Le carton est connu pour son utilisation quotidienne dans les déménagements, les rouleaux de sopalin ou encore les boîtes de céréales. Mais saviez-vous que ce matériau très commun faisait également un carton dans le domaine du luxe ?
« Le carton est l’équivalent en volume du crayon »
Eva Jospin

A l’origine une question économique et une volonté de ne pas avoir de limite en terme de taille, l’utilisation du carton se révèle une solution pour Eva Jospin, artiste plasticienne parisienne. Son travail nous interroge sur la place accordée au matériau dans la valeur d’une œuvre. En effet, le carton est peu coûteux et permet à l’artiste d’expérimenter de nouvelles choses sans appréhender l’erreur contrairement aux sculptures sur marbre. Munie d’une scie et d’une fraise, l’artiste recrée des architectures et des jardins baroques dans une profusion de détails malgré la grande échelle de ses œuvres pour captiver l’œil.

“Je veux que le regard se promène et se reprenne plusieurs fois”
Eva Jospin réalise un véritable travail d’orfèvre où chaque élément de carton est transformé minutieusement en trésor. Surnommée la “dentellière du carton” l’artiste déploie beaucoup de précision pour creuser ses décors et apporter de la texture à ses œuvres uniques. “Ma forêt est totalement mentale” affirme-t-elle. A la fois onirique et mystérieux, son travail reflète des préoccupations humaines comme se perdre et se retrouver, évoque le rapport à l’enfance et aux peurs. L’utilisation d’un matériau monochrome lui donne la liberté de surcharger les détails et d’aller vers l’ornementation.

La forêt symbolise un monde infini et contemporain car nous avons conscience de leur rôle. Elles sont aussi omniprésentes dans les contes qui ont traversé l’histoire et nous inspirent l’inquiétude et la fascination. Les éléments d’architecture permettent d’habiter les œuvres et de se projeter à l’intérieur. Ses forêts sont si profondes et mystérieuses qu’elles donnent le sentiment de se prolonger derrière le cadre. Le travail de l’artiste est fait d’un jeu d’illusions : la métamorphose du carton dans ses œuvres le subliment tandis que l’accumulation des éléments divers créent un relief visuel imposant. C’est en s’approchant que l’on distingue la colle et les cales.
Même si Eva Jospin a reçu le nouveau prix Art éco-conception de Art of Change qui encourage les artistes qui produisent des œuvres en respectant l’environnement, elle laisse planer le mystère sur la visée de ses œuvres. Eva Jospin ne se revendique pas comme écologique car elle ne souhaite pas que ses créations deviennent politiques. Ses œuvres en carton renvoient à la symbolique de ce matériau si présent qu’elle rend inspirant. Eva Jospin ne souhaite pas retranscrire de message spécifique à travers ses œuvres si ce n’est de nous faire rêver car elle estime que “ce serait réducteur”.

« L’oeil ne regarde jamais la même chose »
Pour mener à bien ses travaux, l’artiste travaille avec une équipe dont l’effectif varie en fonction de la quantité de travail nécessaire. Cela permet de ne pas craindre le temps essentiel dans la création de ses oeuvres.

Eva Jospin ne se laisse pas non plus impressionner par la dimension de ses créations auxquelles elle n’hésite pas à donner un aspect monumental tant par leur échelle que par le travail laborieux pour y parvenir. Le panorama qu’elle nous offre dans la cour carrée du Louvre montre l’ampleur de ses efforts pour retranscrire un décor dans lequel on s’immerge entièrement et donner une texture au carton proche de sa nature d’origine.
Cette recherche de perfection du détail est appréciée par Maria Grazia Chiuri qui laisse Eva Jospin constituer le décor du défilé printemps-été 2023 pour Dior. L’artiste crée une grotte baroque dans laquelle le carton devient une matière organique extraordinaire. On retrouve les thèmes de la Renaissance, les jardins baroques italiens et les grottes naturelles qui sont chers à l’artiste. L’installation est baptisée Nymphées et évoque de façon poétique les métamorphoses de la nature. Les architectures d’Eva Jospin mettent en avant la collection Dior grâce à la majesté qu’elles imposent à l’œil sans toutefois monopoliser l’attention grâce au matériau monochrome. La finesse du décor et des sculptures ennoblit le carton qui se révèle un matériau digne d’être exposé au grand jour.
Adèle Chesneau – DNMADE1 JO avril 2023
SOURCES :
https://www.gazette-drouot.com/article/eva-jospin-l-esprit-de-la-foret/29494