L’art brut alias « L’art des fous »

L’attrait pour la folie, est depuis longtemps romantisé par l’art. La folie symbole d’imaginaire développé et décomplexé, et pourtant celle ci ne suffit pas à définir l’acte de création.

Le lien entre l’art brut et la folie se veut étroit, car tout être jugé « fou », « aliéné » ou « différent » au XIXème siècle et une bonne partie du XXème siècle aussi, sont expédiés en asile, lieu d’émergence des premières productions issues de la pulsion créative à l’état pur ; c’est donc ces personnes qui sont à l’origine de cet art, prénommé auparavant « l’art des fous ».

L’intérêt pour les créations graphiques et picturales des aliénés, se lit dans les ouvrages des psychiatres français dans les dernières décennies du XIXème siècle.

Wölfli, Adolf - Les onze fleurs, 1922

« Bien que l’attention n’ait été jusqu’ici fixée que sur les écrits des aliénés, je ne crains pas de dire que l’on rencontrera souvent un intérêt réel à examiner les dessins et les peintures faites par les fous. Que l’on combine par la pensée, que l’on imagine par la fantaisie, les choses les plus impossibles, les images les plus bizarres, on n’arrivera jamais à l’espèce de délire qui se peint sur la toile ou sous la main de l’aliéné, à ces créations qui tiennent du cauchemar et donnent le vertige. » Ambroise Tardieu, Étude médico-légale sur la folie, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1872, p. 610.

Wölfli, Adolf – Les onze fleurs, 1922

Le terme « d’art brut », apparaît seulement le 28 août 1945, lorsque le peintre Jean Dubuffet baptise cet art, qu’il collectionne depuis déjà plusieurs années, un art qui comprend à la fois l’art des fous et celui des marginaux de toutes sortes, tels que des prisonniers, des anarchistes ou des révoltés.

Malgré ça, Dubuffet établit que ce n’est pas la folie en soi qui donne sa valeur à l’œuvre, mais plutôt la force d’expression et l’extrême nouveauté qui la constitue.

« Le vrai art est toujours là ou on ne l’attend pas. Là ou personne ne pense à lui, ni ne prononce son nom. » J.Dubuffet

Comme Prinzhorn, il n’assimile pas les actes créatifs des malades à la dégénérescence de leur esprit. Au contraire, il est persuadé qu’ils sont plein d’enseignements sur le processus de créativité, moins bridé chez les malades que chez les personnes saines

L’art brut se place en contradiction avec l’art culturel : le mimétisme de la nature et des grands maîtres, n’y ont pas leurs places ; pas de style défini, de techniques ou encore de théories communes aux artistes bruts.

Willem Van Genk – Leningrad, ca. 1955

Souvent considéré comme relevant d’un art-thérapie, car cet art se veut libérateur, quelle que soit la nature du déséquilibre intérieur ; comme une marginalité sociale, un isolement ou enfermement, physique ou mental, un côté obsessionnel voir maniaque dans l’œuvre.

L’objectif est d’utiliser la création au sens large, afin de dévoiler les problématiques profondes de l’individu, ses douleurs, ses violences et ses contradictions, et peut être le conduire à une transformation positive de lui-même.

Tiphaine Dausseing, DNMADEJO2 – Décembre 2022

Quand la nature sublime la rouille

L’exploration urbaine, plus communément appelé Urbex, qui se définit comme étant une visite sans autorisation des lieux délaissés ou abandonnés, d’après plusieurs pratiquant.es, l’exploration des lieux abandonnés était, est, et sera toujours quelque chose qui perdurera, le plus longtemps que l’Homme décidera d’abandonner des bâtisses et autres bâtiments.

Grâce ou à cause des réseaux sociaux (à vous de juger), l’engouement autour de cette activité est grandissante, malgré la médiatisation de celle-ci, qui possède ses propres principes, ainsi qu’un code de conduite visant à préserver les lieux et les protéger au maximum, entre photographes, youtubeurs, amoureux d’histoires, et autres adeptes passionnés, la non-diffusion des coordonnées des spots* est une règle d’or dans cette discipline, afin d’éviter d’attirer les voleurs, les casseurs ou même les squatteurs, mais aussi par respect pour les propriétaires.

Alice Van Kempen, FURBEX

Pourquoi apprécier cette discipline?

D’abord il y a l’aspect historique des lieux, qui est étroitement lié à la temporalité, les lieux peuvent être abandonnés depuis des années ou des mois, les urbexeur.ses sont toujours en admiration sur ces lieux dans lesquels le temps semble s’être arrêté. Éprouvant une nostalgie du présent, qui suspend le temps pour celui qui l’observe, un décor actuel mais plongé dans le passé. De plus, nous avons les adeptes de l’aspect esthétique, des lieux chargés d’histoire, de détails, d’objets qui méritent d’être photographiés, ou d’être scénarisés à des fins cinématographiques, et d’autres domaines pour les plus créatifs.

Dominique Hermier, urbexeur et graphiste, nous montre comment il lie ses deux univers pourtant très différents : « En tant que graphiste et directeur de créa, faire se télescoper des univers de pop-culture et photographiques, cela crée des chocs « philoso-graphiques », […], l’urbex est souvent abordée par les photographes, soit sur l’aspect esthétique et historique avec de très belles réalisations photographiques qui montrent le travail du temps et de l’abandon, soit comme support pour des mises en scène avec modèles ravissants et accessoires travaillés. Rarement le volet social et marketing sont mis en avant, et c’est dommage, car c’est l’occasion de montrer notre société sous un angle différent, tout en posant des questions avec un autre vocabulaire graphique. J’ai voulu imaginer la fusion du marketing et de l’urbex… »

L’exploration urbaine à la sauce « Ikea » : que découvriront les urbexeurs de demain ?

Après cette brève information ré-créative, revenons aux différents attraits de cette discipline.

Pour nous, dans cette société, nous avons facilité à imaginer une ville, une usine, un lieu, mais s’y rendre c’est en prendre possession, c’est retrouver un autre rapport à soi par rapport aux objets, se rendre compte à quel point la matérialité des choses est si dérisoire pour l’Homme, du jour au lendemain, un lieu peut être abandonné, pour un manque d’engouement pour celui-ci, un départ en catastrophe, ou seulement parce qu’il ne génère plus d’interactions sociales, ou économiques.

Je ne vais pas vous faire tout un dépliant sur le pourquoi du comment l’Urbex est appréciable, mais n’oublions pas la satisfaction de voir que dans certains lieux abandonnés par l’Homme, la nature reprend ses droits, prenant le contrôle sur les structures, les recouvrant de feuillages, c’est un mélange qui donne place a une magie inédite.

Si vous êtes intéressé.e pour essayer, n’oubliez pas de vous renseigner avant toute chose sur les lieux, de vous faire accompagner de personnes bienveillantes et de confiance, évitez de vous mettre dans de mauvaises situations, s’il n’y a aucun accès vers l’intérieur, admirez l’extérieur. L’adrénaline peut être un sentiment addictif, mais autant positif que négatif, le bon sens et le respect du lieu sont de rigueur, c’est une discipline dangereuse et illégale, c’est quelque chose à prendre en compte dans certaines situations. 

Tiphaine Dausseing, DnMade Jo 14 Avril 2022

 

Boy Erased ou (le) Garçon Effacé

Un début qui nous plonge parfaitement dans l’effacement des personnalités qu’emmène le titre, par ces descriptions étonnantes de ce que doivent être un homme et une femme :

« Hommes : chemise obligatoire, y compris pour dormir. Tee-shirts sans manches (débardeurs ou autres) interdits, même en sous-vêtements. Rasage obligatoire tous les jours. Les pattes doivent s’arrêter au sommet de l’oreille. »

« Femmes : soutien-gorge obligatoire, sauf pour dormir. Jupes jamais au-dessus du genou. Débardeurs acceptés uniquement sous un chemisier. Jambes et aisselles rasées au moins deux fois par semaines. »

Nous remarquons bien à la lecture que Garrard Conley a fait de son livre une reconstitution des événements afin de s’en délivrer, sa nécessité de coucher sur le papier ce qu’il a vécu nous vaut de nous perdre un peu au fil des phrases.

La découverte d’un livre où la chronologie n’est pas toujours respectée, on suit une ligne directrice : son arrivée à Love In Action (LIA), le centre de conversion, jusqu’à son départ de l’établissement. Cette période de deux semaines est coupée par de nombreux flash-back sur les autres périodes de sa vie. Des retours en arrière sur des traumatismes vécus lorsqu’il était encore adolescent, ou encore de la place de l’Église dans sa vie.

Garrard Conley, fils d’un pasteur d’une Église baptiste conservatrice, sait que quelque chose cloche chez lui, il est attiré par les hommes, mais essaie d’étouffer ce sentiment. Pour cela, il a eu une copine, l’a embrassée, mais il reste gêné par la situation, ne parvenant pas à mettre de mot là-dessus. Séparé de sa famille pour l’université, c’est l’un de ses camarades, assez proche intimement qui l’a outé* à ses parents. Cette terrible nouvelle amène ses derniers à trouver la solution de la thérapie de conversion, pour le «guérir», Garrard veut changer, veut se purifier.

Au départ, le jeune homme est donc volontaire pour ce changement, il donnerait tout pour trouver grâce aux yeux de Dieu et de ses parents, nous montrant bien que l’éducation qu’il a reçu a un rôle important. Dans le centre LIA, il n’est question que du message de Dieu, la Bible fait loi : tout est interdit, ou presque ; au travers d’ateliers de groupe où chacun doit confesser ses «mauvaises pensées», «ses péchés», il convient de se renier soit même, de renoncer à son individualité, à sa personnalité pour accéder à la «normalité» et au message de Dieu. La thérapie de conversion à laquelle Garrard est confronté joue sur le dégoût de soi, sur la honte, il s’agit de renier ces «déviances», la torture morale et le regard des autres a une place importante dans le changement. Profondément attaché à ses parents et soucieux de se conformer à l’image du fils idéal qu’ils voudraient avoir, Garrard se soumet à cette thérapie de conversion avant de réaliser, en s’éloignant alors peu à peu de « la parole de Dieu », qu’il lui est impossible de changer et de renoncer à être enfin lui-même.

C’est un récit particulièrement difficile à lire, autant pour ses perturbations chronologiques que pour son contenu brut et poignant, qui d’ailleurs a été adapté au cinéma en 2019, réalisé par Joel Edgerton, regroupe de grands acteurs, comme Nicole Kidman, Lucas Hedges, ou encore Russell Crowe.

Le fait d’être immergé avec tous ces jeunes et moins jeunes au sein de cet établissement dont l’enjeu est de modifier leur orientation sexuelle va nous permettre de vivre une véritable horreur, dont le programme et ses méthodes s’apparentent à de humiliation et de la torture morale.

Ce film est poignant est compliqué à visionner, du moins pour certains, vous êtes avertis, mais je vous encourage à aller le voir ou à lire le livre, je vous laisse avec la bande annonce, afin de vous donner un ordre d’idée dans quoi vous vous lancez !

T. Dausseing, DNMADE Jo 14, Février 2022.

Un vice particulier pour les portes…

Bella Foxwell - @thedoorsofldn Obsession des portes
Bella Foxwell – @thedoorsofldn Obsession des portes

Vous allez vous dire, pourquoi les portes, quel est l’intérêt ? Il est temps de vous ouvrir les yeux sur les pépites du quotidien, je suis certaine qu’après avoir lu cet article, vous allez vous surprendre à mater des portes, des lampadaires ou des façades.

« A mon plus grand désespoir, je me suis découvert une attirance photographique pour les portes et les fenêtres. Ne cherchez surtout pas à savoir pourquoi, vous prendriez peur ou tomberez vite dans le jugement. Aller savoir ça vient peut-être d’une curiosité malsaine, d’un plaisir tordu a m’introduire dans l’intimité des gens. » Celine Cotinat.

Cette phrase colle parfaitement à l’incompréhension de cette lubie qu’est d’aimer les portes, à mon avis chercher à comprendre d’où peut venir ce vice est peine perdue, et dénaturerait complètement le fait même d’aimer cela. Lorsque vous possédez un vice atypique, ne vous posez pas de trop de questions, et n’y réfléchissez pas, le principal est que ça vous satisfasse, et pas forcément aux autres, alors pourquoi vouloir sans arrêt justifier ses envies ?

Andre Vicente Goncalves @andrevicentegoncalves Obsession des fenêtres

Il s’agit de dénicher des pépites auxquelles personne ne prête attention, afin de satisfaire son œil et son… vice. Il s’avère que certains vices sont faciles à satisfaire, l’intérêt ici, c’est que d’une ville à l’autre, l’architecture ne se ressemble pas, la diversité qu’apporte cette lubie est incroyable. Entre les différentes palettes de couleurs, le temps qui passe, laissant une trace sur certaines façades, ce sont ces détails qui font la beauté d’une photographie. Elles racontent toutes une histoire d’une certaine manière, cela attise l’imagination, nous laissant libre court d’écrire le scénario.

T. DAUSSEING – DNMADE14JO – Déc 21

« Piqué à la main »

Le Handpoke est une technique d’encrage de la peau qui n’utilise pas de machine électrique, il suffit d’être muni d’un outil aiguisé et pointu qui va être manipulé à la main, en n’oubliant pas qu’il y a des conditions d’hygiène à respecter.

Cet art allie patience et savoir faire, afin d’obtenir un tatouage, le tatoueur y va point par point, contrairement à la machine, c’est le geste du tatoueur qui maîtrise la profondeur de l’aiguille, l’angle de pénétration, la force et la rapidité, l’handpoke nécessite une vraie dextérité.

Le handpoke datant du début de la civilisation humaine, est souvent assimilé à ses prédécesseurs, comme le tatouage dit Tebori, qui est une technique traditionnelle japonaise d’ancrage piqué a la main, à l’aide d’une aiguille en bambou ou en acier, ou le tatouage traditionnel polynésien, dit Tatau signifiant « dessin inscrit dans la peau », réalisé à la main. Les outils qui seront utilisés, auront été au préalable sculptés par le tatoueur, dans de l’os ou de l’ivoire, cette technique est accompagnée de prières, le tatouage sera plus considéré comme un rituel, plutôt qu’un apport esthétique.

L’artiste utilisant cette méthode, sait qu’il est compliqué de réaliser certains motifs, comme les ombrages, les dégradés lisses ou les mélanges de couleurs, ce qui exclut les aplats de noirs sur une grande surface, évidemment ça n’est pas impossible, avec de la patience et un travail précis.

Une machine électrique pique à une plus grande vitesse que les mouvements de la main du tatoueur, demandant plus de temps, mais pour une douleur minime contrairement à la machine. Les idées préconçues sur la technique du handpoke se multiplient, mais cette pratique fait généralement moins mal, car la vitesse de pénétration de l’aiguille dans la peau est plus douce, permettant de moins l’agresser. Cette manière de tatouer est donc plus souvent utilisée pour ancrer les parties les plus sensibles du corps, comme les mains, les doigts ou les pieds, engendrant moins de rougeurs, et de gonflements, la cicatrisation est plus douce et plus nette.

Le handpoke reste une façon de tatouer qui possède une identité visuelle, l’outil a en quelque sorte créé un style d’ancrage propre à lui-même, tout le monde ne va pas être attiré par cet art, préférant le tatouage à la machine qui reste pourtant une technique plutôt impersonnelle. Souvent nous choisissons un certain artiste pour ses qualités graphiques, tandis que l’handpoke est un art qui parle de lui-même qui pousse ceux qui le pratiquent à redoubler d’imagination et d’inventivité pour créer, permettant à la société de redécouvrir cette technique vintage, et surtout de ne pas perdre ce savoir-faire.

Dausseing Tiphaine, DNMADE1JO – Oct. 21