Mille et une manières de le dire

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[item title= »Retour sur une journée particulière – Une chronique de Juliette« ]

Ça s’est imposé comme une évidence au long du WE : impossible de faire cours « normalement » lundi ; il fallait donner aux élèves de quoi décrypter l’info, donner du sens à tous ces termes employés, pour les aider à comprendre. Comme beaucoup, j’ai passé mon dimanche à lire, collecter des articles, des liens, des vidéos, pour être au clair moi même et pour leur proposer des réponses. Impossible de savoir quelles questions ils allaient poser, mais j’étais sûre qu’ils en auraient.

Un peu tendue ce matin… Constat glacial que nombre de collègues ne se sentaient pas du tout de répondre aux questions. Allons, ça sonne, c’est parti.

Une classe de sixième d’abord. « Madame, vous avez corrigé nos contrôles ? » Non. « Madame, on va parler des attentats ? » Oui.

Toute la journée à chaque heure de cours j’ai proposé aux élèves le même protocole : vous posez toutes les questions que vous voulez, interdiction de commenter les questions ; j’écris vos questions sur l’ordinateur au fur et à mesure (vidéo projecteur allumé évidemment) ; quand on a fait le tour de toutes les questions, on tente d’y répondre, vous pouvez apporter vos éléments de réponse, et moi je vous en propose aussi. On s’écoute, on ne débat pas par petits groupes, on attend son tour.

Tous les élèves, sans exception, adhèrent et respectent le protocole. Toutes les classes sont soulagées quand je leur dis qu’on va en parler. Toutes les classes me disent merci quand la fin du cours arrive.

De la sixième à la quatrième, les questions se ressemblent

Faut-il craindre quelque chose ? Avoir peur ? Est-ce que c’est la guerre ? Est-ce que ça sera la troisième guerre mondiale ?

Pourquoi ils tuent des innocents ? Qu’est-ce qu’ils veulent ? Comment ils achètent les armes ? Est-ce qu’ils ont des alliés ?

Pourquoi s’en prennent-ils à la France ?

Est-ce qu’on peut mettre en prison les gens qui reviennent de Syrie ? Est-ce qu’on peut bombarder les terroristes et résoudre ainsi le problème ? Pourquoi on ne fait pas une minute de silence quand il y a des attentats dans d’autres pays ?

Pourquoi tuent-ils au nom de Dieu alors que l’islam dit qu’il ne faut pas tuer ? Est-ce que les musulmans sont tous d’accord avec ça ? Comment faire pour ne pas associer musulmans et terroriste ?

Les questions sont cash

Mettre des mots sur tout ça. Expliquer Daech, revenir en arrière dans le temps, d’où ça vient, localiser. Définir les termes – terroristes, état d’urgence, islamiste… Débattre des valeurs que la pays défend – la laïcité, les libertés individuelles, la sécurité, l’opinion…

Interroger le prix que l’on accorde à ces valeurs, qui fait que l’on ne peut pas sacrifier la liberté à la sécurité, parce qu’ « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux » (B. Franklin).

Mettre le doigt sur les contradictions, les questions insolubles, l’absence de solution toute faite et magique au problème que nous pose le terrorisme.

Pousser la réflexion, ne pas se contenter de réponse bateau, ne pas éluder les questions complexes, accepter de ne pas avoir de réponse.

Oui, nous avons pu aborder tout cela. Mes élèves m’ont épatée. Leur décence, leur désir de comprendre, leur confiance, leur écoute. Leur volonté de vivre dans ce monde là, qu’ils aiment, et d’y trouver un sens. Leurs interrogations profondes sur des questions complexes.

Leur refuser ce temps de réflexion, de débat, de questions/réponses, aurait été passer à côté de quelque chose qui va vers un a-venir. Et ce n’est pas fini. Ils ont encore besoin de clés, de temps pour débattre et réfléchir, ils en auront besoin pour comprendre la suite, les décisions politiques qui vont être prises, les enjeux de celles-ci.

Et il est essentiel de les leur donner.

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[item title= »Écrire pour exister – Une chronique d’Amélie Mélo« ]

Aujourd’hui n’était pas un lundi comme les autres. Nous n’avons pas fait cours. Nous avons discuté, écrit et dessiné. Nous avons échangé, librement, simplement, humains que nous sommes. « Ô nous frères humains » !

Après leur avoir lu et expliqué la citation notée au tableau Fluctuat nec mergitur, la consigne a été donnée, simple: « Je vous laisse quelques minutes pour écrire. Vous êtes libres de vous exprimer. Écrivez. Dessinez si vous préférez, ensuite nous mettrons tout en commun et nous discuterons ».

Chaque classe était émouvante. Chaque élève a pris la parole, presque tous ont écrit. Un de mes cinquièmes était au stade de France. Émotion dans la salle. Applaudissement à la fin de la lecture de son texte. Une autre a failli perdre son cousin, elle a composé un poème en quelques minutes et ne pouvait plus s’arrêter d’écrire après. D’autres ont dessiné. Certains ont pleuré.

Les troisièmes ont écrit de très belles phrases, certains ont préféré citer des phrases lues sur les réseaux sociaux. Aucun n’a fait d’amalgame. « Ce ne sont pas des musulmans qui ont fait ça. » Ce moment de partage simple était touchant. Une classe de troisième a entonné spontanément la Marseillaise. L’heure suivante, avec la classe dont je suis professeur principale vint le temps de faire la minute de silence. Alors que chacun parlait, même fort, le calme s’est installé rapidement. Un des élèves m’a demandé s’il POUVAIT se lever. Bien évidemment, vas-y ; adoptez la posture que vous voulez, debout ou assis, l’important est le respect et la réflexion lors de cette minute. Finalement, ça a duré plus d’une minute. Ce silence était apaisant, serein après ces émotions dites.

À la fin de chaque heure, nous sommes allés accrocher leurs panneaux réalisés dans le couloir longeant ma salle. Ils ont pris des photos, étaient fiers d’avoir participé à leur manière à cet hommage, à cette liberté d’expression.

Liberté, j’écris ton nom

Mes élèves aujourd’hui ne l’ont pas seulement écrit, ils l’ont vécue.

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[item title= »Si loin, si proches… Solidarité de par le monde – Une chronique de Mélanie« ]

Pékin. Samedi 14 novembre au matin. À l’heure où je me réveille, c’est la nuit en France. Un œil sur mon smartphone pour consulter des banalités, météo, mails reçus pendant la nuit… Puis ce message sur un réseau social chinois que nous utilisons ici à la place de Facebook (inutilisable dans l’Empire du milieu) : « Suite aux attentats à Paris, laissez les moyens de communication libres ». Mon cœur tricolore se serre. Que s’est-il passé dans mon pays pendant que je dormais ? Le cordon ombilical qui me relie à la Mère-Patrie, internet, me montre l’horreur : articles, photos, témoignages… Je ne suis pas encore sortie de mon lit, mais prends conscience que cette dramatique journée marquera l’Histoire.

ambassade en berneCela fait malheureusement la troisième fois maintenant que je vis de tels événements tragiques depuis l’étranger. Trois fois que la communauté française de Pékin se sent profondément meurtrie. L’adversité nous apprend à être encore plus soudés, mais nous permet aussi de ressentir autour de nous la compassion et l’empathie des gens qui partagent ici notre quotidien. Les familles mixtes (entendez franco-…) se sentent plus que jamais françaises en ces moments douloureux. Dès l’annonce de ces événements, l’ambassade de France a mis son drapeau en berne et un livre de condoléances a été ouvert en son hall.

MH370b

Je me souviens la grande émotion que vous avez ressentis en France après la disparition du vol MH370, en mars 2014. En plus des nombreuses victimes chinoises, notre lycée s’était trouvé endeuillé par la perte de 3 élèves et une maman. Fortement affectés, nous sentions d’ici le soutien que vous nous témoigniez pour surmonter cette épreuve.

Louise étudiante à  Taipei partage aussi Charlie

Je me souviens de la mobilisation de notre communauté ici après l’horreur de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Cette fois le flot des pensées parcourait le monde dans l’autre sens. Je me souviens du formidable élan de sympathie qui s’en était suivi, des messages de solidarité de toutes parts. Nous, si loin, étions tellement proches de vous autres, nos compatriotes de France, par la pensée. Où que nous fûmes, tous rassemblés autour de nos valeurs si chères : « LIBERTÉ, égalité, FRATERNITÉ ». Je me souviens des échanges avec mes élèves de terminale. Toutes nationalités confondues, ils s’étaient sentis particulièrement touchés. Peut-être même davantage que les élèves de métropole, avec lesquels j’avais eu l’occasion de faire une minute de silence suivie d’une discussion quelques années auparavant. Sont-ils ici plus matures ? Nos élèves français ont-il un sentiment identitaire exacerbé en cette terre étrangère ? Leurs autres camarades de classe de nationalité étrangère davantage conscients de ces émotions palpables dans les couloirs du lycée ?

Shangai tricoloreAujourd’hui également, fusent des messages de soutien de la part de proches ou simples connaissances chinoises, certains de mes étudiants chinois, même. On décrit souvent les moyens de communication modernes comme déshumanisants, mais il faut bien reconnaître que dans ces temps de crise, ils permettent au contraire une extraordinaire proximité. Particulièrement lorsque l’on réside à l’autre bout de la Terre et que l’on souhaite tout de même rentrer en communion de pensée avec ses compatriotes. Des photos de Shanghai sont partagées, on y voit la Perle d’Orient aux couleurs de notre drapeau tricolore. D’ici on sent cette violence, cet effroi, ce chagrin mais aussi le formidable élan de solidarité qui en découlent.

Lundi 16 novembre, à 14 h 45 heure de Pékin, tous les élèves du collège et les personnels se sont rassemblés dans la cour pour observer une minute de silence en hommage aux victimes. Le petit groupe formé par les neuf classes et la vingtaine d’adultes présents à cette heure pourrait paraître bien fragile mais, portés par les quelques mots de notre proviseur-adjoint, nous nous sentons soudés et plus forts. Il a su en peu de phrases trouver des mots simples et percutants, insister sur la diversité des victimes touchées aveuglément. Parmi la quarantaine de nationalités composant son auditoire, tous se sont sentis concernés et assurés du soutien inconditionnel de la France face à ces attaques, forte de ses valeurs républicaines.

ceremonie

Lundi 16 novembre, à 19 h, heure de Pékin, je me suis rendue à la cérémonie de recueillement organisée afin d’honorer la mémoire des victimes. Cela nous a donné l’occasion, à nous français de Pékin, mais aussi à tous nos amis d’autres nationalités de s’unir ensemble par la pensée. Cette minute de silence s’est tenue « à l’unisson de celle observée dans toute la France », pour reprendre les mots de notre Ambassadeur. Comme en janvier dernier, il a réussi à traduire par son discours, avec beaucoup de dignité et d’humanité, l’émotion qui nous submergeait tous et la détermination de notre peuple à lutter pour défendre nos valeurs à travers le monde. Parmi les mille ou mille cinq cents concitoyens présents ce soir, j’ai pu voir, en plus de collègues ou amis, certains élèves de tous âges, du primaire au lycée, mais aussi quantité d’étudiants. La nouvelle génération a ici, plus qu’en France, l’opportunité de participer à ce genre de rassemblements citoyens, et d’entendre de ses propres oreilles des discours tenus par des personnes qui incarnent la République. Je pense que les jeunes présents ce soir ont senti comme moi la fierté d’appartenir à cette belle nation fondatrice et garante des droits de l’Homme, et l’importance des valeurs de notre république. Très certainement l’une des leçons de citoyenneté les plus marquantes de leur vie…

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