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Le philosophe ne dit pas qu’un dépassement final des contradictions humaines soit possible et que l’homme total nous attende dans l’avenir: comme tout le monde il n’en sait rien. Il dit – et c’est tout autre chose- que le monde commence, que nous n’avons pas à juger de son avenir par ce qu’a été son passé, que l’idée d’un destin dans les choses n’est pas une idée mais un vertige, que nos rapports avec la nature ne sont pas fixés une fois pour toutes, que personne ne peut savoir ce que la liberté peut faire, ni imaginer ce que seraient les moeurs et les rapports humains dans une civilisation qui ne serait plus hantée par la compétition et la nécessité. Il ne met son espoir dans aucun destin, même favorable, mais justement dans ce qui en nous n’est pas destin, dans la contingence de notre histoire, et c’est la négation qui est position. Faut-il même dire que le philosophe est humaniste? Non, si l’on entend par homme un principe explicatif qu’il s’agirait de substituer à d’autres. On n’explique rien par l’homme, puisqu’il n’est pas une force, mais une faiblesse au coeur de l’être, un facteur cosmologique, mais le lieu où tous les facteurs cosmologiques par une mutation qui n’est jamais finie, changent de sens et deviennent histoire. (…)

La philosophie nous éveille à ce que l’existence du monde et la nôtre ont de problématique en soi, à tel point que nous soyons à jamais guéris de chercher, comme disait Bergson, une solution “dans le cahier du maître.”

Merleau-Ponty (Eloge de la philosophie)