Quand l’implicite dépasse la figuration

Nous savons pertinemment que certaines œuvres ne sont pas seulement intéressantes dans leur figuration mais dans le message qu’elles veulent faire passer, et parfois même, indépendamment des intentions primaires de l’artiste. L’histoire de l’œuvre peut, dans ce cas, résider dans toutes les spéculations et les interprétations que chacun peut faire d’elle.

Celle que je vais vous présenter aujourd’hui est un bon moyen de vous transporter dans un sujet actuel mêlant deux domaines, à savoir l’art et la géopolitique, ce qui a sûrement guidé mon choix, tout en utilisant toutes sortes de métaphores qui, je l’espère, susciteront votre attention. Cette double lecture vous permettra d’analyser une œuvre et d’appréhender de manière plus ludique un terrain souvent hostile.

Il s’agit de l’œuvre fortement controversée « Beijing 2008 », qui est une peinture à l’huile de l’artiste Skino-Canadien Liu Ly en 2005. Elle fut initialement intitulée « Femmes au Mah-jong ». C’est lors de sa première exposition, en mars 2006 à New York, que l’artiste l’a renommée ainsi du fait du symbolisme qui en ressort : les Olympiades sont appelés par les Occidentaux « Les Jeux », et le Mah-jong, en est aussi un.

Quand on analyse une œuvre, on nous incite souvent, en premier lieu, à dire ce qui est dénoté, ce qui est distinctement indiqué, ce que j’ai fait et dans mon cas, je voyais une scène à la limite de l’érotisme dévoilant cinq personnages féminins quasiment tous nues, réunies autour d’un jeu, qui pour certaines semblent complètement désintéressées. Et vous qu’en pensez vous ?

On nous demande par la suite d’essayer de trouver ce qui est connoté, ce qui n’est pas exprimé de façon directe, et c’est souvent là que cela se complique. Scruter chaque détail, c’est faire appel à nos connaissances pour comprendre l’œuvre et ce que l’artiste veut peut-être nous transmettre. Cette tâche se révèle difficile. Essayer par vous-même avant de lire la suite ! C’est plus compliqué que ça en a l’air, n’est-ce pas ?

La peinture expose les relations d’intérêt entre plusieurs pays dont la Chine, l’Amérique, le Japon, la Russie et la Taïwan. Et vous allez sûrement me dire comment ça ? Attendez je vais vous l’expliquer. Vous voyez cette femme à demi nue qui nous tourne le dos, ce dos tatoué d’un phœnix représente en réalité la Chine, celle qui se trouve à sa gauche, semblant être intensément concentrée sur le jeu est le Japon. Celle avec la chemise et la tête armée sur le côté, paressant inquiète avec un soupçon d’arrogance est l’Amérique. La Russie est,quant à elle, allongée de manière provocante sur le sol. Pour finir, la petite fille debout sur le côté est la Taïwan de par son bellyband rouge.

Cette scène décrit la situation internationale et incarne l’idéologie du post-colonialisme dans ses images et ses personnages. Elle défit l’eurocentrisme (le point de vue des colonisateurs qui soutiennent que l’Europe est le centre du monde et que les Occidentaux sont supérieurs aux autres peuples du monde). Cette vision est renforcée par le fait qu’elles jouent au Mah-jong, non seulement parce que ce jeu implique de l’habileté, de la stratégie, et de la sérendipité, mais aussi parce que la Chine, d’où le jeu est originaire, est également la joueuse survivant le plus longtemps dans ce théâtre géopolitique. La dame bien habillée montre que l’eurocentrisme ou l’Amérique-centralisme est en danger. Son expression inquiétante, tournée vers la Taïwan, lui demandant comment jouer la prochaine tuile ou qu’est-ce que la Russie et la Chine font, montre qu’elle est faible et ne sait pas exactement quoi faire à la prochaine étape. Dans une certaine mesure, cela indique que les avantages des colons sont absents. En outre, les téléspectateurs scrupuleux peuvent constater que la dame américaine ne porte pas de pantalon et n’a pas de tissu pour couvrir sa partie privée. Il s’agit d’une métaphore indiquant que l’Amérique est en fait faible, pas aussi forte et élégante qu’elle le montre au monde. Le ciel lourd à l’extérieur de la salle est une métaphore montrant qu’il y aura une tempête qui peut rapidement changer le modèle du monde : en d’autres termes, la Chine et l’Amérique peuvent être prochainement en conflit. Lorsque vous reliez les conflits avec le jeu Mah-jong, il peut être raisonnable de penser qu’il est le reflet de ces puissances mondiales. Par conséquent, si la dame américaine peut gagner le jeu Mah-jong, elle peut maintenir sa position dominante dans le monde. Est ce que cela est réellement possible ? Comme le montre la peinture, la probabilité de gagner est faible. Les raisons sont les suivantes : tout d’abord, elles jouent au Mah-jong dans une chambre chinoise, les gens chinois dominant les règles du jeu. Deuxièmement, la dame russe aide la dame chinoise en trichant. Avec l’aide de la russe, la dame chinoise a plus de chances de gagner. Après la forte tempête, la Chine, le pays colonisé, pourrait faire sa marque et renverser le modèle mondial traditionnel.

En un mot, en utilisant un grand nombre de signes, de codes et de métaphores, le peintre souligne la faiblesse de l’Amérique et la force et les avantages de la Chine. Après avoir regardé la peinture, les spectateurs auront spontanément l’impression que le monde n’est plus un monde qui  est dominé par le peuple occidental.

Nous pouvons quand même souligner que lorsque les signes culturels et les pratiques des cultures colonisées et colonisant se mélangent ou s’intègrent, l’hybridité culturelle se produit. Ce phénomène est admirable partout dans cette peinture, comme le montre le fait que les femmes portent de la dentelle qui a été inventée par les Occidentaux alors qu’elles jouent au Mah-jong, assises sur un tapis et dans une maison traditionnelle chinoise. L’hybridité est également montrée par la représentation de la tête accrochée au mur. Elle est issue d’un mélange de trois figures de l’histoire des cent dernières années chinoises. A savoir, Sun Yat-sen et Chiang Kai-shek qui avaient des pensées occidentales, telles que les trois principes du peuple (nationalisme, démocratie, moyens de subsistance du peuple), et Mao Zedong, communiste russe. Les trois personnes sont mélangées, ce qui indique que les cultures orientales et occidentales sont intégrées ensemble.

Ce que nous pouvons retenir de tout ça, c’est que la peinture remet non seulement en question les concepts de l’eurocentrisme en mettant en évidence la faiblesse de l’Amérique et la force de la Chine, mais montre également l’hybridité culturelle causée par le colonialisme. L’hybridité se reflète principalement dans les scènes et les personnages diversifiés et contradictoires, ainsi que par la représentation mixte de la tête.

En vous remerciant d’avoir pris le temps de me lire !

BILQUEZ Jorane, Dnmade1, Avril 2021

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