Qu’est-ce que le moi ?

Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants ; si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.
Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n’aime personne que pour des qualités empruntées.

Pascal, Pensées, « Qu’est-ce que le moi ? » Laf. 688, Sel. 567. 


Le Moi n’est pas l’affirmation d’Un être face à plusieurs (instincts, pensées, etc.), au
contraire, l’ego est une pluralité de forces personnalisées dont tantôt l’une tantôt l’autre
passe au premier plan en qualité d’ego et considère les autres de loin, comme un sujet
considère le monde extérieur qui influe sur lui et le détermine. Le sujet est instable, nous
ressentons probablement le degré d’intensité des forces et des instincts comme proximité
ou éloignement, et nous interprétons pour nous-mêmes sous la forme d’un paysage, d’une
plaine, ce qui est en réalité une multiplicité de degrés quantitatifs. L’élément le plus
rapproché, nous l’appelons « moi » de préférence à ce qui est plus lointain, et accoutumés
à la désignation imprécise « moi et tout le reste, tu 1 », nous faisons instinctivement, de
l’élément dominant momentanément, tout l’ego, nous repoussons l’ensemble des tendances
plus faibles dans une perspective plus lointaine et nous en faisons le domaine entier d’un
« Tu » ou « Ça ». Nous nous traitons comme une pluralité et transportons dans ces
« rapports sociaux » toutes les habitudes sociales que nous avions envers les hommes, les
animaux, les pays et les choses. Nous nous déguisons, nous nous faisons peur, formons
des factions, représentons des procès, nous agressons nous-mêmes, nous torturons, nous
glorifions, faisons de tel ou tel de nos traits de caractère notre dieu ou notre diable et nous
montrons aussi déloyaux et aussi loyaux que nous avons coutume de l’être en société.
Friedrich Nietzsche, Fragment posthume, (Automne 1880), Fragment 6 [70],
traduction de Julien Hervier (légèrement remaniée).
Question d’interprétation philosophique :
Dans ce texte, quelle réalité Nietzsche attribue-t-il au moi ?