Telles fut les paroles de Pier Paolo Pasolini – pour
ce qui s’avéra être sa dernière interview – à l’occasion de la sortie imminente de son film Salò ou les 120 journées de Sodome.
Scandale : Ce qui paraît incompréhensible et qui, par conséquent, pose problème à la conscience, déroute la raison ou trouble la foi.
Cette définition aurait très bien pu être celle de Pasolini, tant ce metteur en scène, réalisateur, artiste, poète, écrivain fait encore débat dans le monde du cinéma. Salò ou les 120 journées de Sodome se veut être une réinterprétation du célèbre roman du Marquis de Sade. L’action du film débute sur l’enlèvement de jeunes filles et jeunes garçons par quatre notables riches représentant chacun le pouvoir : un juge, un évêque, un duc et un président. Les jeunes se retrouvent enfermés à devoir exécuter les désirs les plus sombres de leurs bourreaux. Le film se divise en quatre parties qui sont de plus en plus perverses ; le vestibule de l’enfer, le cercle des passions, le cercle de la merde et le cercle du sang. Le film oppose sans cesse les bourreaux à leurs victimes, opposition du pouvoir absolu sur une déshumanisation et une soumission totale. On peut y voir un parallèle avec l’extermination des juifs dans les camps de la mort et les côtes les plus obscurs de l’humanité que l’on connaît déjà mais dont on ne voit jamais les limites.
A travers cette production, Pasolini dépeint son pays avec beaucoup de pessimisme en rappelant le passé fasciste de l’Italie et son rôle lors de la seconde guerre mondiale. Il critique les « nouveaux bourgeois » et leurs mépris des pauvres, leur absence de réflexion ainsi que leur perversité débridée à l’indifférence de toute dignité humaine. La force du film est de nous faire passer de spectateur à voyeur actif qui cautionne le bourreau en regardant, comme si notre inconscient tolérait voir acceptait ce qu’il voyait. Il est intéressant de savoir que Freud était très présent dans le parcours de Pasolini. Dans l’hypothèse de l’inconscient chez Freud le ÇA crée des désirs immoraux qui viennent se heurter à la censure du SURMOI qui filtre les désirs et les pulsions non acceptables. L’inconscient serait donc un lieu de refoulement dans notre tête. Pour Freud, les pulsions sont tellement refoulées qu’elles finissent par se déguiser et apparaissent dans nos lapsus, nos rêves …
Là est la grande critique qui s’abat sur Pasolini, s’il met à l’écran les actes les plus ignobles c’est qu’il en est le partisan.
Il est vrai que la première fois que j’ai regardé ce film j’ai dû m’y prendre à plusieurs reprises pour le finir. C’est un film dur, autant pour les yeux que pour la réflexion qu’on s’en fait. Il faut un recul nécessaire pour voir autre chose que de la violence gratuite. Selon moi, Salò est le film d’un humaniste qui perd foi en l’homme grâce à sa lucidité sur le monde qui l’entoure. Le pouvoir de Pasolini est de faire ressortir des questionnements par l’aide de l’image, ce qui fait de ce film une œuvre à la fois dérangeante ET nécessaire.
Dès le tournage de Salò ou les 120 journées de Sodome, les problèmes s’accumulent : des pellicules du film sont volées, des manifestations ont lieu sur le tournage par des groupes d’extrême droite. Pasolini n’aura pas le temps de le voir porter à l’écran, il est sauvagement assassiné dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975. Ce meurtre n’est à l’heure toujours pas élucidé tant les opposants et les détracteurs de Pasolini sont nombreux.
En terminant mon article j’ai eu une pensée pour les attentats de Charlie Hebdo car finalement n’étaient-ils pas en résistance face à une société qui refusait le scandale, tout comme Pasolini, ils revendiquaient le droit au scandale et plaçaient la liberté au comble de leur art.
J’aimerais partager une citation qui y fait écho …
« une société qui tue ses poètes est une société malade », Alberto Moravia.
… et finir sur une interrogation : Est-il possible de différencier l’artiste de son œuvre ?
Références et œuvres pour prolonger la réflexion :
- Faut-il brûler Sade ? (Privilèges), Simone de Beauvoir
- Quand Pasolini regarde la psychanalyse, Fabrice Bourlez
- Philosopher avec Pier Paolo Pasolini, podcast France Culture, 4 épisodes
- Une vie violente, Pier Paolo Pasolini
- Pasolini, biopic d’Abel Ferrara