De nouveaux tapis des 1001 nuits ?

Plongée dans l’univers d’un artiste qui élabore à l’aide de techniques ancestrales et digitales des tapis psychédéliques et trompe-l’oeil.

Faig Ahmed est né en 1989 à Baku dans l’actuel Azerbaïdjan. Il est diplômé du département de sculpture de l’Académie des Beaux-Arts d’Azerbaïdjan en 2004 et trois ans plus tard il est sélectionné pour représenter son pays à la Biennale de Venise. Par la suite, il est nominé en 2013 pour le Jameel Prize 3 au Victoria and Albert Museum de Londres après y avoir exposé certaines de ces œuvres. Ses œuvres ont été exposées tout autour du monde; de New-York à Paris, de Londres à Berlin, de Moscou à Mumbai en passant par Rome où encore à Sidney et Dubaï. Parmi ses séries les plus représentatives de son travail on peut citer les séries de tapis « Liquid Series », « Flood Series » et ses tapis entachés d’essence et de fuel ou encore « Insider Series » et ses tapis en illusions d’optique.

Faig Ahmed- Fuel-2016 issu de « Flood Series « 

Faig Ahmed est mondialement connu pour la réalisation de tapis psychédéliques fortement inspirés des techniques de tissages traditionnel de tapis en Azerbaïdjan et des techniques de broderies indiennes. Ses réalisations, préconçues pour les plus récentes à l’aide de logiciels 3D sont majoritairement composées de fibres de laine ou de soie. A l’aide de son style très coloré, Faig Ahmed s’appuie généralement sur la technique du gauchissement (le fait d’altérer, de tordre ou de déformer sa matière première), le glitch (lorsqu’une défaillance électrique ou électronique entraîne une fluctuation facilement identifiable visuellement par ses nombreuses distorsions esthétiques), la fusion, la pixellisation ou encore l’effilochage. Il s’efforce de concilier dans son travail l’art traditionnel, le numérique et l’artisanat pour aboutir à la réalisation de ses travaux à l’échelle monumentale.

Celui qui s’est d’abord lancé des des études littéraires, fort de son intérêt pour le sanskrit et l’arabe relate ses interrogations sur les religions, les manuscrits anciens et les rites mystiques à l’aide de motifs et de tissus. Ses œuvres sont fabriquées à la main, selon le procédé de tissage traditionnel azerbaïdjanais par les membres de son atelier et par des sociétés et artisans avec lesquels il collabore donnant ainsi à ses œuvres une dimension collective et une certaine valeur patrimoniale. Faig Ahmed joue avec ce contraste entre nouveau et ancien. Il explique lui même dans une interview que ce qui le fascine dans les tapis c’est leur utilisation dans les maisons modernes alors qu’ils sont des objets anciens dont le processus de production n’a pas changé depuis des millénaires. Il considère les tapis comme une langue traditionnelle locale et à la fois comme un outil scientifique pour comprendre des éléments ethnographiques et anthropologiques. En outre, le tissage traditionnel de tapis en Azerbaïdjan est inscrit depuis 2010 à la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Le pays conserve également un lien entre les tapis et la tradition funéraire : il arrive que le corps des défunts soit enveloppé dans un tapis avant d’être enterré. Faig Ahmed cherche quant à lui à se détacher de cette tradition solide à l’aide de la force de la nouveauté non sans s’en éloigner complètement.

Bien au contraire, il éprouve un profond respect pour la tradition ce qui modifie parfois ses projets. Par exemple pour son oeuvre Tradition Recyclée (2014), il s’est mis à la recherche d’un tapis ancestral vieux de 150 à 200 ans, et, une fois qu’il a trouvé le tapis dont il avait besoin il n’a pas manqué de se renseigner sur son histoire. Devant la richesse de l’histoire de ce tapis, il n’a pas pu se résoudre à le découper lui même et l’a fait découper par une société. Néanmoins il arrive qu’il essuie des refus de l’aider de la part de vieux tisserands qui refusent de collaborer avec lui dans ses explorations artistiques.

Faig Ahmed- Virgin-2016. Comme une discrète référence au patriarcat qui règne en Azerbaïdjan.

L’artiste né dans un territoire alors encore inclus dans l’U.R.S.S. ne cherche pas seulement à interroger et explorer les rapports entre tradition et modernité. Il s’interroge également au travers de ses œuvres sur les rôles de genre en Azerbaïdjan et sur la place des femmes dans une société encore très patriarcale. Il s’accompagne notamment dans son atelier de femmes exclues de la société pour cause d’adultère.

Néanmoins, il ne veut pas d’un art qui discrédite ou qui insulte son pays car il y est très attaché. Cet artiste considère que l’art peut à la limite être conçu pour surprendre et déranger mais qu’il doit être exercé en toute conscience. Il explique être inspiré par le travail d’artistes contemporains tels que James Turrel ou Anish Kapoor (pour lequel l’utilisation omniprésente du rouge se retrouve sur de nombreux de tapis de Faig Ahmed). Pour sa dernière exposition, encore visible actuellement à la galerie Sapar Contemporary à New York il présente trois tapis, portant chacun le nom d’un chef spirituel qui a profondément marqué la culture azerbaïdjanais, comme une « métaphore culturelle ».

Faig Ahmed- Yahya al-shirvani al Bakuvi-2021. Issu de sa dernière exposition.

En plus des intelligentes illusions d’optique et des jeux de couleurs incorporés dans ses œuvres j’apprécie le défi que se lance cet artiste de provoquer les traditions tout en leur témoignant un profond respect. Je trouve également qu’il insère ses intentions et ses revendications de manière discrète mais très efficace, exportant ainsi sa vision de l’Azerbaïdjan à l’international pour un beau résultat esthétique.

Je vous invite donc à jeter un coup d’œil à ces captivants trompe-l’oeil.

Anna ETOLINT- DNMADE14 JO – Déc. 2021

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