De la science à la technique

  • La science et la technique sont liées : la première vise la vérité, la seconde l’efficacité.
  • La technique permet aux êtres vivants de s’adapter à leur environnement : en revanche, la technique animale, même si elle existe, est limitée.
  • La technique nous libère, mais elle peut avoir des effets profondément négatifs comme la destruction de l’environnement.

Une confusion de langage très courante conduit à employer l’un pour l’autre les mots « technique » et « technologie ». Or, si l’usage presque simultané de ces deux termes est apparu à la fin du XVIIIe siècle, leurs significations respectives sont nettement distinctes. La technologie est une étude scientifique des techniques ; la technique en revanche, ou ce qu’à l’époque de l’Encyclopédie on appelait encore les arts mécaniques, n’a cessé d’accompagner le développement de l’espèce humaine depuis ses origines les plus reculées.

1. La technique n’est-elle qu’une application de la science ?
a. Toute technique nouvelle résulte de l’application d’une science déterminée

Certes, dans le monde moderne, toute technique nouvelle résulte de l’application d’une science déterminée. Toutefois, sciences et techniques se sont longtemps développées chacune de leur côté. La science implique la réflexion et le raisonnement. Un mathématicien n’a besoin que d’une craie et d’un tableau noir pour le développement d’une démonstration en géométrie. Inversement, clous, marteaux, javelots ont été inventés et utilisés sans attendre la formulation du théorème des leviers (au XVIIe siècle). L’une vise la vérité, tandis que l’autre recherche d’abord l’efficacité.

b. La science vise la vérité, la technique vise l’efficacité

La technique suppose en effet la mobilisation de moyens en vue de la réalisation d’une fin consciente. Son critère d’évaluation est la réussite ou l’échec de l’action mise en œuvre. Cette définition de la technique est suffisamment large pour inclure toute activité ne faisant pas nécessairement appel à des outils ou à des machines très compliquées : l’art oratoire ou le chant par exemple.
Par conséquent, la convergence actuelle de la science et de la technique conduit à s’interroger sur l’illusion qu’il n’y aurait de science qu’en vue de son exploitation d’ordre technique ou économique.

2. La technique est-elle étrangère à la nature ?

Il est incontestable que l’essor de la technique dans le monde qui nous entoure donne à l’ensemble de l’humanité un pouvoir considérable sur la nature.
Est-ce à dire que cette transformation du monde par la technique accompagnée de la science creuse un écart toujours plus grand entre l’homme et la nature ? À l’ère de l’ordinateur et des navettes spatiales, la nostalgie du monde sauvage n’a jamais été aussi répandue, notamment dans les médias.

3. Le développement d’une technique est-il néanmoins le propre de l’homme ?
a. Les animaux semblent aussi faire usage de techniques

L’homme seul semble capable de modifier considérablement son environnement naturel. On ne se lasse pourtant pas d’admirer certaines espèces animales pour leur ingéniosité à se construire un habitat, contourner un obstacle ou accéder à l’aide d’un moyen de fortune à une nourriture convoitée. On peut parler, comme le font certains psychologues, d’une « conduite de détour » adoptée par les êtres vivants lorsque pour survivre, ils doivent s’adapter à leur milieu naturel. Il s’agit d’une forme primitive d’intelligence qui implique la mise en rapport de moyens avec la représentation mentale d’un but.

b. L’usage de techniques semble toutefois limité chez l’animal

Toutefois, ces inventions demeurent stéréotypées chez l’animal ; autant qu’on puisse l’observer, elles ne font pas l’objet d’un apprentissage et d’une transmission ne serait-ce que sous forme d’imitation. Est-ce l’absence de système symbolique apte à rendre possible cette transmission qui expliquerait ce fait ?
La technique humaine, contrairement aux rudiments de « technique » animale, est productrice d’un monde, ou d’une « seconde nature » – un monde ouvert et voué à un perpétuel renouvellement.

4. Faut-il craindre le pouvoir de la technique ?
a. Sommes-nous les esclaves des nouvelles technologies ?

La question fondamentale est de savoir si nous ne devenons pas les esclaves de la technique, alors qu’elle est censée nous libérer. Par ailleurs, les technologies nouvelles donnent aujourd’hui à l’homme une puissance formidable qui pourrait se retourner contre lui. Nous détruisons l’environnement au sein duquel nous vivons. Or l’homme demeure, comme l’animal, dépendant du milieu dans lequel il évolue – même si ce milieu n’a plus rien de « naturel ». Nous prenons conscience que nous sommes responsables du monde que nous laisserons aux générations futures. Certaines de nos actions présentes peuvent être irréversibles. Les politiciens en sont aujourd’hui conscients ; l’écologie n’est plus la seule priorité des « Verts ». Des conventions internationales voient le jour, afin que des lois limitent, par exemple, la production de gaz à effet de serre. Le réchauffement de la planète, avancent certains spécialistes, risque de rendre difficiles, à longue échéance, les conditions de vie sur terre. Le « développement durable » est désormais un concept opérationnel.

b. Le principe de responsabilité : Hans Jonas

Le philosophe allemand Hans Jonas (1903-1993) invoque le « principe responsabilité ». Construit sur le mode de l’impératif catégorique kantien, Jonas l’énonce de la façon suivante :

« Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie. Ne compromets pas les conditions de la survie indéfinie de l’humanité. »
(Le Principe responsabilité, 1979)

Le progrès de la technique s’accompagne d’une forme d’inquiétude ; serons-nous capables de limiter les effets de la technique, tant que celle-ci continuera de nous donner le sentiment d’augmenter notre liberté et d’accroître notre pouvoir ?