La mort d’Agrippine livre XV, VIII

Buste d’Agrippine. Crédits photo : DR
Texte
[8] Interim vulgato Agrippinae periculo, quasi casu evenisset, ut quisque acceperat, decurrere ad litus. Hi molium obiectus, hi proximas scaphas scandere; alii, quantum corpus sinebat, vadere in mare; quidam manus protendere. Questibus votis clamore diversa rogitantium aut incerta respondentium omnis ora compleri; adfluere ingens multitudo cum luminibus, atque ubi incolumem esse pernotuit, ut ad gratandum sese expedire, donec adspectu armati et minitantis agminis dejecti sunt. Anicetus villam statione circumdat refractaque janua obvios servorum abripit, donec ad fores cubiculi veniret; cui pauci adstabant, ceteris terrore inrumpentium exterritis. Cubiculo modicum lumen inerat et ancillarum una, magis ac magis anxia Agrippina, quod nemo a filio ac ne Agermus quidem: aliam fore laetae rei faciem; nunc solitudinem ac repentinos strepitus et extremi mali indicia. Abeunte dehinc ancilla, « tu quoque me deseris? » prolocuta, respicit Anicetum, trierarcho Herculeio et Obarito centurione classiario comitatum: ac si ad visendum venisset, refotam nuntiaret, sin facinus patraturus, nihil se de filio credere; non imperatum parricidium. Circumsistunt lectum percussores et prior trierarchus fusti caput ejus adflixit. Jam in mortem centurioni ferrum destringenti protendens uterum « ventrem feri » exclamavit multisque vulneribus confecta est.
Vocabulaire
Interim = pendant ce temps, cependant
Vulgo,as, are, ari, atum : répandre, propager
quasi = comme si (+subj.)
Evenio,is,ere,i / arriver
Casus,us,m : hasard, accident
ut quisque : dans la mesure où chacun
decurrere et inf. sq. : infinitif de narration
Litus, oris,m : rivage
scando,is,ere : escalader
moluim objectus : la barrière des digues
scapha,ae;f : barque
quantum : autant que
sino,is,ere : permettre
vado,is,ere : s’avancer
protendo,is,ere : tendre
ora,orae,f. :le rivage, la côte
compleo,es,ere : remplir
questus,us,m : les plaintes
votum,i,n : voeu
diversus,a,um : contraire, opposé
rogito,as,are : demander avec insistance
adfluo,is,ere : affluer
ubi + ind : lorsque
pernosco,is,ere, notui : apprendre à fond
incolumis,is,e : sain et sauf
incolumen esse : sous entend eam (=Agrippine)
ut : explétif, redouble l’idée de but contenue dans ad.
se expedire : se préparer
grator,aris,ari : féliciter
donec (+ind.) : jusqu’à ce que
depicio,is,ere, jeci, jectum : débusquer, déloger
minitor, aris,ari : menacer
Anicetus,i,m : Anicetus (affranchi de Néron)
circumdo,as,are : entourer
statio, onis, f : la garde
refringo,is,ere, fregi, fractum : briser
abripio,is,ere : enlever, arracher
obvius,a,um : qui se trouve sur le passage
donec (+ subj) = jusqu’à ce que (idée d’intention)
foris =fores = la porte
adsto,as,are : (+ datif) : être près de
exterreo,es,ere : épouvanter, chasser par la peur
irrumpo,is,ere : faire irruption, envahir
insum (+datif) : être dans
quod nemo (sous enten. veniebat)
quod : parce que
ne…quidem : pas même
Agermus : affranchi d’Agrippine qu’elle lui a envoyé et que Néron a retenu prisonnier
: commencement du style indirect dépendant d’un putabat sous entendu
fore, futurum esse : infinitif futur de sum
facies,ei,f : forme, aspect
solitudinem, sous entendu esse
strepitus,us,m : bruit
repentinus,a,um : soudain
dehinc : de là
desero,is,ere : abandonner
prolocuta : ayant dit (prologuor)
respicio,is,ere : apercevoir
comitatus, a, um : accompagné
classiarius,a,um : de la flotte
ac,si… dépend d’un dixit sous entendu, nouveau style indirect
viso,ere : rendre visite
refotus,a,um : remis
sin : si au contraire
patro,as,are : accomplir, perpétrer / patraturus sous entendu esset
facinus,oris,n ; crime
se : Agrippine
imperatum (sous entendu esse)
percussor,oris, m : meurtrier
circumsisto,is,ere : entourer
adfligo,is,ere, fixi : frapper
fustis,is : bâton
destringo, is, ere : dégainer
uterus,i,m : sein, bas-ventre
ferio,is,ire : frapper
conficio,is,ere : achever
vulnus,eris, n : blessure
Explication.
L’événement historique de la mort d’Agrippine est ici relaté dans le détail. Cet assassinat s’explique par le comportement envahissant de la mère de Néron. Elle réprouvait surtout ses liaisons amoureuses et sa manière de gouverner. Le récit de cette mort est très construit, ce qui fait de Tacite non seulement un narrateur (définition de l’histoire comme genre littéraire à cette époque), mais aussi un tragédien et un moraliste.
- Le regard du narrateur
- Tacite suit les événements de l’extérieur mais les décrit comme une mise en scène : la rumeur se diffuse sur le rivage (vulgato periculo), puis touche les personnes rassemblées (ut quisque acceptat). On peut suivre les mouvements des groupes jusqu’au particuliers hi, hi / alii / quidam .Les infinitifs de narration permettent de balayer les différents mouvements de la foule.
- Les sons se mêlent aux mouvements : bruits de voix, plaintes, voeux, souhaits sous forme de question / réponse (Questibus votis clamore diversa rogitantium aut incerta respondentium). La foule grossit jusqu’à devenir ingens multitudo Cette foule a l’intention d’avancer (sese expedire) dans un but précis (ut ad gragandum) Tout se passe comme s’il n’y avait qu’un seul corps, que les mouvements et les sons coordonnés allaient vers ce but.
- Il y a une rupture de cette progression par l’irruption violente d’Anicétus jusqu’à la chambre d’Agrippine 1°/ à l’extérieur,circumdat refractaque janua 2°/ au seuil de la maison, obvios servorum abripit, 3°/ dans la maison (ad fores cubiculi), 4°/ dans la chambre elle-même : tout ça en une seule phrase. La rapidité et l’efficacité du soldat contrastent avec les mouvements et clameurs de la foule.
- Gros plan sur Agrippine. Une fois dans la chambre elle reconnaît Anicétus envoyé par son fils Néron et les soldats. Elle parle de ce qu’elle a vu elle-même, puis l’attaque violente dont elle a été victime, elle désigne son ventre (protendens uterum ) et enfin la description se termine sur son corps mort.
- Les ambiances tragiques
- Le lieu extérieur, le rivage (litus) et la mer (mare) représentent l’immensité où converge la foule de manière désordonnée . La jeté, les embarcations (scarfas) immobiles contrastent avec la diversité des réactions et l’agitation de la foule (verbes de mouvement ou d’action).
- Les lumières, porteuses d’espoir contrastent avec la scène finale. La foule est composée d’anonymes qui semblent sympathiques envers Agrippine mais tenus à l’écart et inefficaces face à la scène de crime qui se prépare. Les voix multiples, nombreuses se répondent en contraste avec les paroles d’Agrippine.
- Le lieu intérieur et intime que tout le monde fuit y compris les servantes Abeunte dehinc ancilla, est oppressant. Les fidèles dispersés laissent place à la solitude, la violence, la pénombre (modicum lumen) et le silence. Tout cela évoque l’angoisse. Il y a peu de verbes, peu de descriptions et peu de personnes. Une seule voix s’élève, celle d’Agrippine : elle exprime l’inquiétude (magis ac magis anxia Agrippina ), la plainte et le refus de l’évidence (elle ne nomme pas son fils Néron, non imperatum parricidium )
- La morale
- La nouvelle du danger est connue mais le drame est évoqué en peu de lignes, comme si l’événement était inéluctable. Par la situation, les décors, la violence et la rapidité, rien n’est laissé au hasard malgré la succession rapide des faits. Le lecteur est laissé impuissant, à l’abandon progressif d’Agrippine, il ressent comme la foule, terreur et pitié.
- Agrippine est un personnage tragique, seule au moment du drame solitude propre au héros tragique elle pressent le danger et affronte son sort. Elle veut tromper le messager de Néron, elle se bat jusqu’au bout, mais elle connait le dénouement (aliam fore) Agrippine manifeste grandeur et dignité et une véritable maîtrise d’elle même dans ses gestes et ses paroles.
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