Exercice la religion naturelle

La religion naturelle consiste à trouver le sens singulier et personnel de la croyance en se fondant sur les facultés naturelles que sont le cœur et la raison. Pour Rousseau, les religions instituées sont autant de manières de nous éloigner d’une expérience de la foi authentique. L’homme est capable de saisir le divin en lui-même.
Vous ne voyez dans mon exposé que la Religion naturelle. Il est bien étrange qu’il en faille une autre ! Par où connaîtrai-je cette nécessité ? De quoi puis-je être coupable en servant Dieu selon les lumières qu’il donne à mon esprit et selon les sentiments qu’il inspire à mon cœur ? Quelle pureté de morale, quel dogme utile à l’homme et honorable à son auteur puis-je tirer d’une doctrine positive, que je ne puisse tirer sans elle du bon usage de mes facultés ? Montrez-moi ce qu’on peut ajouter pour la gloire de Dieu, pour le bien de la société et pour mon propre avantage aux devoirs de la loi naturelle, et quelle vertu vous ferez naître d’un nouveau culte, qui ne soit pas une conséquence du mien ? Les plus grandes idées de la divinité nous viennent par la raison seule. Voyez le spectacle de la nature, écoutez la voix intérieure. Dieu n’a-t-il pas tout dit à nos yeux, à notre conscience, à notre jugement ? Qu’est-ce que les hommes nous diront de plus ? Leurs révélations ne font que dégrader Dieu en lui donnant les passions humaines. Loin d’éclaircir les notions du grand Être, je vois que les dogmes particuliers les embrouillent, que loin de les ennoblir, ils les avilissent, qu’aux mystères inconcevables qui l’environnent ils ajoutent des contradictions absurdes ; qu’ils rendent l’homme orgueilleux, intolérant, cruel, qu’au lieu d’établir la paix sur la terre ils y portent le fer et le feu. Je me demande à quoi bon tout cela sans savoir me répondre. Je n’y vois que les crimes des hommes et les misères du genre humain.
On me dit qu’il fallait une révélation pour apprendre aux hommes la manière dont Dieu voulait être servi ; on assigne en preuve la diversité des cultes bizarres qu’ils ont institués, et l’on ne voit pas que cette diversité même vient de la fantaisie des révélations. Dès que les peuples se sont avisés de faire parler Dieu, chacun l’a fait parler à sa mode, et lui a fait dire ce qu’il a voulu. Si l’on n’eût écouté que ce que Dieu dit au cœur de l’homme, il n’y aurait jamais eu qu’une religion sur la terre.
[…] Ne confondons point le cérémonial de la religion avec la religion. Le culte que Dieu demande est celui du cœur ; et celui-là quand il est sincère est toujours uniforme.
Jean-Jacques Rousseau, La Profession de foi du vicaire savoyard, dans Émile ou De l’éducation [1762], Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », 1969, p. 607-608.

QUESTIONS

  1. Expliquez l’opposition entre religion naturelle et religions révélées.
  2. Selon Rousseau, pourquoi les religions instituées peuvent-elles être la source de querelles parmi les hommes ?
  3. Expliquez les phrases : « Ne confondons point le cérémonial de la religion avec la religion. Le culte que Dieu demande est celui du cœur ; et celui-là, quand il est sincère, est toujours uniforme. » (l. 28-30).