Mise en contexte et définition de l’expression « écriture inclusive »

Si le but de l’écriture en général est bel et bien d’exprimer par des mots écrits des réalités imaginaires ou réelles, ces réalités de natures fictives ou non, sont souvent, pour ne pas dire toujours, « genrées ». C’est pourquoi la convention d’écriture consistant à effacer et/ou à gommer la présence orthographique du féminin au profit du masculin se discute aujourd’hui dans le débat public.

Citons à ce propos un extrait d’un intéressant article de Cécile Jandau publié le 13/10/2017 et remis à jour le 22/11/2017 du Journal Sud-Ouest, intitulé « Qu’est-ce que l’écriture inclusive et pourquoi pose-t-elle problème ? »[1] :

« Depuis 2015, le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes défend l’écriture inclusive et a même publié un guide « pour une communication publique sans stéréotype de sexe« . Il préconise par exemple d’accorder les noms de métiers, titres, grades avec le sexe des personnes qui les occupent. « Parce que les noms de métiers, titres, grades et fonctions existent au féminin, et ce depuis le Moyen-âge. Il n’y a donc pas de raison d’invisibiliser les femmes ». On écrira alors « madame la maire » par exemple.

Si certains trouvent l’initiative anecdotique, voire ridicule, Eliane Viennot, professeure de littérature à l’université et auteure de « Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin », défend son importance, « car le langage structure notre pensée.  » »

Partageant cet avis de consœur, et étant une fervente défenseuse du poids structurant du langage pour tout un chacun, et tout particulièrement pour la jeunesse, qu’il soit écrit ou oral, j’ai eu envie de confronter dans cette chronique mon expérience de professeure de culture générale en enseignement à distance avec l’expérience vécue de certains de mes élèves durant leur formation de BTS.

En effet, la « classe à distance » m’a forcée à prêter une attention plus accrue qu’à l’ordinaire à ces mots du quotidien que je prononce devant mes élèves sans y penser vraiment mais qui, dans le contexte actuel de la crise sanitaire, deviennent pour le moins ambigus. En effet, à distance, il était alors nécessaire de trouver « les codes » voire « les « bons » codes » pour désigner tel ou telle élève, tel ou tel groupe d’élèves (groupe de filles, groupe de garçons, ou groupe mixte) auquel nous souhaitons nous adresser. Ceci lorsque nous, enseignant(e)s, nous retrouvons tout à coup non plus face à des visages mais face à des avatars et autres photographies censés représenter nos élèves sur les plateformes d’enseignement à distance mises à notre disposition.

À titre d’exemple, les simples « bonjour tout le monde » et « bonjour à tous », devenaient immédiatement et immanquablement pour moi, des formules « à corriger » afin que chacun, et surtout chacune, se sente concerné(e), « inclus(e) » dans ces classes virtuelles où la dématérialisation rend l’expression encore plus cruelle d’imprécision et de généralisation qu’en présentiel.

Comment les élèves réagissent-ils à la parole « inclusive » enseignante ?

Afin de donner encore un peu plus d’épaisseur à mon récit d’expérience, je me propose de vous parler plus particulièrement de l’une de mes classes qui présente un « profil » relativement atypique, puisque cette dernière n’est constituée que de demoiselles, à l’exception d’un seul garçon, sur un effectif d’une vingtaine d’élèves au total. Le pourquoi de cette configuration s’explique probablement par le fait que la filière choisie est une filière attirant principalement les filles. Soit dit en passant, ce cas montre l’enjeu grandissant d’un débat autour de l’écriture inclusive faisant écho à l’existence de stéréotypes de genre persistants concernant certains métiers, donc certains types de carrière, et donc certains « destins » considérés comme incontournables pour ces jeunes, notamment pour les filles.

Toujours est-il que, lorsque je suis en classe à distance avec cette filière, ce n’est pas le genre féminin (qui est en nombre) qui pose question. En effet, la logique voudrait qu’on parle au féminin. Néanmoins, l’élève garçon étant là, je ne peux pas m’exprimer qu’au genre féminin. En même temps, lorsque j’emploie la langue traditionnelle, avec le genre dominant du « masculin », cela pose un problème aux filles qui sont plus nombreuses. Si je ne m’adresse pas à l’ensemble des élèves, le seul élève (garçon) et les autres (filles) se sent(ent) vexé(es) ou frustré(es). Cette situation donne parfois lieu à des débats possiblement intéressants à rapporter ici pour le thème de cette chronique.

Anecdote sur les métiers genrés

Voici une anecdote avec cette classe à majorité de filles. Récemment, nous parlions de musique et plus spécifiquement de l’histoire de la musique sous Louis XIV et Louis XV. Les rois de France avaient coutume de recevoir à la cour de nombreux artistes, compositeurs, chanteurs, etc. C’est ainsi que Louis XV reçut les frères Farinelli. « Farinelli, Il castrato », de son vrai nom Carlo Broshi (1705-1782), véritable légende de l’opéra, se fit connaître avec son frère Riccardo qui était son compositeur attitré. Carlo avait subi une opération de castration dans sa jeunesse afin de conserver sa voix exceptionnelle de soprane, ce qui lui valut son surnom de « Il castrato ». Cette pratique, courante au XVIIIe siècle, permettait à de jeunes garçons d’intégrer la caste des Castrats de Naples.

Ce fait historique déclencha chez mes élèves un débat autour du genre des « chanteurs et chanteuses d’opéra » aux voix les plus aiguës, celles des sopranes. Le cas Farinelli, les incita aussi à réfléchir sur le fait, que, pour être un musicien reconnu au XVIIIe siècle, mieux valait être un homme castré, plutôt qu’une femme de génie.

L’autre exemple pris fut celui de la sœur de Wolfgang Amadeus Mozart, appelée Maria Anna Walburga Ignatia Mozart (1751-1829), surnommée « Nannerl ». En effet, chantant, jouant du violon et composant de la musique avec autant de virtuosité que son petit frère, elle n’eut pourtant jamais l’opportunité de vivre de sa passion et encore moins de démontrer, aux yeux de tous, ses qualités exceptionnelles de compositrice. Le film historique de René Féret, sorti en 2010, Nannerl, la sœur de Mozart montre avec brio cette injustice de genre en matière professionnelle. Etant du « sexe faible », à l’époque des Lumières, la place d’une femme telle que Nannerl était de demeurer aux côtés de son époux et non de sillonner les routes pour se produire dans les cours d’Europe.

Ainsi, la question des stéréotypes de genre dans les divers métiers au fil du temps s’est retrouvée au cœur de ce cours sur l’histoire de la musique. Il est intéressant de noter que ce débat ne s’est manifesté dans aucune autre classe que celle à dominante féminine…

Comment les élèves en « parlent » dans leurs copies : sur le chemin de la copie « inclusive » ?

Si les stéréotypes de genre font parfois partie de nos cours en surgissant là où nous les attendons le moins, il convient alors de se pencher plus avant sur le contenu des copies d’élèves pour voir ce qu’il en est.

À l’écrit, ces stéréotypes se manifestent plus ou moins subtilement selon les exercices demandés. Dans l’enseignement de la culture générale, il existe deux types d’exercices complémentaires dans la thématique mais opposés dans l’esprit. Dans l’exercice de synthèse, il s’agit de rester le plus neutre possible dans le traitement d’un corpus de documents sur un thème imposé chaque année. En écriture personnelle, en revanche, c’est quasiment l’inverse qui est demandé. L’élève doit, cette fois, utiliser ses connaissances, lectures et références culturelles pour répondre de manière argumentée, mais personnelle, au sujet d’expression qu’on lui propose. Or, puisqu’il s’agit de donner ouvertement son positionnement personnel dans ce type d’écriture, il m’est alors presque impossible, en tant que lectrice et correctrice de ces copies, de ne pas être confrontée à un moment ou à un autre à ces problématiques de genre.

Les copies d’élèves « filles » donnent le plus souvent toute sa place à la gent féminine. Les accords féminins singuliers et féminins pluriels, les noms en « -ices » plutôt qu’en « -eurs », etc., sont tout logiquement plus présents dans les copies de filles que dans celles des garçons. Ceci vient probablement du fait que les filles et/ou les femmes sont plus accoutumées à accorder au féminin que les hommes. Ceci pose, du même coup, la question de l’objectivité du correcteur de ces copies, quant à « l’anonymat de genre », tout relatif dans ce cas. Alors pour nous enseignants, que privilégier ? D’un côté, nous avons l’écriture traditionnelle « masculinisée » qui permet une certaine objectivité vis-à-vis du genre de l’auteur(e) de ladite copie permettant du même coup une correction neutre, donc potentiellement plus équitable. De l’autre côté, nous avons cette nouvelle écriture « inclusive », « féminisée » donc plus fidèle à la réalité des genres dans la vie qui, pour l’instant, risque de discriminer les copies d’élèves-auteures.

Nous revenons ainsi à notre postulat de départ. Le langage doit-il ou, au contraire, ne doit-il pas coller au réel du genre ?

En réponse, quelques enjeux…

Afin de répondre à cette question, à titre personnel, je plaide, en conclusion de cette chronique, pour un langage oral inclusif qui rend ses lettres de noblesse à la gent féminine dans tous les domaines de l’existence.

Pour l’écrit, le critère « inclusif » part d’un bon sentiment pour éduquer nos enfants à l’égalité des sexes, cependant, nous avons vu ici les problèmes de complexification de la langue que cela demande : surtout pour nos élèves de générations X, Y etc. qui sont des générations de « l’écrit numérique » de type « sms » ou autres étrangetés phonétiques, connaissant bien mal les règles orthographiques. Or, ces règles orthographiques incluant volontairement la parité de genre pourraient être, encore davantage, sources de discrimination à l ‘école, par exemple, et plus tard, à l’embauche lors du recrutement de cette jeunesse (par le biais des lettres de motivation et de curriculum vitae de plus en plus anonymisés).

Dans la mesure où la pratique inclusive de l’écriture n’est pas appliquée par tous et ne fait toujours pas consensus à l’heure actuelle au niveau de nos instances politiques, sociales, éducatives, cette chronique a permis de pointer du doigt un dernier problème encore méconnu, à ma connaissance : celui de « l’anonymat de genre » dans les copies d’élèves. Comment protéger l’élève en question des préjugés de genre du correcteur ou de la correctrice ? Cette question reste ouverte et est importante à mes yeux.

Pour finir, l’écriture inclusive ne pourra véritablement porter ses fruits d’égalité des sexes que si, d’une part, tout le monde l’adopte et que, d’autre part, si les mentalités, sur la place des femmes dans la société, changent en profondeur au préalable. En attendant, la pratique orale d’un langage inclusif semble une étape primordiale, autant que nécessaire, à la réforme écrite plus profonde que « l’écriture inclusive » suggère.

[1] Site consulté le 17.04.2021. https://www.sudouest.fr/2017/10/12/qu-est-ce-que-l-ecriture-inclusive-et-pourquoi-pose-t-elle-probleme-3856018-4699.php?nic

 

Une chronique de Séverine Oswald

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