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GEOGRAPHIE TECH – Les espaces des industries aéronautiques

Usine AIRBUS Toulouse:
 Usine AIRBUS à Saint-Nazaire (site de Montoir)

Document 1 : Les évolutions majeures de l’aéronautique française 

« Plus précisément, dès les années 1930, l’Etat français impose la rationalisation de l’industrie. Au sortir de la Première Guerre mondiale, la répartition des charges de travail entre de nombreuses entreprises exigée par les militaires afin d’éviter toute constitution de monopoles, conduit à morceler l’industrie aéronautique française. Cette dispersion des efforts se traduit par d’importants problèmes de qualité qui affectent des appareils généralement peu fiables, sans parler des surcoûts induits par les duplications industrielles. A partir de 1927, la situation économique ainsi que la perspective d’un nouveau conflit mondial provoquent un infléchissement de cette politique publique de soutien. La rationalisation passe avant tout par la diminution du nombre des usines:il y a encore en 1930 vingt-cinq firmes créatrices d’avions, et autant de bureaux d’études. L’Etat décide donc que les commandes significatives n’iront qu’à des sociétés regroupées. L’arrivée au pouvoir du Front Populaire en 1936 marque un tournant pour cette industrie, l’Etat nationalisant les deux tiers des avionneurs tout en leur apportant une aide financière. Ces nationalisations apparaissent comme un moyen d’imposer des regroupements, desquels doit naître une industrie aéronautique capable de produire rapidement un grand nombre d’avions performants.

La guerre interrompt alors un mouvement qui reprendra dans les années 1950. La répartition des programmes pratiquée à outrance n’est plus tenable dans un contexte d’ouverture des frontières, les entreprises françaises étant maintenues dans une situation d’infériorité face à la concurrence américaine. Il s’avère indispensable de regrouper les firmes nationales autour des programmes pour constituer des champions nationaux. Cette logique de concentration de l’industrie s’observe également au niveau européen.

En juillet 2000 la naissance de l’entreprise European Aeronautic Defence and Space Company (EADS) vient parachever les restructurations nationales. Elle est constituée de la fusion des activités aéronautiques, espace et défense de trois groupes européens: l’Allemand Daimler Aerospace AG, le Français Aerospatiale Matra et l’Espagnol CASA. Cette fusion marquait, par la première fois dans l’histoire de cette industrie, la naissance d’une entreprise aéronautique et spatiale multinationale. Aujourd’hui, Airbus SAS, filiale phare du groupe EADS, regroupe quatre entités nationales: Airbus France, Airbus Deutschland, Airbus Espana, Airbus UK. Ces sociétés employaient, à la fin de l’année 2012, plus de 54000 personnes et disposent d‘actifs industriels répartis sur 16 sites européens. L’ensemble du secteur est aujourd’hui organisé autour de quelques grands groupes industriels: EADS-Airbus pour les avions civils et Dassault Aviation pour les avions militaires, Eurocopter (filiale de EADS) pour les hélicoptères civils et militaires, Safran dont les filiales SNECMA et Turbomeca dominent le secteur de la motorisation, Arianespace leader mondial du lancement des satellites, Thales Alenia Space acteur mondial dans le domaine de l’infrastructure orbitale. A ces leaders mondiaux, il faut ajouter des firmes de moindre dimension mais qui constituent des maillons essentiels dans les processus de production d’avions, de satellites ou de missiles. On peut citer Latécoère (aérostructures et câblage électrique), Goodrich Aerospace (nacelles et systèmes embarqués notamment), Labinal (filiale Safran pour le câblage électrique), les filiales de Safran Messier Buggati et Messier-Dowty (trains d’atterrissage et moteurs), Thales Avionics et Liebherr Aerospace pour les systèmes embarqués. On le devine, cette industrie a connu de nombreux bouleversements qui ont remodelés son organisation en profondeur.

Les développements qui suivent décrivent ces transformations organisationnelles à l’œuvre dans cette industrie et les logiques qui les sous-tendent. Nous montrons d’abord comment s’est déroulé le passage d’une logique d’arsenal, caractéristique des programmes des années 1950 et 1960, à une logique de marché inaugurée par les premiers succès commerciaux d’Airbus. Ensuite, nous mettons en avant la trajectoire d’innovation suivie par les programmes Airbus, illustrant une certaine histoire industrielle de l’avionneur européen.Dans un troisième temps, nous caractérisons le nouveau modèle d’organisation industrielle qui s’est progressivement mis en place.

1. Des années 1950 à 2000: des champions nationaux à un leader mondial.

Deux époques structurent l’histoire de l’industrie aéronautique civile. La première, dite de «logique d’arsenal» va du début du XXème siècle jusqu’aux années 1970 et renvoie à une industrie dans laquelle l’État est l’acteur clé. A partir des années 1960, en raison des échecs commerciaux plus ou moins sévères que connaissait l’industrie aéronautique, la logique d’arsenal est de moins en moins acceptée par les industriels. Ils souhaitent s’émanciper d’un Etat qui lui cherche à réduire son rôle dans cette industrie afin de minimiser ses dépenses. Dorénavant, il se cantonne principalement au rôle de financeur, les avionneurs définissant les caractéristiques et le prix des avions suite à des études de marché.

Les familles A318/A319/A320/A321 et A330/A340 introduisent à la fin des années 1980 une quasi-standardisation des équipements de cockpit. Les avions de la même famille possèdent le même tableau de bord, les mêmes procédures de pilotage, la même avionique et quasiment les mêmes systèmes.Ces configurations similaires permettent dès lors aux mêmes équipages de piloter tous les avions d’une même famille. Cet argument commercial procède également d’une rationalisation des processus de fabrication. Ainsi, en matière d’outillage, l’A321 réutilise la quasi-totalité des équipements développés pour l’A320.

En 1984, l’introduction des commandes électriques de vol sur l’A320 ainsi qu’une nouvelle conception du cockpit constituent une véritable révolution technique. Elle permet de gagner en masse et en nombre d’équipements. Les commandes électriques et le pilotage automatique inaugurent l’arrivée massive de l’électronique et des systèmes embarqués. Ceci n’est pas sans conséquence sur l’organisation industrielle. C’est l’architecture d’ensemble de l’avion qui est repensée. La maîtrise des systèmes électriques devient un actif spécifique fondamental. Selon les programmes, ce ne sont pas toujours les mêmes modules électriques qui sont externalisés. Il y a là un souci net de conserver en interne des compétences majeures et de freiner les risques de dépendance vis-à-vis de fournisseurs externes.

La seconde débute en Europe avec le programme Airbus. Elle est dite de «logique de marché» et voit le rôle de l’Etat peu à peu se réduire au profit des avionneurs européens qui définissent les programmes en fonction des attentes des compagnies aériennes, l’Etat poursuivant son soutien financier. Dans une logique de marché, un programme est perçu comme une réussite si l’appareil se vend. Il faut voir là un basculement des priorités: la technologie ne doit être utilisée que si elle confère au produit un avantage commercial et non plus pour elle-même. La maîtrise des coûts devient alors une préoccupation centrale partagée par tous, car elle conditionne le succès commercial. Le Groupement d’Intérêt Economique (GIE) Airbus, crée en 1970, illustre ces changements. Cette organisation permet d’offrir une interface unique aux compagnies aériennes et de mettre en place une filiale commune qui assure la répartition des charges de travail et la coordination entre les partenaires (le français Aerospatiale, le britannique BAe, l’espagnol CASA et l’allemand Deutsche Airbus) en fonction de leurs compétences. La création d’EADS en 2000 finalise cette évolution entamée avec le GIE Airbus ».

Med Kechidi, Damien Talbot, « Les mutations de l’industrie aéronautique civile française: concentration, externalisation et firme-pivot ». Dans Entreprises et Histoire, Eska, 2014, Brève histoire, 2013/4 (73), pp.75-88. hal-01713143

Document 2 – les évolutions récentes et futures des espaces de l’aérospatiale

« L’importance donnée à la maîtrise des coûts conduit les industriels à délocaliser des activités de production d’ensembles ou de composants issus de technologies banalisées(essentiellement en aérostructures et en câblage électrique). Ces productions sont localisées dans des pays qui proposent un rapport favorable coût/qualité de la main d’œuvre. Plusieurs firmes françaises (Latécoère, Aérolia, Indraero, Creuzet, etc.) sont engagées dans une délocalisation progressive d’une partie de leur production essentiellement au Maghreb, en Tchéquie et en Roumanie. Ces délocalisations sont qualifiées de near shore. Les délocalisations off shore concernent, pour les mêmes raisons, les implantations au Mexique, au Vietnam ou à Singapour. Ces localisations permettent également de «dollariser» les coûts d’approvisionnement, notamment dans un contexte de parité défavorable euro/dollar. Viennent aussi les motifs liés au développement de certains marchés nationaux. Ainsi s’explique l’implantation de la chaine d’assemblage d’A320 à Tianjin(Chine) et à Mobile (Etats-Unis).Ces localisations industrielles inaugurent une nouvelle configuration de l’industrie au plan mondial, configuration qui va à l’avenir encore évoluer du fait de l’arrivée de nouveaux acteurs. La menace de nouveaux entrants sur le segment 90-140 passagers est aujourd’hui manifeste. La Chine, le Brésil, le Japon, le Canada ainsi que la Russie semblent développer des stratégies qui, à terme, menacent le duopole Airbus-Boeing. A très moyen terme, l’hypothèse d’un troisième, voire d’un quatrième acteur, est devenue largement réaliste ».

Med Kechidi, Damien Talbot, « Les mutations de l’industrie aéronautique civile française: concentration, externalisation et firme-pivot ». Dans Entreprises et Histoire, Eska, 2014, Brève histoire, 2013/4 (73), pp.75-88. hal-01713143

Document 3 – La politique spatiale française

À partir de juillet 1945, Henri Moureu s’emploie à convaincre les autorités militaires de l’intérêt des fusées, car elles seules disposent alors de crédits suffisants pour soutenir les premières études. Il obtient la création d’un organisme spécialisé : le Centre d’études des projectiles autopropulsés (CEPA). Le 19 décembre 1961, le gouvernement de Michel Debré créait le Centre national d’études spatiales (CNES). Chargé de coordonner toutes les activités spatiales du pays, cet organisme visait principalement à convaincre les Français – mais aussi les Européens – de ne pas se laisser distancer par les Américains et les Soviétiques. Cette date marquait le début de la politique spatiale française qui conduisait le 26 novembre 1965 au lancement d’Astérix, le premier satellite artificiel français, à l’aide de la fusée nationale Diamant-A. Prévu et annoncé, l’événement n’était pas une surprise, hormis peut-être l’exploit technique qui fit de la France la troisième puissance mondiale, derrière l’URSS (1957) et les États-Unis (1958). La fusée Diamant, par ailleurs, découlait de la recherche balistique des « Pierres précieuses », un programme militaire engagé dès 1959 par de Gaulle. Certains ingénieurs militaires, qui travaillaient déjà sur des projets d’engins-fusées depuis le début des années cinquante, ont proposé de convertir l’une de leurs études en un lanceur spatial.

« Lorsque le CNES se met en place au cours de l’année 1962, le gouvernement donne son accord au premier programme scientifique spatial, défini et élaboré par le CRS. Ce programme sera dans ses grandes lignes celui de la France pendant près de dix ans, axé autour de huit domaines de recherche : les ondes très longues, les aurores boréales, la physique de l’atmosphère , l’aéronomie, la physique cosmique (Observatoire du Pic du Midi), l’aérothermie (ONERA), la biologie spatiale (CERMA) et les études de propulsion électrique et nucléaire (CEA).

Lorsque, le 26 novembre 1965, la France devient la troisième puissance spatiale mondiale, c’est toute la politique du général de Gaulle qui se trouve ainsi récompensée. Cependant, rien n’aurait pu se faire sans l’adhésion des scientifiques et des militaires qui, grâce à une poignée d’entre eux, ont apporté le pourquoi et le comment de l’aventure spatiale. Ainsi, il n’y a pas eu à proprement parler un père du spatial français, mais plutôt quelques visionnaires qui ont favorisé l’émergence d’une pensée spatiale. Le choc des premiers Spoutniks a par ailleurs stimulé et enrichi le débat de l’espace. Influencé, de Gaulle n’aura en somme qu’avalisé ce qui se dessinait déjà depuis le milieu des années cinquante. Sans minimiser son rôle, bien au contraire, il faut admettre que sa politique spatiale a été préparée inconsciemment au sein des comités qui proliféraient au temps de la Quatrième République. Les hommes et les quelques femmes qui y débattaient étaient déjà en contact avec quelques-uns de leurs homologues européens. Voilà pourquoi l’Europe spatiale est née presque en même temps que la politique spatiale nationale dans un contexte par ailleurs régi par la construction de la Communauté européenne. Une véritable effervescence scientifico-intellectuelle existait et a fini par séduire les autorités politiques.

Contre toutes les apparences, les scientifiques sont à l’origine de l’aventure spatiale. La politique spatiale inaugurée sous de Gaulle se poursuit dans ses grandes lignes sous son successeur Georges Pompidou (1969-1974). Les coopérations se développent, bien que la période Pompidou soit caractérisée par l’apparition de graves difficultés liées à la nature même de la coopération européenne. En effet, la fusée européenne Europa doit principalement son échec au fait que chaque pays en construisait un morceau, sans maître d’œuvre. Coopérer ne signifiait pas intégrer, il n’était pas question de fusionner les techniques et les politiques spatiales des différents États. Les difficultés ont été telles que les Britanniques et les surtout les Allemands étaient prêts à tout abandonner au profit d’une coopération plus facile et moins coûteuse avec les États-Unis. À partir de 1972, l’Europe spatiale est donc en panne. Soutenu par le gouvernement français, le CNES bataille très durement pour sauver l’idée d’un nouveau lanceur spatial européen (devant remplacer Europa), avec une autre méthode de développement. L’idée triomphe finalement en juillet 1973, sous les coups de butoir des Français : c’est l’acte de naissance du programme Ariane. La France se voit alors confier la maîtrise d’œuvre du nouveau lanceur qui, avec la mort soudaine de Pompidou en 1974, est brièvement menacé par son successeur Giscard d’Estaing. Une fois de plus, le CNES réussit à convaincre de l’utilité d’Ariane pour la France et pour l’Europe. Celle-ci décolle avec succès le 24 décembre 1979, faisant de l’Europe une puissance spatiale totalement indépendante.

Trente ans plus tard, aucun gouvernement, ni aucun État européen ne se risqueraient à remettre en cause le lanceur Ariane, devenu l’un des fleurons de la technologie et du savoir-faire européen tandis que la politique spatiale française n’a jamais été aussi intégrée, ni aussi complémentaire de la politique européenne ».

Varnoteaux Philippe, « La naissance de la politique spatiale française », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2003/1 (no 77), p. 59-68.

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