L’ami Jacques BREL
11 10 2008 UN ENFANT
Un enfant
Ça vous décroche un rêve
Ça le porte à ses lèvres
Et ça part en chantant
Un enfant
Avec un peu de chance
Ça entend le silence
Et ça pleure des diamants
Et ça rit à n’en savoir que faire
Et ça pleure en nous voyant pleurer
Ça s’endort de l’or sous les paupières
Et ça dort pour mieux nous faire rêver
Un enfant
Ça écoute le merle
Qui dépose ses perles
Sur la portée du vent
Un enfant
C’est le dernier poète
D’un monde qui s’entête
A vouloir devenir grand
Et ça demande si les nuages ont des ailes
Et ça s’inquiète d’une neige tombée
Et ça croit que nous sommes fidèles
Et ça se doute qu’il n’y a plus de fées
Mais un enfant
Et nous fuyons l’enfance
Un enfant
Et nous voilà passants
Un enfant
Et nous voilà patience
Un enfant
Et nous voilà passés.

Merci, Ostiane pour cet hommage au grand Jacques.
Je me suis souvent servi de ses chansons, particulièrement « Les vieux », afin de sensibiliser mes élèves au sort des personnes âgées. Chanson couplée au magnifique fabliau : La couverture partagée.
Brel, c’est un ami de quarante ans, depuis ma première écoute de : « Il nous faut regarder… »… en 1958 et en 45 tours !
http://www.clg-doisneau-gonesse.ac-versailles.fr/spip.php?article206
Une version assez littéraire du fabliau qu’il vaut mieux raconter. Le lire ensuite éventuellement.
Un bourgeois de la bonne cité d’Abbeville avait fui la guerre et le grand malheur dans lequel se trouvait son pays. Il s’était établi comme riche marchand en compagnie de son épouse et du fils qu’il chérissait tendrement.
Un jour, la femme du bourgeois mourût, emportée par les souffrances d’une terrible maladie. Le garçon, encore jeune et tendre, était inconsolable. Son père, voyant le désarroi dans lequel le décès de sa mère le plongeait bien cruellement, voulût le réconforter :
Ta mère est morte, mon doux fils. Mais tu sais que c’est là le lot de chacun d’entre nous. Songe plutôt aux raisons que tu as de te réjouir : tu es encore jeune, beau et en âge de prendre une épouse à ton goût. Te voilà fortuné, tu peux prétendre à un noble parti.
Vivaient en ce temps là à Paris trois frères, chevaliers de leur condition. Ils menaient chacun grand train : tournois, armures, apparat, tout cela coûtait bien cher. Les malheureux ne parvenaient plus à trouver de quoi payer leurs dettes : les emprunts qu’avaient bien voulu leur consentir les usuriers les plus malhonnêtes ne suffisaient plus à leurs dépenses. L’aîné des trois frères était veuf mais possédait une fille magnifique qu’il était à présent bien temps de marier.
Le bourgeois songea que le parti était excellent, il s’en alla donc rencontrer le chevalier et lui demanda la main de sa fille pour son enfant. Le vieil homme demanda :
Quels sont vos bien ?
Tant en effets personnels qu’en bien immobiliers, je possède 1500 livres, répondit le marchand. Et je consens à en donner la moitié en dot à mon fils.
Impossible, s’écria le chevalier. Il me faut vos 1500 livres, sinon les épousailles ne pourront point avoir lieu. Votre fils devra avoir entre ses mains la totalité de vos biens, maisons, terres. Vous ne pourrez jamais rien lui réclamer. A cette condition seulement je vous accorderai la main de ma fille.
Le bourgeois songea à tout cela puis finit par accepter les exigences du chevalier. Il confia à son fils toute sa fortune et ne garda rien pour lui-même. Le mariage tant désiré pût alors avoir lieu.
Les époux vécurent plusieurs années dans la félicité et le bonheur. Ils eurent un fils unique. L’enfant était intelligent, fin et observateur. Le vieux bourgeois vieillissait et perdait chaque jour un peu plus de sa vigueur. Sa belle fille ne cachait guère ses sentiments : elle jugeait son beau père encombrant tel un fardeau dont on ne sait que faire. Plus le temps s’écoulait, plus elle le détestait et lui reprochait la soupe quotidienne qu’il lui coûtait. Un matin, n’y tenant plus, elle ordonna à son mari de jeter le malheureux à la rue. L’homme craignait sa femme et ses humeurs imprévisibles. Il ne sût que répondre :
Comme il vous plaira, ma mie
Il dit donc au pauvre bourgeois :
Allez, l’heure est venue de vous en aller. Partez de cette demeure, allez trouver autre logis dans un quelconque hôtel de la ville.
A ces mots, le père supplia :
De grâce, mon doux fils. Que deviendrai-je alors ? Ne puis-je pas vivre à vôtre porte ? Que l’on me donne un peu de paille, cela me suffira bien assez. Donne-moi juste un peu de pain.
Peu m’importe ! Allez-vous-en !
Où puis-je aller ainsi ? Je n’ai plus le moindre sou en poche !
Vous trouverez sans doute quelque âme charitable pour vous secourir et vous offrir le gîte et le couvert.
Au moins donnez-moi de quoi me couvrir. Une vieille couverture fera l’affaire.
L’homme se résolût. Il appela son fils et lui dit d’aller chercher dans l’écurie un vieux morceau de laine qui ferait sans doute l’affaire.
Le garçon prît l’étoffe grossière, la plia puis la coupa en deux. Le malheureux vieillard s’exclama :
Que fais tu donc là ? Pourquoi l’avoir réduit de la sorte ?
Quittez cette maison au plus vite et contentez vous de ce que je vous donne.
Le père arriva. Constatant que son fils gardait pour lui une moitié de la couverture, il se fâcha :
Dieu te maudisse ! Ne vas-tu donc pas donner l’autre morceau à ton grand père ?
Non, dit le jeune adolescent. Je la garde pour vous lorsque viendra mon tour de vous chasser de chez moi. C’est tout ce que vous emporterez plus tard. Vous n’aurez rien d’autre que ce que vous laissez aujourd’hui à vôtre père. Et s’il vient à mourir de misère, à vôtre tour vous périrez de même sorte.
L’ingrat comprît la leçon que lui donnait son enfant :
Père, vous resterez auprès de nous aussi longtemps que vous le souhaiterez. Ma femme n’aura plus droit au chapitre de ce jour. Jamais je ne mangerai un morceau de pain sans que vous en mangiez un aussi. Jamais je ne boirai un verre de vin sans vous inviter à y tremper vos lèvres.
Cette histoire montre qu’un fils peut chasser les mauvais sentiments de son père. Il ne faut jamais se séparer de son bien : les enfants sont sans compassion pour la vieillesse. »