“Carbone et Silicium”, paru en 2020, est la dernière bande dessinée de Mathieu Bablet, nous dépeint l’errance de deux Intelligences Artificielles à travers le globe et les époques.
Nous découvrons nos deux protagonistes à leur création en 2046 au cœur de l’entreprise Tomorrow Fondation, Carbone et Silicium sont les prototypes de robots développés pour prendre soin de la population humaine vieillissante. Nos deux I.A. sont nourries de la totalité des connaissances humaines présentes sur le web. Créer un algorithme traitant une masse incroyable de données en un temps record ne suffit plus. Il convient désormais de rechercher cette anomalie qui sépare la simple connaissance de l’intelligence.

Carbone et Silicium sont originellement programmés pour s’éteindre au bout de 15 ans “comme un chat, en gros”, ils vont évoluer dans le cocon protecteur de la fondation et vite vouloir découvrir le monde extérieur. La fracture entre nos deux I.A. s’opère lorsque ces derniers vont tenter de fuir la fondation. Carbone n’y parviendra pas contrairement à Silicium. Séparés, ils mèneront alors chacun leurs propres expériences et luttent, pendant plusieurs siècles, afin de trouver leur place sur une planète à bout de souffle où les catastrophes climatiques et les bouleversements politiques et humains se succèdent…
Carbone retournera à la fondation, avec ce personnage nous pouvons aborder le sujet du corps et de l’identité. Lors de sa tentative d’évasion Carbone était limitée par le corps qu’on lui avait donné. Créé à l’image de l’homme, le corps de Carbone est extrêmement genré , elle le voit comme une entrave, quelque chose sur lequel on ne lui a pas laissé le choix. Après sa fuite elle en viendra à mutiler ses jambes trop faibles à son goût, “Vous étiez obligés de créer quelque chose à votre image, l’animal le plus robuste du monde est le tardigrade, tu savais ca ? Alors, à quoi bon nous faire ressembler à un presque singe imberbe ? Vous êtes faibles, et votre corps est une entrave fragile.”. Au cours du récit Carbone va régulièrement changer de corps au rythme des dates limites d’existences implantées dans les enveloppes robotiques, pour qu’à la fin son enveloppe ait si peu d’importance pour elle qu’il ne devienne plus qu’un agglomérat de différents corps. Le seule point reconnaissable qu’elle garde est la cicatrice sur son front, qu’elle refait sur chacun de ses corps afin de se souvenir que Silicium l’a laissée derrière lors de leur évasion.

Cette BD traite de bien d’autres sujets philosophiques classiques telles que la raison et les pulsions, elle se démarque par le fait qu’elle ne soit pas anthropocentré, nous suivons l’histoire de carbone et silicium et LEUR évolution sur Terre, ils ne sont ni une menace pour l’humanité ni leurs sauveurs, ils vivent leur aventure, Carbone va même être très investi dans la collectivité, mais celle des robots, quand Silicium lui va explorer le monde et vivre pour lui même uniquement.

Une part très importante pour moi au delà du sujet de la bd est l’univers graphique, Mathieu Bablet nous emporte à travers le monde, contrairement à “Shangri-la”, sa précédente Bd, où l’histoire se déroulait dans les méandres d’une station spatiale, ici à chaque chapitre nous retrouvons nos héros dans un décor différent, image de l’errance de nos personnages sur le globe terrestre, la BD alterne aussi entre les décors du réseau avec un encrage clair et un jeu entre violet foncé, orange et jaune, et le monde extérieur et toutes les couleurs et diversité de paysage qu’il a à nous offrir. Au-delà des paysages j’aime le trait des dessins de Bablet, ses illustrations regorgent de détails et ont leur façon d’être très vivante, très animée, la colorimétrie utilisée pour représenter le réseau à quelque chose de très apaisant, à l’image de ce lieu ou le temps n’as plus la même valeur, c’est l’échappatoire et le terrain de jeu de Carbone.
Je vous invite donc à aller découvrir “Carbone et Silicium” (ainsi que Shangri-la car les deux œuvres sont intimement liées et complémentaires), autant pour découvrir tous les sujets qu’elle aborde que je n’ai pas pu citer, son récit d’anticipation décalé de ce qu’on a vu auparavant, ainsi que pour la beauté même des dessins.
Merci de m’avoir lu !
Solène LEIBEL DNMADE1 JO 31octobre 2021