Dans une ville où le peuple vit à 100 à l’heure, les passants se bousculent tel un jeu d’acteur. Les métros remplis passent toutes les 3 minutes et nous emmènent à Guimet devant les volutes. En entrant dans cette salle silencieuse, nous apercevons des sculptures somptueuses. Fascinées par les couleurs des patterns de pierres, elles nous transportent en Asie vers une nouvelle ère. Après avoir monté les marches d’un étage, c’est au Sud-Est que se poursuit notre voyage. La pièce commence par des toiles pâlichonnes, observant des scènes de kabuki nipponnes.

Les tableaux représentent des pièces du Nō, qui est une forme de théâtre japonais reconnue par l’UNESCO. Elle était à l’origine destinée à l’aristocratie du Japon, contenant des danses et des chants nippons. Il y a sur le mur des masques du théâtre Nō qui datent de l’époque d’Edo (1603-1868). Ils étaient conçus en bois, recouverts de peinture, pigments et protégés par une laque pour bois. Leur particularité est de refléter la lumière, permettant de créer des expressions et des nuances de caractères.

Masque de Nō, Hannya : en Bois et pigments réhauts d’or.
Époque d’Edo (1603-1868). Disponible au mnaag de Paris.
L’un d’eux s’appelle Hannya, et la légende raconte que le fantôme d’une femme triste est revenue sur terre pour accomplir son désir de revanche. Elle reflète la colère et la jalousie, que l’on retrouve dans les crimes passionnels, liées à l’homme et ses états émotionnels. Nous pouvons facilement reconnaître Hannya sur un masque, on l’identifie grâce à son sourire effrayant. Sa mâchoire carrée et son regard expriment la douleur et la rage. Elle représente le strict contraire d’une personne sage. Dans le théâtre Nō, nous pouvons la retrouver sous trois formes, en fonction de sa jalousie et son animosité :
Hannya Namanari, de forme humaine, elle possède des petites cornes. Cette Oni utilise la magie noire pour se venger.
Hannya Chunari, est plus puissante, car elle utilise à plus grande échelle la magie noire. Elle ressemble à un démon avec des cornes, et possède des dents pointues. Pour la sauver, il faut exercer des prières bouddhiques.
Hannya Honnari, elle est la plus puissante et redoutée. Son corps prend la forme d’un serpent, sa langue devient fourchue, ses doigts sont telles des griffes acérées et elle a la possibilité de cracher du feu. Cette démone à l’origine une femme ne peut désormais plus être sauvée.

Dans le Nō, les acteurs costumés s’amusent avec l’inclinaison du masque pour exprimer les deux facettes du personnage. Vers le bas, le visage parait envahi d’une tristesse, alors qu’en face du public, le masque transmet un sentiment terrifiant, et satanique. Dans les spectacles Nō, Hannya est utilisée pour représenter une femme jalouse, en colère, et blessée qui est entrée dans un état de folie jusqu’à en devenir démoniaque. Les principales causes de sa démence, sont un amour non partagé, un mari infidèle, violent ou désintéressé par son amour.
Nous la retrouvons dans le folklore, qui inspire les créateurs dans le cinéma, le jeu vidéo, dans l’art du tatouage, le manga…

19-20ème siècle
Dans cet article, Hannya n’a pas été choisi au hasard. Elle montre la perception nippone de la colère et jalousie féminine, qui d’après la légende terrifie, et doit être soignée par des prières bouddhistes. En occident, et plus particulièrement en France, les sorcières s’apparentent à ces démones japonaises. À votre avis, pourquoi le monde a-t-il eu besoin d’assimiler les émotions et états physiques des femmes à des entités maléfiques ?
Mia BONNETTI DNMADe 24 Ho – Avril 2023