Le luxe et le rap, oxymore ou pléonasme ?

Tout d’abord le hip-hop fait ses débuts aux Etats-Unis vers la fin des années 70. Cette musique est issue des ghettos noirs américains à l’époque des Black Panthers. Le rap apparaît en France au début des années 1980 dont la diffusion est alors limitée à quelques radios pirates.

Le rap est né dans un milieu précaire et dans un contexte de pauvreté, la notion de survie est associée à la quête du succès. Dans l’imaginaire collectif et dans le rap un certain schéma de réussite s’est installé: démonstration de bien matériel, objet superficiel et bijou brillant. Car qui dit succès dit argent à profusion et c’est là que la mode intervient. Porter de la marque et notamment du luxe est une façon pour les rappeurs d’exposer leur réussite mais aussi d’imposer leur crédibilité et leur puissance dans l’industrie; montrer l’argent qu’ils gagnent par leur style vestimentaire. Les acteurs qui ont accentué ce lien entre le luxe et le rap sont des artistes comme The Notorious B.I.G qui, lors des années 90, s’est démarqué en portant des smokings et des habits élégants qui crédibilisent la réussite dans ce milieu au yeux du grand public et une intégration dans la société. Le rap peut être une porte de sortie de la misère.

Image issue du clip « Hypnotize »de The Notorious BIG 1997

De nos jours ce schéma persiste et on pourrait même penser que le rap dicte les tendances. En effet de nombreux artistes sont connus pour leur musique mais aussi pour leur style, ils soignent leur apparence et sont habillés par les plus grands créateurs. Le rappeur marseillais SCH, est une référence dans le monde de la musique et de la mode, il est notamment invité au défilé Jacquemus ou pose pour Jean Paul Gaultier.  

Photo issue de la page instagram officielle de Jean Paul Gautier

Cette photo en dit beaucoup sur l’acceptation du rap dans notre société. Mais cette influence passe autant dans les paroles de leurs chansons que dans leurs clips, en 1994 le groupe I.AM avait cité le nom la marque de chaussures “Stan Smith” dans le couplet de la musique « Je danse le MIA » et quelques mois plus tard nous pouvons observer une montée en flèche des ventes de la paire de chaussures. Ce potentiel d’influence a été compris très vite par ces artistes, comme le rappeur Booba qui a été l’un des premiers français à créer sa marque de vêtements à son effigie dans les années 2010. Il a ensuite été suivi par tous les autres artistes qui, dès à présent, ont leur boutique en ligne et l’alimentent à chaque sortie d’albums. 

En parallèle on peut voir que dans les années précurseurs du rap beaucoup de marques de luxe ou de haut de gamme ne voulaient pas associer leur image à celle du rap. Nous pouvons nous appuyer sur la marque Lacoste aux débuts des années 90. Lacoste venait de commercialiser ses premiers survêtements, l’engouement n’était pas spécialement au rendez-vous. Étonnement, la hype autour des produits est apparu chez les breakeurs (danseurs) donc d’un milieu proche du rap. Suivi de près par des rappeurs tel que Arsenik.

Premier album des deux frères en ensemble Lacoste, 1998

Mais la marque a eu peur pour son image et ne voyait pas cela d’un bon œil. Lacostà refuse de collaborer avec le Ministère A.M.E.R, ce qui provoqua un léger déni de la scène urbaine envers la marque. Le retour de Lacoste dans le milieu urbain, date surtout du retour en force des friperies, ces magasins proposent des anciennes pièces de marques à des prix dérisoires. Le complet Lacoste est vite recherché et dans cet essor, le rap va se réapproprier le crocodile. Cette fois-ci la marque va y voir un potentiel économique intéressant, tout en laissant une certaine distance. La marque qui a été longtemps perçue comme l’image de la bourgeoisie, va finalement connaître un amour puissant par les classes populaires. Lacoste est, depuis 2010, de plus en plus porté dans le rap et de plus en plus cité par les artistes. Roméo Elvis va par ailleurs suivre le chemin d’Arsenik en adulant la marque et l’animal qu’elle représente. Lorsqu’il explosa récemment, c’est Moha la Squale qui fut le premier artiste a collaborer avec Lacoste. La collection a par ailleurs été sold out dès le jour de sa mise en vente. 

Rappeur Moha La Squale et sa collection avec Lacoste en 2018

Nous pouvons alors nous demander si c’est un comportement hypocrite, du business ou une prise de conscience. 

L’intérêt soudain du luxe au sein du rap est marqué en 2016 lorsque Dior collabore avec le rappeur A$ap Rocky, suivi d’une fusion entre Yves saint Laurent et Travis Scott ou même S.Pri Noir avec Cartier. Nous percevons que les créateurs ont pris conscience du potentiel d’influence des rappeurs. Tout d’abord car le rap est devenu le genre musical numéro un dans le monde, donc une fenêtre d’exposition intéressante. Mais aussi car le public du rap est réceptif et attaché à l’image des rappeurs. Une grande partie de leur audience est jeune, ils sont plus facilement influençables et en recherche de modèle. Tout cela suscite l’intérêt des marques: elles cherchent à toucher plus de consommateurs, à rajeunir leur public. 

Les collaborations sont toujours plus étonnantes comme le groupe de musique PNL qui dévoile la nouvelle collection du styliste Virgil Abloh dans leur clip AuDD, ancien directeur artistique de la maison Louis Vuitton avant sa mort et créateur de la marque Off-White. 

Les deux rappeurs PNL, entourent Virgil Abloh, 2019, vêtements issu du clip AuDD https://youtu.be/BtyHYIpykN0

Donc cela nous amène à nous questionner sur la valeur de ces relations, ce retournement de situation de la part des marques envers le rap est-il hypocrite ? Cela peut nous donner le sentiment que les marques s’approprient la culture du rap uniquement  pour la tendance. Mais est-ce réellement problématique? Nous pouvons penser que les rappeurs en profitent autant que les marques. En effet elles profitent d’un milieu qu’elles ont longtemps critiqué mais c’est aussi une façon de créer de nouvelles connexions. Mais d’un autre côté est ce que certaines marques de luxe ne seraient pas en train de tâcher leur image envers une partie de leur clientèle plus classique en voulant plaire à plusieurs univers. Car les rappeurs ont une communauté provenant en majorité des classes sociales populaires. Ce phénomène peut augmenter et favoriser la contrefaçon de vêtements de luxe pour être plus facilement abordable, perdre de l’authenticité. Comme nous avons pu le voir avec la maison Tiffany & Co avant d’être rachetée par LVMH en 2020, elle avait tellement baissé ses prix pour être accessible à un plus large public qu’elle en a perdu sa magie. Les prix étaient tellement bas, tel que le porte-clé à 150€ que les clients les plus aisés s’en sont désintéressés, la maison avait perdu son authenticité et son exclusivité. 

Ingrid Chausset Dnmade 15 Jo Février 2023

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