Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, vont se rencontrer au collège-lycée Carno à Paris en 1986. Ils se trouvent plusieurs passions communes, dont la musique. Ils en écoutent très souvent à tel point qu’ils décident de monter un petit groupe de rock avec un certain Laurent Brancowitz, qu’ils décident d’appeler « Darling’». Ils passent beaucoup de temps chez des disquaires, dont Daniel Dauxerre. Ils vont aller enregistrer et publier leur 45 tours qui est composé de 2 titres ; « Cindy so loud » et « Darlin 2 ». Ce groupe ne fait pas beaucoup de bruit en France, mais un peu en Angleterre, en tout cas assez pour que le magasine Mélodie Maker publie en 1993 un article sur les dernières créations des jeunes, dont celles de « Darlin’ ». Ils vont en faire une critique qui va rester dans la légende :
« The two Darlin’ tracks are a daft punky thrash called « Cindy So Loud » ( that’s the title and the sole lyric ), and a bizarre fuzz-guitar reading of The Beach Boys’ « Darlin’ ».
« Punk foireux, punk débile, punk stupide », qui va blesser les deux adolescents et mettre fin à leur petit groupe. Quelques années plus tard, ils découvrent les « ravers », les débuts de la musique techno, c’est nouveau, c’est frais, c’est de leur époque. Ils aiment, ça les inspire, ils vont vouloir explorer cet univers, et créer leur première maquette. Ils font partie de la génération issue de la scène électro-française, en être un de leur meilleur représentant à l’inter-national de ce que les gens ont appelé la « French-Touch ». Lors d’une « rave », d’une soirée, ils vont rencontrer quelques personnes qui gèrent un label écossais Duophonic, et vont leur faire écouter leurs maquettes. Ces derniers sont emballés par le talent et la détermination des deux amis, et en 1994 sort le premier projet, trois titres. Ils commencent à se produire en tant que DJ, et répondent maintenant sous le nom de « Daft Punk » pour faire un hommage à cette critique qu’il avaient reçue quelques années plus tôt. Il y a une effervescence autour d’eux, dans ce qu’ils proposent ; ils ont quelque chose que les autres n’ont pas, une rigueur, une inspiration, une technique. En 1995, tout commence à s’accélérer, on les appelle d’un peu partout, mais surtout ils sortent la musique « DA Punk » qui fait vraiment décoller leur groupe. Elle est jouée et écoutée un peu partout, en Europe, aux États-Unis, et mine de rien, ils ont déjà cette vision de l’international ; de la musique électronique, des titres en anglais, le fait de ne pas signer en France… ils ont aussi cet aspect avant-gardiste de créer leurs musiques dans leur chambre, leur appartement ; ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui le « Home Studio » !

Leur premier album d’ailleurs, qu’ils vont appeler « HomeWork » justement, va sortir en 1997 et va être distribué dans des dizaines de pays, et se vendre à plus de 2 millions d’exemplaires. Voyant leur notoriété monter, ils comprennent et se rendent compte qu’ils veulent se cacher le visage pour protéger leur vie, leur liberté. Pour conserver leur anonymat, ils n’ont pas encore l’idée des casques à cette époque, car leur succès arrive trop vite. Ils commencent donc à se cacher le visage lors d’interview ou de reportages avec des masques banals qu’ils trouvent dans des magasins. En gardant leur liberté, ils veulent gardent le contrôle.
Ce contrôle, ils le veulent depuis le commencement. Ils sont indépendants de l’industrie vorace de la musique, mais aussi entre eux ! Thomas Bangalter est le créateur du titre annexe « Music Sounds Better With You » qu’il a mis sous le nom d’un autre groupe créé exclusivement pour ce morceau : « Stardust ». Après l’explosion de leur premier album, ils vont trouver l’histoire parfaite à raconter ; Thomas nous dit « Nous n’avons pas choisi de devenir des robots. Il y a eu un accident dans notre studio. Nous étions en train de travailler sur le sampler quand, le 9 septembre 1999, à 9h09 très exactement, il a explosé. Quand nous avons repris conscience, nous étions des robots. » . Fasciné par toute cette technologie, ils vont décider de s’en imprégner afin d’être faits de métal et de son, tout comme leur musique. Cette décision va avoir plusieurs avantages :
- Ils rendent leur image et l’image de leurs albums intemporels
- Cela les protègent du « star-systèm » qu’ils refusent
- Ils gardent 100% du contrôle de leur image
- Et le choix de la voix robotique et du reste deviennent cohérent avec cette icône de la techno qu’ils représentent
Anti-systèmes, indépendants, ils deviennent donc des robots qui portent des jugements et des messages sur les êtres humains. Cela renforce leur pouvoir musical et c’est une position, qui artistiquement, est doublement impactante.

En 2001, ils décident de mettre la barre très haut et sortent leur deuxième album « Discovery ». Leur album (qui est vraissemblablement le plus culte) se vend avec une nouvelle tournure, un nouveau virage dans leur style musical en choisissant de se tourner vers des sons beaucoup plus pop et mélodiques qu’avant. Cependant, ils montrent toujours leur excellente maîtrise du « sampling ».

Malgré cet énorme succès, leur nom commence à s’effacer, et les projets qu’il sortent ensuite, comme leur album « Humain After All » en 2005 ou Électroma en 2007, vont beaucoup moins plaire à leur public. Ils décident alors de reprendre la scène et le live, chose qu’il faisaient beaucoup plus avant d’avoir cette notoriété. En 2006, ils commandent à tous les fournisseurs des États-Unis, et payent une vraie fortune des LED, jusqu’à ce qu’il y ait des ruptures de stock, pour créer d’immenses écrans géants lumineux. Ces écrans, ils vont les utiliser lors d’un concert inoubliable au Festival Coachella tout proche de Los Angeles. Ce concert marquera les esprits et redéfinira les codes des représentations musicales publiques, et même les boîtes de nuit jusqu’à aujourd’hui. C’est maintenant vu, revu, ancré dans nos habitudes, mais à cette époque, personne n’y avait encore pensé ; ils décident de mettre une claque visuelle, et une claque auditive en créant de toute pièce un immense remix de leurs trois derniers albums. Les Daft Punk sont de retour pour en mettre plein les oreilles mais maintenant plein la vue.

Pour ce qu’il s’ensuit, ils vont décider de collaborer avec un orchestre et donc de revenir à cette industrie de la musique qu’ils critiquaient jusque là. En 2013, ils annoncent leur 4ème album : « Random Access Memories ». Ils réalisent leurs rêves de gamins en travaillant avec des grandes figures de la musique et en faisant hommage à de nombreux noms. Les années s’accélèrent ensuite, et ils vont réaliser encore d’autres nombreuses collaborations, pour finalement se séparer le 22 février 2021.
Après leur annonce par le biais de l’extrait du film « Électroma » ; on peut dire que « la boucle est bouclée ».
En effet, ils incarnent cette image de robots, de casseurs de codes, d’avant-gardistes, mais en même temps, de rêveurs. Ces rêveurs ont pu passer de samples d’artistes qu’ils admiraient réalisés dans leur chambre, avec qui ils ont fini par travailler des années plus tard. Ils s’apparentent à réaliser un rêve, à l’ambition d’une vie, d’une passion qu’ils ont pu mener jusqu’au bout en imposant leur vision des choses, en restant fidèles à eux mêmes du début à la fin. Nous pouvons les remercier de laisser derrière eux ce bel héritage musical, et d’ainsi nous montrer que malgré le succès, la notoriété, on peut tout à fait faire des choix qui vont, soit, impacter notre vie (positivement ou négativement d’ailleurs ) en gardant nos valeurs, en gardant ce pour quoi nous avons commencé. Ce n’est pas une recherche du meilleur projet, du meilleur tube, de la meilleure idée, mais simplement deux amis qu’on a critiqué avec de la pure méchanceté dès leurs débuts, et qui ont su montrer de quoi ils étaient capables. Cette moquerie qui les a détruits ils l’ont travestie et en ont fait une icône mondiale gravée dans l’histoire de la musique, ce qui est une belle revanche et une belle fin d’histoire en soi.
Esther Loras, DNMADe2Jo, décembre 2022