Cours 6 La technique et le travail

(transition avec le cours 5 sur l’art ) Le rapport de l’art et de la philosophie est problématique depuis l’ostracisme platonicien. Platon rejetait les artistes qui pour lui ne sont que des charlatans nous faisant croire en la réalité d’images de copies, bref d’œuvres qui n’ont aucune réalité. L’artiste n’est pas un créateur, mais un imitateur, celui qui contemple ses œuvres est doublement trompé.

(problématique)

Quant à la technique, valorisée par les philosophes à partir du 17 siècle car capable « de nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes, texte 7 p.397 du manuel), elle est interrogée dans sa dimension problématique à la fois comme produit de l’homme et ce qui comporte pour l’humanité les plus grands dangers (Heidegger texte 8 p.397 manuel). C’est un artefact, c’est-à-dire un objet qui se distingue d’une production naturelle. Cet objet se définit essentiellement (et contrairement à l’œuvre d’art) par une fonction, par un usage. Il faut interroger la notion d’utilité contrairement au désintérêt que procure la contemplation esthétique. Mais la technique n’a-t-elle pas une place essentielle dans l’histoire de l’humanité qui dépasse la simple production d’objets utiles ? Ne faut-il pas, d’autre part, souligner ses dangers et l’emprise qu’elle a sur nous ?

  • La technè, origine des sociétés humaines

  1. LE MYTHE DE PROMETHEE cf texte partie exercice TEXTE1 p.390 du manuel ou ci-dessous  TEXTE 1
    « Il fut un temps où les dieux existaient déjà, mais où les races mortelles n’existaient pas. Lorsque fut venu le temps de leur naissance, fixé par le destin, les dieux les façonnent à l’intérieur de la terre, en réalisant un mélange de terre, de feu et de tout ce qui se mêle au feu et à la terre. Puis, lorsque vint le moment de les produire à la lumière, ils chargèrent Prométhée et Épiméthée de répartir les capacités entre chacune d’entre elles, en bon ordre, comme il convient.Épiméthée demande alors avec insistance à Prométhée de le laisser seul opérer la répartition : « Quand elle sera faite,dit-il, tu viendras la contrôler. » L’ayant convaincu de la sorte, il opère la répartition. Et dans sa répartition, il dotait les uns de force sans vitesse et donnait la vitesse aux plus faibles ; il armait les uns et, pour ceux qu’il dotait d’une nature sans armes, il leur ménageait une autre capacité de survie. À ceux qu’il revêtait de petitesse, il donnait des ailes pour qu’ils puissent s’enfuir ou bien un repaire souterrain […], il s’arrangea pour les prémunir contre les saisons de Zeus : il les recouvrit de pelages denses et de peaux épaisses, protections suffisantes pour l’hiver, mais susceptibles aussi de les protéger des grandes chaleurs […]. Ensuite, il leur procura à chacun une nourriture distincte, aux uns l’herbe de la terre,aux autres les fruits des arbres, à d’autres encore les racines ; il y en a à qui il donna pour nourriture la chair d’autres animaux […]. Cependant, comme il n’était pas précisément sage, Épiméthée, sans y prendre garde, avait dépensé toutes les capacités pour les bêtes, qui ne parlent pas ; il restait encore la race humaine, qui n’avait rien reçu, et il ne savait pas quoi faire. Alors qu’il était dans l’embarras, Prométhée arrive pour inspecter la répartition, et il voit tous les vivants harmonieusement pourvus en tout, mais l’homme nu, sans chaussures, sans couverture, sans armes. Et c’était déjà le jour fixé par le destin, où l’homme devait sortir de terre et paraître à la lumière. Face à cet embarras, ne sachant pas comment il pouvait préserver l’homme, Prométhée dérobe le savoir technique d’Héphaïstos et d’Athéna, ainsi que le feu- car, sans feu, il n’y avait pas moyen de l’acquérir ni de s’en servir -, et c’est ainsi qu’il en fait présent à l’homme. De cette manière, l’homme était donc en possession du savoir qui concerne la vie » (Platon, Protagoras, 320c-321d)
  2. La technique consiste à fabriquer des outils – Bergson : Texte du manuel 3 p.393 TEXTE 2  « Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à ce que l’histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique constante de l’homme et de l’intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo sapiens, mais Homo faber.» (L’Évolution créatrice, chap. 2)

– Comparaison des productions animales et de la technique humaine : (a) Les matériaux utilisés : l’animal utilise des matériaux secrétés par son corps ou bien trouvés dans la nature, tandis que l’homme transforme et invente des matériaux.(b) La structure du produit : elle dérive de l’instinct chez les animaux, tandis qu’elle dérive de la réflexion, d’une planification, d’un apprentissage et d’une coopération sociale dans le cas des êtres humains.(c) Les moyens de production : l’animal utilise simplement son propre corps, tandis que l’homme utilise des outils (grâce à ses mains), voire des machines ; il peut transmettre l’usage des outils et les perfectionner.(d) La finalité du produit : les productions animales ont seulement une finalité biologique, il s’agit de survivre, de continuer à exister dans la durée, tandis que la technique humaine est une manière pour l’homme d’affirmer son existence, sa puissance, et une ouverture à d’autres dimensions (l’homme fabrique aussi des objets à des fins ludiques,scientifiques, artistiques…).

 

3. La question des règles cf texte 3  sur l’art d’Alain

Dans les rapports entre l’art et la technique, la question des règles est importante dans la mesure ou elle permet la distinction entre produire, fabriquer et créer.

Texte 3 de Alain : L’idée du texte est la différence entre l’artisan et l’artiste, l’un a déjà l’idée de ce qu’il va faire alors que l’autre n’a pas de projet défini.

Ébauche d’introduction :

Quelle différence y a-t-il entre un artiste et un artisan ? Dans son texte, Alain, montre que cette distinction pose problème parce que nous avons tendance à confondre deux types de productions qui se distinguent cependant du point de vue de celui qui les met en œuvre. C’est l’artiste qui se distingue de l’artisan davantage que le produit qu’ils proposent au public. Or, une des caractéristiques de l’artiste est qu’il ne sait pas lui-même rendre raison de la manière dont son œuvre est créée. Est-ce à dire qu’il ne manifeste d’aucun travail ni que ce dernier ne nécessite aucune technique ? L’artiste n’a-t-il aucune idée de ce qu’il va entreprendre ? Ne connait-il pas les étapes nécessaires à la réalisation de son œuvre ? Nous nous demanderons quelles sont les caractéristiques de l’artisan, puis comment l’auteur le distingue de ce qui est propre à l’artiste pour s’interroger sur la spécificité du peintre dans la mesure où l’auteur choisit le peintre de portrait pour illustrer l’idée d’un créateur spectateur qui ne va pas sans poser la question du beau difficile à conceptualiser.

L’artiste a quand même des règles, comme l’artisan, cependant l’essentiel de la création artistique n’est pas dans le savoir-faire. Dans l’art aucune règle ne préside a l’avance dans l’apparition d’une œuvre, il n’y a rien qui ne détermine la création dans l’esprit de l’artiste. Ainsi tout « artiste » sachant ce que son œuvre va donner a l’avance, est en fait un artisan. L’artiste se crée donc ses propres règles, il va donner ses règles a l’art (cf. Kant)

A l’inverse dans la production technique, c’est la fonction de l’objet qui détermine dans l’esprit de l’artisan l’idée a représenter ainsi que les règles à respecter pour son exécution.

D’après Bergson : La technique est définie comme recherche de l’utile tandis que l’art est libre de toute préoccupation pratique, utile. L’artiste est un idéaliste, il voit ce qu’on le ne voit pas.

« Plus nous sommes préoccupés de vivre, moins nous sommes enclins a contempler. » – Bergson

L’art c’est le détachement des préoccupations de la vie et en même temps une perception élargie du réel, une vision du monde, gratuite et désintéressée.

 

  • L’essence de la technique

« L’essence de la technique n’est absolument rien de technique » – Heidegger

Nous avons une conception fausse de la technique qui consiste a la réduire a son statut instrumental. Nous croyons que la technique est seulement un ensemble de moyens artificiels que les hommes produisent au service des fins qu’ils poursuivent, cependant Heidegger pense que la technique que se résume pas à ça. La technique nous échappe, non pas en tant que moyen mais dans son essence même. Elle est « un mode du dévoilement », dévoilement de ce qui est , ce que Heidegger va appeler « la vérité de l’être ».

« Quelle différence y a-t-il entre la technique traditionnelle et la technologie moderne ? […] Martin Heidegger entend montrer que, dans un cas et dans l’autre, ce n’est pas le même rapport de l’homme avec la nature et le monde qui est en jeu. “La centrale n’est pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles unit une rive à l’autre. […] Le fleuve est muré dans la centrale”, qui le met en demeure de livrer l’énergie qu’il recèle. La centrale et le pont de bois illustrent en réalité deux types de relation à la nature. La première est technê, au sens grec d’un savoir-faire qui a partie liée avec les arts. Elle est productrice d’œuvres, de choses fabriquées par l’homme mais qui s’inscrivent dans la nature, qui peuplent le monde. Sur le pont de bois, le promeneur passe et son regard embrasse le paysage. La technique ancienne permet à l’homme d’habiter la terre en poète. La seconde technologie, poussée jusqu’au machinisme, est une provocation par laquelle la nature est mise en demeure de livrer ses ressources, lesquelles sont à leur tour susceptibles d’être stockées avant d’être transformées. Elle considère la nature comme un“fonds”, ne visant pas à produire une œuvre qui s’intègre à son environnement mais opérant plutôt une coupure radicale entre les produits de l’activité humaine et la nature. […] Telle est l’essence de la technique moderne: un”arraisonnement”, c’est-à-dire une mise à la raison du monde, une exploitation des connaissances scientifiques pour mettre le réel et ses ressources à notre disposition. » (Pauline Théveniaud, “Martin Heidegger et le vieux pont de bois”,Philosophie Magazine, 16)

Travail sur le texte de HEIDEGGER ICI

Représentation réductrice de la place qu’il a dans le monde, obnubilé par les objets, et non la création, naissance de l’art « techné », outils, machine, ce que lui-même a fabriqué ce qui semble le dépasser.

Usage des mots valises, conceptualisation et vocabulaire complexe dans son œuvre, l’homme a du mal à se rapporter à cette nature à tout ce qui l’entoure, comme physicien, celui-ci dévoile la vérité.

La technique et le dévoilement du réel, « Aléteia », on lève quelque chose on lève le voile, idée que cette technique qui est faite par l’homme pour les hommes n’est pas réduite aux gestes du technicien, mais une certaine manière pour l’homme de considérer le monde, d’habiter le monde.

Être au monde, être-là (Dasein), consiste pour l’homme à utiliser unesorte de fond disponible, que l’homme transforme et utilise, « j’appuie sur un bouton la lumière s’allume » Rapport très différent par rapport à l’homme du passé.

L’homme considère notamment les objets , mais la manière dont l’homme considère les objets est particulière, Il est agressif avec la nature comme si c’était lui qui devait décider ce que celle-ci doit être, présentation générale, danger de la technique.

L’homme creuse sa propre tombe, au profit des nouvelles technologies, disparition science religion philo. L’homme lui-même en tant que partie de la nature en vient à se considérer comme un stock d’énergie inépuisable. Technologie du transhumanisme. Pointer ce moment ou l’homme devient un chose exploitée par la technique.

Tournant philosophique dans la technique et ce que représente la technique.

Rapport de l’homme au monde/réel/nature

Selon Heidegger, l’homme du XXème siècle à une représentation réductrice du réel : il ne pense qu’aux objets techniques : outils, machines (ce qu’il a lui-même fabriqué)

Il a donc beaucoup de mal à se représenter le réel

Heidegger souhaite « dévoiler »la vérité

DÉVOILEMENT = étymologie du mot vérité ? on ôte le voile, on enlève ce qui empêchait l’accès à la vérité

Pour lui, la technique ne se réduit pas aux gestes du technicien mais est plutôt une certaine manière pour l’homme « d’habiter le monde »

Cet état : ÊTRE AU MONDE / ÊTRE LÀ consiste à user fonds disponibles que l’homme transforme, utilise

? Manière dont l‘homme considère ce qu’il a lui même fabriqué mais aussi la nature elle même

Intermédiaire entre homme / nature (technique ?)

Prend la nature comme étant à sa propre disposition

Plusieurs dangers de la technique : religion, science, arts

Homme en vient à se considérer lui-même comme un stock d’énergie

En train de devenir une chose exploitée elle même par la technique

« Commandement au sens d’une mise à disposition »

Distinction TECHNIQUE MODERNE / TRADITIONNELLE :

TECHNIQUE TRADITIONNELLE ? pas d’accumulation, pas de volonté de contrôle, de commande de la nature utilisation de celle-ci sans modifier processus naturels

TECHNIQUE MODERNE ? commande la nature pour l’adapter aux intérêts de l’homme, la met à sas disposition

Analyse :

DÉVOILEMENT DU RÉEL : l’homme s’approprie le réel, le met à sa disposition, l’’accumule, l’exploite sur commande, en fait son propre fond disponible

IMAGE DU PAYSAN :

Utiliser la nature mais pas la transformer, s’en remettre à elle (impossible de commander pluie, soleil…)

? nouveau mode de culture

Nature n’est pas déterminante dans la production

Homme agit/ intervient sur la nature = elle n’a pas de rôle

Rapport différent à la nature

Technique forgée par l’homme qui fait tout, forces naturelles n’ont plus de rôle

IMAGE DU FLEUVE (RHIN) / DE LA CENTRALE ÉLECTRIQUE :

pont = l’homme s’adapte au fleuve, il ne l’exploite pas

humains ont réussi à contrôler un fleuve

? centrale électrique : on fait du fleuve un stock d’énergie, il se résume uniquement à cela

? l’homme n’a qu’à passer commande

CONCLUSION

Problème de représentation du réel : l’homme ne voit dans la nature que cette mise à disposition du réel

? Aujourd’hui, problème gestion ressources naturelles n’est pas réglé

? Questionnement sur la technologie

 

La responsabilité

« Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l’économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l’homme de devenir une malédiction pour lui. La thèse liminaire de ce livre est que la promesse de la technique moderne s’est inversée en menace, ou bien que celle-ci s’est indissolublement liée à celle-là. Elle va au-delà du constat d’une menace physique. La soumission de la nature destinée au bonheur humain a entraîné par la démesure de son succès, qui s’étend maintenant également à la nature de l’homme lui-même, le plus grand défi pour l’être humain que son faire ait jamais entraîné. »

Hans Jonas, Préface, Le principe de responsabilité,

Éthique pour la civilisation technologique.