Warsan Shire est une poétesse anglo-somalienne, jeune femme de 28 ans née au Kenya et de parents somaliens. Vers un an, ses parents s’installent à Londres pour fuir la Somalie alors en pleine guerre civile. C’est donc à Londres qu’elle grandit et où elle va être repérée plus tard par l’un de ses professeurs pour son talent d’écriture. Poète des temps modernes, elle est connue sur les réseaux sociaux et est une artiste engagée. Warsan Shire raconte dans ses poèmes des histoires de famille, des drames personnels ou universels très engagés en ce qui concerne les migrants ou les abus sexuels. Elle parle aussi de confiance en soi, de fierté, de tradition et de solidarité.
« Home« , c’est le titre de ce poème que j’ai choisi de vous décrire aujourd’hui, la puissance des mots utilisés et les répercussions émotionnelles irréversibles que vivent ces personnes sont tout simplement horribles. Ce poème met des mots sur la souffrance ressentie lors de l’exil, il redonne la parole à ceux qui en ont été privés.
Ce poème découpé en quatre parties qui montre les différentes étapes de son voyage et de son état émotionnel énormément impacté durant son périple.
. HOME .
Personne ne quitte sa maison à moins
Que sa maison ne soit devenue la gueule d’un requin Tu ne cours vers la frontière Que lorsque toute la ville court également Avec tes voisins qui courent plus vite que toi Le garçon avec qui tu es allée à l’école Qui t’a embrassée, éblouie, une fois derrière la vieille usine Porte une arme plus grande que son corps Tu pars de chez toi Quand ta maison ne te permet plus de rester. Tu ne quittes pas ta maison si ta maison ne te chasse pas Du feu sous tes pieds Du sang chaud dans ton ventre C’est quelque chose que tu n’aurais jamais pensé faire Jusqu’à ce que la lame ne soit Sur ton cou Et même alors tu portes encore l’hymne national Dans ta voix |
Quand tu déchires ton passeport dans les toilettes d’un aéroport
En sanglotant à chaque bouchée de papier Pour bien comprendre que tu ne reviendras jamais en arrière Il faut que tu comprennes Que personne ne pousse ses enfants sur un bateau A moins que l’eau ne soit plus sûre que la terre-ferme Personne ne passe des jours et des nuits dans l’estomac d’un camion En se nourrissant de papier-journal à moins que les kilomètres parcourus Soient plus qu’un voyage Personne ne rampe sous un grillage Personne ne veut être battu Pris en pitié Personne ne choisit les camps de réfugiés Ou la prison Parce que la prison est plus sûre Qu’une ville en feu Personne ne vivrait ça Personne ne le supporterait |
Personne n’a la peau assez tannée
Rentrez chez vous Les noirs Les réfugiés Les sales immigrés Les demandeurs d’asile Qui sucent le sang de notre pays Ils sentent bizarre Sauvages Ils ont fait n’importe quoi chez eux et maintenant Ils veulent faire pareil ici Comment les mots Les sales regards Peuvent te glisser sur le dos Peut-être parce que leur souffle est plus doux Qu’un membre arraché Ou parce que ces mots sont plus tendres Que quatorze hommes entre Tes jambes Ou ces insultes sont plus faciles A digérer Qu’un os |
Que ton corps d’enfant
En miettes Je veux rentrer chez moi Mais ma maison est comme la gueule d’un requin Ma maison, c’est le baril d’un pistolet Et personne ne quitte sa maison A moins que ta maison ne te chasse vers le rivage A moins que ta maison ne dise A tes jambes de courir plus vite De laisser tes habits derrière toi De ramper à travers le désert De traverser les océans Personne ne quitte sa maison jusqu’à ce que ta maison soit cette petite voix dans ton oreille Qui te dit Pars Pars d’ici tout de suite Je ne sais pas ce que je suis devenue Mais je sais que n’importe où Ce sera plus sûr qu’ici |
Traduit par: Paul Tanguy
Dans la première partie du poème on peut vraiment appréhender la nécessité de partir, avec toutes les violences du pays d’origine et la guerre. Ce départ n’est donc pas librement consenti, c’est un départ à des fins de survie.
La seconde partie du poème représente le voyage. Les conditions de voyage étant particulièrement difficiles et risquées, cela représente un second traumatisme, une seconde expérience qui à tout moment-là rapproche de la mort.
La troisième partie fait référence à l’accueil et le rejet du pays d’accueil, le reflexe qu’ont les gens face aux migrants rentrant dans « leur » pays, tout en parlant des différents traumatismes physiques et moraux, ce que finit par faire ressentir une sorte de déshumanisation.
La dernière partie rejoint la première partie comme un cercle vicieux .
Parmi tous les traumatismes, il y a la perte de la parole, les personnes exilées en sont privées et ce poème permet de leur rendre leur humanité, et nous permet de les soutenir et de comprendre à travers ses mots ce qu’ils ont vécu et pourrait aider à changer les clichés qu’ont les personnes face aux migrant.
CRETENET Amandine – DNAMDE 2 HO – 2021/2022