Territoire, frontière

Territorium : Terra, la Terre

Frontière et Territoire

Pourquoi réfléchir sur le territoire et en quoi ce concept géopolitique, ou du moins géographique intéresse-t-il le thème des frontières ?  La notion de territoire se rapporte à un certain domaine, une région, un topos (lieu) délimité et permanent. Il suppose donc un en-deçà pour celui qui se trouve sur le territoire, un intérieur, une frontière ou une limite qui fixe un horizon, un au-delà  qui s’étend dans un champs indéterminé. Champ de vision ou de perception, l’horizon fuit bien au-delà de la frontière et peut-être considéré alors comme illusion, perception faussée, défaillante, « vérité en deçà, erreur au-delà  » affirmait Pascal.  Tracer une frontière, délimiter un territoire, c’est aller au-delà d’une limite, sans bien  percevoir ce qui se passe au-delà, de l’autre coté.  Si quelqu’un se trouve au-delà, il ne perçoit pas non plus ce qui est au-delà du traçage que l’autre effectue, il est par là-même exclu. Il se heurte à la frontière, demande son admission, la détruit, ou passe son chemin. Mais il vient toujours après, c’est-à-dire qu’il rencontre un domaine déjà occupé. Ainsi comprises, « [les frontières] constituent le domaine propre du système en rapport avec ce qui devient environnement pour ce système. » (Luhmann : Systèmes sociaux)

Territoire et terra

Deleuze et Guattari soulignent l’expressivité de la territorialité. Nous percevons des territoires, non pas à la manière des animaux qui tracent des sortes d’interdits de manière agressive. Par le traçage de frontières, c’est un acte créatif qui constitue le territoire :

«Or les composantes vocales, sonores, sont très importantes : un mur du son, en tout cas un mur dont certaines briques sont sonores. Un enfant chantonne pour recueillir en soi les forces du travail scolaire à fournir. Les postes de radio ou de télé sont comme un mur sonore pour chaque foyer, et marquent des territoires. » (Deleuze / Guattari : Mille Plateaux)

Les territoires ne doivent pas être seulement représentés matériellement par un seul type de représentation. On peut concevoir des territoires intellectuels, des frontières littéraires, scientifiques ; ce n’est pas seulement le premier homme qui a dit « C’est à moi ! » qui a jalonné un territoire et tracé la notion agressive de frontière.

Le nom l’indique, le territoire a quelque rapport avec la terre ; il dépend aussi de notre rapport à la terre. Nous nous territorialisons dans notre environnement. Nous sommes en rapport avec notre environnement, y compris en nous déplaçant.

« Ce sont deux composantes, le territoire et la terre, avec deux zones d’indiscernabilité : la déterritorialisation (du territoire à la terre) et la reterritorialisation (de la terre au territoire). On ne peut pas dire lequel est premier. » (Deleuze / Guattari : Qu’est-ce que la philosophie ?)

Le territoire contient ainsi en lui-même la terre et le mouvement de traçage de frontière que nous produisons par une expression, un mouvement répété qui marque un territoire, le rend actuel, mouvement sans lequel il n’est que potentialité.

« But when we sit together, close’ we melt into each other with phrases. We are egded with mist. We make an unsubstantial territory. »
(Virginia Woolf : Waves)
« Mais lorsque nous sommes assis ensemble, tout proches, dit Bernard, nos paroles nous fondent l’un dans l’autre. Nous formons à deux une espèce de territoire imprenable. »
(Virginia Woolf : Les Vagues)

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