« Si jamais vous pensez que mon œuvre est l’art de la mort, je pense que vous vous faites berner. Je pense que mon art parle de la vie, la vie qui est la chose la plus importante et qui m’occupe. […] J’ai simplement envie de peintures qui arrêtent l’oeil et qui vous permettent de regarder. Je ne veux pas créer des tableaux que les gens ignorent. »
Depuis mai 2021 et jusqu’à janvier 2022, la fondation Cartier pour l’art contemporain, à Paris, accueille la nouvelle œuvre de Damien Hirst, « cerisiers en fleurs ». L’exposition présente 30 tableaux choisis par l’artiste parmi les 107 toiles réalisées. Il répond à une invitation du directeur de la fondation, Hervé Chandès, qui après avoir vu un aperçu des toiles de l’artiste sur les réseaux sociaux, s’est émerveillé devant ces chefs-d’œuvre : « Ça a été un éblouissement visuel, un enchantement, quelque chose de très jubilatoire ».
Qui est Damien Hirst ?
Pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est un artiste anglais, né à Bristol. Aujourd’hui, il vit et travaille à Londres. Il réalise des sculptures, des installations, des peintures et des dessins. On le connaît pour ses œuvres provocatrices et ses créations sulfureuses, explorant la mort et tout ce qui s’y rattache, comme ses animaux plongés dans la résine ou encore ses crânes sertis de diamants ou recouverts de mouches.
Comment imaginer que ces cerisiers majestueux pleins de vie ont été réalisés par celui qui enchaine les scandales avec les veaux aux sabots en or massif, ou les 9000 papillons tués au nom de l’art dans son exposition à la Tate Modern. Rien à voir avec l’atmosphère poétique présente dans cette œuvre. Pour cette exposition, il nous propose une succession de toiles pouvant dépasser les 7 mètres, nous plongeant dans une forêt de cerisiers géants, un arbre légendaire et emblématique dans certaines cultures.
Les cerisiers sont avant tout un souvenir rempli de nostalgie et évoquant l’enfance de Damien Hirst, puisque sa mère peignait des cerisiers en fleurs.
Au premier abord, on pourrait croire que la succession de toiles similaires provoque une lassitude tout au long du parcours, or, c’est tout le contraire ! Certaines toiles sont couvertes de taches de couleurs vives avec une épaisse couche de peinture. D’autres laissent entrevoir des troncs et des branches avec un ciel d’un bleu plus ou moins intense, lisse ou granuleux. Les touches sont légères, saturées, régulières ou se chevauchent. Tout se ressemble et pourtant tout est différent ! L’artiste explique que quand il a commencé, avec seulement du rose et du blanc, ça ne fonctionnait pas, c’était sans vie. Il a donc observé les arbres et s’est rendu compte qu’il y avait du bleu ou du rouge. La lumière contient toutes les couleurs et les feuilles les réfléchissent. C’est ce qui manquait et la peinture a pris vie. Grâce à cela, chaque toile délivre un sentiment différent. Ces œuvres sont totalement immersives et nous embarquent dans un paysage bucolique faisant rêver le spectateur. Elles procurent volupté et légèreté. De plus, la présentation sobre et sans commentaire, immerge davantage le spectateur et le fait voyager dans les jardins japonais, au printemps.
La série réinterprète avec ironie le thème de la représentation florale dans l’art. En effet, on peut y voir un lien avec de nombreux artistes tel que Monnet et les « Nymphéas » exposées de la même façon au musée de l’orangerie, à Paris.
Dans son atelier londonien, Damien Hirst a travaillé pendant trois ans sur ses toiles dans une perpétuelle quête de la couleur, tout comme l’artiste qu’il affectionne, Bonnard.
Dans son œuvre, il mêle touches épaisses de couleurs faisant référence à l’impressionnisme et au pointillisme, ainsi que des projections de peinture à la façon de Jackson Pollock et l’action painting.
Les toiles sont monumentales et entièrement recouvertes de couleurs vives et saturées comme dans le pop art. Elles emmènent le spectateur dans un paysage végétal entre figuration et abstraction. Les cerisiers sont à la fois un détournement et un hommage aux grands mouvements artistiques du XIXème et XXème siècle.
« Les cerisiers en fleurs parlent de beauté, de vie et de mort. Elles sont excessives, presque vulgaires. Comme Jackson Pollock abîmé par l’amour. Elle sont ornementales mais peintes d’après nature. Elles évoquent le désir et la manière dont on appréhende les choses qui nous entourent et ce qu’on en fait, mais elles montrent aussi l’incroyable et éphémère beauté d’un arbre en fleurs dans un ciel sans nuages. C’était jouissif de travailler sur ces toiles, de me perdre entièrement dans la couleur et la matière à l’atelier. Les cerisiers en fleurs sont tape-à-l’œil, désordonnés et fragiles, et grâce à elles je me suis éloigné du minimalisme pour revenir avec enthousiasme à la spontanéité du geste pictural. »
L’artiste qui a souvent célébré la mort semble désormais célébrer la vie. Les quatre salles de la fondation sont submergées par l’explosion des fleurs de cerisier. L’artiste voulait qu’on en ait plein la vue et c’est réussi ! Il nous offre une œuvre pleine de poésie où les motifs sont infinis et les couleurs à profusion.
Enfin, dans le jardin de la fondation est projeté un film sur les cerisiers de Damien Hirst, dans lequel, l’artiste raconte son œuvre. Si cela vous intéresse, vous pouvez retrouver le film via ce lien : https://youtu.be/OxhtW0gmz-U
Pour finir, si vous passez par Paris avant janvier 2022, ne loupez pas l’occasion de voir l’ensemble des toiles de la série réunies dans le même lieu. En effet, l’artiste a vendu toutes les toiles avant même d’avoir achevé son projet. Une raison de plus pour ne pas manquer cette exposition où l’art et la nature se confondent, n’est-ce pas ?
Alizée Couton-Badina – Dnmade 2 Bij – octobre 2021