Blommendael, Xantippe Dousing Socrates (c. 1665, Strasbourg, Musée des Beaux-Arts
Socrate – Voilà donc jusqu’où va le rôle des accoucheuses; bien supérieure est ma fonction. Il ne se rencontre point, en effet, que les femmes parfois accouchent d’une vaine apparence et, d’autre fois, d’un fruit réel, et qu’on ait quelque peine à faire le discernement. Si cela se rencontrait, le plus gros et le plus beau du travail des accoucheuses serait de faire le départ de ce qui est réel et de ce qui ne l’est point. N’es-tu pas de cet avis?
Théétète – Si.
Socrate – Mon art de maïeutique a mêmes attributions générales que le leur. La différence est qu’il délivre les hommes et non les femmes et que c’est les âmes qu’il surveille en leur travail d’enfantement, non point les corps. Mais le plus grand privilège de l’art que, moi, je pratique est qu’il sait faire l’épreuve et discerner, en toute rigueur, si c’est apparence vaine et mensongère qu’enfante la réflexion du jeune homme, ou si c’est fruit de vie et de vérité. J’ai, en effet, même impuissance que les accoucheuses . Enfanter en sagesse n’est point en mon pouvoir, et le blâme dont plusieurs déjà m’ont fait approbre, qu’aux autres posant questions je ne donne jamais mon avis personnel sur aucun sujet et que la cause en est dans le néant de ma propre sagesse, est blâme véridique. La vraie cause, la voici: accoucher les autres est contrainte que le dieu m’impose; procréer est puissance dont il m’a écarté. Je ne suis donc moi-même sage à aucun degré et je n’ai, par devers moi, nulle trouvaille qui le soit et que mon âme à moi ait d’elle-même enfantée.
Platon, Théétète, 150a-c