Ciné : Les doigts dans la tête

Les doigts dans la tête, Jacques Doillon
Synopsis
Pour présenter son film, Jacques Doillon écrivit le synopsis suivant :
C’est la rencontre de trois petits « prolos » parisiens avec un personnage
magique : Liv, une jeune étrangère qui les rend étrangers à leur propre
existence quotidienne centrée jour après jour sur un travail décevant et
une vie décevante.
Un huis clos leur permettra de se mesurer et de faire surgir à la fois leurs
refoulements et leurs aspirations au bonheur le plus immédiat.
Mail il ne suffit évidemment pas de le décider pour bien vivre tout de
suite, ce serait compter sans l’oppression de la réalité extérieure et de leur
éducation.
Tous ces jeunes qui existent et qui vivent à des millions d’exemplaires écri-
vent parfois des journaux intimes : Chris, le personnage principal, écrit le
sien et nous raconte la formidable illusion de cette rencontre entre ces
quatre jeunes qui, chacun à sa manière, refuseront le compromis et ne
voudront pas savoir ce que les adultes attendent d’eux.
Un synopsis est normalement un simple résumé du scénario, or ce
texte va plus loin, il laisse clairement apparaître certaines intentions
du cinéaste et on peut le lire comme une interprétation de quelques
aspects de son film.
Avant la séance :
L’une des questions du film est : que

fait-on de son temps lorsque l’on décide
de se libérer des contraintes sociales ?
Chercher dans le film ce qui semblera proche de vous ou ce qui au contraire paraît relever d’un temps révolu.
Rappeler le contexte du film, c’est-à-dire

l’après mai 68 et l’atmosphère libertaire de cette époque.
Sans oublier le cinéma, certaines questions sociologiques ou poli-
tiques seront abordées

 

1. Générations
Répertorier les différentes générations représentées dans le film, voir ce qui les distingue, et quels rapports elles entretiennent entre elles.
• Les protagonistes ont entre 18 et 20 ans, qu’est-ce qui permet de s’y identifier ou au contraire souligner ce qui en sépare. Au début du film, l’amie de Rosette dresse un tableau assez pessimiste de leur génération : « On a vingt-ans et on marche au Valium et au Tranxène. […] Si on avait des boulots intéressants et moins de problèmes familiaux, ça n’arriverait pas.»
La suite consistera à essayer de ne pas se résoudre à cette fatalité.
• Certains aînés leur servent de référence. D’abord les colocataires de Liv, « des 25-30 ans » (précise Léon) qui ont trouvé des moyens de vivre en communauté et de gagner leur vie en échappant à un travail trop contraignant (sans que nous sachions quelles sont leurs occupa- tions). Denis semble également plus âgé, mais il a choisi une vie plus conventionnelle en faisant un enfant et en s’achetant un pavillon de banlieue, ce que regrette sa compagne et qui étonne Léon.
• Liv a 18 ans, mais, comme le remarque Chris, les trois autres n’ont « pas fait le dixième de ce qu’elle a fait ». Elle a plus de maturité, vit avec des « 25-30 ans » et partira finalement avec l’un d’eux. Elle représente un ailleurs, une autre culture et probablement une autre classe
sociale. Et en même temps, elle a su se détacher de ses racines, quitter
sa famille pour voyager de pays en pays, d’appartement en apparte-
ment, de cœur en cœur.
• Le monde des adultes est représenté par le patron et par le syndicaliste : deux figures paternelles opposées. Le boulanger fait bien comprendre à Chris combien compte leur différence d’âge et de statut (« Je ne vais pas me laisser emmerder par un môme ») et combien il doit se plier à son autorité sans répondre, tandis que le syndicaliste aide Chris à se défendre légalement et à parler d’égal à égal avec son patron.
• Nous ne savons rien des parents de Chris, mais à plusieurs reprises,

il est fait référence à ceux des autres. Léon vit chez sa mère : « J’aime
bien ma maman, et j’en suis fier », dit-il à Liv, presque comme une provocation. Cette dernière a des rapports conflictuels avec ses parents, en particulier avec son père : « Il voulait que je signe un contrat où je disais : je vais faire des études très sérieuses, je ne m’occupe pas de politique, je suis toujours à l’heure pour dîner. » Quand aux parents de Rosette, ils semblent beaucoup contrôler la vie de celle-ci, ce qui pourrait aussi expliquer ses inhibitions. «
Il faut faire une bataille contre l’éducation qu’on a mis dans la tête », lui dit d’ailleurs Liv. Le
journal de Chris nous apprend que le père de Rosette lui ordonne de rentrer et qu’elle en a peur. À la toute fin, Chris va la chercher à Bourges où il pense qu’elle « a du être kidnappée par ses parents». Il y est très mal accueilli par la mère, elle lui dit que Rosette ne veut pas
le voir et lui ordonne de repartir.
2. Loisirs
Que font Chris, Léon et Rosette de leur temps libre ?
• L’important pour eux semble être de passer du temps ensemble, de manger, de boire, de discuter. Leur temps libre dépend de leurs horaires de travail et de leur fatigue.
• Quelques jeux les occupent parfois, sans empêcher les conversations : un jeu vidéo de tennis dans un café, une partie de ping-pong chez Denis. On remarquera les similitudes entre ces jeux où il s’agit de se « renvoyer la balle », justement comme dans cette autre forme
d’échange qu’est la discussion.
• Les musiques de leur époque ne semblent pas prendre une très grande place dans leur vie. On remarque tout de même un poster de Mick Jagger dans la chambre de Rosette, et Léon s’amuse à parodier une chanson des Beatles. Quant à Chris, il n’a pas de tourne-disque, il dit ne pas écouter de la musique ailleurs qu’à la radio et ne pas vraiment aimer ça (alors que l’acteur, Christophe Soto, est musicien). S’il achète un disque en compagnie de Liv, c’est moins pour la musique que pour le moment auquel il est lié et dont il restera un
souvenir.
• Il y a également peu de références cinématographiques. Chris évoque dans son journal une sortie au cinéma, sans préciser de titre. À un moment, il s’amuse à se comparer à « Charles Bronson dans sa jeunesse » devant Rosette. On remarque aussi un poster d’Alain Delon

et un autre de Stan Laurel dans la chambre de François, qui veut être
3. Politique
On pourra se demander si Les Doigts dans la tête est un film politique.
• Il traite directement de questions politiques mais prend ses distances vis-à-vis de l’engagement. Il montre les limites d’une action pragmatique, le syndicaliste butant finalement contre un stratagème juridique dont Chris sortira perdant.
• Il s’agit d’abord pour ces jeunes gens d’améliorer leurs conditions
de travail ou d’y échapper. Le film montre plusieurs façons de le
faire : ne travailler qu’en cas de besoin, comme Léon (« Quand il n’a
pas d’argent il travaille ; dès qu’il en a un peu, il arrête », explique Chris) ; se battre physiquement contre ses patrons, comme le raconte François (qui crâne sans doute un peu) ; faire la grève et se battre légalement, comme Chris ; s’organiser en communautés, comme les amis de Liv ou les membres du GRAT (Groupe de Résistance Au Travail). On peut aussi tenir en rêvant d’un autre métier, comme François qui voudrait être acteur.
• L’expérience de Chris démontre-t-elle que tout est politique, puis qu’elle engage tous les éléments importants de sa vie : travail, amitié, amour, désir ? C’est une sorte d’utopie qu’il instaure dans sa chambre : à la fois une résistance à l’autorité de son patron et une petite révolution amoureuse et sexuelle. Mais finalement, d’un point de vue professionnel comme intime, l’expérience butte rapidement contre l’ordre social, l’ordre familial et le désordre des sentiments.