Julie découvre le texte de Descartes sur le désir

Le texte que j’avais donné à Julie était un extrait de la Troisième Partie du Discours de la Méthode de René Descartes (1596-1650). Descartes, après avoir remis en question toutes les certitudes admises à son époque, se donne une « morale provisoire », en attendant d’en établir une définitive, sur les nouveaux fondements d’une nouvelle science qu’il cherche à construire.

 Voici l’extrait que Julie découvrit dans le bus qui la menait sur le chemin du lycée :

Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde et généralement, de m’accoutumer à croire qu’il n’ y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir, que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait de notre mieux, touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est, au regard de nous, absolument impossible. Et ceci seul me semblait être suffisant pour m’empêcher de rien désirer à l’avenir que je n’acquisse, et ainsi pour me rendre content. Car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que si, nous considérons tous les biens qui sont hors de nous, comme également éloignés de notre pouvoir nous n’aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou de Mexique, et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirons pas davantage d’être sains, étant malades, ou d’être libres, étant en prison, que nous faisons maintenant d’avoir des corps en matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux.

René Descartes, Discours de la Méthode, Partie III.

La journée de cours se passa. Puis le soir, une fois arrivée chez moi, je guettai par la fenêtre le retour de Julie. Quand elle passa devant chez moi, je l’interpellai.
– Bonsoir, Julie, lui dis-je, ça va ? Ta rentrée s’est bien faite ?
– Ça va… répondit Julie l’air morose.
– Tu es sûre ?
– Oui, les cours c’est ok.
– Mais ?
– Mais… ton texte…
– Quoi mon texte ?
– Ben… je n’ai rien compris. On dirait qu’il ne parle pas en français ton Descartes !
– Il parle en français, en vieux français littéraire du 17e siècle. Le Discours de la Méthode est en fait l’un des premiers ouvrages écrits en français du peuple pour être compris de tous et pas seulement des savants qui pratiquaient le latin. Descartes avait d’ailleurs ajouté qu’il voulait être compris du plus grand nombre, y compris des femmes qui n’avaient pas souvent accès au savoir.
– C’est sympa !
– Il croyait que le progrès de l’humanité ne se ferait pas sans celle-ci, donc cela suppose une large instruction.
– Bon ok ; mais il dit quoi ce texte alors ? me questionna Julie.
– Descartes s’inspire d’une ancienne sagesse antique, le stoïcisme, laquelle préconise de vaincre certains désirs pour être plus heureux. Il est plus facile selon cette morale, de renoncer à des rêves impossibles dont il ne dépend que de nous d’y attacher de l’importance, plutôt que de vouloir « changer l’ordre du monde », c’est-à-dire de vouloir le transformer pour qu’il corresponde à nos envies, nos espoirs, etc…
– Mais si on ne fait plus rien, comment on peut être heureux ? Moi j’aimerais pas rester là à rien faire…
– Attention, relis le texte… Il s’agit seulement de discerner le possible de l’impossible et de ne pas s’entêter à vouloir obtenir ce qui ne pourra jamais l’être, ce qui sera toujours au-dessus de mon pouvoir, de mes capacités.
– Je comprends bien : Descartes il dit au fond qu’il faut être « réaliste » et pas se faire de films inutiles ?
– Tu peux le dire ainsi… dis-je en acceptant la formulation, quoique celle-ci ne me sembla guère philosophique !
– Et je dis quoi à mes parents ? Que s’ils sont malheureux, c’est de leur faute ? Que c’est parce qu’ils veulent se la péter ?
– Julie, surveille ton langage… J’étais obligée d’interrompre notre débat qui dérapait un peu. A mon avis, Julie était déçue de la conclusion que l’on pouvait tirer du texte, mais sans doute ne pouvait-elle pas encore exprimer pourquoi. En fait on revenait à notre point de départ, à notre aporie : si on vainc ses désirs, on manque de but dans la vie, mais d’un autre côté, si je poursuis un désir sans pouvoir le réaliser jamais, je ne pourrai pas être satisfaite non plus.
– Et si tes parents étaient malheureux parce qu’ils ont atteint le but de leur vie ? risquais-je pour la provoquer et détourner le questionnement sur un autre angle.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Eh bien que désire le désir ?
– Je ne sais pas… Il désire ce qu’il désire.
– Mais encore ? Si je désire être chanteur, mon désir s’achève quand je le deviens. Et après ?
– Ben… je ne sais pas ? Je ne désire plus être chanteur en tout cas, puisque c’est fait. – Exact ! Et alors, quoi ? La vie est finie ?
– Ben non.
– Donc ?
– Donc… Julie hésita un instant puis comprit où je voulais en venir. Elle ajouta :
– Donc je désire autre chose. Par exemple être le chanteur le plus écouté, le plus aimé.
– Alors ça ne s’arrête jamais ?
– Faut pas, sinon on ne se sent plus en vie.
– Oui ! Mais le désir ne veut que sa propre fin.
– En quoi ça explique la situation pour mes parents ?
– Ils ont peut-être réussi les rêves possibles, et se languissent parce qu’il n’ont plus que des désirs impossibles à satisfaire ?
– Tu crois ?
– Qu’est-ce que tu en penses, toi ?
– Je me demande tout simplement si le bonheur lui-même est possible… Mais de tout façon il faut bien transformer le monde pour être plus heureux. Il faut faire bouger les choses !
– Comment cela fait-il sens, si le bonheur n’existe pas ?
– Nous avons là une nouvelle a… Julie hésita un instant. Une nouvelle aporie !
– Oui, tu as bien compris ! Laquelle à ton avis ? Peux-tu la formuler ?
– Je pense que ce serait quelque chose comme : « A quoi cela sert-il de vouloir des progrès si le bonheur n’est pas possible » ?
– Excellent, c’est effectivement notre nouvelle aporie.
– Aille ! Une de plus !
– Mais elle a un point commun avec la précédente.
– Oui, elle concerne le bonheur aussi.
– C’est vrai. Et donc ?
– Peut-être qu’on ne sait pas bien ce qu’est le bonheur.
– Je crois que tu as tout à fait raison, on devrait commencer par définir ce qu’est le bonheur. A ce moment là, la maman de Julie sortit de chez elle. Et notre conversation porta sur un tout autre sujet. La suite dans le prochain article !

Quel rapport avec le programme ? à compléter (préciser le cadre de l’étude, les voies et les séries concernées). Voir ailleurs… à propos de Descartes : – Lisez la biographie de René Descartes sur le site de l’adpf. – Lisez une fiche détaillée sur René Descartes. A propos du stoïcisme : – Lisez à voix haute un poème de Louis Ménard intitulé « Stoïcisme ». – Consultez une fiche synthétique sur le stoïcisme. – Lisez un article plus poussé qui explique le stoïcisme (la naissance de l’école stoïcienne, description de la doctrine). ? propos du désir et du bonheur : – Réfléchissez à la question suivante : « Le désir est-il la marque de la misère de l’homme ? » (Vous pourrez lire ensuite le corrigé en cliquant ici). – Réfléchissez à la question suivante : « Vaut-il mieux changer ses désirs que l’ordre du monde? » (Vous pourrez lire la correction en cliquant ici). – Consultez un cours sur la recherche du bonheur. – Lisez un commentaire de texte où Descartes explique que la liberté se situe dans l’exercice raisonné de la volonté.

C. Lallemand

Publié par

LeWebPédagogique

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