Aucune Raison

Je vais vous parler de « Rubber », un film sorti en 2010 et réalisé par Quentin Dupieux.

Affiche du film

A ce nom, les amateurs du cinéma se doutent peut-être déjà du caractère insolite de ce long métrage. Il faut dire que ce réalisateur en a fait sa marque de fabrique car selon lui « il n’y a rien de plus beau dans l’art que de ne pas réfléchir». Et tout est dit ou presque car « Rubber » en est la parfaite illustration.

Alors avis aux adeptes de la cohérence et de la raison, cette comédie d’horreur est faite pour mettre vos nerfs à l’épreuve.

Entrons dans le vif du sujet, l’histoire est celle de Robert, un pneu psychokinétique lancé dans une frénésie meurtrière en plein désert californien…

Comme vous je suppose, j’étais sceptique la première fois que l’on m’a résumée ce film où il serait question d’un pneu tueur aux pouvoirs paranormaux puis j’ai éclaté de rire en apprenant qu’il s’agissait d’un western. Ma curiosité attisée, j’ai fini d’être convaincue avec cette bande annonce aux petits oignons que je vous recommande vivement.

Reprenons le scénario, parce que oui, il y en a un ;

On suit donc Robert qui, en plus de tuer à tout-va, poursuit une jolie fille à ses heures perdues. Des comédiens conscients d’en être tentent de l’arrêter tandis que des spectateurs en jumelles observent le tout. Apparaît alors une double intrigue, l’une autour du pneu et l’autre autour des spectateurs. Les comédiens chercheront d’ailleurs à éliminer les spectateurs espérant ainsi mettre fin à leur travail d’acteurs mais rien dans ce film ne se passe comme prévu.

On pourrait tout à fait résumer ce film à du grand n’importe quoi et pourtant, je trouve qu’il y a un certain génie dans la manière de mettre en scène ce délire assumé. Il faut déjà savoir que Rubber a été tourné à Los Angeles en 14 jours avec seulement deux appareils photos. Les trucages quant à eux sont presque entièrement mécaniques. Pour exemple, le pneu avance avec un moteur et une télécommande à distance tandis que les têtes qui explosent sont des ballons de baudruche avec de l’air comprimé.

Le film dure 1h18, il est donc assez court mais le rythme reste lent avec de nombreuses scènes contemplatives qui mettent l’accent sur l’absurde de la situation. Concernant les cadrages et mises en scène, on observe des reprises des codes du film d’horreur avec par exemple Robert qui apparaît derrière les personnages en fond de plan. On remarque aussi des références au western de par le décor désertique américain et ce qui ressemble à des confrontations de regard. Ces procédés renforcent le décalage entre l’absurde des situations et le sérieux avec lequel elles sont prises, au point qu’elles en deviennent comiques. C’est un humour qui n’est cependant pas au goût de tout le monde.

La confrontation, Robert face à la Police

Concernant la bande originale, elle est signée par Mr. Oizo, le pseudonyme de Quentin Dupieux en musique, l’ambiance vacille entre tranquillité et épouvante. Les acteurs eux ne manquent pas de justesse et dépeignent des personnages à la fois caricaturaux et consternants.

Présentation faite, intéressons-nous au fond ;

Le lieutenant Chad, comédien

Dès le départ, on est prévenu. Pris à parti parmi les spectateurs qui constituent à eux seuls une étrange mise en abîme, on nous assomme d’un :

« Tout les grands films, sans exception, contiennent une part importante de Aucune raison, et vous savez pourquoi? Parce que la vie elle-même est une succession de Aucune raison. Le film que vous vous apprêtez à voir est un hommage à Aucune raison, cette figure de style d’une puissance fantastique.»

Lieutenant Chad

Le ton est donné et il est cohérent avec la gimmick du réalisateur ; faire du contemporain sans spécialement chercher du sens dans ce qu’il entreprend. Il n’empêche que l’on peut se poser la question ; quel sens y-a-t-il à faire un hommage à l’Aucune raison ? Aucun peut-être mais à m’y tenter, j’avancerais l’hypothèse d’une sorte de satire du cinéma en particulier américain, je m’explique ;

  • Le fait que l’« Aucune raison » soit traité comme une figure de style dont l’usage est d’accentuer un propos signifie qu’il y a bien un propos à traiter ici. Or un propos est un discours ayant un but fixe et il me semble que l’on ne se fixe pas de but sans raison.
  • Parmi les grands films cités en introduction, 4 sur 5 sont américains. Et en effet, l’influence du cinéma américain est majeure au point qu’il en mène encore aujourd’hui les tendances et codes.
  • Dans le même esprit, la réplique : « Tu peux si tu le veux mais c’est contre les règles », m’est apparue comme un manière de dénoncer le formalisme des productions cinématographiques.
  • La mise en abîme avec les spectateurs et le fait que l’un des comédiens déclare qu’ils ne sont pas dans la vraie vie tout en demandant à ses camarades de sortir de leur rôle est également un élément mettant en évidence le caractère irréel de l’histoire comme dans toute autre fiction.
  • Un autre point est le traitement des spectateurs, ils nous sont présentés comme des personnes crédules et voraces de spectacles. L’un d’entre eux, mécontent du manque d’action, ira jusqu’à directement s’en plaindre auprès des comédiens et leurs demandera d’accélérer les choses. Cette image peu flatteuse semble ici dénoncer le ridicule d’un public prés à se jeter sur tout ce qu’il leur sera proposé quand certains iront jusqu’à invectiver les réalisateurs lorsqu’un contenu ne répond pas à leur attente.
  • Enfin, le dernier plan du film présente une horde de pneus roulant sur une route menant vraisemblablement à Hollywood, l’iconique panneau étant bien mis en évidence au fond de la scène. Alors a priori, soit l’absurde s’apprête à lancer un assaut sur le cinéma américain trop fermé au concept, soit il s’agit d’une manière saugrenue d’expliquer pourquoi ça serait déjà le cas sans qu’il en ait conscience. L’inconscience serait appuyée par le fait que les comédiens à la fin croient que l’histoire est terminée, Robert le pneu et les spectateurs ayant été éliminés, mais à tort, l’irréalisme poursuivant son invasion en toute impunité.

L’aucune raison serait-elle donc à la fois une manière de lutter et le sujet de dénonciation contre des règles cinématographiques imposées par une hégémonie américaine ? Ou tout cela n’aurait-il réellement aucune raison ?

Solveig DUBOIS – DNMADe24HO – Octobre2022

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