Rhinocéros

Rhinocéros

 

Introduction

 

Rhinocéros est une pièce de théâtre écrite par Eugène Ionesco , un écrivain du XXème siècle, connu comme le principal représentant du théâtre de l’Absurde. L’œuvre fut publiée en 1959, tout d’abord dans une traduction allemande. Elle fut jouée pour la première fois en France en 1960 à Paris à l’Odéon Théâtre de France. Par la suite elle fut jouée dans de nombreux pays, et traduite dans de nombreuses langues.

 

 La pièce, en trois actes et quatre tableaux, dépeint une épidémie imaginaire de «rhinocérite », une maladie qui effraie tous les habitants d’une ville, les transformant tous en rhinocéros. Chaque acte montre un stade de l’évolution de la « rhinocérite ».

L’œuvre est interprétée comme une métaphore de la montée du totalitarisme à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale.

 

I. Un texte parsemé de références philosophiques

Acte I

P. 33 : « JEAN, à Bérenger : Vous n’existez pas, mon cher, parce que vous ne pensez pas ! Pensez, et vous serez. »

? Référence à « Je pense donc je suis » de DESCARTES
Descartes souhaite refonder entièrement la philosophie sur des bases solides. Il met au point le doute méthodique, consistant à éliminer tout ce qui n’est pas absolument certain. Il découvre alors que, même si nos sens et nos raisonnements nous trompent souvent cela ne change pas celui qui est entrain de douter est quelque chose, autrement dit il existe. Cette certitude de sa propre existence se présente dès lors comme une vérité première pouvant servir de point d’appui à la philosophie qui place le sujet au centre de la construction du savoir.

P.35 : « Jean : vous avez mal compris. Assis ou debout, c’est la même chose quand on rêve !…
Bérenger : Eh oui, je rêve …La vie est un rêve »

? Une des étapes du doute de DESCARTES « comment faire porter le doute sur le réel lui-même ? » avec l’argument du rêve, nous n’avons pas de critères pour distinguer le réel de l’imaginaire.

P. 33 : Nom de « Socrate » répété plusieurs fois par Le Logicien et Le Vieux
? Importance de Socrate. Socrate utilise le syllogisme, et le logicien partage cette manière de pensée.

P.44
« Le logicien au vieux monsieur : voici donc un syllogisme exemplaire. Le chat a quatre pattes.
Isidore et Fricot ont chacun quatre pattes. Donc Isidore et Fricot sont chats »
? Évocation du syllogisme. En
 logique aristotélicienne, le syllogisme est un raisonnement logique à deux propositions conduisant à une conclusion qu’Aristote a été le premier à formaliser. Par exemple : « Tous les hommes sont mortels, or Tous les Grecs sont des hommes, donc Tous les Grecs sont mortels » est un syllogisme ; les deux propositions sont des propositions données et supposées vraies, le syllogisme permettant de valider la véracité formelle de la conclusion. Elle est l’ancêtre de la logique mathématique moderne et a été enseignée jusqu’à la fin du xixe siècle

P. 48 (70) : « LE VIEUX MONSIEUR, à la Ménagère : Soyez philosophe ! »

? Importance de la philosophie. Ici utiliser dans un sens commun du philosophe, il sous entend qu’il faudrait qu’elle pense un peu plus, ou un peu différemment or le philosophe est celui qui est en quête de vérité, il ne possède pas la sagesse mais la recherche.

Acte II

P. 63 : « BOTARD : Je ne crois pas les journalistes. Les journalistes sont tous des menteurs, je sais à quoi m’en tenir, je ne crois que ce que je vois, de mes propres yeux. En tant qu’ancien instituteur, j’aime la chose précise, scientifiquement prouvée, je suis un esprit méthodique, exact.

DUDARD : Que vient faire ici l’esprit méthodique ? »

? Le doute méthodique de Descartes. Évocation des sciences et des sens avec la vue « je vois », « yeux »

P. 96 : « BERENGER : Le mal de tête à dû vous prendre pendant votre sommeil, vous avez oublié d’avoir rêvé, ou plutôt vous vous en souvenez inconsciemment.

JEAN : Moi, inconsciemment ? Je suis maître de mes pensées, je ne me laisse pas aller à la dérive. Je vais tout droit, je vais toujours tout droit. »

 

? Le conscient et l’inconscient sont deux notions de la philosophie. Il y a la conscience, lorsque l’être humain se réalise comme sujet, lorsqu’il a conscience de soi. Puis il y a l’inconscient, un concept de psychologie qui désigne l’activité psychique se déroulant hors de la sphère consciente dans l’esprit d’un individu. Une hypothèse d’un moi éclaté que Freud définit comme une instance complètement indépendante de la conscience. Descartes quant à lui pense que nous sommes conscient de tout ce qu’il se passe dans notre esprit, la conscience devient une connaissance immédiate.
Ici les deux personnages sont donc également opposés sur ces deux notions du conscient et de l’inconscient.

P. 104-105 : Notion de morale, terme « morale » répété à plusieurs reprises par Bérenger et Jean. Il y a une remise en question de ce terme, une remise en question vis-à-vis du lecteur. La morale concerne également la philosophie, dans la notion du bien et du mal dans sa juste valeur.

Terme « philosophie » exprimé par Bérenger.

 

Acte III

P. 123 : « DUDARD : C’est de la sagesse. Lorsqu’un tel phénomène se produit, il a certainement une raison de se produire. C’est cette cause qu’il faut discerner »

Évocation de la sagesse. Dans le sens commun, la sagesse est attribuée à celui ou celle qui prend des décisions raisonnables. Or la sagesse désigne le savoir et la vertu d’un être. Elle caractérise celui qui est en accord avec lui-même et avec les autres, avec son corps et ses passions , qui a cultivé ses facultés mentales, tout en accordant ses actes à ses paroles, c’est ce que recherche le philosophe, acquérir une sagesse.

P. 123 : «  DUDARD : Le mal, le mal ! Parole creuse ! Peut-on savoir où est le mal, où est le bien ? »

La notion du bien et du mal qui remet ainsi en cause la notion de la liberté, la morale, le devoir.

P. 128 : « DUDARD : Mon cher Bérenger, il faut toujours essayer de comprendre. Et lorsqu’on veut comprendre un phénomène et ses effets, il faut remonter jusqu’à ses causes, par un effort intellectuel honnête. Mais il faut tâcher de le faire, car nous sommes des êtres pensants. Je n’ai pas réussi, je vous le répète, je ne sais pas si je réussirai. De toute façon, on doit avoir, au départ, un préjugé favorable, ou sinon, au moins, une neutralité, une ouverture d’esprit qui est le propre de la mentalité scientifique. Tout est logique. Comprendre c’est justifier. »
-> Dudard évoque la neutralité et l’ouverture d’esprit, choses nécessaires à celui qui veut devenir philosophe. Il évoque également l’esprit scientifique, ce que l’on peut démontrer, prouver, justifier. Il réfléchit, analyse et conclut, comme en sciences.

P.195 : «DUDARD : Peut-on savoir où s’arrête le normal, où commence l’anormal ? Vous pouvez définir ces notions, vous, normalité, anormalité ? Philosophiquement et médicalement, personne n’a pu résoudre le problème »

Notion de normalité, anormalité. Remise en question de la langue, des définitions, des comportements. Il y a ici la preuve d’un raisonnement philosophique, puisque le personnage cherche à savoir, à comprendre en remettant en cause dès le départ la définition.

 

P. 129 (196) : Référence à Galilée + citation : « E pur si muove »
La légende veut que l’Italien Galilée, mathématicien, physicien et philosophe, ait marmonné cette phrase en 1633 après avoir été forcé devant l’Inquisition d’abjurer sa théorie que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil.
Actuellement, on utilise cette expression de temps à autre pour proclamer que, même si quelqu’un qui devrait être bien informé écarte ou nie un fait, cela ne l’empêche pas d’être vrai.

Nous avons ainsi pu voir que l’œuvre était parsemée de références philosophiques qui incitent le lecteur à réfléchir par lui-même, à s’interroger face à la situation pour le mener vers une réflexion philosophique.

II. La réflexion philosophique dans l’œuvre

La philosophie au travers des personnages

Ici Ionesco exprime son point de vue sur le totalitarisme et notamment sur l’hystérie collective que celui-ci provoque. Le totalitarisme est incarné dans les rhinocéros et chaque transformation est une personne qui se rallie à cette politique.
Il reproche aux gens de se laisser avoir, de suivre les autres sans essayer de comprendre pourquoi. Il montre cela à travers les personnages qui sont, au départ, contre les rhinocéros, puis qui succombent à la transformation. Nous pouvons d’ailleurs retrouver quelques personnages clefs comme le logicien. Il est sensé incarner par sa fonction de logicien l’esprit logique, une forme de philosophie. Il dit au début que « la peur est irrationnelle » et que « la raison doit la vaincre » (p.27), il souhaite donc laisser parler sa raison, il pense agir en fonction d’elle alors qu’à la fin il devient rhinocéros.
Il y a également le personnage de Dudard, qui incarne la philosophie dans toute sa réflexion. C’est un personnage posé, qui réfléchit et analyse la situation. Pour lui, « tout est logique. Comprendre c’est justifier » (p.194). Il cherche une explication à ce phénomène qu’il ne comprend pas, pourtant il rejoint les autres dans leur transformation en parlant de « devoir ». Il préfère « la grande famille universelle à la petite ». Il agit pour faire ‘comme les autres’, il cherche des excuses afin d’apaiser sa conscience.

Seul le personnage de Bérenger ne se transforme pas. Il représente la résistance, la lutte. Il dit « Eh bien, malgré tout, je te le jure, je n’abdiquerai pas, moi, je n’abdiquerai pas ». Il semble décidé et luttera jusqu’au bout, l’œuvre se terminant sur ses dernières phrases « Je suis le dernier homme, je me défendrai ! Je suis le dernier, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas ! ». Il est une sorte de héros pour Ionesco, car il est le seul personnage qui résiste. Sous ses airs d’idiot, il parvient à utiliser sa raison.

 

 

La philosophie à travers la réflexion

Cette œuvre contient un intérêt philosophique. Nous avons tout d’abord remarqué qu’il y avait des références explicites à la philosophie tout au long de l’œuvre. Mais nous pouvons aussi voir que le dramaturge procède à une démarche philosophique qui consiste à penser ce qu’est l’homme et comment il peut se prémunir du monstrueux qui existe en lui, tel un ennemi intérieur à combattre. Ce qui voudrait dire que chaque homme contient le mal en lui, mais qu’il faut qu’il soit assez fort pour ne pas y succomber.

 

On retrouve également différents intérêts philosophiques comme la conscience, la morale, la religion ainsi que la différence dans toute sa complexité, autant dans la langue que dans le caractère physique ou psychologique.

 

Ionesco souhaite toute d’abord une remise en question du lecteur.
L’évocation du bien et du mal permet au lecteur de remettre en question sa morale, sa conscience face aux évènements politiques qui se déroulent autours de lui. A la page 106, le personnage de Botard cri « Psychose collective, monsieur Dudard, psychose collective ! » Le mot psychose désigne un état de santé mentale jugé anormal. C’est un terme générique psychiatrique et psychanalytique, évoquant le plus souvent une perte de contact avec la réalité chez le sujet. Il est notamment utilisé pour caractériser des troubles mentaux. En utilisant ce vocabulaire fort, doublé d’une ponctuation forte, le lecteur peut se permettre une remise en question face aux évènements totalitaires. Cela semble fou. De plus, dans la fin de la réplique Botard compare cet état de santé à la religion qu’il désigne comme « l’opium des peuples ». La religion est ainsi évoquée. La religion sous entends la croyance, la foi « que m’est-il permis d’espérer ? » d’après les domaines de la philosophie de Kant.

Mais la réplique qui pourrait paraitre comme la plus significative pour le lecteur est la réplique du vieux monsieur à la ménagère lorsqu’il lui dit « soyez philosophe ! ». Le terme de la philosophie est explicitement employé, doublé d’un point d’exclamation. Le lecteur doit réfléchir au sujet en remettant en cause ses propres pensées, ses propres propos mais il ne doit pas être influencé par les autres comme le fait par exemple Dudard, car le véritable philosophe pense par lui-même, il est en quête de vérité et il a pour condition de se débarrasser de ses opinions, de son vécut et de son expérience personnelle.

 

Par la suite, il s’opère chez le lecteur la question de la conscience, de sa propre conscience vis-à-vis du totalitarisme, à savoir si c’est « normal ou anormal » comme l’évoque les personnages.

Nous trouvons également la différence de l’autre. Tout d’abord la différence physique qui effraie et interroge. Elle constitue la première barrière de différence entre les personnages qui ne sont pas transformés et ceux qui sont rhinocéros. Ils sont dans l’interrogation et la stupéfaction. La deuxième barrière qui entre en compte et alors celle du langage. L’incompréhension entre les êtres humains, cette incapacité de communiquer, de se comprendre. Dans la dernière réplique Bérenger soulève deux questions « quelle langue est-ce que je parle ? » et « est-ce que je me comprends ? ». Il en vient à se demander si c’est « eux » qui ont raison, c’est désormais sa propre différence qui l’interroge et engendre cette remise en question.

 

Ainsi, tout au long de l’œuvre le lecteur est mené à réfléchir sur ces différences, quelles soient religieuses, physiques (dans l’incarnation du rhinocéros) ou psychologiques (dans les façons de pensée différentes des personnages).

Conclusion

 

 

 

Pour conclure nous pouvons affirmer que cette œuvre littéraire peut aussi être considérée

comme une œuvre philosophique. A travers une histoire absurde Ionesco exprime son avis sur le totalitarisme et sur ses partisans. Mais en plus de cela, le dramaturge pousse le lecteur à une réflexion sur lui-même à travers différents sujets philosophiques abordés. Les différents personnages permettent de mettre en valeur la montée du totalitarisme mais aussi la présence de la philosophie. Les dialogues deviennent des débats où chacun se pose des questions sur les différences religieuses, physiques et psychologiques.

Nous pouvons proposer une ouverture qui est celle de la mise en scène réalisée par une troupe coréenne dont nous allons être spectateurs demain. Cette mise en scène met une nouvelle fois en avant les différences, notamment celle de la langue mais aussi, et surtout, celle des cultures. En effet, la culture coréenne semble très différente de celle occidentale. Comment cette troupe va-t-elle interpréter les différents sujets philosophiques ?

 

 

Et pour aller plus loin en un clic : Rhinocéros

Une réflexion sur « Rhinocéros »

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