Un manuel d’histoire socialiste

Hervé G. et Clémendot G.

Histoire de France, CE et CM, Bibliothèque d’éducation, 1904

Deux enseignants socialistes: Gustave Hervé (1871-1944) fut professeur agrégé au lycée de Sens de 1899 à 1901, date à laquelle il fut révoqué pour un article antimilitariste provocateur. Gaston Clémendot (1868-1952) fit toute sa carrière dans l’Yonne comme instituteur. Tous deux sont des militants socialistes au début du XXème  siècle : l’un anime le courant antipatriotique à l’échelle nationale et l’autre dirige la fédération départementale.

Un manuel interdit: Hervé et Clémendot ont rédigé un manuel différent des autres puisque l’usage en est rapidement interdit dans les écoles par le ministre de l’Instruction Publique, Bienvenu-Martin, parlementaire de l’Yonne. L’arrêté du 5 août 1905 décrète que l’ouvrage « est non un manuel d’histoire mais un livre de propagande politique » et qu’ « il ne peut être accepté dans les écoles publiques où l’instituteur est tenu de maintenir dans son enseignement la neutralité »

arrêté d’interdiction du manuel

L’usage du mot peuple: Hervé et Clémendot utilisent souvent le mot peuple dans la deuxième acception du dictionnaire Robert : « le plus grand nombre opposé aux classes supérieures dirigeantes » c’est-à-dire les gens de modeste condition. Contrairement à Lavisse qui n’envisage que la nation France et le patriotisme qui lui est dû, ils se préoccupent des couches populaires. Dans leur préface, ils écrivent : « Considérant que l’histoire-registre des rois et des cours, des batailles et des traités, des généalogies et des dates, n’est pas la véritable histoire parce qu’elle oublie totalement la plus grande partie de l’humanité, le peuple qui travaille et qui souffre, nous avons préféré nous intéresser aux masses plutôt qu’aux acteurs en vue » Ils ne se contentent pas d’observer, ils cherchent à expliquer en ajoutant : « D’un côté, nous avons essayé de montrer les efforts des opprimés pour améliorer leur sort, et de l’autre les efforts de leurs oppresseurs pour les maintenir sous le joug » Autrement dit, même si l’expression n’est pas utilisée, pour eux, la lutte des classes est bien le moteur de l’histoire.

Le sort du peuple : A toutes les époques, leur manuel se préoccupe du sort du peuple.

« Outre les droits féodaux, les paysans payaient encore la dîme au clergé et, à partir du XIVème siècle, ils payèrent, en outre, de lourds impôts au roi. Aussi vivaient-ils misérablement …Par dérision, on appelait le paysan Jacques Bonhomme ; Jacques Bonhomme, c’était la bonne bête qu’on peut surcharger sans qu’elle se plaigne…La guerre de cent Ans mit le comble à sa misère…La bonne bête de somme, rendue furieuse par la faim, devint enragée…Ce fut la Jacquerie. Mais que pouvait Jacques Bonhomme avec sa fourche et sa faux contre les seigneurs bardés de fer…Les seigneurs en firent un horrible carnage…Et la malheureuse bête de somme se remit au travail, avec la résignation du bœuf habitué au joug » (pp. 41-43)

Les institutions du Consulat et de l’Empire sont présentées comme « une machine puissante qui permet d’obtenir facilement du peuple, non seulement une obéissance complète mais encore beaucoup d’argent et beaucoup de soldats »

Les attentes du peuple : Dans leur manuel, Hervé et Clémendot n’hésitent pas à offrir un chapitre entier sur les partis politiques au début du XXème siècle, en montrant pour chacun d’eux ce que le peuple peut en attendre. Ils distinguent les divers partis conservateurs, le parti radical et le parti socialiste ou collectiviste, à qui ils accordent une place plus grande, qu’à tous les autres réunis, détaillant ce qu’il propose pour les ouvriers de l’industrie, pour les petits cultivateurs et ouvriers agricoles, pour le commerce, et terminant sur le principe fondamental de la socialisation des moyens de production et d’échange.

Le manuel d’Hervé et Clémendot ne cache pas son anticléricalisme. Certes il dénonce les méfaits de l’intolérance religieuse et du rôle politique de l’Eglise mais il reproche surtout au clergé catholique « de s’être toujours mis du côté des riches » Il établit nettement qu’à la veille de la Révolution la richesse et les privilèges du clergé ne sont pas justifiés par l’insuffisance des services rendus au peuple.

Le manuel se veut aussi nettement pacifiste. Il raconte les atrocités des guerres religieuses, la sauvagerie des combats sous Louis XIV, l’horreur des champs de bataille napoléoniens. De manière plus originale, les conséquences des conflits sont analysées en distinguant dirigeants et peuples. Dans les guerres entre seigneurs, « c’était toujours sur le malheureux paysan que retombaient ruine et dommage ; quand on voulait battre le seigneur, c’est sur le serf qu’on frappait (p. 31) La politique de guerre de Louis XIV «  a été pour le peuple une cause de maux innombrable. Que le roi soit vaincu ou victorieux, c’est toujours le peuple qui paie les frais de la guerre » (p. 94) « La guerre de 1870-71 a enrichi les gros fournisseurs de vivres, de fusils, de canons, les gros usiniers qui ont eu à refaire le matériel de guerre, les gros banquiers qui ont, pendant et après la guerre, prêté de l’argent à l’état à gros intérêt. Mais pour la grande masse du peuple français – comme d’ailleurs pour la grande masse du peuple allemand – la guerre de 1870 a été un désastre terrible » (p. 242)

Cependant la différence est criante entre les illustrations du manuel d’Hervé et Clémendot et les habituelles reproductions des tableaux manifestant la gloire de Napoléon 1er, même dans les manuels actuels.

tas de têtes de morts p. 190

La responsabilité du peuple n’est pas éludée. « Si la principale cause des guerres, ce fut l’ambition de Napoléon de devenir maître de l’Europe…le peuple français, aveuglé par un orgueil semblable, grisé par l’amour des galons, des décorations, par les victoires remportées, applaudit à ses guerres les plus odieuses, et ainsi il partage avec lui la responsabilité des injustices et des violences commises par lui contre tous les peuples d’Europe » (p. 190)

La paix, il ne suffit pas de la souhaiter. C’est au peuple de la préparer, notamment en s’intéressant aux affaires publiques. A la fin du manuel (p. 284), une illustration résume ce pacifisme militant avec l’adage subverti « si tu veux la paix, prépare la paix ! »

L’anticolonialisme et l’internationalisme sont aussi affirmés. Hervé et Clémendot écrivent que tous les peuples méritent d’être respectés « Nous n’avons pas plus le droit de nous établir de force chez les Arabes ou les Chinois que les Arabes ou les Chinois chez nous…Les expéditions coloniales ne rapportent rien au peuple français : elles coûtent aux contribuables…Il n’est pas juste que les paysans et es ouvriers qui sont pauvres, soient tenus de payer les frais de ces expéditions destinées à faire fructifier au loin l’argent des riches capitalistes » (p. 260-261)

L’internationalisme est explicitement évoqué dans un des paragraphes consacrés au parti socialiste : « Les internationalistes disent que dans tous les pays il y a, comme en France, deux classes, une classe riche qui est privilégiée et une classe de paysans, d’ouvriers, de petits fonctionnaires qui est dans la gêne et quelquefois dans la misère. Les déshérités de tous les pays sont frères ; ils ont partout les mêmes adversaires. Leur intérêt n’est pas de se faire la guerre entre eux, de pays à pays, pour le profit des classes dirigeantes de leurs patries respectives, c’est d’essayer d’établir dans chaque nation plus d’égalité, plus de justice (p. 274)

Deux pages de l‘Histoire de France annotées par l’auteur :

About cm1

R. Timon, né en 1944 a été instituteur, maître formateur, auteur de manuels pédagogiques avant d’écrire pour le Webpédagogique des articles traitant de mathématiques et destinés aux élèves de CM1, CM2 et sixième.

Category(s): analyse

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