« Abandonner la course, c’est mourir »

Au XVIII° siècle, Thomas Hobbes compare la vie humaine à une course à pied, course qui n’a d’autre but que de devancer les adversaires. Si nous voyons une actualité dans ces propos, c’est aussi parce que dans la course, nous cherchons à nous dépasser nous même. L’effort corporel est fondé, comme toute passion humaine, à la fois sur le dépassement de l’autre et sur l’effort sur soi – le conatus – consistant en l’effort de persévérer dans sa vie, appéter, désirer toujours plus, reculer ses propres limites et tendre vers le dépassement de soi. Or le paradoxe des affirmations de Hobbes est que tendre vers la vie, s’efforcer de vivre, c’est courir vers la souffrance et vers la mort. Course d’autant plus folle qu’elle prétend à l’équilibre vital et à la santé du corps tout en visant la démesure et la performance qui échappe à la raison en allant jusqu’au bout de soi-même…

S’efforcer, c’est appéter ou désirer. Se relâcher, c’est sensualité. Regarder ceux qui sont en arrière, c’est gloire. Regarder ceux qui précèdent, c’est humilité. Perdre du terrain en regardant en arrière, c’est vaine gloire. Être retenu, c’est haine. Retourner sur ses pas, c’est repentir. Être en haleine, c’est espérance. Être excédé, c’est désespoir. Tâcher d’atteindre celui qui précède, c’est émulation. Le supplanter ou le renverser, c’est envie. Se résoudre à franchir un obstacle prévu, c’est courage. Franchir un obstacle soudain, c’est colère. Franchir avec aisance, c’est grandeur d’âme. Perdre du terrain par de petits obstacles, c’est pusillanimité. Tomber subitement, c’est disposition à pleurer. Voir tomber un autre, c’est disposition à rire. Voir surpasser quelqu’un contre notre gré, c’est pitié. Voir gagner le devant à celui que nous n’aimons pas, c’est indignation. Serrer de près quelqu’un, c’est amour. Pousser en avant celui qu’on serre, c’est charité. Se blesser par trop de précipitation, c’est honte. Être continuellement devancé, c’est malheur. Surpasser continuellement celui qui précède, c’est félicité. Abandonner la course, c’est mourir

Hobbes, de la nature humaine

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