont presque exclusivement des mathématiciens. C’est cette démarche qui permet de qualifier FOURIER de véritable créateur d’un nouveau domaine qui se situe aux confins de la physique et des mathématiques, la physique mathématique. A travers ce travail, FOURIER va se heurter à des difficultés mathématiques qu’il surmontera en allant de l’avant, sans trop s’occuper  de la rigueur de sa démarche , mais en ébranlant des questions tout à fait fondamentales, liées en particulier au concept de fonction. L’école allemande d’analyse du XIXème siècle (l’analyse est le domaine des mathématiques qui étudie précisément les fonctions) saura ensuite approfondir et nettoyer de ses scories le travail de FOURIER, jusqu’à lui donner un statut parfaitement rigoureux.

Un travail aussi nouveau tant au plan de la méthode qu’à celui de la technologie mathématique n’a pas été accepté sans réticence par la communauté scientifique. Il est donc intéressant de revenir sur la genèse historique de cette affaire. L’idée d’approcher une fonction qu’on ne sait pas écrire comme combinaison de fonctions dûment répertoriées et connues, par une somme de fonctions trigonométriques judicieusement calibrées n’était pas nouvelle. En effet, dès 1755, à propos de l’équation des cordes vibrantes, établie en 1747 par D’ALEMBERT, Daniel BERNOULLI propose une solution de ce type. Cette solution donne alors naissance à un rude débat entre D’ALEMBERT, EULER et BERNOULLI et, sans rentrer dans les détails de ce débat, il faut signaler  que ces mathématiciens comprirent déjà plus ou moins qu’ils ébranlaient la conception même qu’ils avaient à cette époque de la notion de fonction. La contribution de FOURIER, se situe là, fondatrice encore peu rigoureuse d’une notion abstraite de fonction dont un mémoire célèbre, paru en 1829, sous le titre Sur les séries trigonométriques qui servent à représenter une fonction arbitraire entre des limites données, le mathématicien allemand LEJEUNE-DIRICHLET posera les fondements, avec toute la rigueur propre au XIXème siècle.

Eclairons un peu ces questions, sans dépasser le niveau mathématique d’un lycéen d’aujourd’hui. Mes collègues mathématiciens me pardonneront les inévitables simplifications, parfois un peu caricaturales, que je suis ainsi obligé de faire. Un exposé précis de ces affaires nécessite un niveau mathématique de BAC+2.

La vision simpliste d’une fonction dans les mathématiques élémentaires du lycée et aussi d’une certaine manière chez les mathématiciens du XVIIIème siècle, consiste à associer à la valeur x de la variable une valeur y de la fonction par l’intermédiaire d’une formule. Il en est ainsi des fonctions définies par

y  = 2x-5

y = x²-2x-7

Remarquons que ces deux exemples ne font intervenir que les quatre opérations arithmétiques : ce sont des fonctions rationnelles. Un pas de plus est franchi dès le XVIIIème siècle, et aussi par nos lycéens, lorsqu’on introduit des fonctions non rationnelles telles que :

y = sin x       (sinus de x)

Sauf pour des valeurs exceptionnelles  (x=0 ou x=3 pour la première, ou x=0 pour la seconde) on ne peut plus calculer la valeur exacte de y. Mais les mathématiciens ont mis au point des fonctions approchées (c’est à dire des fonctions rationnelles qui fournissent avec la précision désirée des valeurs approchées de y). Pratiquement c’est ce que fait une calculatrice de poche, c’est aussi ainsi qu’étaient construites les tables numériques en usage avant l’invention des calculatrices de poche.

Ce sont ces fonctions et leurs combinaisons qui constituent l’herbier des fonctions des mathématiciens du XVIIIème siècle et aussi celui de nos actuels lycéens.

Une occupation classique des lycéens consiste à représenter graphiquement de telles fonctions en portant les valeurs de la variable x sur un axe horizontal, celles de y sur un axe vertical. Lorsque x varie, le point M de coordonnées (x,y) parcourt alors la courbe représentative (C) de la fonction.

Le drame se noue lorsqu’on regarde les choses dans l’autre sens : on a un tableau numérique avec les valeurs de x et celles correspondantes de y ou, encore plus visuellement, on a une courbe (par exemple un enregistrement graphique d’un phénomène physique ou une courbe économique). Sur une telle courbe, sous certaines conditions sur lesquelles je m’étends pas ici, je peux lire, pour une valeur donnée de x, la valeur correspondante de y. On a donc, à juste titre, l’intime conviction qu’une telle courbe ou un tel tableau définit une fonction : y est fonction de x. Quelle est cette fonction f ? Puis-je l’écrire comme combinaisons de fonctions élémentaires ? La réponse est en général « Non ! ». Par contre je peux, moyennant quelques précautions et contraintes déterminer avec la précision désirée une fonction approchée, de cette fonction abstraite f. Cette fonction approchée étant, elle, combinaison de fonctions élémentaires.

Dès le XVIIème siècle apparaissent les premières difficultés, les premières insuffisances de l’herbier des fonctions élémentaires. Le problème des cordes vibrantes qui aboutit à une équation différentielle dont on ne peut pas trouver de solution en termes de fonctions élémentaires en est un exemple typique. Bien sûr l’équation de propagation de la chaleur de FOURIER rentre aussi dans cette catégorie et on bascule alors dans une conception beaucoup plus abstraite du concept de fonction, dans une conception plus existentialiste que constructiviste : la fonction solution existe, mais je ne peux pas l’exhiber ! Après FOURIER ce sera l’école allemande d’analyse, avec LEJEUNE-DIRICHLET, WEIERSTRASS, RIEMANN, qui mettra tout cela en place de façon rigoureuse, mais aussi bien plus abstraite. Cette nouvelle vision des choses rencontrera des îlots de résistance jusqu’au début du XXème siècle et cela même chez des mathématiciens de premier plan, tel HERMITE ou POINCARE.

La façon dont FOURIER aborde la question de la propagation de la chaleur dans une tige, dans une plaque d’épaisseur négligeable ou encore dans un solide le conduit à envisager la température q comme une fonction à plusieurs variables (dépendant de plusieurs variables)

q = q (t, x)                 pour une tige

q= q (t, x, y)              pour une plaque

q = q (t, x, y, z)          pour un solide

t étant le temps (la température, avant de se stabiliser évolue évidemment en fonction du temps), x, y, z étant les coordonnées cartésiennes du point considéré M.

Cette fonction  est pour l’instant inconnue (si ce n’est par des valeurs expérimentales), mais les principes de la propagation de la chaleur que FOURIER se fixent l’amène à écrire qu’elle est la solution d’une équation différentielle (ou plus précisément une équation aux dérivées partielles) que voici, pour une plaque (dimension 2) :

Il s’agit de dérivées partielles. Les constantes:  K est la conductivité de la plaque , D la densité et C la chaleur spécifique.

Les mathématiciens (ceux du XVIIIème siècle comme ceux d’aujourd’hui) savent résoudre certaines équations différentielles (c’est à dire trouver la fonction solution) mais pas toutes et surtout pas souvent pour des équations aux dérivées partielles. Comme par hasard et pour la plus grande gloire de FOURIER, celle de la chaleur fait partie de celles qu’on ne sait pas résoudre : elle admet une solution (q existe forcément)  mais on ne peut pas l’exprimer comme combinaison de fonctions de l’herbier des fonctions dont le mathématicien dispose.

Je ne rentre pas ici plus avant dans les arcanes de la nature des équations différentielles. Cela fait intervenir les dérivées ( et ici les dérivées partielles)  de la fonction q et nous mènerait trop loin. Je vais par contre, via la musique, essayer de vous donner une idée de la méthode de FOURIER pour trouver une fonction approchée de la fonction q (et on pourra l’approcher aussi précisément que l’on voudra, à condition d’y mettre le prix).

Qu’est-ce qui distingue le « la » d’un diapason du « la » d’une trompette ou de celui d’un violon ? C’est bien la même note et on peut s’imposer de les jouer toutes les trois ave la même force (intensité). Et pourtant nous sommes capables de les distinguer ! Ce qui, en fait, fait la différence est un phénomène plus complexe que musiciens et physiciens appellent le timbre. Le « la » du diapason est une vibration simple, dite fondamentale. En fonction du temps cette vibration peut se représenter ainsi

et s’écrire mathématiquement ainsi

x1 = sin t

(Pour des raisons de simplicité on néglige ici tout problème d’échelle tant du coté du temps (axe horizontal) que du coté de l’intensité (axe vertical). Précisons simplement que la durée qui sépare les instants A et B est dans notre musique occidentale  de 1 / 440 de seconde.)

Dans le « la » des autres instruments –violon, trompette, etc.- les différentes pièces de l’instrument se mettent aussi à vibrer et ces vibrations se superposent avec des intensités variables à la fondamentale. Ces vibrations supplémentaires sont des harmoniques de la vibration fondamentale et peuvent se représenter ainsi

et s’écrire mathématiquement

x2 =  sin 2t (en vert)

x3 =  sin 3t (en bleu)  (x1 étant en rouge)

etc…..

L’idée de génie de FOURIER est de construire ainsi une somme d’harmoniques, chacune avec une intensité bien choisie, pour représenter n’importe quelle fonction de période AB .

Prenons un exemple. Additionnons

x1=  sin t

x2 =  – 1/2 sin 2t

x3 =  1/3 sin 3t

On obtient alors                       X =  x1 + x2 + x3 = sin t – 1/2 sin 2t + 1/3 sin 3t

soit graphiquement

C’est à dire déjà une assez bonne approximation de la fonction

X = t/2   sur chaque période.

Et si on désire une meilleure approximation, il suffit de continuer, avec la même procédure, d’ajouter des harmoniques judicieusement calibrés.

L’exemple ci-dessus est un exemple qui se trouve dans la Théorie analytique de la chaleur. Il était connu de CAUCHY qui passe, à juste titre, comme quelqu’un de très rigoureux.. Et pourtant cela n’empêchera pas ce dernier de « démontrer » dans son Cours d’Analyse de l’Ecole Polytechnique, un théorème dont cet exemple est un contre-exemple ! La résistance de CAUCHY à ce contre-exemple, comme d’autres cas historiques où des mathématiciens, ont résisté à des contre-exemples, montre que le statut du contre-exemple comme argument définitif pour infirmer une assertion, n’est pas si simple.

BIBLIOGRAPHIE SUCCINTE

Jean DHOMBRES et Jean-Bernard ROBERT, Joseph FOURIER, créateur de la physique mathématique, BELIN, collection UN SAVANT, UNE EPOQUE, 1998; un ouvrage complet tant sur sa vie et son oeuvre que pour une analyse épistémologique de ses travaux. On y trouvera une bibliographie très riche.

GRATTAN-GUINESS, Joseph Fourier 1768 – 1830, MIT Press, Cambridge-Londres, 1972; L’autre grande biographie et analyse de l’œuvre de Fourier (en anglais).

Joseph FOURIER, Théorie analytique de la chaleur, 1822, reprint 1988 chez Gabay, d’une lecture plus difficile, demande un niveau mathématique de Bac+2.

CESTRE, Le plan d’études de Dom Rosman au Collège d’Auxerre, Bull; Soc. Sc. Hist. Nat. Yonne, 1909, p. 225 et svtes. Ce plan d’études aurait pu être influencé pour sa partie mathématique par Joseph Fourier.

CESTRE, Le collège d’Auxerre de 1750 à 1796., Bull; Soc. Sc. Hist. Nat. Yonne, 1910, p. 79-183.

MAUGER, Joseph Fourier, Ann. Stat. Dépt. Yonne, 1837, p. 270 et svtes

Les trois derniers titres sont des études d’historiens locaux. Mauger a été un élève de Fourier.


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R. Timon, né en 1944 a été instituteur, maître formateur, auteur de manuels pédagogiques avant d’écrire pour le Webpédagogique des articles traitant de mathématiques et destinés aux élèves de CM1, CM2 et sixième.

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