De la physique classique à la physique quantique

Ces mots,  qui annonçaient  l’ émission de La fabrique de l’humain du 1/2/2007 sur la physique quantique avec pour invité Michel Bitbol,  

sont trés éclairants et permettent en quelques formules de distinguer la physique classique et la physique quantique:

 

« La naissance de la mécanique quantique au début du XXème siècle inaugure une révolution scientifique dont les physiciens et les philosophes sont encore aujourd’hui redevables et tributaires. Le bouleversement provoqué par les théories quantiques a souvent tourné en querelles d’écoles. Et il n’est pas aisé de spécifier la nature de l’ébranlement conceptuel qui fut la conséquence des découvertes de Max Planck, Albert Einstein, Niels Bohr, Louis de Broglie, Werner Heisenberg, Erwin Schrödinger, et quelques autres. En effet, avant que n’émerge un formalisme autonome, la physique quantique fut fondée sur le « principe de correspondance » exigeant que les résultats de la nouvelle théorie coïncident, dans une limite convenable, avec ceux de la physique classique. La différence entre la première et la seconde n’avait pas la clarté qu’on lui prête aujourd’hui. La physique classique avait la prétention de décrire ce qui se passe dans la nature point par point. L’état d’un ensemble de corps était alors spécifié par l’ensemble des états individuels de ses corps. La physique quantique est en un sens plus modeste, mais aussi plus inquiète. « La meilleure connaissance d’un tout n’implique pas la meilleure connaissance de ses parties – et c’est ce qui ne cesse de nous hanter », écrivait Schrödinger en 1935. La physique quantique se base en effet sur des probabilités dont la seule vocation est d’obtenir des résultats lors d’une mesure, elle calcule des probabilités dans un contexte local – le laboratoire – qui fait partie de son mode de théorisation. Est-ce à dire que la propriété de l’objet quantique n’est rien d’autre que le produit de la relation entre l’objet et l’appareil ? Est-ce à dire que le processus de la connaissance et l’objet dont elle rend compte ne peuvent être dissociés ? Un abîme en tout cas sépare la manière dont le physicien construit une objectivation et la manière dont il conçoit l’objectivité. La physique classique cherchait à décrire la nature. La physique quantique cherche à prédire des évènements. Cette prédiction n’est pas la représentation d’un processus naturel indépendant de l’expérimentateur qui lui ferait face, elle est l’expression de la participation de l’expérimentateur à un devenir qui l’englobe. Exit la philosophie spéculaire ! Le grand livre de la Nature se retourne contre son lecteur ! Et la question de savoir s’il existe des preuves indubitables de l’existence des images corpusculaires/onduladoires mises en oeuvre par ce nouveau Faust quantique n’est peut être plus à l’ordre du jour ? Voici quelques questions qui méritent bien une heure de peine… »

Exit la philosophie spéculaire, c’est aussi ce que veut dire Russell dans Science et religion , p. 13 :  » « la connaissance » cesse d’être un miroir mental de l’univers pour devenir un simple instrument à manipuler la matière »

Pour compléter,

  •  voilà une fiche qui s’efforce de pointer certaines différences:

De la physique classique à la physique quantique

  1. La physique classique est fondée sur les principes : 
  • de continuité (passage d’un point à un autre par les points intermédiaires)
  • de causalité locale (enchaînement de cause et d’effet) et de séparabilité (plus on éloigne deux objets, moins ils ont d’interaction)
  • de déterminisme et prévisibilité (prédiction de l’évolution d’un système à n’importe quel moment du temps)
  • et d’objectivité (séparation totale entre l’observateur et l’objet).

Il y a donc une réalité physique objective que l’on pouvait étudier sans que l’observation du physicien perturbe cette réalité. Tout objet peut être localisé dans l’espace à tout moment, et répond soit à l’analyse de la trajectoire d’un corpuscule, selon sa masse et sa vitesse (lois de Newton), soit à l’analyse du déplacement d’une onde (lois de Maxwell). La physique classique est suffisante pour expliquer les phénomènes de la vie quotidienne car la vitesse quotidienne est infime par rapport à celle de la lumière, Pour les vitesses proches de celle de la lumière, la relativité entre en jeu [De plus, le temps s’écoule plus lentement si la vitesse se rapproche de celle de la lumière (c’est la dilatation du temps). La vitesse augmente la durée de vie (dans des accélérateurs, une particule à durée de vie très courte voit sa durée de vie augmenter à de très grandes vitesses proches de celle de la lumière). Les horloges mobiles retardent par rapport aux horloges fixes.]

  1. Dans la physique quantique, les lois de Newton, applicables aux objets de grande taille, ne s’appliquent pas, ici, dans le domaine subatomique. Lorsqu’on se penche sur l’infiniment petit, il n’y a pas de monde physique objectif qui évolue de façon indépendante de nous. Le hasard remplace le principe de causalité. On ne peut connaître en même temps la position et la vitesse d’un objet quantique. Ce dernier peut être une chose et son contraire. Développée vers 1920-1930, la physique quantique est une théorie probabiliste et non plus déterministe.

 

a)      D’où une nouvelle représentation de la matière : Les particules subatomiques ne sont pas des grains de matière solide (représentation chosique) mais des quanta, des paquets d’énergie en perpétuelle transformation. La matière nous apparaît comme stable et solide alors qu’en fait les particules forment des systèmes dynamiques qui subissent perpétuellement des transformations ou transmutations avec des phénomènes de création et d’annihilation, et ce flux dynamique est créateur d’énergie. La matière est en fait constituée d’espace vide traversé par quelques particules.

b)      En physique classique : A est A (axiome d’identité), A n’est pas non A (axiome de non contradiction), et il n’existe pas de troisième terme qui soit à la fois A et non A (axiome du tiers exclu). En physique quantique : A est A et non A (axiome du tiers inclus), mais par ailleurs, A n’est ni A ni non A. Jusqu’alors, selon une logique apparente, une entité subatomique devrait être soit un corpuscule, soit une onde. En fait, pour la physique quantique, une particule est à la fois corpuscule et onde, mais elle n’est ni corpuscule ni onde. Selon la manière dont nous l’observons, elle apparaît soit comme particule, soit comme une onde. Comme Einstein l’avait montré en 1905 pour la lumière, la matière est aussi une coexistence d’ondes et de particules. L’apparence de la matière dépend de nous, elle nous apparaît tantôt comme des ondes, tantôt comme des particules. Cette apparence dépend de la façon dont nous observons la matière. Les ondes électromagnétiques peuvent se comporter comme des corpuscules. A tout corpuscule est associé une onde. La matière s’est dématérialisée, s’est « déchosifiée » selon l’expression de Bernard d’Espagnat.

c)      On ne peut connaître simultanément, et avec la même précision, la position et la vitesse d’une particule (principe d’incertitude d’Heisenberg énoncé en 1927). On ne peut que prédire une probabilité d’existence. Toute mesure modifie la grandeur mesurée. L’observation n’est pas neutre, contrairement à ce qui ce passe dans le monde macroscopique. On ne peut prédire le moment où un atome va se désintégrer. Le hasard règne sur le monde microscopique. Le monde quantique n’est pas représentable visuellement. L’électron ne tourne pas autour du noyau et on ne peut se représenter une trajectoire pour les particules. La physique quantique attribue à une particule une probabilité de présence en un endroit donné et à un temps voulu. Il est impossible de fournir un modèle de la réalité qui représenterait les événements eux-mêmes et non leur probabilité de présence.

d)     La physique classique étudie des objets séparés et indépendants. Elle suppose l’existence d’objets extérieurs que l’on peut étudier indépendamment. Dans le monde microscopique, à l’encontre du principe de causalité locale et de séparabilité, il existe des connexions non locales et inexplicables entre des éléments qui se révèlent tous interdépendants même s’ils sont séparés par de grandes distances : il y a violation du principe de séparabilité et on ne peut parler séparément de chacune des particules. Ces connexions, ces variables cachées non locales, sont situées hors de notre espace-temps, dans un autre niveau de réalité, mais elles ont une influence dans notre monde. Ainsi la célèbre expérience d’Alain Aspect en 1982 (confirmée par celle de Nicolas Gisin en 1997 sur une distance de dix kilomètres entre les deux particules) a montré que deux particules qui sont entrés en interaction à un moment donné gardent chacune des informations sur l’autre même si elles se trouvent éloignées l’une de l’autre (plus de 12 mètres dans l’expérience d’Aspect.)

  • quelques vidéos

 

et 

 Etienne Klein: http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/college/v2/html/2006_2007/conferences/conference_304.htm

  • Un sujet de dissertation où la physique quantique pourrait avoir sa place: La succession des théories scientifiques remet-elle en question l’idée d’un ordre permanent de la nature ?

 I. le paradigme déterministe :

 La succession des théories scientifiques renvoie à l’idée qu’elles se suivent mais ne se ressemblent pas, on peut même dire qu’elles se contredisent. Une nouvelle théorie vient parfois préciser une théorie antérieure mais c’est en la corrigeant ou alors elle vient la renverser. Cette progression de la science par révolution semble pouvoir s’opposer à l’idée de quelque chose de permanent, qui dure sans changer, sans devenir. On peut penser à la révolution galiléenne qui vient renverser le géocentrisme, la théorie d’Aristote sur le mouvement de manière radicale.

Pourtant cette opposition de termes succession/ permanence est trompeuse :

  • – car la succession des théories peut simplement souligner que la science avance en corrigeant des erreurs sur le réel, conséquences de complexité du réel qu’on ne peut que se saisir progressivement mais aussi de l’ignorance des scientifiques, victimes des limites de leur savoir, de leur volonté de cohérence, tributaires du développement technique de leur époque ( querelle Pasteur/ Pouchet, 1864) et enfin parfois prisonniers de certains paradigmes ( Kuhn) ou de contraintes extra-scientifiques ( Lyssenko, Piltdown..). Donc le fait que les théories se succèdent souligne que l’ordre dégagé par la science change, mais pas que l’ordre change pour autant : on le perçoit autrement, mieux…Les lois scientifiques ne sont que des mises en équations des lois de la nature.
  • – car même si les théories se succèdent, se remplacent, il y a quelque chose qui demeure depuis l’apparition de la science moderne (XVIIème Galilée, 1609) pour triompher au XIXème siècle positiviste : c’est l’idée de causalité et celle d’uniformité de la nature qui renvoie à « un ordre permanent » puisque les même causes produisent les mêmes effets.

1. l’évolution des théories scientifique a amené très vite à cette idée de déterminisme qui n’était pas évidente au départ : par exemple, chez Epicure atomiste, la création de ce qui existe dans le monde se fait au hasard du clinamen, qui fait sortir de leur trajectoire les atomes qui se meuvent en tous sens dans le vide et viennent s’entrechoquer pour créer des molécules et ainsi de suite…mais Aristote va rejeter cette idée de hasard associée au désordre. Il peut y en avoir (le hasard c’est ce dont ignore la cause ou qui est une rencontre fortuite de deux séries causales) mais cela ne peut pas être un principe explicatif, même si Aristote associe encore la causalité à la finalité, ce à quoi va renoncer la science moderne. C’est avec Galilée qu’on passe d’une recherche de causes chez Aristote empiriste à celle d’une loi causale, conséquence de la réduction du réel au mathématique ( et encore dans la perspective de valider la toute-puissance du Créateur, de Dieu), avec une prétention réaliste ( en accord avec le réel) et pas simplement théorique. C’est la naissance du déterminisme et c’est le paradigme qui détermine la science.

2. si les scientifiques n’en arrivent pas aux mêmes conclusions, ils ont tous « la même maxime pratique » comme le dit Russell, ils cherchent des causes présupposant que rien n’arrive par hasard. « la découverte de lois causales est le principe même de la science »

3. et ils ont même la même  « théorie générale de l’univers », l’idée formulée enfin par Laplace (1804), celle d’une « détermination complète de le l’avenir par le passé » même si cela exigerait un savoir qu’ils ne possèdent pas encore. Ils pensent tous à un « monde-horloge »,la Terre sur le modèle du Ciel, comme le constate Bachelard. Même quand Kepler rompt avec la croyance au mouvement planétaire uniforme ( les corps célestes obéiraient aux mêmes lois) en observant  des mouvements particuliers de certaines planètes, c’est pour les ramener à de nouvelles lois…

Donc on découvre de nouvelles lois, on en abandonne d’autres, mais on ne renonce pas à l’idée de lois, mais n’y a-t-il pas avec la physique quantique au XXème une rupture ?

 II. l’indéterminisme quantique qui ne remet pas en cause l’idée de causalité, mais celle de déterminisme, donc de lois, donc celle d’un ordre permanent, à travers l’idée de probabilités. Donc la physique quantique succède à la physique classique et remet en cause au plan microscopique l’idée d’un ordre permanent, d’où son association à une théorie du chaos et son rejet par Einstein, Russell et d’autres.

On peut ici aussi penser en biologie à Monod qui a écrit un livre sur le vivant qui s’intitule Hasard et nécessité( 1970)

 III. Ceci dit ce n’est pas parce que jusque là au niveau macroscopique, le déterminisme n’est pas remis en question que pour autant cette idée est vraie. On peut ici évoquer la critique de Popper inspirée par Hume de l’induction (passage du particulier au général) et du déterminisme ou à la montre fermée d’Einstein.

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