Michel Laurent

17 09 2013

Michel LAURENT

(1936 – …)

    Michel Laurent est né le 2 février 1936 à Paris (6e), instituteur, directeur d’école, puis psychologue scolaire, il fit carrière dans le département de l’Yonne. Il est l’auteur d’une brochure de 64 pages destinée à la préparation des employés communaux à l’épreuve de français du concours de commis et à l’examen d’aptitude à l’emploi de secrétaire de mairie des communes de moins de 2 000 habitants, éditée en 1981 par le CFPC (Centre de Formation des Personnels Communaux, devenu après 1987 le CNFPT – Centre National de la Fonction Publique Territoriale).

    La brochure connut plusieurs éditions : d’abord, avec Jeanne SIMON (éditée en 1980), puis avec Michel Laurent seul (édition de 1981, bleu, 64 pages).Une annexe de 48 pages d’exemples d’épreuves d’examens fut réalisée avec Jacques DUMONT l’année suivante (1982).

    Un second ouvrage sortira en 1989 à destination des candidats au concours de commis territorial, en adaptation à la nouvelle formule de concours (80 pages), sous l’égide du CNFPT (successeur du CFPC).

     Ces ouvrages sont des exemples de brochures éditées dans un cadre particulier pour des formations professionnelles spécifiques par un organisme de tutelle dont l’édition n’est pas le souci premier. N’entrant pas dans le cadre des grandes collections, elles ont une vie brève et sont rarement conservées en bibliothèques.

     « La brochure était destinée à la préparation au concours de secrétaire de mairie et de commis ; elle connut deux éditions, l’une avec plusieurs co-auteurs, puis une seconde où je fus seul auteur après le retrait des collaborateurs de la première édition.

    L’ouvrage été diffusé dans la France entière, mais je n’ai jamais su à combien il avait été tiré. Ma rémunération fut de l’ordre d’un mois de salaire d’instituteur. J’ai été très libre tant pour le contenu que pour la forme. J’ai pu imposer ma mise en page, si l’on m’avait imposé une forme, je crois que j’aurais renoncé. J’ai dû me rendre plusieurs fois à Paris pour mettre l’ouvrage au point avec l’imprimeur. » [Michel Laurent]

 

 




Manuel non publié

25 10 2012

Un manuel non publié

La rumeur nous était parvenue qu’Anthelme Garioux, outre la méthode de lecture qu’il a co-signée avec Raymond Coquille était aussi l’auteur de manuels de mathématiques. Nous n’en avons pas trouvé traces, ni parmi les manuels que nous amassons, ni au catalogue des bibliothèques spécialisées. Nous n’en avons donc pas fait mention. Le récit qui suit nous donne l’explication de l’origine de la rumeur et apporte un éclairage sur le travail préparatoire à l’édition d’un manuel scolaire. 

Bernard Furet fut instituteur, puis conseiller pédagogique à Sens; il a écrit des mémoires et les a auto-publiées : Les Points de croix. Nous en extrayons cette page où il raconte l’histoire d’une édition inaboutie d’un manuel scolaire. Monsieur Furet co-signera plus tard un ouvrage de lecture avec Roger Beaumont.

           Pendant ce temps, ma vie à Piffonds continuait, bien remplie. Mon inspecteur (M. Garioux Anthelme) intéressé par ma nouvelle pédagogie du calcul, on ne disait pas encore Mathématiques dans l’enseignement primaire, me chargea d’élaborer des fiches très complètes qui après examen de sa part, auraient constitué l’armature d’un livre destiné au CM1-CM2. Chaque leçon commençait par dix minutes de calcul mental. En 2006/2007, un ministre de l’Education nationale rendit obligatoire l’enseignement du calcul mental alors qu’il n’avait jamais été supprimé. Il est possible qu’avec le règne des calculettes, ces séquences deviennent rares à l’Ecole élémentaire. Après l’exposé des procédés pour faciliter l’exécution rapide des quatre opérations, les tables de multiplication étant connues par cœur, à la fin de l’année, ces enfants auraient stupéfié bien des adultes par la vitesse de leurs calculs et l’exactitude des résultats. Après l’étude de la numération, intervenait la géométrie. Je partais de la notion des bandes parallèles représentées par des lames de papier de couleurs différentes. Quand elles étaient d’égale largeur leur intersection perpendiculaire faisait apparaître sur une vitre en plus foncé un carré, en oblique un losange. Avec des largeurs inégales on obtenait de la même façon un rectangle ou un parallélogramme. Toutes ces leçons se terminaient par des exercices de travail manuel sur cahier spécial. En système métrique, par le biais d’expériences réalisées en physique sur la pesanteur, j’essayais de montrer que la masse et le poids sont deux choses différentes : la masse caractérisant la quantité d’un corps le poids, la force que la Terre exerce sur lui. Suivaient quantité d’exercices de pesées diverses où d’un coup d’œil on devait calculer la totalité des poids sur le plateau d’une balance. Même chose avec les mesures de longueur où le décamètre (chaîne d’arpenteur) servait pour établir les dimensions des petits champs qui entouraient l’école.

             Mais la véritable révolution résidait dans la volonté de transcrire les lignes de solution en phrases complètes et correctes. D’autres exercices consistaient à partir d’un énoncé exposant une situation, à demander à l’élève de rédiger les questions ou inversement donner entièrement les lignes de solution sans mentionner le résultat des opérations et imaginer le libellé du problème. Tout cela procédait d’une idée fondamentale : ne pas cloisonner étroitement chaque discipline. Toute leçon doit contribuer à l’enrichissement du capital lexical, syntaxique et orthographique de l’enfant. Les exercices d’application nombreux et variés, exigèrent beaucoup de travail et de temps. Monsieur Garioux, de son côté, avait apporté quelques rajouts et se montrait enchanté du produit. Ayant déjà fait publier un manuel de lecture aux éditions Hachette, c’est là qu’il me conduisit un jeudi. L’éditeur qui possédait depuis un mois le manuscrit sembla en apprécier I’originalité. Plusieurs voyages à Paris furent nécessaires pour contacter les gens du comité de lecture, puis les maquettistes puis les graphistes, puis… qui nous incitèrent à apporter quelques modifications. Jamais je n’aurais pu penser que l’impression d’un livre puisse faire appel à autant de compétences différentes ! A la dernière visite, la tête désolée de notre correspondant nous fit craindre encore des rectifications… Ce fut bien pire ! Le comité directeur venait d’apprendre par une fuite du ministère qu’un vaste plan de rénovation des « mathématiques » à l’école élémentaire s’élaborait. La maison devait donc se consacrer à la réalisation de nouveaux manuels et abandonner tout ce qui était prévu dans ce domaine. On nous rendit notre manuscrit. Nous revînmes de Paris bien déçus, mon inspecteur encore plus que moi. Pourquoi ? Pourtant en ce qui me concernait, cela représentait plusieurs années de travail mais je me consolai en pensant que mes élèves en avaient profité.

         Il fallut attendre deux ans pour prendre connaissance de ce modernisme basé sur la théorie des ensembles. A mon avis, les conséquences en furent désastreuses pendant plusieurs années car les enfants perdirent le sens de la numération et la connaissance des mécanismes.

 Bernard Furet (1925-…), Les Points de croix, 264 pages, biographie auto-éditée (vers 2009), p. 211

 




A propos de Lectureuil

23 10 2012

Lectureuil, le point de vue de Bernard Furet

Au détour de son livre de mémoires, Bernard Furet nous livre son point de vue sur sa collaboration avec Roger Beaumont et les conditions de l’élaboration de l’ouvrage qu’ils ont cosigné.

Le texte ci-dessous est extrait de : Bernard Furet (1925-2015), Les Points de croix, 264 pages, biographie auto-éditée (vers 2010).

Les intertitres sont de la rédaction.

En 1970, /…./ Je restai donc au service d’un seul Inspecteur : M. Garioux, celui qui m’avait mis le pied à l’étrier. Plus pour très longtemps, car nommé à Paris, rue de Grenelle au ministère, il laissa la place à un débutant dans la carrière : Roger Beaumont. Les adieux de M. Garioux se déroulèrent en grande pompe dans les salons de l’Hôtel de Ville devant tout un parterre de notabilités car il était très connu dans l’arrondissement où il y avait tissé de nombreux liens d’amitié : sous-préfet, députés, maires, conseillers généraux-côtoyaient presque tous les enseignants de l’Arrondissement du primaire au secondaire. A la fin de son speech, il présenta son remplaçant. Impossible de trouver plus grande dissemblance entre deux hommes. M. Garioux, grand et fort effaçait par sa masse M. Beaumont petit et maigre ; l’un possédait une large face colorée surmontée d’une brosse grisonnante, l’autre un visage maigre et blanchâtre encadré de longs cheveux tombant sur son col ; le partant faisait preuve d’une volubilité qui n’avait d’égale que son habituelle agitation gestuelle ; le nouveau restait muet et immobile dans son coin comme une statue. Manifestement, ce genre de cérémonie l’indisposait et il ne prononça que quelques mots à peine audibles accompagnés d’une légère inclinaison du buste au moment de sa présentation.

 Roger Beaumont, un idéaliste

Il m’intriguait fort et j’avais hâte de faire plus ample connaissance. Il me donna rendez-vous huit jours avant la rentrée pour s’informer des problèmes de la circonscription. Il éprouva alors le besoin de me faire savoir qu’il exerçait deux ans au préalable comme instituteur dans une commune de la région parisienne : Champigny où il avait souffert de vexations et de malentendus l’opposant à sa hiérarchie. Ces heurts l’avaient décidé à tenter le concours de l’Inspection. Dans cette optique, il se promettait d’ailleurs de révolutionner la nature de ses contacts avec les instituteurs. Entre autres, il ne me cacha pas qu’étant marxiste par tempérament bien que n’ayant jamais pris carte au PC, il n’avait pas l’intention de jouer les gendarmes ou les gardes-chiourmes vis-à-vis des enseignants. Il me présenta sa jeune épouse accompagnée d’un enfant de trois ans. Elle était sa seconde femme ; avec la première, il avait eu deux garçons qui vivaient avec leur mère, institutrice elle aussi. Sans manifester une grande inquiétude, je m’interrogeai sur la façon de construire et de vivre nos rapports futurs. Au fil des jours, les choses se clarifièrent. Très supérieur sur la plan de la linguistique, il m’avoua une très grande déficience en mathématiques d’autant plus qu’il n’avait jamais suivi de cours de recyclage. Ainsi, pendant ses inspections en ce domaine, il se contentait de prendre des notes que je résumais de façon plus valable et plus concrète. Ainsi s’instaura une véritable coopération. Ses méthodes interloquèrent mes collègues. Il les prévenait de sa visite trois ou quatre semaines à l’avance afin de ne pas les surprendre. Il pensait que tout le monde possédait sa rectitude d’esprit. J’étais navré de voir une telle naïveté. Mais moi qui me trouvais chaque jour dans les écoles, je pouvais remarquer que certains instits (pas tous heureusement !) faisaient répéter, parfois près de dix fois à leurs élèves, la séquence qu’ils développeraient devant leur supérieur le jour choisi. Pareillement, il ne demandait jamais à voir les cahiers. Comme je lui faisais remarquer que ces instruments permettaient de juger quantité de choses : la fréquence, la progression des différents exercices ou la façon dont les erreurs se trouvaient corrigées. Il explosait : « Mais c’est une forme d’indiscrétion, c’est fourrer son nez dans des actions très personnelles ! Un véritable travail d’inquisiteur que je ne me permettrai pas !

– Pourtant, ton rôle réside en grande part dans la vérification de la qualité du travail qui se déroule quand tu n’es pas là; et l’examen des cahiers le permet. Il ne faut surtout pas oublier que les carences ou la paresse de l’instit se répercutent sur l’enfant qui en subit des dommages parfois irrémédiables.

– Tu ne me feras pas changer d’avis et je suis capable de porter un jugement cohérent sans utiliser de tels procédés. »

Je n’insistai plus, le laissant à ses illusions. L’avenir prouvera que je ne m’étais pas trompé, je connaissais trop bien la mentalité humaine. Quelques uns, dont les mérites étaient minces ou inexistants, en profitèrent alors que d’autres qui fournissaient un travail sérieux ne s’en trouvèrent pas récompensés.

 Roger Beaumont, un érudit

Roger possédait un esprit brillant fourmillant d’idées originales. Infiniment plus pragmatique, je lui démontrai souvent I’inapplication chronique de ses théories. Mais opiniâtre au possible, il obtint des réussites que je jugeai au départ irréalisables. Il réussit à créer dans une grande salle à côté de son bureau situé au-dessus d’une importante école maternelle, un centre de documentation pédagogique flanqué d’une bibliothèque spécialisée très importante. Il est vrai que tous les éditeurs, à notre demande, se faisaient un devoir de l’alimenter abondamment. Pour gérer l’ensemble, il y fit détacher avec un statut particulier, un instituteur en congé de longue maladie qui s’y assuma pleinement en accomplissant une tâche remarquable. Il imprimait mensuellement un livret assez volumineux dans lequel chacun pouvait développer des thèmes pédagogiques évidemment ou des travaux d’élèves. Roger et moi en plus d’un éditorial, fournissions une bonne ration d’articles. Il m’ouvrit d’autres horizons en me prêtant des ouvrages traitant de sujets que j’ignorais jusqu’alors touchant à la linguistique, à la grammaire structurale ou à la phonétique : Bernstein, A. Martinet, F. Richaudeau, H. Wallon, J.P. Tetard, Jakobson, Beneviste, Peytard…Je restai dubitatif quant à leur application dans nos classes primaires, en reconnaissant cependant le bien fondé des analyses proposées. La phonétique surtout me passionna. La langue française présente dans chaque mot des lettres qu’on n’entend pas, contrairement à I’italien ou chaque signe graphique est prononcé ; d’où la difficulté de notre orthographe. J’avais lu en 1966 un livre humoristique d’Hervé Bazin: « Plumons l’oiseau », dans lequel, en décortiquant ce nom, il s’amusait à démontrer que l’on ne prononçait aucune des lettres qui composent: o, i, s, e, a, u. Je découvris que si, comme chacun sait, notre alphabet compte vingt-six lettres, on se sert par contre de trente-six phonèmes (ou sons) : 16 voyelles dans lesquelles on marque la différence entre le « o » ouvert (bol) et le « o » fermé (pot), le « é » fermé (école) et le « è » ouvert (être), même chose avec les 17 sons consonnes où I’on oppose des sons voisins comme « f » et « v », « p » et « b »… Et trois phonèmes dits semi-voyelles ou semi-consonnes le « ieu » de œil ou fille, le « ui » de fuir et le « oueu » de oui ou de foi. Tous possèdent une graphie spécifique qu’on retrouve dans certains dictionnaires comme le Robert par exemple et dont l’ensemble constitue l’alphabet phonétique.

Lectureuil, une méthode exigeante, patiemment élaborée

Nous incitâmes les maîtres qui le désiraient à suspendre dans leurs classes des panneaux où les enfants écrivaient les nouvelles graphies d’un son quand ils en découvraient d’autres. Par exemple, pour le « o » : eau dans seau, « ot » dans pot, « au » dans saule. Ces recherches les amusaient et apportaient à la longue une amélioration de l’orthographe. Considérant déjà à l’époque la faiblesse des résultats de l’apprentissage de la lecture, nous vint à l’esprit de composer, non pas une méthode, mais tout un appareil destiné à la fois aux enfants, aux maîtres et aux parents. Ce travail de titan nous prit sept ans car nous voulions le construire à partir d’expérimentations dans les classes où nous allions l’un ou l’autre plusieurs fois par semaine.

 Une autre innovation consistait à partir de ce que les enfants possèdent, c’est-à-dire leur langage. Nous avions conscience qu’ils ne disposaient pas en ce domaine d’un langage uniforme, mais empreint de variantes, de différences. Leur expérience se diversifiait considérablement selon la couche ou la classe sociale où se définissait leur famille. Il n’est pas besoin de démontrer comment ces inégalités déterminaient le plus souvent le cheminement scolaire de l’enfant. C’est pourquoi la première tâche consistait à leur faire pratiquer chaque matin une séquence langagière en graduant les difficultés, en pratiquant une pédagogie de groupes et en insistant auprès des plus faibles. Il ne faut pas oublier que malgré les efforts réalisés en maternelle, bien des enfants surtout issus des banlieues des villes percevaient le parler de l’école comme une langue étrangère. Nous nous cantonnâmes aux listes de grande fréquence propres aux différents âges. Par exemple, pour un enfant de 6/7 ans, on peut se contenter de mille à mille deux cents mots et formes verbales. En les pratiquant chaque jour dans des énoncés simples, on amenait peu à peu la plupart des élèves d’un cours préparatoire à un niveau normal. Ils pouvaient alors aborder les difficultés du décodage de l’écrit.

 Parallèlement, nous leur faisions pratiquer une analyse orale des mots en leur demandant de préciser le positionnement de tel phonème: début ? milieu ? ou fin ? Et inversement de proposer des termes contenant le phonème étudié aux différentes places. Ce qui se révéla un profitable exercice pour lutter contre les dysorthographies futures. Nous encourageâmes également les maîtres à poursuivre les exercices corporels de psychomotricité et le développement des perceptions et leur affinement. Non seulement vue et audition, les principales, mais aussi I’odorat, le toucher voire le goût, toutes concourant à la formation de l’intelligence. Enfin, le développement de la fonction symbolique « qui a le pouvoir de trouver à un objet, sa représentation et à cette représentation, un signe simple » (Henri Wallon). Ce qui est le propre même de la lecture: un ensemble de signes formant un mot qu’on peut prononcer et savoir ce qu’il représente ou sans passer par le support de l’appareil phonatoire, directement de la vision à la compréhension, ce qui est la caractéristique de la lecture dite visuelle. Je m’arrête là, n’ayant pas f intention de résumer en quelques lignes, les deux gros ouvrages (trois cents pages chacun) qui ont couvert cette expérience.

Lectureuil, un échec éditorial

Le tout fut édité chez Magnard en 1978. L’éditeur, très conscient des risques qu’il prenait nous dit : « Cette méthode est remarquable, elle sera peut être appliquée au 21ème siècle quand les instituteurs recevront une formation supérieure. » Et encore ! Plus conscient des difficultés proposées, j’avais réussi à simplifier nombre de séquences au cours de mes multiples visites dans les Cours Préparatoires expérimentaux de la circonscription.

 /…/

(p. 230)  J’entamai donc ma dernière année dans l’enseignement. Depuis quelque temps, je m’étais lancé dans l’élaboration de fiches de lecture pour les cours moyens en partant d’articles de journaux que je modifiais parfois afin de rester au niveau d’enfants de cet âge. Elles présentaient de nombreux intérêts. Le texte du recto devait être lu des yeux plusieurs fois avant de répondre aux questions du verso. Celles-ci exigeaient une réponse écrite correctement rédigée. Je m’étais aperçu que des fichiers du même genre ne demandaient pour vérifier la compréhension que de tracer une croix face à la réponse exacte proposée avec une autre, fausse. En dehors du fait qu’il n’y avait qu’une chance sur deux de réussite, le travail de l’enfant se trouvait bâclé en un clin d’œil. De plus, on négligeait l’importance de la mémoire visuelle et gestuelle qui entre en jeu dans l’écrit et qui influe dans l’acquisition de l’orthographe. Enfin, pour répondre à chaque opération, l’élève devait retourner la feuille et lire rapidement des yeux le paragraphe concerné pour retrouver les éléments de sa réponse. Les résultats obtenus dans les classes où j’avais déposé mes échantillons donnaient grande satisfaction aux maîtres tout en intéressant leurs élèves. J’ai regretté plus tard de ne pas avoir poussé plus avant en les proposant aux Editions Magnard. J’aurais gagné plus qu’avec notre méthode de lecture qui s’avérait difficile à appliquer dans les écoles malgré des débuts prometteurs en… Italie dans la province francophone d’Aoste où les villages portent des noms français : Châtillon, St Vincent…

Bernard Furet (1925-…), Les Points de croix, 264 pages, biographie auto-éditée (vers 2009)

Chapitre 8 (p. 225 et suivantes)

 




Robert Timon

21 10 2011

Robert TIMON

 Né en 1944, instituteur en 1964, Robert Timon a enseigné, toujours dans l’Yonne, à tous les niveaux de l’école élémentaire, de la grande section de maternelle à la classe de fin d’études. Il enseigné en classe unique à Champlost (Vachy), en classe de transition (Migennes), en école à plusieurs cours (Champlost), dans l’école à aires ouvertes de la ZAC Saint-Siméon d’Auxerre (1972-1984), dans une classe d’application de l’école des Clairions à Auxerre (1984-1999).

 Liste des ouvrages édités :

CE2-CM « MATH », manuel de l’élève (Hachette) CE2-CM, corrigé (2000)

CM2 « MATH », manuel de l’élève (Hachette) CM2, corrigé des exercices (2000)

CP pédagogie de l’essai, cahier de l’élève (Hachette)    CP, guide pédagogique (2001)

CE1 pédagogie de l’essai, cahier de l’élève (Hachette) CE1, guide (2002)

CE2 pédagogie de l’essai, cahier de l’élève (Hachette) CE2, guide (2004)

Sur le Net : Blog du CM1.

 1/ Genèse du projet : Comment est venue l’idée de se lancer dans la réalisation d’un manuel scolaire ?

En septembre 1998, débutant ma dernière année d’activité, plutôt que de répéter mes cours passés en comptant les jours qui me séparaient de la retraite, j’ai décidé de préparé, en mathématiques, les fiches de préparations idéales que je n’avais jamais pris le temps de mettre au point. Je m’en suis tenu à cette louable intention pendant trois mois. Pour tester la qualité du travail, j’ai adressé les fiches réalisées à trois éditeurs, en demandant à deux professeurs de l’IUFM d’Auxerre s’ils acceptaient de cosigner le projet, ce qu’ils ont accepté volontiers (l’un d’eux avait quelques années plus tôt dirigé une équipe se proposant de refondre les manuels de Denise pour le compte de Delagrave, même si l’opération n’avait pas abouti, la graine était semée.

Sous huitaine, un contact téléphonique était établi avec les responsables du secteur élémentaire d’Hachette-Éducation, avec prise de rendez-vous. La proposition que nous leur avions faite correspondait à leurs propres projets.

Quelle sont les grandes idées sous-jacentes au projet ? En quelle façon cette collection se démarque-t-elle des autres collections en usage au moment de la création ?

En 1998, les cycles venaient d’être installés depuis quelques années seulement à l’école élémentaire et les programmes correspondants promulgués. Pour le cycle III (cycle des approfondissements, soit les classes de CE2, CM1 & CM2) nous nous proposions de traiter chaque point du programme dans un même ouvrage en distinguant les niveaux d’âge par une gradation des exercices d’application, un seul volume couvrant l’ensemble du cycle au lieu des trois en usage habituellement. Hachette, de son côté cherchait à se diversifier en s’appuyant sur ses ventes phares (la grammaire de Bled) et nous a proposé de poursuivre notre projet en scindant l’ouvrage en deux parties se recouvrant en tuilage ce qui l’allégerait car nous avons rapidement convenu qu’un seul volume pour trois années serait trop lourd. Si la publication rencontrait son public Hachette se proposait d’étendre la collection à tous les niveaux  de l’école élémentaire.

l’éditeur souhaitait exploiter la notoriété de ‘Bled’

Sur le fond du projet, ancien élève de monsieur Denise, j’étais convaincu de la justesse de son approche faite d’une simplicité apparente sans concession quant au contenu. J’étais aussi soucieux de rendre l’élève actif, donc de faire appel à la réflexion et d’éviter autant que faire se peut l’appel aux applications qui marchent les yeux fermés.

2/Constitution de l’équipe : Plusieurs co-auteurs signent les différents ouvrages. Comment se sont-ils intégrés ? Comment se fait la répartition des rôles au sein de l’équipe d’auteurs ? Y a-t-il eu des échecs ? (co-auteurs pressentis qui se sont désistés ?) Comment l’équipe de rédaction a-t-elle évolué ?

Sur le papier, l’équipe était constituée dès le dépôt du projet, le but étant d’apparaître le plus crédible auprès de l’éditeur. Les responsables d’Hachette ont cependant toujours dits que ce n’était pas cet aspect qui avait retenu leur attention. Dans les faits, ce fut plus difficile. Après avoir attiré l’attention de l’éditeur, nous avions quelques mois pour « mettre au point deux ou trois chapitres, à notre choix en vue, pour l’éditeur de les faire tester en table ronde avec un panel d’utilisateurs potentiels. », les trois membres de l’équipe étant tous en activité, nous nous sommes réunis quatre ou cinq fois sans cependant mettre en place des méthodes de travail très efficaces, chacun développant des vues générales. Le résultat à tout de même été validé par l’éditeur qui nous a proposé comme calendrier : dépôt manuscrit en décembre 1999 pour mise au point entre janvier et juin 2000 avec publication pour la rentrée de septembre 2000. Au cours de cette période, n’étant plus en activité, j’ai pu me consacrer plus largement à la rédaction de l’ouvrage et prendre les options qui s’imposaient court-circuitant les discussions générales pour faire avancer l’aspect matériel.

Le rythme de publication imposé par l’éditeur était d’un volume par an (remise du manuscrit à l’automne, mise au point en hiver et printemps, publication pour la rentrée scolaire). L’équipe a fonctionné sur ce mode pour les deux premiers ouvrages, les professeurs d’IUFM ayant plus particulièrement en charge la rédaction des guides pédagogiques.

La réalisation du fichier CP a marqué une rupture. Il n’était pas question pour le cycle des apprentissages premiers d’adopter la forme du cycle III. L’expérience que nous avions les uns et les autres de ces classes nous faisaient répugner à mettre entre les mains de jeunes élèves des fiches imprimées, par nature pré-définies. Nous aurions souhaité pour le CP un fichier où les fiches se détruisent au fur et à mesure que se construisent les savoirs plutôt qu’un fichier où s’accumulent les exercices, comme autant de contrôles… Nous avons tenté de reconstruire une équipe en sollicitant les maîtres formateurs attachés à l’IUFM, mais sans convaincre. Finalement, les deux co-signataires ayant des activités prenantes par ailleurs, je me suis retrouvé pratiquement seul pour défendre le projet. Du côté de l’éditeur, les choses n’allaient pas au mieux : l’illustratrice qui avait à son actif des livres pour enfants, était novice dans le domaine de l’éducatif, le chef de projet après avoir lancé l’opération partit en congé maternité, laissant l’intérim à une vacataire qui heureusement sut faire face, et donner une cohérence à ce qui n’était encore que des bribes de fichier, imposer un cadre éditorial. Le résultat fut, de mon point de vue, très moyen.  Ainsi, quand j’examine le fichier avec le recul du temps, je tombe souvent sur des maladresses, des naïvetés, qui appelleraient une refonte.

Un maîtresse de maternelle co-signa le fichier CP. Cette entrée dans l’équipe visait à l’intégrer à ce moment pour qu’elle donne la pleine mesure de ses compétences lorsque viendrait le moment de rédiger un ouvrage pour l’école maternelle où elle exerçait. Malheureusement, l’éditeur s’est détourné du projet qu’il a estimé non rentable (un contrat avait pourtant été signé, un manuscrit rédigé).

Les fichiers CE1 et CE2 tirent profit des tâtonnements qui ont présidé à l’élaboration du CP et sont de bien meilleure facture.

3/Rapports avec l’éditeur : Quel est le rôle de l’éditeur ? Regard sur les contenus ? Contrôle de conformité avec les programmes ?

Notre projet a eu la chance (exceptionnelle) de rencontrer les vœux d’un éditeur en recherche de plumes. A partir de là, l’éditeur a accompagné la création, en fixant le nombre de pages, la maquette, les illustrations, la mise en forme, la conformité des contenus avec les programmes, la compréhension des consignes, les aller-retour avec l’imprimeur…

Je dois dire que le consensus a toujours été complet, les contraintes (nombres de pages, maquette d’une page) n’ont jamais été ressenties comme pesantes, les remarques (lisibilité, choix et cohérence des exercices) ont toujours été bienvenues, les remarques n’ont jamais porté sur le fond. Trois exceptions toutefois, une fondamentale sur laquelle je suis revenu à la charge jusqu’à obtenir un consensus :

– le refus d’aborder les bases non décimales pour expliquer la numération (ce refus est la trace du traumatisme laissé par les programmes de 1970 qui avaient conduit à exagérer l’étude de cette notion), sans le recours (au moins léger) à cette notion, les explications du système décimal sont acceptées comme des évidences (ce qu’elles ne sont pas) tombent à plat la compréhension reste superficielle.

– Le refus de l’éditeur d’inclure dans le manuel de CM2 un chapitre sur le calcul d’une division, notion qui était, à l’époque, sortie du programme de l’école élémentaire pour être repoussée au collège. Il s’agissait d’un chapitre qui marquait l’aboutissement de la réflexion menée dans une partie de l’ouvrage. Le veto a été contourné en incluant la notion dans « Utilisation d’un algorithme ».

– Une présentation provocatrice de programmes de TV qui curieusement passa le barrage du chef de projet et fut envoyée à la composition avant d’être refusée lors de la relecture par le chef de service.


Qui propose la maquette ? Quelles sont les contraintes de l’édition ? Sont-elles pesantes ? (maquette, nombre de pages, illustrations, contenu, rythme de publication…)

Au regard de l’expérience du travail effectué par l’équipe de refonte du Denise (dans les années 1990, travail qui n’avait pas abouti comme je l’ai dit) qui avait voulu se préoccuper, ,outre de la rédaction, de la mise en page et de l’illustration, l’intrusion de l’éditeur (avec toutes les compétences techniques qu’il maîtrise) m’est apparue comme très bénéfique et je n’ai eu qu’à m’en louer.

Quel investissement (en temps de travail) représente l’écriture d’un volume ? Par quelles étapes passe la réalisation ? (relecture éditeur, relecture épreuves….)

La matière étant là (soit fruit de l’expérience d’une carrière passée à enseigner, soit sous formes de notes établies au fil des idées qui sont venues au cours de la rédaction de parties antérieures de la collection), des recherches bibliographiques n’étant guère nécessaires, à raison de six à huit heures quotidiennes, les trois mois impartis par l’éditeur ont été suffisants pour rédiger un volume. En pratique, je commençais la journée vers quatre heures par la rédaction du premier jet d’un nouveau chapitre. Cette phase de la journée se terminant vers neuf heures, l’après-midi et l’a soirée sont consacrés à des retours sur les chapitres déjà mis en chantier pour relecture, complément, affinage, à la mise au point de graphiques… (entre 1998 et 2005, des progrès sensibles des logiciels de traitement de texte et l’augmentation en puissance des ordinateurs ont largement facilité ce travail de mise au point que nous n’aurions pas (ou mal) su faire à la main.

Ces trois mois de préparation du manuscrit sont une phase où les auteurs travaillent en solitaires, sans rapport avec l’éditeur, qui lui prépare une maquette dans laquelle s’inscrira le manuscrit ; si les deux premiers de nos ouvrages ont eu la même maquette, les trois suivants ont bénéficié chacun d’une maquette spécifique.

Le manuscrit achevé est remis à l’éditeur. Achevé est un euphémisme ; en effet, quels que soient le soin, la compétence, l’expérience des rédacteurs, c’est au plus la moitié du travail qui est faite.

A ce stade, l’éditeur fait relire le travail, par un utilisateur qui l’annote et en donne sa vision critique après quelques semaines. (illustration) Si la critique n’est pas rédhibitoire, le travail de mise au point en vue de l’édition commence. Pour nous, ce fut des séances d’une journée à Paris avec le chef de projet, à raison d’une journée par semaine environ pendant dix semaines. Chapitre à chapitre le manuscrit est décortiqué (volume et difficulté des exercices, orthographe, rédaction des énoncés….) la semaine entre les séances de travail étant mise à profit par les auteurs pour rédiger leurs corrections. Les chapitres mis au point passent ensuite à la composition (chez l’imprimeur avant que la PAO ne soit ce qu’elle est aujourd’hui) pour donner un premier jeu d’épreuves.

En 2000, alors que le débit des courriel à 56 kbs interdisait tout transfert massif de données, c’était aussi des conversations téléphoniques de deux à trois heures où éditeur et auteurs, chacun devant ses épreuves imprimées prolongeait la mise au point dégrossie lors des séances en tête à tête.

A ce stade, les modifications ne portent plus sur l’architecture globale de l’ouvrage, ni même sur l’architecture d’un chapitre, seuls restent à revoir des corrections ponctuelles.

Le relecture doit être minutieuse ; ainsi, pour le fichier CP, lors du travail de composition, l’ouvrier, pour éviter un retour à la ligne a-t-il écrit dans le sommaire (qui a été fait dans l’urgence des dernières heures avant la publication, quand chacun pousse pour respecter le calendrier) «  le nombre 10 » , le titre de la leçon étant bien noté «  le nombre dix » dans le corps de l’ouvrage. L’incohérence[1] contenue dans le sommaire a bien été relevée par un professeur qui en a fait un sujet de concours d’entrée à l’IUFM à la grande honte de l’auteur du fichier lorsqu’il l’a découvert (mais la remarque était bien légitime et le sujet de réflexion proposé aux candidats bien adapté). Pendant ce temps, de façon transparente pour les auteurs, l’éditeur sollicite des illustrateurs, des graphistes, se préoccupe d’obtenir les droits pour les photos éventuelles.

incohérence dans le sommaire au chapitre 27

 

Comment l’éditeur rémunère-t-il le travail des auteurs ?

Pour l’éditeur, une tranche d’âge, c’est 700 000 élèves, ce qui détermine le marché. Compte tenu des frais éditoriaux, un ouvrage génère des profits lorsqu’il est vendu à plus de 20 000 exemplaires. C’est aussi, de façon subjective, tout restant ici sujet à appréciation, le niveau qu’il faut atteindre pour que les auteurs sentent leur travail rémunéré. Ce volume n’est atteint que dans les matières générales, et encore, pas par tous les titres. Dans les matières plus confidentielles, les chiffres restent en deçà de ce seuil de rentabilité. L’éditeur apprécie le succès d’un ouvrage en mesurant la part de marché qu’il obtient.

L’auteur (les auteurs) est rémunéré au pourcentage des ventes, le calcul se fait sur le prix de vente de l’exemplaire broché, hors coût de reliure. Dans notre cas, il était de 4,5 % pour les livres de l’élève et 2,2% pour les guides pédagogiques. Toujours dans notre cas, la répartition des droits entre les auteurs se fait selon un accord amiable entre eux, hors de toute intervention de l’éditeur.

4/ Diffusion et évolution des ventes. Durée de vie d’une édition.

Les manuels cartonnés sont utilisés en moyenne cinq ans avant d’être remplacés car trop usagés. Dans les consignes, auteurs et éditeur veillent à protéger l’ouvrage en recommandant à l’élève de ne pas écrire sur le manuel (« recopie le tableau et complète-le ».) Actuellement, les programmes se succèdent à un rythme bien plus rapide et rendent, théoriquement, les contenus obsolètes ; en pratique, les enseignants à l’école élémentaire s’accommodent de manuels se référant à d’anciens programmes, ce qui explique que l’éditeur les laisse figurer à son catalogue.

Les fichiers sont prévus pour être remplacés chaque année, l’élève écrivant dessus (ce qui, eu égard à la qualité du papier, aux couleurs, contredit tout travail d’éducation au respect de l’ouvrage imprimé, au sens de l’économie, mais c’est un autre débat[2]). Naturellement, l’éditeur est enclin à privilégier l’utilisation de fichiers qui lui apportent une rente de situation par des ventes renouvelées chaque année.

 Évolution des ventes de l’ouvrage CE2-CM : ventes au 31/12 :

2000 : 7396 ;               2001 : 6908 ;            (2e édition) 2002 : 5631 ;               2003 : 3957 ;        (3e édition) 2004 : 3405 ;       2005 : 2969 ;                2006 : 1643 ;                                 2007 : 1503 ;                   2008 : 1307;          2009 : 837 ;                     2010 : 701.

Gains des auteurs pour cet ouvrage entre 2000 et 2010 : (avant impôt sur le revenu)

2000 : 2036 € ;                   2001 : 1949 € ;                 2002 : 1600 € ;            2003 : 1080 € ;          2004 : 949 € ;                  2005 : 834 € ;            2006 : 509 € ;                      2007 : 647 € ;                    2008 : 561 € ;                2009 : 435 € ;                                 2010 : 419 €.

Évolution des ventes du fichier CP : ventes au 31/12 :

2001 : 16536 ;            (2e édition) 2002 : 33191 ;           2003 : 5671;           2004 : 3611 ;        2005 : 2188 ;        2006 : 1341 ;             2007 : 925 ;                     2008 : 354;                                 2009 : 247 ;                                 2010 : 231.

Gains des auteurs pour cet ouvrage entre 2001 et 2010 : (avant impôt sur le revenu)

2001 : 5361 €  ;        2002 : 3047 € ;          2003 : 2087 € ;      2004 : 1270 € ;          2005 :  821 €;               2006 :  515 € ;         2007 :  523 € * ;                2008 :  234 €;                   2009 :  96 € ;                2010 : 137 €.

* Les gains ne sont pas directement proportionnels aux ventes à cause de l’incidence des droits secondaires (reprographie).

5/ Quels sont les retours des utilisateurs ? (lettres, contacts divers)

Pour nous, ils ont été insignifiants. Quelques relations personnelles, tout au plus, aucune lettre d’utilisateur inconnu. [Ce qui semble contredire la réponse de Paul Camille Dugenne à la même question. L’explication tient au système : ici pour les utilisateurs, majoritairement de l’Éducation nationale, l’éditeur de manuel scolaire est une entité extérieure et l’auteur est perçu comme partie prenante de cette entité].

6/ Quels sont les regrets des auteurs quant à l’évolution de la collection ?

– Pour la collection publiée, quelques regrets (qui nous sont imputables, je m’en suis expliqué plus haut) quant à la faiblesse de la réalisation du CP.

– Ne pas avoir eu l’opportunité de faire évoluer la collection lors de rééditions ou de refonte lorsque les programmes ont été modifiés.

– Ne pas avoir pu publier le prolongement de la collection vers la grande section. (le manuscrit a été écrit, il sera peut-être mis en ligne un jour, mais il me faudrait le retravailler)

– Ne pas avoir eu l’opportunité de publier un ouvrage pour le public de l’école élémentaire, mais sans référence aux programmes ou à un niveau, avec le seul souci de présenter chaque notion en l’explorant autant que nécessaire pour en mettre à jour toutes les facettes.

– Un ouvrage préparé pour le CM (refusé pour une édition papier) avec un angle d’attaque un tout petit peu moins scolaire que les ouvrages publiés cités ci-dessus à été mis en ligne, malheureusement, il y manque tout le travail éditorial, l’apport d’un véritable illustrateur, d’un programmeur pour les exercices qui gagneraient à être inter-actifs…. On peut rêver.


[1] Il y a ici une double incohérence : une incohérence, vénielle, entre le sommaire et le titre dans le corps de l’ouvrage (celle-ci n’a pas été relevée dans le sujet d’examen précité) et une incohérence grave : à ce stade de l’étude des nombres, les élèves ne sont pas censés comprendre la valeur du chiffre ‘1’ placé à gauche du ‘0’, la notion de position ne leur ayant pas encore été présentée, elle le sera au chapitre 37 (Dix = 10).

[2] La proposition faite à l’éditeur d’un : « … fichier de l’élève [qui] serait monochrome (pas de couleur), imprimé sur papier recyclé, sans ajout de matériel pédagogique (auto-collant ou autre). » fut sèchement refusée.




Paul Camille Dugenne

13 10 2011

Paul Camille DUGENNE

Interview de Paul Camille Dugenne réalisée le 13 octobre 2011 à son domicile.

Liste des ouvrages édités :

Grammaire française et orthographe : [classes de 6e et 5e] / Paul C. Dugenne / Paris : Ligel , DL 1967

Grammaire française et orthographe : livre du professeur : [classes de 6e et 5e.] / Paul C. Dugenne / Paris : Ligel, DL 1967

Grammaire française et orthographe : [Classes de 4e et 3e.] / Paul C. Dugenne / Paris : Ligel , DL 1969

Approches de la grammaire, 6e : structures, transformations, orthographe et phonétique / Paul C. Dugenne / Paris : Ligel , 1974

Approches de la grammaire, 6e : structures, transformations, orthographe et phonétique : livre du professeur / Paul C. Dugenne / Paris : Ligel , DL 1975

Approche de la grammaire 5e : structures, transformations, orthographe et phonétique / Paul C. Dugenne / Paris : Ligel , 1975

Approche de la grammaire 5e : structures, transformations, orthographe et phonétique : livre du professeur / Paul C. Dugenne / Paris : Ligel , 1976

Approche de la grammaire 4e  / Paul C. Dugenne / Paris : Ligel , 1976

La Grammaire 3e qui était prévue n’est pas parue ; de même que le souhait de l’auteur de publier une Grammaire intégrale (dont le manuscrit a été réalisé n’a jamais pu être exaucé). Paul Camille Dugenne s’est intéressé à la grammaire dès 1946 lorsque, retour de captivité, il a repris ses études en faculté et s’est rendu-compte que son professeur régurgitait le contenu de Souché-Lamaison sans aucune référence à la grammaire structurale.

1/ Genèse du projet et constitution de l’équipe ; comment est venue l’idée de se lancer dans la réalisation d’un manuel scolaire ?

 Jeune professeur (1), j’ai d’abord préparé mes cours accumulant livres, notes et préparations élaborées pour pallier ce que je ressentais comme des lacunes des manuels existants. Vers 1964, j’ai rencontré le directeur des éditions Ligel qui avait pour projet de constituer une équipe chargée de dépoussiérer le « de Gigord » (2). L’éditeur a réuni pendant plusieurs semaines quatre professeurs (un Lillois, un Auvergnat, deux Parisiens) en Bretagne, dans une école de la marine, j’ai été invité à participer au travail des quatre frères comme intervenant [au vu des idées originales que PC D avait exposées et expérimentait avec ses élèves]. Il est rapidement apparu que les quatre professeurs manquaient de projet. Ils étaient venus avec leur bonne volonté et leur crayon, j’avais plusieurs cartons de livres, des notes et mes cours. On peut se faire un idée du contenu de mes cartons en consultant la bibliographie qui est donnée aux premières pages du Corrigé des exercices correspondant au livre de 5e. S’ils ont abattu honnêtement leur part de travail, l’absence de projet des quatre professeurs s’est fait très vite sentir et ils se sont peu à peu trouvés marginalisés de sorte que de coordonnateur je suis rapidement devenu rédacteur avant de continuer l’entreprise seul.

   J. de Gigord

 2/Quelle sont les grandes idées sous-jacentes au projet ? En quelle façon cette collection se démarque-t-elle des autres collections en usage au moment de la création ?

L’idée que j’avais était d’aborder la grammaire par une approche structurale qui à l’époque était complètement ignorée des manuels disponibles. J’ai souhaité aussi faire passer quelques idées pédagogiques ; en effet, dans mes cours je faisais participer les élèves et j’écoutais leurs remarques. C’est ainsi qu’une fois, j’ai distribué à chacun une grammaire différente, à charge pour la classe de faire la synthèse de la notion d’article.

 3/Quels étaient vos rapports avec l’éditeur ?

L’éditeur Ligel, me faisait confiance, il n’est jamais intervenu sur les contenus. Je lui remettais le manuscrit, fournissant dessins et photo, deux à trois mois plus tard les épreuves du livre étaient imprimées pour une dernière relecture avant le ‘bon à tirer’. Je ne me suis jamais vu imposer un nombre de pages déterminés ni une remise fractionnée du manuscrit. Il me semblait nécessaire de remettre l’ensemble de l’ouvrage à l’éditeur pour qu’il ait une vue de l’ensemble de l’ouvrage.

Le rythme de parution était d’un volume par an. Soit six à neuf mois de travail intense pour préparer le manuscrit.

L’éditeur m’a fait signer un contrat que j’ai lu distraitement au terme duquel je touchais un pourcentage des ventes des livres brochés [NDLR : les reliures sont exclues du calcul des droits d’auteurs chez tous les éditeurs que nous avons rencontrés]. Dans les années 1980, les effectifs des frères qui en leurs belles heures étaient plus de 25 000 ont considérablement déclinés et l’éditeur a cessé ses activités, de sorte que le volume de 3e qui était prêt n’a jamais vu le jour ainsi que la Grammaire générale sur laquelle je travaillais.

 L’éditeur vérifiait-il la conformité des contenus de vos ouvrages  avec les programmes ?

L’éditeur me faisait confiance et cette question n’a jamais été soulevée.

 4/ Options des auteurs

Le tutoiement est maintenant de règle pour l’ensemble des ouvrages de l’enseignement primaire comme de l’enseignement secondaire, pour ma part, je n’ai pas le tutoiement facile et j’ai toujours vouvoyé mes élèves tant dans mes ouvrages qu’en classe. Ce vouvoiement permet, me semble-t-il de conserver une certaine distance, ce qui n’exclut pas pour le maître de considérer l’élève comme une personne, que l’on respecte et que l’on entend lorsque les remarques qu’il fait sont pertinentes.

 5/ Diffusion et évolution des ventes.

Mes livres ont été assez largement utilisés, sans doute jusque dans les années quatre-vingt, mais je n’ai aucune idée des tirages et du nombre d’exemplaires vendus. Un inspecteur m’a rapporté avoir constaté que mes livres étaient utilisés au Lycée [public] de Rennes, ce qui m’a fait plaisir.

 6/ Quels sont les retours des utilisateurs ? (lettres, contacts divers)

J’ai eu beaucoup de courriers, des remarques orales, mais les réactions spontanées des utilisateurs sont très rarement utilisables, elles portent sur des points de détail, des citations et ne peuvent pas être insérées dans un ensemble.

 7/ Quels sont les regrets quant à l’évolution de la collection ?

J’ai eu comme projet de traiter des rapports entre thème latin et grammaire. C’est un aspect trop méconnu. Avant le thème, il me semble nécessaire de faire l’explication du texte et de l’étudier finement sur le plan grammatical. La traduction mot à mot ne vient qu’ensuite et la remise en ordre des mots dans l’autre langue encore après.

 J’aurai souhaité aussi écrire un cours de composition française, cours qui n’aurait pas négligé la rédaction de textes documentaires, de compte-rendus médicaux ou scientifiques, il y a beaucoup de grammaire dans une étiquette et sa méconnaissance peut en interdire la compréhension.

             

Ci-dessus, exemple de corrections apportées après la première édition.

(1) Pour la compréhension de certains passages qui suivent, il convient de savoir que Paul Camille Dugenne a enseigné dans des établissements catholiques privés.

(2) Comme la plupart des livres de l’enseignement catholique, ces « Leçons de langue française » sont publiés par ‘une réunion de professeurs’, en fait des frères qui n’apparaissent pas à titre personnel comme auteurs et ne sont pas intéressés à la vente par un pourcentage ; ici, J. de Gigord, Paris 6e, apparaît sur la page de garde comme co-éditeur avec la Maison Mame, de Tours.

 




Henri et Jeanne Denise

25 05 2011

Interview, réalisée le 22 février 2011, d’Henri Denise, auteur, avec sa femme, Jeanne Denise, entre 1960 et 1988, d’une collection de manuels destinés à l’école élémentaire

 

Éléments biographiques :

Henri Denise, né le 30 septembre 1923, à Paris, de Marcel & Marcelle Périnetto. Normalien à Paris, puis École normale supérieure à Saint-Cloud, agrégé de mathématiques, professeur de mathématiques à l’École normale d’instituteurs d’Auxerre de 1948 à 1983 (directeur de l’IUFM d’Auxerre en 1981, 1982, 1983.)

Jeannette Denise (Jeanne Françoise Dublanchet), née en 1923, normalienne dans le Puy-de-Dôme, puis école normale supérieure à Fontenay, agrégée de mathématiques, professeure de mathématiques à l’École normale d’institutrices d’Auxerre de 1948 à 1980.

Les co-auteurs :

Henri Denise (1923 – …) ; Jeanne Denise (née Dublanchet) (1923 – …) ; Odette Rosier (…-…) ;

M. Thévenon (née Jametton) (24/08/1924-….) ; Renée Polle (1929 -…)

Liste des ouvrages édités : (tous chez Delagrave, éditeur)

Ouvrage pédagogique :

Denise (Henri) & (Jeanne) / Polle (Renée), Mathématique, 1979

Manuels scolaires :

CP :

Denise (Henri) & (Jeanne) / Polle (Renée), Mathématique des petits, CP , 1970, 1977

Denise (Henri) & (Jeanne) / Polle (Renée), Mathématique, CP, 1er cahier, 1970, 1977

Denise (Henri) & (Jeanne) / Polle (Renée), Mathématique des petits, CP, 2e cahier, 1970, 1977

Denise (Henri) & (Jeanne) / Polle (Renée), Mathématique, CP. 3e cahier, 1977, 1979

Denise (Henri) & (Jeanne) / Polle (Renée), Mathématique des petits. CP. Livre du maître,  1970, 1977, 1980, 1983

Polle (Renée) / Denise (Henri) & (Jeanne), Activités de révisions, Fin de cours préparatoire, 1978

Pédoja (M.) / Polle (Renée) / Denise (Henri) & (Jeanne), Exercices de révision. Français et mathématique. Fin de CP. Entrée en CE1, 1978, 1979

CE1 :

H. Denise,… O. Rosier,… , Calcul, CE1, 1962, 1968

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique. CE1. 1er cahier, 1976, 1979

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique. CE1. 2e cahier, 1971, 1973, 1977

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique. CE1. 3e cahier, 1971

Polle (Renée) / Denise (Henri) & (Jeanne), Mathématique, CE1, Livre du maître, 1971, 1979

Denise (Henri) & (Jeanne) / Polle (Renée), Math, CE1, Calcul, 1982

Denise (Henri) & (Jeanne) / Polle (Renée), Mathématique, CE1, 1978, 1982

CE2 :

H. Denise,… O. Rosier,… , Calcul CE2, 1963

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique. CE2. 1er cahier, 1972, 1979

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique, CE2. 2e cahier, 1972, 1979

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique, CE2, 3e cahier, 1973, 1979

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique. CE2, Livre du maître pour les 3 cahiers, 1980

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique, CE2, Livre du maître, 1972, 1979, 1983

Denise (Henri) & (Jeanne) / Polle (Renée), Mathématique, CE2, 1976

Denise (Henri) & (Jeanne) / Polle (Renée), Math, CE2,Calcul, 1982, 1988

CM1 :

H. Denise,… et M. Thévenon,… , Calcul, CM1, 1965

H. Denise. M. Thévenon, Calcul, CM1. Livret du maître, 1966

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Math. CM1, Calcul, 1981

Polle Renée, Denise Henri & Jeanne, Exercices de mathématiques, CM1, Enoncés, 1981

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Exercices de mathématiques, CM1, Énoncés, Solutions, 1981

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Math. Exercices avec schémas, CM1, 1973, 1981, 1982

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique. CM1,  1973, 1977, 1980

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Math. CM1Calcul, 1981, 1982

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique. CM1. Livre du maître, 1974, 1982

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique. CM1, Livre du maître pour les 3 cahiers, 1980

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Du CM1 vers le CM2, Livret de mathématique, Contenant des exercices gradués et leurs solutions, 1974

Polle Renée / Denise Jeanne, Corrigé du CM1 vers le CM2, 1974

CM2 :

H. Denise,… M. Thévenon,… A. Joly,… Calcul, CM2, 1967

H. Denise. M. Thévenon. A. Joly, Calcul. CM2.Livret du maître, 1968

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique, CM2, 1974

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Mathématique. CM2, Livre du maître, 1975, 1982

Denise Henri & Jeanne, Polle Renée, Math. Exercices avec schémas. CM2, 1974, 1982

Polle Renée, Denise Henri & Jeanne, Exercices de mathématiques, CM2. Énoncés, Solutions, 1982

CM1-CM2 :

Polle Renée, Denise Henri & Jeanne, Exercices de mathématiques : CM 1 et 2, (broché), 1976

Polle Renée, Denise Henri & Jeanne, Exercices de mathématique : énoncés (broché),  1980

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1/ Genèse du projet : Comment est venue l’idée de se lancer dans la réalisation d’un manuel scolaire ? Quelles sont les grandes idées sous jacentes au projet ? En quelle façon cette collection se démarque-t-elle des autres collections en usage au moment de la création ?

Rétrospectivement, la collection s’est développée en deux temps : de 1960 à 1967 fut publiée une première version, puis avec le bouleversement des programmes consécutif à l’introduction des mathématiques modernes, dans les années 1970-1972, la nécessité de réécrire la collection est apparue ; la publication des différents volumes s’étalant de 1970 à 1988.

Initialement, en 1959, c’est l’Inspecteur d’académie de l’Yonne, monsieur Graff, par ailleurs auteur de manuels d’allemand commercial qui a sollicité monsieur Denise de la part de l’éditeur Delagrave. L’éditeur cherchait un agrégé pour prendre la succession de Dumarqué & Renaud, auteurs de manuels de mathématiques. Monsieur Denise, accaparé par la préparation des normaliens au baccalauréat déclina l’offre dans un premier temps avant de l’accepter l’année suivante. Pour s’informer des contenus il se tourna vers Odette Rosier qui cosigna les deux premiers ouvrages. Mademoiselle Rosier dirigeait un CP-CE1 [CP : cours préparatoire ; CE : cours élémentaire] à l’école annexe de l’école normale. Forte de ses méthodes bien rôdées, elle était très directive.

Jeannette [Denise], associée à l’entreprise dès le début (même si elle n’apparaît que plus tard comme auteur à part entière) se tourna vers mademoiselle Courtis pour s’initier et parfaire ses connaissances de pédagogie de l’école élémentaire. Les instituteurs avaient des idées très arrêtées sur la manière de mener leur classe et il fut difficile de les convaincre de laisser leur classe aux professeurs qui souhaitaient se confronter à la direction de jeunes élèves. L’appui du directeur de l’école normale, monsieur Paumier, spécialiste de sciences naturelles, fut déterminant. Le contact établi avec les maîtres de l’école annexe, la suite alla de soi, certains instituteurs firent passer leurs compétences, par exemple monsieur Chatey dans sa classe de CE1-CE2, et permirent aux auteurs de parfaire leur métier.

2/Constitution de l’équipe : Plusieurs co-auteurs signent les différents ouvrages. Comment se sont-ils intégrés ? Comment se fait la répartition des rôles au sein de l’équipe d’auteurs ? Y a-t-il eu des échecs ? (co-auteurs pressentis qui se sont désistés ?) Comment l’équipe de rédaction a-t-elle évolué ?

La première collection

Le premier manuel mis en chantier fut le manuel de CE1 (le CP ne viendra que tardivement ; à l’époque, il n’était pas d’usage de mettre un livre de calcul entre les mains des enfants du CP). Odette Rosier apporta son cours, qu’Henri Denise transposa sans profondes modifications, arrondissant ce qui lui apparaissait trop abrupt et portant l’accent sur la numération et le calcul mental. Les droits sur les ventes étaient partagés par moitié entre les deux signataires.

Pour le CE2 qui suivit, Odette Rosier n’avait plus l’expertise que donnent des années de pratique et Henri Denise en devient l’auteur principal poursuivant dans la ligne définie lors de la rédaction du CE1. Par choix, il axe les exercices sur des exemples concrets et s’adresse à un élève moyen sans viser l’élitisme ; ce qui lui fait dire : « à Auxerre on passait pour des farfelus et à Paris pour des demeurés. ».

Pour écrire le CM1 [CM : cours moyen] monsieur Denise s’est tout naturellement appuyé sur les compétences de madame Thévenon, directrice de l’école annexe ; à cette équipe fut adjoint, au CM2, monsieur Joly. Cet instituteur fut le premier conseiller pédagogique du département de l’Yonne, il fut plus particulièrement sollicité pour rédiger les énoncés un peu plus longs que réclamaient les problèmes destinés au CM2.

La sortie en 1967 du manuel de calcul, on ne parlait pas encore de mathématique à l’école élémentaire, marque la fin de la première collection.

Les caractéristiques des ouvrages sont, le recours à des situations tirées de la vie pratique, sans chercher à développer de grandes idées, en restant très pragmatique ; cependant, derrière la simplicité apparente pointe toujours le souci de faire réfléchir au-delà des limites du programme. Par exemple, extrait du manuel de CM2 :

p. 43, exercice 6 : « repérer des rectangles qui se ressemblent » débouche sur la notion de grandeurs proportionnelles (mais le mot, hors programme, n’est pas cité) ;

p. 52, exercice 8 : une multiplication dont des chiffres ont été effacés permet à l’élève de vérifier ses acquis ;

p. 105, exercice 5 : la recherche de nombres multiples de 5, de 9, de 9 et 2 … est une ouverture vers les caractères de divisibilité ;

p. 157, exercice 7 : compléter l’inégalité ../10<12/7<../10 débouche sur des questions d’arrondi.

La nouvelle collection

A partir de 1968, l’effervescence des idées qui va conduire à la révision des programmes de 1972 incite éditeur et auteurs à mettre en chantier la réécriture de la collection. Dans cette seconde partie, Jeanne Denise va apparaître comme signataire, ce qui se justifie déjà par le rôle qu’elle a joué au cours des discussions qui furent menées lors de la rédaction de la première collection.

L’éditeur va imposer Renée Polle (†) comme co-auteur. Renée Polle, agrégée, enseignait dans l’académie de Lille où elle formait des PEGC. Elle avait publié chez Delagrave un petit fascicule de mathématique moderne qui, contre toute attente de l’éditeur, obtint un certain succès. Ce succès, inattendu, incita l’éditeur à l’imposer comme co-auteur de la nouvelle collection ; en fait le gros de la rédaction incombera à Henri Denise cependant que Jeanne Denise et Renée Polle feront des relectures critiques, la signature de Renée Polle apportant la caution scientifique que l’éditeur souhaitait.

3/Rapports avec l’éditeur : Quel est le rôle de l’éditeur ? Demande générale ? Regard sur les contenus ? Contrôle de conformité avec les programmes ? Qui propose la maquette ? Quelles sont les contraintes de l’édition ? Sont-elles pesantes ? (maquette, nombre de pages, illustrations, contenu, rythme de publication…) Quel investissement (en temps de travail) représente l’écriture d’un volume ? Par quelles étapes passe la réalisation ? (relecture éditeur, relecture épreuves….) Comment l’éditeur rémunère-t-il le travail des auteurs ?

A cette époque, les éditions Delagrave, qui se développèrent au XIXe siècle grâce au succès des ouvrages de J-H Fabre, n’étaient pas un repaire de révolutionnaires. Hervé Delagrave restait dans la lignée de ses prédécesseurs du temps de Napoléon III et était d’allure très Vieille France. Les exigences de l’éditeur n’ont jamais été ressenties comme pesantes. La conformité avec les programmes allait de soi et jamais l’éditeur n’a demandé de mettre ou de retirer du texte. Les normes ont été fixées d’emblée ; elles étaient le standard en usage : CE 128 pages, CM 192 pages, impression en quatre couleurs. Ce qui était contraignant, c’était, rétrospectivement, l’absence de traitement de texte, l’absence de photocopies, l’absence d’un moyen de communication aussi efficace que les courriels. Dans les classes, le seul moyen de reprographie était le duplicateur à alcool. Pour avoir une idée du remplissage d’une page, on utilisait les compétences de l’auteur à l’écriture la plus régulière. Le manuscrit était passé aux techniciens qui mettaient en page apportant leur savoir faire : maquette, bandeaux, couleurs. La relecture sur épreuves était un soulagement, mais même à ce stade, les échanges avec Renée Polle à Lille n’allaient pas de soi : il fallait conserver une trace des propositions de modification…

L’éditeur n’a jamais imposé de cadences précipitées de production. Il est arrivé que les contraintes inhérentes à la production retardent la sortie d’un ouvrage, repoussant les ventes à l’année suivante.

Les droits sur les ouvrages étaient de 5% du prix public avec une retenue de 25% pour la reliure et 10% pour les retours. Dans le cas de cette collection qui a eu un tirage satisfaisant pendant plusieurs années cela assure un revenu non négligeable qui rentabilise convenablement le travail (la rentabilisation deviendrait plus problématique avec un moindre tirage comme c’est le cas dans d’autres matières ou avec un succès moindre).

4/ Réalisation / options des auteurs. On peut noter dans la collection l’utilisation du vouvoiement pour les premiers ouvrages, du tutoiement pour les derniers. Quelle est la raison du changement ? A la demande de qui s’est-il effectué ? Les thèmes d’exercices des premiers ouvrages sont essentiellement pratiques (exemple :… ), ceux des derniers plus théoriques. Quel est le sens de cette évolution ? Quelles évolutions avez-vous remarquées sur le plan technique (la couleur par exemple), quelles remarques cela vous inspire-t-il ?

Le passage du ‘vous’ au ‘tu’ n’a pas été débattu. Le concept était sans doute dans l’air à l’époque et allait de soi. Monsieur Denise ne garde aucun souvenir de la prise de décision. La séparation entre cours et exercices est du choix des auteurs, l’éditeur ne s’est pas soucié de ce point. Les rencontres avec l’éditeur avaient lieu au rythme de trois ou quatre rencontres par an.

Avant même la promulgation des nouveaux programmes, en 1972, les ouvrages publiés ont anticipé sur leur contenu et le ‘calcul’ de 1967 comporte un complément de mathématiques modernes. La nouvelle édition fut publiée en 1970. Fidèle à l’image de la collection précédente, les nouveaux ouvrages sont restés sobres dans l’exposé des nouveautés. Le travail sur les bases est resté très contenu, les auteurs préférant exploiter les relations et la possibilité de les exploiter dans l’étude de la proportionnalité.

Dès le départ, l’impression en quatre couleurs a été retenue. L’éditeur est revenu à des impressions en deux couleurs (le nouveau CM de 1979, qui comporte deux couleurs et un cahier de géométrie) pour compenser de mauvaises ventes antérieures. Les deux cahiers de CP, qui sont bientôt devenus trois ont été conçus d’abord en noir et blanc ; des ouvrages entre les mains d’élèves au CP étaient une nouveauté pour laquelle l’éditeur n’a pas voulu prendre de risque. Devant le succès, on est passé à deux couleurs. Les trois cahiers du CE1 et les trois cahiers du CE2 ont été d’emblée édités en deux couleurs.

Le CM2 de 1975, illustré de photos couleurs, a bénéficié d’une mise en pages attrayante.

Les livrets de CP ayant reçu un bon accueil, monsieur Denise a insisté pour que le livre de CP (qui comme les livrets est prévu pour recevoir des réponses de l’élève et ne servir qu’un an), paru en 1988, soit en quatre couleurs, avec des illustrations attrayantes. Malheureusement, la collection était en voie d’essoufflement et le succès fut limité.

5/ Diffusion et évolution des ventes. Durée de vie d’une édition.

On compte pour la France entière 800 000 élèves par année. La durée de vie d’un manuel, à l’époque, était évaluée à dix ans. Le maximum des ventes d’un ouvrage (le CM2 en 1975) fut de 40 000 exemplaires ce qui représentait donc, pour cette année-là, 50% de parts du marché.

La diffusion fut excellente dans l’Yonne où les ouvrages ont bénéficié de la promotion d’anciens élèves qui ont su les recommander.

On retrouve des livres dans toute la francophonie : c’est ainsi que le fils de monsieur Denise retrouva un exemplaire sur un étal du bazar d’Istanbul.

6/ Quels sont les retours des utilisateurs ? (lettres, contacts divers)

Les retours sont essentiellement oraux, à l’occasion d’échanges avec les conseillers pédagogiques, avec les représentants, avec les anciens élèves. Très rarement épistolaires avec des utilisateurs anonymes.

La publication est intéressante par les contacts qui suivent la parution : dans les années 1970-1973 l’Académie de Dijon se trouva en pointe pour la formation continue des enseignants et organisa les jeudis et samedis des séances à Auxerre (Jeannette [Denise] y intervenait), à Avallon et à Sens. A côté, d’anciens élèves étaient heureux de bénéficier de la présence d’un auteur pour des réunions d’information de parents (une dizaine d’opportunités par an pendant 2 à trois ans, de Guillon à Villeneuve-l’Archevêque en passant par Montacher-Villegardin).

Ces réunions étaient enrichissantes pour les contacts qu’elles permettent. On y retrouve d’anciens élèves, des utilisateurs pleins de zèle, ainsi celui qui trouvait les cahiers de CP si bien qu’il les reproduisait à la machine à alcool. Les auteurs lui eussent sans doute préféré un solide détracteur qui achète cependant des volumes neufs tous les ans à ses élèves.

« On m’a reproché lors de ces réunions de faire la promotion de mes ouvrages. Mais comment faire autrement ? Je ne pouvais parler que de ce que je connaissais. Il m’est même arrivé de promouvoir le planning familial [monsieur Denise fut plusieurs années durant président de cette association dans l’Yonne] (à l’époque on était en plein combat pour la légalisation de l’IVG). »

7/ Quels sont les regrets, les satisfactions des auteurs quant à l’évolution de la collection ?

Etre auteur de manuel a permis d’entrer en contact d’une manière peu inquiétante avec les enseignants du département dont certains conservaient de mauvais souvenirs du lycée et de leurs professeurs de mathématiques. Ceci a été précieux lors des réunions de formation continue en 1970-1973 lors de l’introduction des mathématiques modernes et a d’autant mieux fonctionné que les manuels de la collection avaient la réputation d’être de niveau faible (certains maîtres de CM1 utilisaient le manuel de CM2 pour leurs élèves). Tous ces liens entretenus, c’est beaucoup de plaisir.

Sur le plan personnel, être retenu en 1965 comme meilleur livre de l’année par le Comité permanent des Arts graphiques pour l’ouvrage du CM1, fut très agréable.

Pour les regrets, bien peu. Peut-être le manque de dynamisme de l’éditeur ?