Nous sommes des humains de l’ère moderne et je pense comme la plupart d’entre nous que le but de notre vie est de vivre le bonheur. Le film WALL-E est un avertissement de ce que nous obtiendrons en cherchant le summum du bonheur : la médiocrité.
Les Hommes représentés dans WALL-E sont des caricatures de la médiocrité, ils sont obèses au point de ne plus pouvoir se lever. Ils sont incapables de marcher, consommant à longueur de journée des sodas assis sur un fauteuil devant un écran. Pourtant, objectivement, ces nouveaux êtres humains vivent dans un monde parfait où les robots sont à leur service, les débarrassant de toutes les tâches pénibles. Personne ne manque de rien, personne ne risque rien et tous leurs désirs sont satisfaits immédiatement. Ils n’ont jamais aucun souci : ils ont inventé le bonheur : ils sont tous très heureux.
Longtemps avant Pixar, Nietzsche avait déjà imaginé à quoi pourrait aboutir la quête du bonheur ultime. Nietzsche a tout d’abord constaté la mort de Dieu. Les grandes valeurs de l’ancien monde n’ont plus de raisons d’être. Débarrassés de ce poids, les Hommes peuvent donc se concentrer sur ce qui est utile : rendre le monde plus prévisible, plus agréable et plus confortable, dans le but de maximiser le bonheur global.
En fait, ce que les Hommes appellent le bonheur c’est l’état d’équilibre, la sérénité et l’harmonie avec le monde. Le bonheur maximal est paradoxalement un minimum : c’est l’état de tension minimum. Cette tension interne que nous ressentons régulièrement vient du désir. Nos désirs sont intenses et nous poussent à agir, mais l’intensité de nos désirs (imaginaires, issus de nos pensées), s’oppose à la résistance du monde physique. Il est vrai que par défaut, il est difficile de satisfaire ses désirs. Il faut fournir un effort, consommer son énergie et du temps pour y parvenir, et vous le savez comme moi le fameux Summer body n’arrive jamais par l’opération du saint esprit.
En satisfaisant nos désirs, cette fameuse tension se dissipe ce qui nous donne une sensation de plaisir. Le bonheur correspond au retour à l’état d’équilibre qui vient après le plaisir, où l’on se sent bien. Nous avons à ce moment-là un plaisir intense, après avoir vécu notre désir.
Malheureusement c’est un cycle sans fin. Une fois terminé, le désir se régénère et parfois de façon encore plus intense, nous devons donc redoubler d’efforts pour accomplir ce nouveau souhait.
Pour sortir de ce cycle et atteindre le bonheur permanent, l’idéal est de supprimer totalement l’intensité des désirs et donc ne plus désirer du tout. C’est une vision traditionnelle du bonheur, c’est la vision des bouddhistes par exemple. En ne désirant plus rien, l’âme se trouve dans un état de sérénité et d’équilibre parfait, c’est le nirvana (vision stoïcienne) ou l’ataraxie (vision bouddhiste).
Les visions modernes donnent des approches différentes du problème. Plutôt que de maîtriser l’intensité des désirs par un travail sur soi (comme les bouddhistes), on préfère supprimer tout ce qui se présente comme une résistance aux désirs. Grâce notamment au génie technique de l’Homme qui essaye de bâtir le monde le plus agréable possible. L’idéal à atteindre est l’abondance matérielle où chacun peut assouvir ses désirs sans effort.
Pour Nietzsche cette recherche du bonheur est une négation de la vie, d’après lui, la vie n’est que tension et je ne sais pas vous mais je partage totalement son avis. Refuser la tension c’est refuser la vie. Pour être heureux, il faut donc dire « oui » à la vie et « oui » à son destin (ce qu’on appelle dans la philosophie de Nietzsche l’amor fati). La vie, comme on le sait tous, est faite de hauts et de bas. Ne vouloir que le bonheur, c’est vouloir ni le bas ni le haut. C’est vouloir constamment le moyen.
Ce que Nietzsche appelle le dernier Homme, c’est la figure de l’être humain qui se contente du médiocre, celui qui manque de vitalité et d’ambition. C’est justement l’inverse du Surhumain, le surhomme qui est un artiste novateur, le conquérant, ou le héros. Ce sont ceux qui ont accumulé assez de tension en eux pour la libérer sous une forme noble.
La beauté a disparu du monde utopique de WALL-E, l’environnement artificiel et prévisible totalement coupé de la nature a détruit les instincts esthétiques et artistiques de chacun. Le confort et la stabilité matérielle ont rendu l’exploration inutile. Les personnages ne font plus rien, rien ne les pousse à sortir de leur chaise volante.
L’égalité entre tous a éradiqué les conflits mais a logiquement rendu l’amour impossible.
Ce monde a été créé par un contentement de soi-même de façon générale. Le monde de WALL-E attend ceux qui visent le bonheur en refusant ses conditions.