Journal d’un fou

Le Horla… un titre qui vous évoque surement des souvenirs du collège et des lectures obligatoires en classe de français. Rassurez-vous, pas de dissert ou de fiches de lecture cette fois, dépoussièrez vos recueils et bonne lecture !

Le Horla est une nouvelle de Guy de Maupassant, un écrivain du 19e siècle qui a marqué l’histoire de la littérature, mais ça vous le savez surement déjà. La nouvelle relate, sous la forme d’un journal intime, la vie du narrateur. Du 8 mai au 10 septembre, ce dernier couchera ses pensées et inquiétudes sur le papier, tentant de déterminer la nature de ses angoisses : folie ou surnaturel ?

En effet, un mal inconnu inexpliqué par les médecins le ronge et prend la forme du Horla, entité invisible et malveillante. C’est une des premières nouvelles qui évoque les troubles psychiatriques d’un point de vue interne, on rappelle que le fou est humain. 

Le narrateur semble répondre, dans son monologue intérieur, à la question précédente :

 “depuis que l’homme pense, depuis qu’il sait dire et écrire sa pensée, il se sent frôlé par un mystère impénétrable pour ses sens grossiers et imparfaits, il tâche de suppléer par l’effort de son intelligence, à l’impuissance de ses organes. Quand cette intelligence demeurait encore à l’état rudimentaire cette hantise des phénomènes invisibles a pris des formes banalement effrayantes. Delà sont nées des croyances populaires au surnaturel, les légendes des esprits rôdeurs, des fées, des gnomes, des revenants, je dirais même la légende de Dieu […]”

À l’époque où la science se penche à peine sur la psychopathologie, cette nouvelle explore les mystères de l’esprit humain et la fine limite entre fantastique et inexpliqué. Les histoires fantastiques prenant en compte les avancées scientifiques incomplètes de l’époque, y mêlent une part de surnaturel. Le narrateur semble parfaitement rationnel et lucide quant à la tendance de l’Homme à expliquer l’inconnu par le prodigieux pourtant…

Le Horla « Hors » et « là », le personnage à l’image de son nom est un paradoxe.

Il est important de savoir que Maupassant écrit cette nouvelle en étant déjà victime de troubles psychologiques causés par la syphilis. Ces écrits sont pour lui une façon d’analyser la folie qui l’entoure et le mal dont il s’inquiète de souffrir. Penchons-nous un court instant sur les phénomènes parfaitement explicables à l’aide des clefs que nous procurent les avancées scientifiques de notre époque.

Le narrateur dans un demi-sommeil :

 “je veux crier – je ne peux pas – je veux remuer – je ne peux pas – j’essaie avec des efforts affreux en haletant de me tourner de rejeter cet être qui m’écrase et qui m’étouffe – je ne peux pas”

Si vous l’avez déjà vécu vous reconnaitrez, par cette description précise, un épisode de paralysie du sommeil mais ce n’est là qu’un exemple, nombre de troubles sont dépeints ; Dépression (autrefois appelée mélancolie), paranoïa, dédoublement de la personnalité et hallucinations. Le Horla, créature parasite qui s’empare de la vitalité de ses victimes durant leur sommeil serait à l’origine de tout cela ? Le narrateur apprend dans la “Revue du monde Scientifique” que la créature sévit au Brésil, elle serait donc bien réelle ? L’auteur met le lecteur dans une position inconfortable, le doute s’installe. En jouant ainsi avec le lecteur Maupassant ne nous permet pas uniquement de nous identifier au narrateur, mais il nous emmène en 1887 et nous place au cœur des débats scientifiques de l’époque. En effet la nouvelle par son ambiguïté, les illustre à merveille et ceci s’explique par l’intérêt de l’auteur pour les différents travaux sur le sujet.

À cette époque, le monde scientifique c’est scindé en deux puisque deux médecines débattent : Spiritualisme et Organicisme. Pour faire court, le médecin spiritualiste expliquait les maux par des entités indépendantes de la matière et dont l’existence ne peut être prouvée (des entités comme le Horla). Tandis que le médecin organiciste suivait la doctrine d’après laquelle toute maladie a son origine dans la lésion d’un ou plusieurs organes, l’anatomie prime.

Notre narrateur semble osciller entre les deux médecines, il imagine le Horla mais, néanmoins, va chez son médecin et suit les prescriptions de ce dernier.  Ainsi, Le Horla se place en tant que reflet de la communauté scientifique de l’époque, il augmente la condition du fou en l’humanisant et développe les idées fortes des courants de pensée du milieu du 19e en les opposant avec habileté.

Les classiques sont parfois considérés comme un peu rebutants, compliqués ou trop datés… Mais ils s’avèrent souvent absolument passionnants et chargés d’histoire !

Merci de m’avoir lu 🙂

Lucie Garcia- DNMADE14Jo- Dec. 2021