Cours 2 La religion peut-elle nous donner du sens ?

Relegere et Religare

Le mot religion vient du terme religio qui signifie à l’origine le scrupule qui retient l’homme d’agir de telle ou telle façon et sans lequel son acte ne serait pas respecté des dieux. Ce terme peut être rattaché à deux verbes de sens différents et a donc deux étymologies possibles. D’une part, le verbe latin relegere signifie « rassembler », « recueillir » et plus littéralement « relire ». Il insiste sur la tradition du contenu religieux qu’il faudrait conserver dans sa pureté et transmettre intact. D’autre part, le verbe religare évoque le « lien », « la ligature » entre l’homme et Dieu. Ce second sens serait d’origine chrétienne, c’est le sens que conserve Durkheim. Avec religare ce n’est pas qu’un lien entre les hommes qu’institue la religion, mais entre l’homme et le divin ou entre l’homme et le sacré. C’est la notion d’alliance.

Vocabulaire à retenir

Croire / Savoir

On croit lorsque l’on tient pour vrai quelque chose, sans pouvoir le prouver. En général, on range la croyance aux côtés de l’opinion et du préjugé. En matière de religion, on entend par croyance l’acte personnel de foi qui traduit, au sens étymologique de credere, la confiance accordée à quelqu’un (le prophète, Dieu). En revanche, on sait quand on adhère à une idée en se fondant sur des connaissances établies qui prouvent sa vérité. A cet égard, les démonstrations ou preuves de l’existence de Dieu relèvent du savoir. C’est pourquoi croire et savoir peuvent porter sur le même objet et dire la même chose, parce que leur différence réside dans la manière de se rapporter à un contenu.

Par exemple, je sais que ma vie aura un terme car je peux démontrer que les cellules vivantes s’affaiblissent. Je peux croire que cette vie biologique fera place à une vie spirituelle pour mon âme.

Transcendant / Immanent

La transcendance se caractérise par un rapport extérieur d’une chose à une autre chose qui se trouve au?delà d’elle, qui la dépasse et la surpasse. En religion, on fait traditionnellement du Dieu monothéiste un être transcendant qui est hors du monde, au?delà. Se transcender vers Dieu, c’est s’élever et sortir de soi. À l’inverse, l’immanence signifie un rapport intérieur et inclusif d’une chose à une autre. En somme, le concept de limite est sous?jacent à la transcendance et à l’immanence.

Par exemple, l’extase mystique est une sortie de soi et une élévation vers Dieu, c’est une expérience transcendante. Au contraire, le panthéisme religieux défend l’idée d’une immanence de Dieu au monde : Dieu est le monde, il n’est ni au-dessus ni séparé, il est donc immanent au monde.

Foi

C’est une croyance qui renvoie, dans son sens restreint, à la religion et qui, au sens large et par son étymologie latine de fides, désigne la confiance accordée à quelqu’un.

Superstition

C’est une croyance – religieuse ou non – dont l’irrationalité, provoquée par la crainte ou l’ignorance, tombe dans l’excès de prêter des pouvoirs à certaines choses ou de les voir comme des signes.

Religion

C’est un ensemble de croyances et de cultes portant sur le divin ou le sacré, et donnant des règles de vie (sous la forme d’une morale qui prescrit et interdit certaines pratiques) aux individus, qui font ainsi partie d’une communauté de croyants ou de fidèles.

TEXTE :

Dans le cadre d’une définition de son objet de réflexion, Émile Durkheim déploie ici une argumentation en faveur du caractère social de la religion. Toute croyance religieuse est d’origine et de nature sociale. Le rapport à Dieu n’est pas central. Dans cet extrait, il n’est pas même envisagé.

?Les croyances proprement religieuses sont toujours communes à une collectivité déterminée qui fait profession d’y adhérer et de pratiquer les rites qui en sont solidaires. Elles ne sont pas seulement admises, à titre individuel, par tous les membres de cette collectivité ; mais elles sont la chose du groupe et elles en font l’unitéa. Les individus qui la composent se sentent liés les uns aux autres, par cela seul qu’ils ont une foi commune. Une société dont les membres sont unis parce qu’ils se représentent de la même manière le monde sacré et ses rapports avec le monde profane, et parce qu’ils traduisent cette représentation commune dans des pratiques identiques, c’est ce qu’on appelle une Égliseb. Or, nous ne rencontrons pas, dans l’histoire, de religion sans Église. Tantôt l’Église est étroitement nationale, tantôt elle s’étend par delà les frontières ; tantôt elle comprend un peuple tout entier (Rome, Athènes, le peuple hébreu), tantôt elle n’en comprend qu’une fraction (les sociétés chrétiennes depuis l’avènement du protestantisme) ; tantôt elle est dirigée par un corps de prêtres, tantôt elle est à peu près complètement dénuée de tout organe directeur attitré. Mais partout où nous observons une vie religieuse, elle a pour substrat un groupe définic. Même les cultes dits privés, comme le culte domestique ou le culte corporatif, satisfont à cette condition ; car ils sont toujours célébrés par une collectivité, la famille ou la corporationd. Et d’ailleurs, de même que ces religions particulières ne sont, le plus souvent, que des formes spéciales d’une religion plus générale qui embrasse la totalité de la vie, ces Églises restreintes ne sont, en réalité que des chapelles dans une Église plus vaste et qui, en raison même de cette étendue, mérite davantage d’être appelée de ce nom.

 

Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, 1912.

 

Aide à la lecture


a.
Les croyances religieuses sont par nature collectives, avant même d’être individuelles.
b. Une Église est un groupe social qui partage les mêmes croyances religieuses, permettant de distinguer le sacré du profane, et qui pratique les mêmes rites.
c. Quelle que soit sa taille, toute Église est un groupe social.
d. Cela vaut également pour les cultes privés, parce que le caractère privé n’empêche pas l’appartenance à un groupe, si petit soit-il.

 

 

Le sens commun confond la religion et la croyance, c’est a dire un ensemble de rites, de pratiques collectives et une pensé individuelle, personnelle. Or qu’est ce que qui peut donner un sens à notre vie ?

Comment ce qui est commun, collectif peut- il satisfaire une question individuelle, intime ?

Le problème est dans cette confusion de vocabulaire entre une expérience de la religion qui est toujours partagée et une pensée du sens de la vie qui relève de l’intimité de chacun.

Métaphysique = à côté de la physique (livres d’Aristote) phusis = la nature : animal, végétal et inerte

Il y a trois idées métaphysiques :

  • avoir une idée de Dieu
  • avoir une idée sur l’origine et destination de l’univers (question de Pangloss dans Candide de Voltaire : Pourquoi y a t il quelque chose plutôt que rien ?
  • sur l’origine et destination de l’humain = sens de la vie

A ces trois questions la religion répond (:Dieu), la métaphysique ne répond pas, ce n’est pas une science ni un savoir, il n’y a pas de vérité de la métaphysique mais des limites de l’esprit humain (antinomie de la raison). Ces réponses relèvent de la foi et non du savoir, d’une conviction intime et non d’une réflexion ou raisonnement universel.

 

II L’ère du soupçon envers la ou les religions

1/ Texte de NIETZSCHE

Le plus grand récent événement – à savoir que « dieu est mort », que la croyance au Dieu chrétien est tombée en discrédit – commence dès maintenant à étendre son ombre sur l’Europe. Aux quelques rares, tout au moins, doués d’une suspicion assez pénétrante, d’un regard assez subtil pour ce spectacle, il semble en effet que quelque soleil vienne de décliner, que quelque vieille, profonde confiance se soit retournée en doute : à ceux-là notre vieux monde doit paraître de jour en jour plus crépusculaire, plus méfiant, plus étranger, « plus vieux ». Mais sous le rapport essentiel on peut dire : l’événement en soi est beaucoup trop considérable, trop lointain, trop au-delà de la faculté conceptuelle du grand nombre pour que l’on puisse prétendre que la nouvelle en soit déjà parvenue, bien moins encore, que d’aucuns se rendent compte de ce qui s’est réellement passé, comme de tout ce qui doit désormais s’effondrer, une fois ruinée cette croyance, pour avoir été fondée sur elle, et pour ainsi dire enchevêtrée en elle : par exemple notre morale européenne dans sa totalité.
Cette longue et féconde succession de ruptures, de destructions, de déclins, de bouleversements, qu’il faut prévoir désormais : qui donc aujourd’hui la devinerait avec assez de certitude pour figurer comme le maître, l’annonciateur de cette formidable logique de terreurs, le prophète d’un obscurcissement, d’une éclipse de soleil comme jamais il ne s’en produisit en ce monde (…) ? D’où vient que même nous autres, nous envisagions la montée de cet obscurcissement sans en être vraiment affectés, et surtout sans souci ni crainte pour nous-mêmes ? Subirions-nous trop fortement peut-être l’effet des conséquences immédiates de l’événement – conséquences immédiates qui pour nous autres ne sont, contrairement à ce que l’on pourrait peut-être en attendre, nullement affligeantes ni assombrissantes, mais bien plutôt comme une lumière, une félicité, un soulagement, un égaiement, un réconfort, une aurore d’une nouvelle sorte qui ne se décrit que difficilement…
En effet, nous autres philosophes, nous autres « esprits libres », à la nouvelle que le « vieux dieu est mort », nous nous sentons comme touchés par les rayons d’une nouvelle aurore : notre cœur, à cette nouvelle, déborde de reconnaissance, d’étonnement, de pressentiment, d’attente – voici l’horizon à nouveau dégagé, encore qu’il ne soit point clair, voici nos vaisseaux libres de reprendre leur course, de reprendre leur course à tout risque.

Nietzsche, Le gai Savoir, V, Nous qui sommes sans crainte, § 343, Notre sérénité, Bouquins T. II, p. 205.