Une exposition itinérante pour (re)découvrir l’hyperréalisme
Lorsque l’on pense à l’hyperréalisme, notre vision se limite principalement aux Tourists II (1988) et à la Supermarket Lady (1970) de Duane Hanson, des sculptures plus vraies que nature et critiques de la société de consommation de l’époque. Selon sa définition classique, l’hyperréalisme est un courant artistique apparu aux États-Unis à la fin des années 1960, et caractérisé par une interprétation quasi photographique du visible. Il s’est développé en opposition à l’esthétique dominante de l’art abstrait, c’est également de cette façon que ce sont développés le pop art et le photoréalisme. Mais ce serait une erreur de penser que l’hyperréalisme ne se limite qu’à ce concept ou que c’est un mouvement passé d’époque. Bien au contraire, ce mouvement dépasse largement les frontières de la vraisemblance et de la réalité et s’adapte à la société et ses bouleversements.
C’est justement ces possibilités plus vastes qu’on ne le croit que l’exposition « Hyper Réalisme, ceci n’est pas un corps » nous propose d’explorer. Cette exposition itinérante, qui a déjà connu un certain succès à Bilbao, Rotterdam, Liège, Bruxelles et même Cambera a posé récemment ses valises dans le deuxième arrondissement de Lyon et ce pour environ une demi-douzaine de mois. Elle rassemble le travail d’une quarantaine d’artistes hyperréalistes parmi lesquels on retrouve des pionniers et des figures mythiques de ce mouvement tels que George Segal, Berlinde De Bruyckere, Carole A. Feuerman, Maurizio Cattelan, Ron Mueck, Duane Hanson ou encore John DeAndrea mais également des artistes plus récents.
L’exposition débute en confrontant le spectateur avec une femme plus vraie que nature, de dos, la tête appuyée contre le mur et le visage dissimulé par son pull, comme si elle voulait se protéger de la lumière du jour. Est-elle une autre spectatrice en train d’observer une vitrine miniature encastrée dans le mur, est-elle en train de manipuler une installation de l’exposition interactive ? Pas du tout, il s’agit de Caroline (2014), une création de Daniel Firman qui instaure le cadre de l’exposition. En effet tout au long de l’exposition, la disposition spatiale est conçue afin de surprendre au détour d’un angle ou d’un couloir le spectateur avec une œuvre saisissante de réalité de sorte que, l’espace d’un instant, il se croit confronté à une personne réelle, en chair et en os. Le tout ponctué de citations et d’interviews d’artistes qui donnent plus de sens aux œuvres et aux démarches entreprises par les artistes.
L’exposition se divise en six concepts. Si la première partie s’attarde sur les répliques humaines, la deuxième se concentre sur les représentations monochromes, afin de démontrer que l’absence de de couleurs peut renforcer les qualités esthétiques liées à la forme, bien loin d’atténuer l’effet réaliste et permet de donner un certain anonymat et une dimension collective aux sculptures. On découvre ensuite l’intérêt pour les artistes de se focaliser exclusivement sur des parties spécifiques du corps pour gagner en réalisme et véhiculer un message.

Les nageuses de Carole A. Feuerman sont plus vraies que nature, aves les goutelettes d’eaux sculptées à leur surface on a l’impression de voir des épidermes humides.
« Les détails font la perfection et la perfection n’est pas un détail » LEONARD DE VINCI
Viennent ensuite des sculptures aux dimensions exagérées : leur format n’est pas anodin, il vient placer l’accent sur des thèmes existentiels et des moments clés de la vie.

Cette sculpture de taille réduite d’une grande tendresse parvient à capturer la fragilité de la vie grâce au vieillissement du corps de cette grand-mère finement travaillé et la quasi transparence laiteuse de sa peau.
Ensuite l’exposition connait un certain basculement puisque le concept suivant concerne les réalités difformes. Dans cette partie plus contemporaine, les artistes dépassent à l’aide de l’hyperréalisme les frontières du réel. Ils déforment, contorsionnent, décomposent les corps, afin de soulever des questionnements essentiels sur les progrès scientifiques, les possibilités offertes par les outils numériques et les questions éthiques entrainées par ces avancées, dénonçant ainsi la finitude de notre existence souvent niée aujourd’hui.

Evan Penny adapte l’hyperréalisme au monde d’aujourd’hui : ses sculptures semblent avoir des proportions exactes seulement pour un angle de vue. Ainsi de face, cette sculpture semble sorties tout droit d’une photo tandis que lorsque le spectateur se déplace, il réalise que le reste de la sculpture est comme écrasé, aplatit, réduisant donc cet « être humain » à un format en 2D.
« C’est le regardeur qui fait l’œuvre » MARCEL DUCHAMP
La dernière partie intitulée « Frontières mouvantes » est l’occasion de s’interroger sur la possibilité de se libérer du cadre tridimensionnel et de la sculpture inanimée et figée pour faire perdurer l’hyperréalisme.
J’ai beaucoup apprécié les concepts présentés dans cette exposition et plus particulièrement les derniers qui ont le mérite de dépoussiérer ce mouvement artistique. Les techniques et les matériaux utilisés questionnent tantôt le rythme consumériste de notre société ainsi que la volonté d’améliorer toujours plus l’apparence humaine. Et puis surtout, les illusions créées par ces œuvres occasionnent des impressions et des émotions qui ne sont pas transmissibles par des photographies c’est pourquoi je vous recommande cette exposition qui est un vrai régal pour les yeux.
« Hyper Réalisme, ceci n’est pas un corps », à la Sucrière à Lyon jusqu’au 6 juin 2022.
ETOLINT Anna DNMADeJO1- Février 2022