Home » Articles posted by Fabien Cailleteau

Author Archives: Fabien Cailleteau

Les pièces pour plusieurs pianos de Morton Feldman

Pianiste et docteure en musicologie, Emmanuelle Tat nous présente les pièces pour piano collectif de Morton Feldman, compositeur américain né à New-York en 1926, mort à Buffalo en 1987.

« La New York School » se constitue de manière informelle et sans prétention dogmatique avec Morton Feldman, Earle Brown, John Cage et Christian Wolff. Morton Feldman estime qu’un groupe donne un sens de la permission, un sentiment de ne pas avoir à se battre contre un standard accepté, parce que d’autres travaillent également en dehors de lui mais il restera cependant toujours un solitaire, un indépendant à l’écart des modes et des systèmes d’écriture développés à partir des années 50. Il s’agit chez lui de sonder toujours en profondeur la dimension contemplative de l’écoute et d’appréhender la fluidité temporelle inhérente au phénomène musical. Si l’ensemble de ses œuvres peut apparaître de manière monolithique, chaque partition représente une manière légèrement différente de poser des questions sur ce qui constitue le fondement de toute pensée musicale, à savoir le temps.

Morton Feldman étudie le piano avec Madame Maurina-Press (élève de Busoni), le contrepoint avec Riegger (pionnier du dodécaphonisme schönbergien aux Etats-Unis) et la composition avec Stefan Wolpe. Il a un important intérêt pour les grands précurseurs comme Webern ou Varèse et pour les autres disciplines artistiques susceptibles de devenir des catalyseurs pour la pensée musicale. Il se pose comme un observateur du matériau sonore et accorde un statut particulier au silence.

Projection III (1951) pour 2 pianos

Editions Peters 6961

Durée : 1’52

Dans les années 50, Morton Feldman élabore ses premières partitions graphiques sur papier millimétré, amorçant notamment la série des Projections I à V. Dans Projection III, chaque pianiste dispose d’un long rectangle divisé en deux parties horizontales par une ligne. La section inférieure correspond à des touches enfoncées mais non jouées (accords muets), et la partie supérieure correspond aux notes jouées, qui entreront en interférence avec les résonances sympathiques des notes enfoncées.

Extensions IV (1952-53) pour 3 pianos

Editions Peters 6914

Durée : 6’19

Dans la série des 4 Extensions, et en particulier dans Extensions IV, Morton Feldman revient au plus près du matériau dans un système de notation plus déterminé, même s’il jugera en définitive cette méthode « trop unidimensionnelle », ce qui fera dire à John Cage : « La musique conventionnellement notée par Feldman, c’est lui-même jouant sa musique graphique. »

Intermission VI (1953) pour 1 ou 2 pianos

Editions Peters 6928 & 67976

Durée : 7’27

La série des 6 Intermissions, écrites entre 1950 et 1953, est en notation traditionnelle. La partition apparaît sous une forme « mobile » : 15 accords ou sons isolés sont dispersés dans l’espace d’une page que l’interprète parcourt à son gré. Il est noté par le compositeur : « La pièce commence avec n’importe quel son, puis continue avec n’importe quel autre. Chaque son doit être produit avec un minimum d’attaque, de manière à être à peine audible. Les sons notés ne doivent pas être joués trop rapidement. » Dans une version à 2 pianos, les 2 pianistes jouent indépendamment l’un de l’autre.

Extrait : Morton Feldman : Intermission 6
Edition Peters No. 6928
© 1963 by C. F. Peters Corporation, New York
All Rights Reserved. Reproduced by permission of the Publishers.

On remarque une prédilection persistante chez Morton Feldman pour certains instruments, en particulier pour le piano, à cause de « la manière réelle dont le son du piano résonne et s’éteint progressivement, métaphore de l’extinction des valeurs de ce monde. »

« Une des raisons pour lesquelles je travaille au piano est qu’il m’oblige à ralentir ; d’autre part, le

temps, la réalité acoustique devient plus audible.»

Two pieces for two pianos (1954)

Editions Peters 6916

Durée : 1’13

Création le 20 avril 1955, Royaume-Uni, Cambridge, WHRB, Sanders Theatre, par John Cage et David Tudor, pianos

Très dépouillées dans l’écriture, ces deux pièces présentent des notes brèves isolées, des accords aux registres très écartés, entrecoupés de fréquents silences. Il y a une sorte d’éparpillement du matériau sonore, avec l’utilisation de la pédale tonale qui permet à certaines harmoniques de résonner.

Piece for 4 pianos (1957)

Editions Peters 6918

Durée : 7’25

Création le 30 avril 1957, États-Unis, New York, Carl Fischer Concert Hall. Interprètes : John Cage, William Masselos, Grete Sultan et David Tudor, pianos

Extrait : Morton Feldman : Piece for Four Pianos
Edition Peters No. 6918
© 1962 by C. F. Peters Corporation, New York
All Rights Reserved. Reproduced by permission of the Publishers.

Two pianos (1957)

Editions Peters 6939

Durée : 9’55

Le même matériau est fourni aux interprètes, ce qui engendre comme une succession d’effets de réverbération à partir d’une source sonore unique. Les interprètes sont ainsi amenés à assurer eux-mêmes la plasticité du mouvement.

De telles pièces dévoilent le sens du temps que possède chaque musicien, ce qui se manifeste à travers les décalages qui ne peuvent manquer de se produire quant à leur appréhension du matériau.

Piano three hands (1957) pour 1 piano, 2 pianistes, 3 mains

Editions Peters 6943

Durée : 19’18

C’est la première partition à faire intervenir une notation sans valeur de durée fixée, bien que le tempo doive être très lent et que les temps doivent être presque égaux. Des notes uniques, en ronde, avec des lignes pointillées pour les accords joués simultanément par les deux pianistes sont réparties sur trois protées. Les notations blanches paraissent souligner la lenteur du temps de lecture. Chaque main a rarement plus d’une note à jouer.

Cornelius Cardew déclare dans un programme Feldman pour la BBC en 1966 à propos de cette pièce : « C’est probablement la pièce le plus jouée de Feldman. Peut-être parce qu’elle a été jouée tant de fois, elle a acquis une qualité vénérable. Les notes elles-mêmes ont un air d’immuabilité, comme si elles avaient été prédéterminées dans quelque atmosphère non humaine, rendues possibles par l’instrument pour lequel elles ont été écrites. »

« Sans titre » (1958) pour 2 pianos

Manuscrit Collection Morton Feldman, Fondation Paul Sacher, Bâle

Piano Four Hands (1958)

Editions Peters 6946

Durée : 11’23

Création le 2 mars 1959, Etats-Unis, New-York, Circle in the Square Theatre,

par Morton Feldman et David Tudor, pianos

Ixion (1960) 2 pianos

Editions Peters 6926a

Durée : 7’59

Pièce à l’origine pour 10 instruments (3 flûtes, clarinette, cor, trompette, trombone, piano, 3 à 7 violoncelles, 2 à 4 contrebasses) où le compositeur retourne une nouvelle fois aux notations graphiques. Merce Cunningham s’en servira pour son ballet Summerspace.

Vertical Thoughts I (1963) pour 2 pianos

Editions Peters 6952

Durée : 7’19

Dans une série de 5 pièces intitulées Vertical Thoughts, la première est écrite pour 2 pianos. Des mesures et tempi précis interviennent à plusieurs reprises ; pendant deux de ces mesures, on entend les résonances de l’accord d’un des pianos ; les autres mesures correspondent à des temps de silence, tous différents, ce qui correspond bien à l’intention du compositeur d’avoir le contrôle du silence, tout en laissant par ailleurs une flexibilité quant à la production des sons proprement dits.

Morton Feldman sur les questions de l’écoute de l’interprète et du silence : « Les musiciens étaient sensibles à la manière de produire des sons, mais n’écoutaient pas. Et ils n’étaient pas sensibles aux silences que j’indiquais. Donc, la raison pour laquelle ma musique est notée est que je voulais garder le contrôle du silence. »

Two pieces for three pianos (1966)

Editions Peters 6967

Durée : 13’51

Five pianos (1972)

Universal Editions 15499

Durée : 30’55

Dans cette pièce pour 5 pianistes (qui chantonnent également), malgré d’indéniables constantes, on perçoit chez Morton Feldman des transformations qui se sont opérées peu à peu dans la conscience du compositeur avec une prise en charge de plus en plus délibérée de la dimension harmonique.

Entretien de Jean-Yves Bosseur avec Morton Feldman :

« – Avec quels instruments aimez-vous travailler ?

-J’aime les instruments qui ont un certain caractère anonyme, qui peuvent se métamorphoser facilement pour entrer dans le monde de ma musique. »

Cette présentation des pièces pour pianos de Morton Feldman est tirée de :

Morton Feldman, Ecrits et paroles, textes réunis par Jean-Yves Bosseur et Danielle Cohen-Levinas, monographie de Jean-Yves Bosseur, Les Presses du Réel, 2008, 463p.

Les durées indiquées des pièces correspondent aux extraits choisis et peuvent varier selon les interprétations. Jusqu’en 1969, les partitions de Morton Feldman sont publiées par les Editions Peters, New York, puis, à partir de 1970 par Universal Editions, Londres. Remerciements aux Editions Peters pour leur autorisation de publier certains extraits des pièces de Morton Feldman.

Emmanuelle Tat

Professeure de piano

aux conservatoires de Stains

et Pierrefitte-sur-Seine

emmanuelletat2@free.fr

Classe de piano : comment déjouer le décrochage

En 2015, l’ARIAM Ile-de-France a organisé de nombreuses rencontres-métiers à l’occasion de ses 40 ans. Parmi celles-ci, la rencontre sur le décrochage a rassemblé 24 professeurs de piano sur deux matinées, dont voici la synthèse.

Un merci tout particulier à Bernadette Grégoire et Denis Cuniot, alors respectivement directrice et sous-directeur, qui ont accepté que soit rééditée ici cette synthèse.

Lors de ces deux matinées, il est apparu que le sujet du décrochage est central pour nombre de professeurs de piano, exerçant dans divers établissements d’Ile-de-France. Un sujet qui entraîne nombre de questions sur la pédagogie, mais aussi la place et le rôle des conservatoires dans la société aujourd’hui ! Nombreux ont été les réflexions et questionnements mais aussi les témoignages et propositions d’outils et dispositifs testés ci et là…

Le décrochage révèle bien souvent un désir de musique qui n’a pas su se formuler ou trouver les conditions de sa réalisation. Au mieux – trop rarement – l’élève décrocheur, enfant ou adolescent, créera sa propre relation à la musique en dehors de l’institution. Mais il est à craindre que l’abandon de la formation ne soit vécue comme un échec, d’autant plus si l’inscription au conservatoire procédait d’une volonté d’intégration sociale et culturelle ! Plus que l’institution ou le professeur, c’est donc bien l’élève qui le premier souffre du décrochage.

À l’issue d’un premier tour de table, nous nous arrêtons sur la définition suivante du décrochage : l’élève décroche s’il quitte l’établissement sans avoir les moyens de vivre son désir de musique en autonomie.

Il en découle que, pour déjouer le processus de décrochage, le professeur de piano doit avoir une vision globale sur le long terme de la formation de chacun des élèves, l’accompagnant dans l’élaboration de son désir de musique – ce qui implique une diversité musicale dans l’apprentissage, dès le 1er cycle – et l’acquisition progressive des moyens de son autonomie – ce qui demande une collaboration étroite avec l’ensemble de l’équipe éducative.

De façon plus développée sont apparus au cours des deux rencontres six axes de travail permettant de penser des réponses spécifiques à un problème commun, des réponses qui se cherchent, évoluent au cours du temps :

  • vision globale de la formation
  • diversité musicale
  • travail en réseau
  • modularité
  • l’élève acteur de sa formation
  • dynamique de classe

Vision globale de la formation

Idéalement la lutte contre le décrochage demande une équipe pédagogique stable, collectivement responsable de la formation des élèves pendant plusieurs années, ce qui offre à chaque professeur une vision globale sur la formation que propose l’établissement, et de façon individuelle, celle que reçoit chacun des élèves.
Selon notre définition plus haut, l’ensemble de l’équipe pédagogique accompagne l’élève dans l’acquisition des moyens de vivre son propre désir de musique.
D’emblée, après avoir rappelé que le terme « méthode » provient du grec ancien methodos qui signifie recherche, structuration d’une voie, nous nous accordons sur l’idée que l’acquisition en question sera bien le fruit d’une recherche, liée à l’élève lui-même. Une recherche qui laisse place aux errements, doutes, passages à vide, mais pour laquelle le lien avec l’élève est conservé, sans cesse maintenu et renouvelé par l’ensemble des professeurs.

Diversité musicale

Questionnons à présent le désir de musique : pour la plupart des élèves, ce n’est que progressivement qu’il se précisera, et cela demande donc d’avoir cultivé tout au long de la formation une ouverture sur la musique dans sa diversité, concernant le style, le répertoire, l’improvisation, la création, l’arrangement, etc.

Diversité esthétique et culturelle
Les conservatoires et écoles de musique ont un rôle important dans la reconnaissance institutionnelle de l’ensemble des styles, renforçant ainsi une légitimité culturelle des musiques dans leur diversité.
Cette diversité est à penser en lien avec le territoire et la population, dans l’idée d’échanges : l’établissement brasse esthétiques et styles qui sont déjà connus et écoutés mais il apparaît important aux professeurs présents de rappeler que le conservatoire joue aussi un rôle dans la découverte de musiques par la population.
Dans cette idée, un participant témoigne qu’il a à cœur de développer la curiosité musicale de ses élèves en jouant leur répertoire, un autre qu’il leur conseille des écoutes (avec playlists sur youtube et par mail) et leur demande des recherches sur des points de culture musicale.

Diversité pédagogique
Chaque style implique un apprentissage, une pédagogie qui lui sont propres. Ainsi la diversité esthétique peut servir d’outil à la différenciation pédagogique, suivant les élèves et pour un même élève au long de son apprentissage. Ainsi plusieurs professeurs présents citent les comptines et chansons pour enfants comme moment d’un apprentissage par transmission orale ; un autre l’improvisation libre pour un apprentissage par écoute et échanges en groupe.

Diversité des ressources
Désormais, les outils numériques facilitent les découvertes et offrent de nombreuses ressources : partitions, grilles et tablatures, extraits audio, tutoriels vidéo, enregistrements personnels…
Et n’oublions pas que l’élève est une ressource !
Un participant rapporte que son atelier de 1er cycle offre un cadre de création collective à partir de

« musiques de la maison », apportées par les élèves, dans le format de leur choix (mp3, partition éditée ou écrite personnellement, etc.).

Oralité
Il apparaît qu’une place trop importante accordée à la musique écrite crée une distance avec nombre d’élèves. Ainsi nombre de professeurs ont expérimenté le début de l’apprentissage sans partition, offrant le temps de s’approprier l’instrument, libérer le rapport au corps, improviser à la voix puis à l’instrument, construire le lien avec la FM…
Voici donc une démarche de diversité qui entre en résonance avec cette « génération Youtube », qui somme toute s’empare de son apprentissage avec les moyens contemporains, dont la lecture de partition représente une petite partie. Citons Jean Molino qui introduit le concept d’auralité, désignant la transmission par l’oreille : « Nous avons maintenant affaire à toutes les modalités possibles d’association entre l’oreille, la main, l’écrit et la technique. »
Comme en témoignent les intervenants, l’arrangement revient au goût du jour et peut faire l’objet d’un atelier, le groupe partant de supports divers (écrits, enregistrements, chant personnel).
La question de l’acquisition du répertoire lui-même est alors posée : ne peut-on pas y ajouter les outils d’oralité, d’imitation, de tutoriel vidéo ?

Travail en réseau

Collectif de professeurs
Comme développé dans notre 6e point, consacré à la dynamique de classe, le cours collectif apparaît comme l’un des remparts les plus solides face au décrochage. Mais il apparaît dans la discussion que le travail en réseau est à penser également pour les professeurs eux-mêmes. A la fois parce qu’ils éprouvent et démontrent ainsi tous les apports du collectif, mais aussi parce qu’échanger sur les élèves nourrit la réflexion et l’expérimentation, et « c’est ainsi qu’on lutte également contre le décrochage du professeur ! »
Idéalement, le travail des professeurs en équipe met les compétences de chacun au service des besoins de chaque élève. Avec une telle mise en commun des ressources et compétences, les élèves trouvent des accompagnateurs pour l’ensemble des composantes de leur formation, enrichie de la diversité des rencontres humaines. Mais sur le terrain, la réalité en semble assez éloignée : par manque de communication, d’espaces et de moments d’enseignement commun…
Un professeur tempère : « une telle mosaïque de l’apprentissage sera encouragée par la circulation des
élèves dans l’établissement ». En effet, les facilitateurs sont à chercher du côté des projets transversaux, rencontres ponctuelles, interventions de professionnels extérieurs, appropriation de l’établissement par les élèves, enseignements optionnels, ateliers, etc.

De concert avec les parents
De fait, les parents sont alliés dans la formation de l’élève, il s’agit de rendre explicite cette situation tri-
partite. Dialogue et réactivité (pour lesquels, pour l’ensemble des professeurs présents, mail et rendez-vous constituent de bons outils) seront des atouts précieux contre le décrochage. Les intervenants ajoutent qu’en tant qu’adultes, les parents peuvent témoigner de ce qu’apporte un investissement à long terme et ont un rôle à jouer dans le conseil de l’établissement.
Un professeur rappelle qu’il s’agit bien d’accueillir les parents dans un monde qui leur est inconnu pour la plupart : accueil des nouvelles familles (idéalement par le directeur), découverte d’une culture avec son vocabulaire et ses habitudes, explication de l’investissement attendu, demande de larges plages-horaires lors de l’emploi du temps de début d’année, etc. Un autre participant ajoute l’idée de prévoir un temps
de découverte de l’instrument et d’inviter les parents à jouer lors d’un concert des familles, ce qui entretient l’implication des parents dans la formation de leur enfant.

Modularité

Rappel sur les cycles
Fonctionnant sur la base d’objectifs de fin de cycle (qui constituent le « contrat » pour les professeurs, élèves et parents), le cycle pluriannuel permet une souplesse de l’organisation de l’apprentissage, jusqu’au développement de dispositifs différents, prenant en compte notamment l’âge des élèves, leurs besoins, la situation d’apprentissage.

Format de cours
Les intervenants rapportent l’expérience du cours modulable, en fonction des besoins, attentes et objectifs, le format de cours permet alors de varier le contenu : par exemple, pour 5 minutes en moins par semaine, cours complémentaire de 30 minutes toutes les six semaines ; cours collectifs deux fois moins longs mais deux fois par semaine ; stage de rentrée ; ateliers ponctuels ; etc.
Des professeurs relèvent que le format d’atelier, rassemblant des élèves autour d’un projet particulier, peut être développé ponctuellement tout au long de l’apprentissage.

Echanges d’élèves
À la semaine, à l’année, ou sur une période précise liée à un projet, l’échange d’élèves entre professeurs offre un renouveau, permet d’entendre une autre pédagogie, ou parfois de mêmes conseils formulés différemment, et favorise la dynamique de classe dans sa globalité.

L’élève acteur de sa formation

Manque de disponibilité pour une pratique régulière
Le constat est unanime autour de la table : la majeure partie des élèves semble manquer de disponibilité pour pratiquer régulièrement à la maison. Une des pistes soulignées par un professeur est de faire prendre conscience à l’élève et sa famille que la pratique de la musique entraîne des choix de vie et d’accompagner les enfants et adolescents dans cette réflexion.
Par ailleurs, nous nous accordons sur l’idée de poser la question du travail en tant que tel :
-mettre au jour pour l’élève le lien entre plaisir et travail à moyen terme
– travailler ne signifie-t-il pas également travailler à se connaître soi-même par l’outil qu’est la musique ?
– en tant que professeur, se poser la question du travail à la maison : dans quel but, avec quelles attentes, quel contenu ; pour quels élèves ?

L’élève acteur
Le piano, « instrument de non choix » comme le souligne un participant, implique souvent des élèves passifs dans leur apprentissage. En outre, il est rappelé que le quotidien de l’enfant et adolescent, notamment à l’école, entraîne bien souvent une passivité de leur part.
Chercher à ce que l’élève soit acteur entraînera donc un lien à long terme avec les professeurs et l’institution pour que l’élève soit actif dans l’établissement et interagisse avec lui. Et l’engagement dans un projet ou un parcours sera d’autant plus profond d’une part s’il répond à un souhait de l’élève, mais d’autre part s’il mène à une collaboration avec les autres. Lorsque l’élève devient acteur de son parcours, sachant définir ses besoins, on entre véritablement dans la « pédagogie du projet », où l’enseignant est accompagnateur d’une initiative de l’élève.
Le parcours personnalisé, testé dans plusieurs établissements, constitue peut-être le parangon d’une telle
démarche : pensé sur projet musical proposé par l’élève (par exemple en lien avec danse, théâtre, activités extra-scolaires, apprentissages scolaires) mais construit en commun avec les professeurs, un tel parcours permet à l’élève de s’emparer de sa formation sur un temps donné, avec passerelle pour revenir dans une formation à plus long terme.
Dans la même idée, un professeur rappelle que le choix par l’élève des différents styles abordés au cours de sa formation met en exergue le lien fondamental entre désir et connaissance.

Vers l’autonomie
Notre définition du décrochage donnée en début de séance demande bien d’accompagner l’élève vers l’autonomie. Un participant note que l’élève est encadré pendant 24 heures hebdomadaires à l’école, contre 3 à 4 heures par semaine au conservatoire. Partant de ce constat, l’accompagnement vers l’autonomie doit s’inscrire dès le début de l’apprentissage.
Ainsi l’élève apprendra à convoquer les outils nécessaires pour travailler en autonomie, étant acteur dès
les premiers apprentissages, qu’il s’agisse d’un morceau dans son ensemble, ou de façon plus détaillée d’un geste, un outil, un savoir.
Nous abordons alors le sujet de l’auto-évaluation, pratiquée de façon plus ou moins formalisée suivant les professeurs. Celle-ci constitue en tout cas un pas important vers l’autonomie, en passant par l’évaluation de groupe par exemple : retours et débriefing, évaluation formative après établissement de critères en groupe et en dialogue avec le professeur.
Au-delà, l’évaluation de l’autonomie en tant que telle apporte elle-aussi un outil à ne pas négliger : dans quel cadre, avec quels critères ?
Pour aller plus loin, quels sont les outils dont l’élève a besoin pour une future autonomie, liée à son propre désir de musique : MAO, lecture de grilles, travail avec tutoriels youtube, relevés d’oreille, etc. ?

Dynamique de classe

Collectif & appartenance
« Le décrocheur n’est pas acteur, il est passif ! » On luttera contre cette passivité en insufflant une dyna-
mique collective et en incitant la construction de relations durables entre élèves de la classe.
Différentes idées se croisent, parmi lesquelles :

  • l’organisation de sorties-concerts, à tarif négocié de
    10€ maximum (contribuant par la même occasion à for-
    mer à l’activité de spectateur et à développer la culture
    des élèves)
  • les cours collectifs (organisés en tant que tels, ou par
    tuilage…)
  • la constitution d’un répertoire de la classe, avec œuvres
    que l’on rejoue pour des projets précis
    Autre idée, faire témoigner un grand élève, par exemple
    sur une période de démotivation qu’il a su traverser.

Projets et concerts
Les élèves doivent avoir un rôle qui est pertinent et important en tant qu’individus, ainsi que pour un groupe et la classe. S’ils ont l’impression de n’appartenir à aucun groupe, ils risquent – surtout adolescents – d’éprouver un besoin non satisfait qui peut s’étendre à leur compor-
tement et leur apprentissage. Plusieurs idées d’implication d’élèves sur les projets et
concerts :
– orientation des cours et concerts autour d’une thématique commune (qui sera également l’occasion d’une transversalité dans l’établissement et d’une globalisation avec les apprentissages scolaires)
– mise en place de concerts-projets ; dans un établissement, une équipe de 3 élèves conçoit et organise un concert autour de la thématique de l’année, dans un autre le concert est en lien avec les thématiques d’histoire des arts en 3e (qui mène également à l’appréhension d’un concert dans sa globalité et qui provoque de nouvelles conditions de jeu sur scène)
– concerts avec implication des professeurs sur scène (interprétation personnelle, collective avec collègues et élèves)
– concerts dans un lieu choisi, pour un public ciblé

Plusieurs participants rappellent que le concert de classe, considéré comme outil pédagogique, permet notamment que petits et grands s’écoutent

Numérique
Appétence pour les technologies, recherche d’expressivité et goût pour la sociabilité caractérisent aujourd’hui comme hier les pratiques culturelles des jeunes. (Sylvie Octobre, Deux pouces et des neurones)
Les technologies numériques font partie de la vie de nos élèves et offrent des outils pour lutter contre le décrochage. Voici les exemples évoqués lors de la rencontre :

  • le blog participatif pour la classe. Il permet aux professeurs et élèves de partager différentes ressources, découvertes, connaissances, articles, liens audio et vidéo ainsi que l’agenda des événements auxquels la classe participe. Le Web pédagogique offre la possibilité de créer un blog gratuitement, dont on peut refuser l’accès aux moteurs de recherche.
  • les partitions libres de droit. Par exemple sur www.imslp.org ; ainsi le professeur entretient désormais un rapport avec les éditeurs en appui d’objectifs bien précis, et non la situation inverse où le professeur filtrait un premier choix qui avait été fait par l’éditeur.
    Par ailleurs, les élèves ont accès eux-mêmes à cette immense bibliothèque, ce qui constitue un premier pas vers l’autonomie.
  • le livret numérique de l’élève. Celui-ci permet d’archiver les disciplines suivies, les ensembles et ateliers auxquels l’élève a participé, les professeurs rencontrés, les projets et concerts dans lesquels il s’est investi ; avoir à tout moment une visibilité de l’ensemble de la formation permet d’accompagner au mieux l’élève dans son propre projet. Et le fait qu’il soit numérique, accessible
    à distance, facilite la communication entre collègues et avec la famille.
  • le mp3. La musique est aujourd’hui trans-portable, encore plus immatérielle qu’auparavant. C’est ainsi qu’on la partage, la diffuse. Jusqu’à l’apprendre : la partition est un élément dont il est bon d’apprendre à se dispenser. Relever – avec ou sans piano – une grille, une mélodie, une idée d’arrangement fait partie du quotidien du pianiste.
  • Youtube, la plus grande médiathèque du monde. Apprendre à choisir les interprètes, à en discuter. Par ailleurs, les nombreux tutoriels pour jouer des morceaux précis au piano ne sont pas à exclure du champ de la pédagogie du piano : tablatures d’aujourd’hui, en vidéo ?
  • l’enregistrement. Qu’il soit audio ou vidéo, il développe l’oreille critique et constructive, et aide à travailler à la maison. Assisté d’un logiciel de boucle, l’enregistrement devient aussi un outil de création.
  • la musique assistée par ordinateur (MAO). Le clavier constitue une porte d’entrée fréquente vers la MAO. Il sera intéressant pour le professeur de piano de tisser des liens avec cette discipline (projets communs, ateliers d’initiation, écoute de travaux réalisés à la maison, parfois en autodidacte).

Conclusion et perspectives

Finalement s’effectue ces dernières années un renversement de paradigme : la nécessaire adaptabilité de l’élève à l’institution se mue ainsi en une bénéfique entente entre élève et équipe pédagogique. Le professeur entend l’élève dans ses besoins de dynamique, de diversité, de création. L’élève entend le professeur dans ses besoins d’investissement, d’exigence, de transmission.
C’est alors que l’apprentissage devient volontaire, la diversité nourrissante, la création exigeante.

Citations :
MOLINO Jean, Qu’est-ce que l’oralité musicale ? in Nattiez Jean-Jacques (coll.), Musiques, une encyclopédie pour le 21e siècle, tome 5, Actes Sud, 2007.
OCTOBRE Sylvie, Deux pouces et des neurones. Les cultures juvéniles de l’ère médiatique à l’ère numérique, 2014, Diffusion La Documentation française.

Faites tomber les murs !

Vers un décloisonnement de la création musicale dans les conservatoires.

Le 17 novembre dernier s’est tenue au CRR d’Aubervilliers-La Courneuve une Journée nationale de rencontre professionnelle organisée par la Maison de la Musique Contemporaine sur la question de l’enseignement et de la place de la création musicale dans les Conservatoires. Anabelle Miaille, chargée de mission « observation et veille opérationnelle » à la MMC reprend ici les échanges et les idées qui ont été développés tout au long de la journée.

Le programme de cette journée nationale de rencontre professionnelle a été élaboré à la suite d’ateliers de réflexions qui ont réuni des professionnel·le·s de ce secteur et qui ont permis de faire émerger les constats et problématiques rencontrés sur le terrain.

Le premier constat est que la transmission de la création musicale, aussi bien dans le « faire jouer » que dans l’éveil de la créativité des élèves, est encore largement absente de l’apprentissage de la musique dans ces établissements. Par ailleurs, il semblerait que l’enseignement dans les Conservatoires, tel que dispensé actuellement et quelles que soient les disciplines, s’essouffle. Les élèves de ces établissements manquent de motivation et peuvent se montrer peu ouverts et curieux aux originalités sonores. Et pour finir, l’image d’élitisme et d’érudition de la composition emprisonne son enseignement dans des enclaves. La sacralisation qui entoure la composition entraîne une inhibition peu propice à la créativité.

Mais face à ces constats, la présentation de projets novateurs et porteurs de sens ont également permis d’envisager des possibilités de dépassement de ces écueils. L’un des objectifs de cette journée était donc de valoriser ces projets ainsi qu’une nouvelle façon de concevoir l’enseignement dans les Conservatoires, qui promouvrait une logique de décloisonnement entre les classes, avec la création musicale comme vecteur d’inclusion et de partage.

Cet article résume les échanges et les idées qui ont été développés tout au long de la journée.

Il apparaît dans un premier temps qu’il est important de sortir de la reproduction pour aller vers la production. Le socle reste aujourd’hui encore de former des interprètes technicien·ne·s. Mais l’aller-retour entre acquis techniques et expression de la créativité est essentiel pour former des artistes complets. Il s’agit donc d’éveiller la créativité des élèves dès le plus jeune âge et dans toutes les classes d’enseignement auxquelles ils participent. La création ne doit pas être une spécialité réservée à un temps dédié, à partir d’un certain nombre d’années d’expérience. Pour susciter des vocations de créateur·rice·s, il faut envisager les élèves non pas comme des étudiant·e·s en instrument ou en composition mais bien comme des « artistes en herbe ». En effet la création est multiple par essence et s’exprime dans une multiplicité de pratiques et d’esthétiques. Les créateur·rice·s sont « tou·te·s métisses » de la création musicale (instrumentale, électroacoustique, improvisation…).

Dans la continuité de cette acception, l’interdisciplinarité avec d’autres formes d’expressions artistiques prend également tout son sens. Le croisement des pratiques avec les arts sonores (radio, live, performance…) mais aussi les beaux-arts (installation sonore, utilisation du phénomène sonore comme matière…) repositionne le son au cœur du processus de création, et augmente ainsi l’ouverture des champs d’application. Dans cette perspective, le conservatoire de Marseille a fusionné avec l’École supérieure d’art et de design Marseille-Méditerranée pour devenir l’Institut national supérieur d’enseignement artistique Marseille-Méditerranée – INSEAMM en 2020. Cette fusion a permis de rapprocher des étudiants du conservatoire avec des étudiants l’école d’art et de design, et ainsi de développer d’autres logiques de création. Le conservatoire de Saint-Étienne a également initié des projets de collaboration avec l’École supérieure d’art et design de la ville.

La création est multiple et diffuse, et ne serait être contrainte, alors comment mettre en place un cadre pédagogique qui favoriserait son éclosion ?

Placer la création musicale au cœur d’un projet pédagogique

La création musicale doit faire partie de l’enseignement dès le premier cycle, en formation musicale et en classe d’instrument ou de chant. Le conservatoire prenant ainsi le relais des différentes actions culturelles qui se développent de plus en plus dans les écoles. La pratique de jeux sonores et rythmiques, par exemple, amènent les élèves à s’exprimer avec leur instrument via de petites improvisations. Le conservatoire de Gennevilliers a ainsi développé le dispositif « Tous Compositeurs » qui s’adressent aux élèves dès l’entrée en premier cycle.

L’enseignement de la création musicale devrait comprendre l’enseignement de l’écriture, de l’analyse, des techniques du son, de la MAO (musique assistée par ordinateur), de l’improvisation, de l’arrangement, de l’électroacoustique… en lien avec les classes d’instrument pour impulser une synergie collective de partage d’expériences entre les élèves eux-mêmes, dans une pédagogie de projets. Chaque « artiste en herbe » ayant ses propres affinités, il est important que l’organisation pédagogique puisse proposer plusieurs parcours d’enseignement pour orienter les élèves vers leur forme d’expression privilégiée (écriture, improvisation, électroacoustique…). Les classes de pratiques collectives doivent être au cœur des projets de création pour une véritable circulation des élèves entre les différentes approches, créant ainsi une symbiose entre diversité et inclusivité. Dans une visée d’autonomisation, les élèves sont replacés au cœur du processus d’apprentissage afin de favoriser l’initiative des projets par eux-mêmes. Le conservatoire d’Aubervilliers-La Courneuve a ainsi créé un espace de travail collaboratif et collectif sous la forme d’un collectif de création, « Fabrica ».

Les temps communs sont également essentiels pour fédérer les élèves et les enseignant·e·s. Masterclasses, concerts, réunions de rentrée avec tous les élèves sont autant d’évènements qui permettent la circulation et favorisent la rencontre des étudiant·e·s. Le conservatoire de Bordeaux organise des soirées de la création qui prennent la forme de concerts où tous les élèves peuvent faire entendre leur travaux, toutes esthétiques confondues, avec une présentation de l’œuvre en amont. L’ouverture des cours en auditeur·rice libre est aussi une façon d’encourager les élèves à venir découvrir le travail de création.

La pédagogie de projet, qui offre des situations qui sortent de l’ordinaire, stimule les élèves et donne l’envie d’approfondir les savoirs. Cette stimulation est d’autant plus forte lorsque que les projets du conservatoire s’inscrivent dans le cadre de partenariats avec d’autres institutions culturelles du territoire. Impliquer l’écosystème génère un rayonnement du conservatoire au-delà de ses murs tout en apportant un enrichissement des projets et des élèves.

Autre aspect important, la collaboration avec des interprètes et des compositeur·rice·s. Envisager des résidences d’artistes avec une réelle présence dans l’établissement sur des temps longs, permet d’approfondir les échanges avec l’ensemble des élèves, de tous les niveaux et de tous les âges. L’accueil d’ensembles dédiés à la création en résidence est une façon d’envisager la transmission des modes de jeu spécifiques. Il serait par ailleurs intéressant que des compositeur·rice·s puissent travailler avec les enseignant·e·s pour réfléchir ensemble à la forme que pourrait prendre un matériel de transmission efficace mais néanmoins musicalement riche. Combiner l’expertise de l’enseignant·e concernant la transmission d’une part et la sensibilité du·de la compositeur·rice d’autre part.

S’unir pour avancer

Avec l’idée d’un enseignement global, l’intégration et l’implication de l’ensemble des professeur·e·s du conservatoire deviennent indispensables. Pour un bon fonctionnement, toute l’équipe pédagogique doit participer à l’encadrement afin de lier les initiatives. Mais si le désir est souvent présent, il peut exister parfois une certaine forme de résistance au changement de mode de fonctionnement. L’accompagnement des enseignant·e·s est donc tout aussi essentiel. La généralisation de formations spécifiques, initiales ou en formation continue, permettraient de développer le nombre de personnes ressources, porteuses de dynamiques d’innovations dans leurs établissements. Cette généralisation initierait de plus une énergie de partage et de diffusion entre les conservatoires.

En effet l’isolement s’avère être un frein majeur à toute logique de développement. C’est pourquoi la mise en réseau se révèle cruciale pour mutualiser les expériences. Cela permet également d’apporter du poids lorsqu’il s’agit de convaincre les personnes décisionnaires (élu·e·s, financeur·se·s, décideur·se·s politiques). La nécessité de créer un réseau de la pédagogie et de la création en France pour valoriser la création musicale comme une voie possible du renouvellement de l’enseignement dans les conservatoires a donc été l’une des grandes conclusions de cette journée de réflexion.

Vous pouvez retrouver sur le site de la Maison de la Musique Contemporaine le programme détaillé avec la liste de tous les intervenant·e·s à cette journée, ainsi que l’enregistrement de la table-ronde animée par Marie Hédin-Christophe : La création dans les conservatoires et le créateur dans la société.

Comment faire prendre conscience du caractère épanouissant de la créativité ?

Comment intégrer le conservatoire dans un tissu municipal et territorial grâce à la création ?

Comment placer la création au sein d’un écosystème ?

Anabelle Miaille

Chargée de mission « observation et veille opérationnelle »

Maison de la Musique Contemporaine

anabelle.miaille@musiquecontemporaine.org

La question des droits culturels dans les conservatoires

Sarah Van der Vlist, flûtiste et professeure de flûte, a consacré son mémoire de formation CA à la question des droits culturels et leur impact dans les conservatoires d’enseignements initiaux. Elle nous propose ici un extrait de son mémoire de recherche, concernant notamment les liens entre droits culturels et le collectif de manière générale.

Depuis quelques années, les « droits culturels » émergent de plus en plus du champ des politiques culturelles. Souvent définis de manière assez vague, leur connaissance et leur maniement tendent pourtant à devenir un prérequis pour les acteur·rices des milieux culturels, et notamment en conservatoire. Si cette notion est si difficile à manier et à comprendre, c’est notamment parce qu’elle recouvre des domaines très différents.

Les droits culturels s’inscrivent en premier lieu dans les droits humains, conçus au 17ème siècle par les Lumières à partir de l’idée qu’il y aurait des droits devant être garantis à tout homme quel que soit le régime politique en place, car nécessaires pour lui et pour l’humanité. Après la seconde guerre mondiale, l’ébranlement collectif donne lieu à de nombreux traités ayant recours aux droits humains dans lesquels figurent des droits culturels, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1948, puis deux pactes internationaux en 19661. L’ONU crée un comité en charge de garantir l’application des pactes, et l’Unesco prend en charge l’élaboration de nombreuses conventions autour de la culture, en adoptant une définition de plus en plus large de celle-ci (allant jusqu’à englober les langues, les modes de vie, les croyances, l’habillement, etc). Finalement, en 2015 le terme de « droits culturels » entre dans la loi française à travers les lois NOTRe2, puis LCAP3, toujours peu contraignantes sur les droits culturels du point de vue juridique, bien qu’assez symboliques.

Des droits multiples et polymorphes

Cette introduction historique ne nous aide que peu à définir ce que sont les droits culturels. En recoupant les différents droits qui existent dans les traités, et avec cette définition large de la culture, ils recouvrent notamment le droit à l’éducation, le droit à participer à la vie culturelle, le droit à l’égalité dans la culture, le droit à l’accès à la culture, le droit à l’information, le droit à parler sa propre langue, etc., chacun étant souvent défini de manière assez floue dans les textes.4 Il s’agirait de les articuler et les arbitrer entre eux, afin que tous soient respectés au mieux, selon un équilibre à remettre en question en permanence dans les champs politiques et juridiques.

Pourtant, un certain nombre de militant·es des droits culturels refusent que ceux-ci puissent être entièrement dissous dans leur acception juridique. D’après Patrice Meyer-Bisch, le philosophe qui a notamment coordonné la Déclaration de Fribourg en 2007 (texte considéré par beaucoup comme fondateur dans la définition des droits culturels), ceux-ci pourraient être définis comme « les droits d’une personne, seule ou en groupe, d’exercer librement des activités culturelles pour vivre son processus, jamais achevé, d’identification. La réalisation de ces droits permet à chacun de se nourrir des œuvres et activités culturelles comme de la première richesse sociale ; ils constituent la matière de la communication, avec autrui, avec soi-même, par les œuvres. »5 Leur exigence éthique intrinsèque, plus que juridique, serait alors que tous tendent vers une meilleure prise en compte des droits culturels de chacun·e et de toute·s à la fois, pour faire mieux société mais aussi comme condition d’une existence plus digne.6

Ces quelques paragraphes expliquent – je l’espère du moins – pourquoi les définitions des droits culturels peuvent être multiples et aussi polymorphes qu’elles sont habitées par des personnes différentes qui les mettent en tension selon leurs propres boussoles de valeurs. Pour ma part, j’ai choisi de travailler sur les pendants plus philosophiques que juridiques, tout en m’appuyant néanmoins sur des textes juridiques forts, en espérant qu’une confrontation plus pratique éclaire davantage a posteriori ce que sont et recouvrent les droits culturels.

Des droits qui habitent déjà certaines de nos pratiques

Dans le cadre de mon mémoire, j’ai étudié différentes situations de personnes travaillant dans des conservatoires et ayant eu un rapport privilégié avec les droits culturels : dans certains établissements, le lien s’appuyait sur un ancrage revendiqué dans les droits culturels, afin d’amplifier des réflexions prééxistantes ou d’en apporter de nouvelles ; dans d’autres établissements, le lien a été réalisé dans un second temps. Ainsi, à Lorient par exemple, Mathieu Sérot faisait le lien a posteriori entre les projets passionnants qu’il avait portés et les droits culturels, en les ramenant finalement plus volontiers à la notion d’éducation populaire. Pourtant, l’ensemble de son travail résonnait de manière forte avec les droits culturels, ce qui montre qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser et d’avoir assimilé précisément ces notions ou vocables a priori pour en être pourtant un·e acteur·rice.

Il me semble que, d’une manière ou d’une autre, les droits culturels habitent déjà nos pratiques et nos considérations, mais leur étude contribue à vivifier nos pratiques et nos interrogations. Ils constituent en eux-mêmes une force, paradoxalement, du fait de leurs déséquilibres multiples, toujours à arbitrer collectivement et à rediscuter – à la fois du fait de la faible précision de leur définition, qui demande à être discutée constamment, et de la multiplicité de droits et de postures qui demande à être étudiée et discutée constamment afin qu’aucun droit et aucune personne ne soit mise de côté. Je suis d’avis qu’ils pourraient favoriser une polyphonie travaillée de pratiques, et une synergie de personnes pour permettre davantage de libertés effectives par un travail autour de l’accroissement des capacités de tou·te·s.

Si la réalité des pratiques semble parfois contredire certaines exigences posées par les droits culturels, nous pourrions tout autant, en renversant l’affirmation, revendiquer une exigence de modifications profondes du cadre social pour permettre à tou·te·s d’avoir le temps, l’espace et l’énergie de développer davantage de réflexions collectives, des processus de délibérations, d’expérimentations, de recherches, d’éducation et de pratiques culturelles, de participation à la vie culturelle, et in fine une meilleure prise en compte des droits de chacun·e à exprimer ce qui fait sens pour lui ou elle.

En quoi les droit culturels pourraient-ils être un cadre théorique intéressant pour penser/panser les conservatoires ? En m’appuyant sur l’analyse de Jean-Michel Lucas7, qui a élaboré toute une pensée autour d’un texte fort d’un comité de l’ONU autour de la culture8, j’ai choisi de traiter à présent des obligations de respect et de mise en œuvre des droits culturels en les mettant en relation avec les nombreux et riches entretiens que j’ai pu mener auprès de personnalités extrêmement diversifiées des conservatoires9. Voici quelques pistes de mes propres interprétations du texte, nourries par ces entretiens.

Liberté de créer

En premier lieu, le respect plein et entier du droit à la liberté de créer, d’expression, peut nous interroger sur les conditions de création et d’expression dans les conservatoires, en ayant une grande attention sur les personnes parfois tenues hors de ces champs artistiques, en mettant en place le plus possible les conditions de création artistique pour des projets divers : résidences d’artistes, prêts des locaux pour des répétitions de groupes extérieurs pendant les vacances scolaires lorsque cela est envisageable et conciliable, stages de prise de son ouverts à l’extérieur, etc. Les conservatoires sont riches de personnes qui y circulent sans pour autant être invitées à contribuer à ce pan artistique : je pense par exemple aux personnes chargées de l’entretien, du personnel administratif ou de la sécurité, aux parents d’élèves, etc.

Afin de favoriser la liberté des échanges et de la transmission, nous pouvons par exemple créer davantage de situations de dialogues sur nos pratiques, en allant vers des enseignements plus croisés des notions de rythmes, de phrasés, etc., ou encore en encourageant les recherches communes entre les élèves, entre les professeur·es à bien des échelles, mais aussi en suscitant davantage de transmission dans ou entre les familles par du collectage des pratiques culturelles ou des répertoire.

Liberté de choisir son identité culturelle et de prendre part aux décisions

Afin de respecter davantage la liberté de choisir son identité culturelle telle qu’envisagée par les droits culturels, il s’agit de veiller à ne pas essentialiser les professeur·es comme les élèves, c’est-à-dire n’assigner personne à une identité culturelle figée prédéfinie et ce notamment en veillant à diversifier les parcours et les formations, en créant et suscitant les rencontres culturelles au sein d’un cursus, d’un département, d’une ville, et en permettant les évolutions d’identification. En ce sens, l’obligation de fournir des objets culturels divers résonne avec des questionnements sur les conservatoires déjà formulés depuis assez longtemps : il s’agit par exemple d’élargir les répertoires transmis, ou les manières de les enseigner, mais aussi tisser plus de liens avec d’autres acteurs d’enseignement artistique ou non, ou d’artistes sur le territoire, en gardant cependant l’exigence que cette transversalité ait et permette un réel sens pour toutes les personnes impliquées.

Concernant le droit d’accéder au patrimoine et droit de recevoir un enseignement culturel, le regard des droits culturels me semble consister à partir de ce qui fait sens pour les personnes plutôt que des objets d’art ou de savoir, en considérant ces derniers comme des façons d’éveiller chez toutes et tous une richesse nouvelle d’interprétations, d’émotions et ainsi de nourrir la vitalité des questionnements artistiques. Cela pourrait aussi passer par des interrogations sur la part de liberté accordée réellement dans la réception et la construction de nos enseignements.

Enfin, la question épineuse du respect de la liberté de prendre part aux décisions se heurte souvent à beaucoup de situations existantes me semble-t-il. Dans mes pratiques et recherches ainsi que dans les entretiens menés, peu d’espaces semblaient exister dans les conservatoires pour favoriser les discussions et prendre de réelles décisions ensemble. De plus, quand le processus de co-désision était enclenché de manière très parcellaire et descendante par des directions, sans réflexion commune sur ce qui devrait être mis en place pour que toutes et tous s’y retrouvent, les équipes professorales n’étaient souvent pas volontaires, et pour cause. Il s’agirait de trouver, créer ou du moins favoriser autant que faire se peut des espaces où les différentes personnes impliquées puissent réellement prendre part à ces décisions.

Les conservatoires pourront promouvoir des projets culturels plus respectueux des droits culturels en interrogeant les projets existants avec les outils que nous proposent les droits culturels10, et en essayant d’équilibrer les droits des personnes dans et entre les projets, et entre les personnes.

L’accessibilité

La question de l’accessibilité est un chantier qui me semble vraiment vaste et passionnant. Réfléchissons à l’accès aux établissements pour toutes les personnes, en termes de possibilités concrètes. Souvent présentée sous la forme d’accès de personnes en situation de handicap ou d’extrême pauvreté, les droits culturels nous encouragent certes à travailler sérieusement sur ces points, mais en respectant toute·s les acteur·rices et en considérant ce qu’elles ont à nous apporter aussi dans les pratiques existantes. L’accessibilité réelle oblige également à interroger les lieux d’enseignements (souvent en centre-ville), les rythmes des enseignements (qui permettent parfois difficilement aux enfants de venir plusieurs fois par semaines quand les familles ne peuvent pas avoir de garde d’enfants), les efforts de médiation lorsqu’ils sont seulement descendants, etc. Il s’agit d’un champ de réflexion qui gagnerait à être réellement approfondi et rediscuté, car les applications en partant des droits culturels sont multiples.

Ces quelques questionnements et propositions de pistes sont pour le moins embryonnaires : chaque droit évoqué mériterait un ample développement et un travail collectif pour lui donner de l’épaisseur en alliant approfondissement théorique et vivacité des situations des personnes en présence. De plus, d’autres supports pourraient être utilisés pour étayer les réflexions : la déclaration de Fribourg, les outils Paideïa : les ressources proposées par le corpus des droits culturels pour réfléchir et débattre sont nombreuses et considérables ! Pour autant, aussi embryonnaires soient ces questionnements, il me semblait important d’essayer de donner une première matière à ces concepts très théoriques et abstraits, qui soit aussi ancrée dans des entretiens avec des personnes issues des conservatoires.

A l’instar de la démocratie, la diversité prônée par les droits culturels se retrouve pourtant dans les droits culturels eux-mêmes, et interroge : seront-ils dissous par l’étirement de leurs usages et de leurs compréhensions, ou seront-ils suffisamment habités pour garder une certaine potentialité, consubstantiellement subversive et constructive ? Deviendront-ils une série de nouveaux éléments de langage, de cases à cocher standardisées en s’inscrivant en réalité? dans une lignée existante, ou une formidable source d’enrichissements et de déplacements de nos cadres conceptuels ? A de nombreuses reprises dans mon travail, les droits culturels sont venus heurter de plein fouet la réalité sociale inégalitaire, extrêmement hiérarchisée, dont la non-viabilité est déjà un affront aux droits humains. Seront-ils une force supplémentaire pour contester cette réalité et contribuer à la changer ? Permettront-ils de réaffirmer et de construire le postulat de l’égalité des intelligences, et des capacités des personnes à donner du sens au monde ? Dans une société démocratique, aborder ces questions n’est pas un luxe, mais une nécessité. Le corpus immense des textes et pensées des droits culturels peut être lui-même considéré comme ressources, c’est-à-dire, pour reprendre les mots de Sylvie Pébrier11 dans l’entretien qu’elle m’a accordé, comme « un appel au vivant, à faire vivre cette ressource, à la subjectivité. » La force des droits culturels dépend donc de ce que chacun·e en fera dans ses pratiques, dans ses réflexions, et de la façon dont ils pourront être (res)sources de questionnements et de vitalité.

Sarah van der Vlist

Flûtiste

vdv.sarah@gmail.com

1 Le PIDCPP (Pacte International Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques) et le PIDESC (Pacte International relatif aux Droits Économiques Sociaux et Culturels). Ce dernier est bien plus riche en termes de droits culturels, intégrant la participation à la vie culturelle, les droits d’auteur, etc.

2 Loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République d’août 2015.

3 Loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine de juillet 2016.

4Il y a là un véritable enjeu politique et juridique important : tout en protégeant un noyau intrinsèque de ces droits, il s’agit par une forme d’indéfinition de conserver une possibilité importante de débat, de réinterprétation du contenu de ces droits, de la culture elle-même, afin de les ajuster en permanence à des sociétés changeantes sans étriquer les possibles par une trop grande rigidité nécessairement issue d’une vision passée ou qui le deviendra bientôt.

5Meyer-Bisch Patrice, « Les droits culturels. Enfin sur le devant de la scène ? », L’Observatoire 33 (1), Grenoble, 2008, pp. 9 13.

6Les droits culturels s’appuient aussi sur un large pan philosophique, notamment les philosophes du développement de « la capacitation » (Amartya Sen), et la pensée de la créolisation d’Édouard Glissant, mais aussi sur l’éducation populaire.

7Lucas, Les droits culturels, op. cit., 2017, pp. 33 60.

8Comité des droits économiques, sociaux et culturels – Observation générale No.21

9Par souci de concision, ils ne seront malheureusement ici que peu cités alors qu’ils ont énormément porté mes recherches et réflexions

10Voir à ce sujet le travail de Paideïa, une recherche-action qui a réuni depuis 2012 de nombreux acteurs (départements comme structures internationales) afin de développer des outils d’évaluation et d’analyse intéressants autour des droits culturels.

11Inspectrice au ministère de la culture, et professeure au CNSMD de Paris

Saint-Saëns – Aquarium, pour 8 pianistes

Aquarium, extrait du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns. Arrangement pour 8 pianistes sur 4 pianos, par Fabien Cailleteau. Envoi des parties séparées sur simple demande : fabien.cailleteau@hotmail.fr

Lipp Farkas – Droits culturels

Lipp Farkas, Droits culturels

https://www.facebook.com/lippfarkas/

Les pianistes en collectif à Grigny

Marie-Thérèse Loustau est enseignante en piano et musique de chambre au conservatoire de Grigny (réseau CRD Essonne de Grand Paris Sud). Elle y a développé une pratique collective pour les pianistes, qu’elle raconte et analyse dix années après sa mise en place.

À Grigny, l’une des villes les plus défavorisées de France d’après la cour des Comptes, mon projet de pratique collective pour les pianistes s’inscrit dans une démarche plus globale tant du conservatoire que de la commune, en tant que ville-pilote dans le dispositif « Cité Éducative » – label obtenu en 2017, porté par le rapport Borloo sur les quartiers prioritaires. Devant le constat du fort taux d’échec et de décrochage scolaire, la nécessité s’est imposée aux élus de mettre en place une action d’envergure en direction de l’éducation des jeunes.

S’appuyant sur les récents travaux de recherche liant apprentissage artistique et performances cognitives (1), la ville de Grigny met en oeuvre, pour atteindre son objectif de réussite scolaire, le développement des pratiques artistiques, et en particulier musicales.

Philippe Rio, maire PCF de Grigny : « Nous visons l’excellence éducative pour le plus grand nombre, dans l’école et hors l’école. »

GRIGNY DANS LE PROGRAMME EUROPÉEN « URBACT »

Ainsi le conservatoire, sous l’impulsion de son directeur Edgar Solmi, développe son action sociale en prenant la culture comme support et la pratique musicale joue un rôle important dans l’éducation des enfants. C’est un acteur reconnu et un atout pour la Cité Educative de la ville de Grigny. En dehors du cursus traditionnel d’enseignement, de nombreux dispositifs ont vu le jour en quelques années dans et hors les murs, en partenariat avec les écoles de la ville : « ADA » (Ateliers de Découverte Artistique), orchestres « OSE » (Orchestre Symphonique Des Enfants) et « ONDE » (Orchestre Nomade Des Enfants), classes CHAM (Classes à Horaires Aménagés Musique), classe Maîtrise en partenariat avec l’Orchestre de Massy.

La spéci?cité de ce conservatoire réside dans son organisation autour de six modules, élaborés pour répondre aux besoins de la population : pédagogie traditionnelle ; parcours pédagogique innovant ; parcours artistique scolaire ; musique, art, santé, sciences ; fab-lab / lutherie ; studios de répétitions et d’enregistrement.

Et c’est précisément grâce à son enseignement particulier, à mi-chemin entre les champs artistique et social, que le conservatoire de Grigny a été choisi en 2018 pour représenter la France dans le programme d’échanges européens URBACT, destiné à élaborer un modèle d’excellence en repérant et modélisant des pratiques innovantes dans les domaines environnemental et sociétal, face à la forte immigration reçue en Europe les années antérieures. Le volet culturel y avait toute son importance, et en particulier la musique parce que langage universel. Selon l’adjoint en charge de la culture, Pascal Troadec, « l’objectif est de produire une méthode d’apprentissage collectif de la musique à l’échelle européenne ».

Les conservatoires de six pays européens se sont rencontrés pendant deux ans lors de journées d’étude dans leurs lieux d’enseignement, et ont pu ainsi donner une large palette de leurs pratiques respectives, désigner des pratiques d’excellence et les modéliser. Dans ce cadre, j’ai eu l’occasion de donner avec ma classe trois temps de démonstrations collectives, et ai été par la suite invitée à intervenir au conservatoire d’Aarhus au Danemark pour une session de formation auprès de 11 professeurs de piano.

DEUX PIANOS HUIT MAINS

Dans quel but ? La musique n’est pas un but en soi mais un moyen merveilleux de développement de la personne. De plus, face au désert de propositions collectives, la formation à 2 pianos 8 mains offre une réelle possibilité de pratique collective pour les pianistes, et, de par la richesse de son écriture, ouvre les élèves à une palette de sonorités orchestrale. En pratiquant collectivement, on apprend à être et faire ensemble : c’est par le contact avec les autres que l’on se découvre et se réalise progressivement soi-même. Notre objectif est de faire émerger et favoriser l’épanouissement de chaque personnalité, de voir chaque enfant devenir un adolescent puis un jeune adulte épanoui et développant toutes ses facultés. (2)

Quelle pratique collective pour les pianistes à Grigny ?

La pratique collective peut avoir de multiples canaux d’expression : depuis l’expérimentation de modes de jeu contemporains à l’exécution en concert de la transcription d’une symphonie, en passant par la forme libre de l’improvisation à plusieurs (au piano et/ou avec de petits instruments de percussion), l’analyse d’une oeuvre, le travail en commun autour d’un aspect technique ou musical, le champ est vaste !

Rechercher une sonorité homogène, une respiration et une gestuelle communes, réaliser un crescendo, un accelerando, vivre un point d’orgue ensemble, tout cela nous apprend à « entrer en communion » et à « faire UN » à plusieurs : c’est une expérience si réjouissante pour les élèves, qu’ils cherchent à la renouveler à chaque répétition et dans chaque nouvelle oeuvre !

La pratique collective, c’est aussi donner accès à nos élèves à de grandes musiques du répertoire qu’ils n’aborderaient pas autrement : ils ont par exemple joué dans le cadre de leur ?n de 1er cycle l’Étude n°3 de Chopin « Tristesse », à 2 pianos 8 mains, ou le 1er mouvement du Concerto pour 2 violons en la mineur de Vivaldi, à 3 pianos et 6 pianistes ; en ?n de 2ème cycle, les mouvements 2 et 3 du quintette « La Truite » de Schubert, ou le ?nale du Carnaval des Animaux de Saint-Saëns ; en 3ème cycle, l’ouverture des Noces de Figaro de Mozart, toujours à 2 pianos 8 mains.

Ce qui veut dire, pour nous enseignants, trouver du matériel existant dans la formation à 2 pianos 8 mains (s’agissant de transcriptions de grandes oeuvres, c’est généralement possible à partir du milieu de 2ème cycle) ou réaliser nous-mêmes nos propres arrangements sur mesure pour nos élèves. Il faut pour cela déceler si l’oeuvre se prête à une telle transcription, permettant d’alterner un découpage de l’écriture tantôt horizontal (les 2 pianos se répondent), tantôt vertical (les 2 pianos jouent en tutti). Il faut parfois savoir réécrire pour étoffer certaines parties, créer un contrechant, une basse d’accompagnement harmonique, un effet sonore particulier : le tout, sans dénaturer l’oeuvre !

Tout en veillant, pour des raisons pédagogiques, à ce que toutes les parties soient intéressantes et aient leur moment de « solo ».

MOTIVATION DES PIANISTES

Pourquoi une pratique collective pour les pianistes ? Lors de mon arrivée au conservatoire, le taux d’absentéisme observé dans les classes de piano était d’environ 50%. Le travail personnel était quasi inexistant, et aucun élève n’atteignait le niveau d’une ?n de 1er cycle. Les enfants pratiquaient des « activités », lesquelles n’étaient pas nécessairement reconduites l’année suivante. Il fallait donc de toute urgence éduquer les familles à comprendre que la pratique d’un instrument allait de pair avec une présence régulière en cours, avec la nécessité d’avoir un instrument à la maison pour permettre un entraînement personnel, et que cette pratique devait être engagée sur plusieurs années. Dès la mise en place de binômes et d’ateliers collectifs, j’ai pu constater que l’assiduité et l’engagement des élèves allaient grandissant d’un trimestre à l’autre : la pratique collective s’avérait être un puissant facteur de motivation pour eux. Venir au cours pour retrouver des copains avec qui monter des projets et se produire sur scène, voilà qui était stimulant et grati?ant !

Mais comment ? Cela commence par des considérations matérielles, pratiques… et ?nancières ! Car il ne s’agit pas de s’agglutiner à 4 ou 6 devant un médiocre piano droit : il faut d’autres moyens !

J’ai eu la chance de rencontrer, au cours de ma carrière, un directeur qui, dès son arrivée, a reçu chaque membre de l’équipe en entretien. D’entrée de jeu, il me pose cette question inattendue : « Comment seraient vos conditions de travail dans l’idéal ?

– Je ne pense pas que mon idéal soit réalisable… »

J’ai alors été invitée à décrire mon idéal « de rêve, même s’il n’était pas réalisable » :

« avoir un 2e piano dans ma salle ; disposer aussi d’une autre salle attenante à la mienne avec un 3e piano, accessible aux élèves sans ma présence ; modi?er les emplois du temps de manière à faire venir les élèves en groupe, par niveaux, deux fois dans la semaine… ».

Je vous raconte cela car peu de temps après, tout était mis en place – alors que je n’aurais pas cru cela possible. Donc, il nous appartient de le faire exister ! Riche de cette expérience, j’ai ensuite toujours annoncé, en candidatant pour de nouveaux postes, ces conditions – et les ai toujours obtenues…

Ça y est, vous avez en?n vos deux pianos, trouvé des partitions, créé vos groupes de travail. Et vous arrivez à votre premier cours collectif, seul ou à deux enseignants, avec un groupe d’élèves devant vous… En moins de dix minutes vous comprenez la nouvelle réalité qui s’impose : vous allez devoir vous transformer en animateur de groupe ! Vous devrez décupler votre énergie, pulser en permanence, occuper l’espace, tout en créant une bulle d’expérience « hors du temps ». Car ce cours doit être attrayant. Aussi la première chose est d’apporter les conditions d’une bonne

ambiance, d’une synergie de groupe, d’une harmonie ; ce cours se veut interactif, c’est-à-dire que chacun doit pouvoir participer et s’exprimer librement. Il s’agit de trouver un équilibre entre décontraction et sérieux : l’aspect humain sera aussi important que l’aspect musical !

Vous voulez soutenir l’intérêt et la participation active des élèves tout au long du cours ? La première clé sera de donner du rythme et faire en sorte qu’il n’y ait jamais de temps mort, en utilisant le contraste et la variation, dans les manières de travailler comme dans les positions physiques. Jamais de temps mort, cependant des temps de respiration ! Ce qui ne veut pas dire ne rien faire, mais simplement se reposer de l’action pianistique – par exemple en passant d’un temps d’exécution au piano à un temps de ré?exion partagée, où chacun peut suivre son rythme dans la participation.

Deux espaces sont aménagés dans ma salle lors des cours collectifs : l’espace de jeu avec deux pianos à queue et un piano droit, et un espace d’échanges avec des sièges disposés en demi-cercle.

Enfin il est important que les élèves et les familles s’engagent à une assiduité sans faille : s’il vous manque en permanence un partenaire dans une équipe, vous pourrez dif?cilement être à la fois au piano pour le remplacer (prévoyez des doubles de toutes les parties !), et à l’extérieur d’où vous écoutez et guidez le groupe… Il n’y a pas de réalisation collective sans l’engagement de chacun !

ORGANISATION PRATIQUE

J’ai mis en place cette pédagogie en collaboration avec l’un de mes collègues au conservatoire de Grigny, qui co-anime avec moi les ateliers collectifs. Nous disposons pour cela de deux salles contiguës, équipées chacune de deux pianos.

A Grigny, nous avons basé la pratique collective des pianistes sur quelques principes fondamentaux.

Tout d’abord, elle est ouverte à l’ensemble des élèves des quatre enseignants en piano : les élèves de

toutes les classes se retrouvent ainsi mélangés dans un cours collectif commun. Ensuite, nous avons conçu l’organisation de ces ateliers collectifs de manière libre et modulable d’une semaine à l’autre : nous animons ensemble ou séparément par demi-groupes, selon les besoins ; et il arrive parfois, en fonction des effectifs, que l’un de nous soit seul en charge d’un groupe de niveau. En?n, si l’objectif principal de cette pratique collective est avant tout de produire des pièces qui seront jouées en audition ou en concert d’élèves, nous avons aussi parfois d’autres objectifs : nous avons notamment pérennisé un atelier collectif d’une heure consacré à la préparation de la ?n de cycle, regroupant tous les élèves concernés. Celui-ci nous permet non seulement de proposer un travail de « mise à niveau » technique, au travers de l’étude de textes communs et d’exercice appropriés, mais aussi de travailler collectivement le morceau imposé du programme, ainsi que de préparer les élèves, tout au long de l’année, aux épreuves d’autonomie et de musique de chambre. Les élèves sont amenés à développer leur écoute, leur sens de l’observation et leur sens critique. Nous les invitons à faire leur propre commentaire, non seulement sur l’exécution des autres élèves, mais aussi sur leur propre prestation. Ils apprennent à demander de l’aide et à s’entraider, développant aussi leur con?ance, leur audace, leur autonomie – et leur sens de la « performance » !

Ce cours collectif est aussi un temps privilégié de soutien pour la préparation à l’épreuve de formation musicale, par l’analyse des textes, le travail sur les tonalités, les accords, les formes musicales, etc…

A mon sens, mettre en place de tels ateliers de pratique collective nécessite les deux éléments suivants, indispensables : premièrement, chaque enseignant en charge de la pratique collective des pianistes doit disposer de 1h30 pour un mi-temps à 3h pour un temps plein, à distribuer librement entre les différents niveaux (temps qui peut être donné à horaire ?xe toutes les semaines ; partiellement, avec une réserve pour des répétitions supplémentaires lors de préparations d’auditions ou de concerts ; à horaire, durée et fréquence modulables selon vos projets…) ; deuxièmement, il s’agit de repenser complètement l’organisation des temps de cours, conçus à la base pour des cours individuels de 30 minutes, 45 minutes ou une heure, et d’opérer une véritable révolution dans la distribution de ce temps : dès lors que l’on n’enseigne plus sous la forme de cours individuels (sauf très occasionnellement), le temps peut être réparti autrement et de manière bien plus pro?table pour les élèves !

C’est ainsi que j’ai conçu et mis en pratique depuis une dizaine d’années à Grigny une nouvelle répartition des temps de cours. J’ai mutualisé tous les temps de cours individuels des élèves de même niveau, qui s’additionnent avec ma propre réserve de temps à distribuer collectivement ; créé des binômes et réduit le temps de cours de 25 à 30% selon les cycles ; puis réparti le temps restant entre les différents groupes de niveau. Résultat :

-1er cycle (dès la 2e année) : 45’ en binôme + cours collectif 45’ (2 pianos 8 mains)

-2e cycle : 1h en binôme + cours collectif 1h (2 pianos 8 mains et/ou musique de chambre)

-3e cycle : 1h30 en binôme + cours collectif 1h30 (45’ à 2 pianos – 45’ en musique de chambre)

En?n, pour une bonne dynamique, il est souhaitable que deux enseignants co-animent ensemble !

Pour conclure, je laisse la parole à Edgar Solmi, directeur du conservatoire de Grigny : « Enseignants, ne vous considérez pas comme limités, ou enfermés dans un carcan de contraintes et de règles à respecter ! Tout au contraire : ouvrez votre esprit, autorisez-vous à imaginer les champs du possible …et sentez-vous illimités ! »

Marie-Thérèse Loustau

Enseignante en piano et musique de chambre,

coordinatrice des études au conservatoire de Grigny

Réseau CRD Essonne de Grand Paris Sud

coeur.silence@free.fr

  1. : Des spécialistes des neurosciences ont mis en évidence que la pratique musicale facilite le développement cognitif, et qu’elle est un moteur puissant dans la construction d’une personnalité sociable. Elle a des effets positifs sur la réussite scolaire et le développement personnel des élèves. Selon une évaluation de l’Institut Montaigne, la pratique de l’orchestre pendant trois ans se traduirait par une amélioration de la moyenne générale, des notes de vie scolaire, et une meilleure attitude de l’élève vis-à-vis de l’école.
  2. : Ma grande ?erté l’an dernier fut d’apprendre qu’une de mes élèves de 3ème cycle avait obtenu la note de 20/20 au grand oral du Baccalauréat, avec le sujet qu’elle avait choisi elle-même : « Quels sont les béné?ces de la pratique musicale pour le cerveau humain ? »

Élève en classe CHAM de la 6ème à la 3ème, elle a suivi nos ateliers collectifs pendant 12 ans, fait un double cursus piano / percussions classiques, et participé à toutes les auditions et concerts. Elle est désormais une étudiante épanouie : objectif atteint !

Une heure au piano à la bibliothèque

Bibliothécaire passionné de piano, Claude-Marin Herbert a initié à la Bpi (bibliothèque publique d’information) du Centre Geroges-Pompidou de Paris un atelier de découverte du piano intitulé « Piano : premiers pas ». Il nous livre ici sa lecture de cette expérience.

Chaque jour au Centre-Pompidou, des milliers de personnes viennent à la bibliothèque. Ouverte à tous jusqu’à 22h, sans inscription ni droit d’entrée, c’est sans doute le plus vaste lieu d’échanges et de culture gratuit de la capitale (plus d’un million d’entrées annuelles). Sans les services associés au riche fonds de livres, revues, films, documents sonores, méthodes d’apprentissage, ce qui ne serait qu’un vaste espace de coworking donne en réalité à chacune et chacun la possibilité d’étudier, de se distraire, de s’informer et se former. Ainsi bien des lectrices et lecteurs initialement venus “chercher une place” (par exemple un dimanche, où la plupart des autres établissements sont fermés) découvrent au fil de leurs visite la richesse du fonds et l’étendue des services de la bibliothèque : parmi ceux-ci, l’espace musique et son pôle de découverte et de pratique du piano.

Contexte

Depuis une dizaine d’années, en complément de l’accès individuel à la documentation sur tous supports, l’espace musique de la Bpi (Bibliothèque publique d’information) propose en effet des moments de partage et de découverte : séances d’écoute, conférences, performances (avec un fort accent mis sur les pratiques contemporaines et expérimentales), ateliers. Certaines de ces actions (Improvisation jeux d’écoute, Poser sa voix) sont menées par des musiciens professionnels, d’autres assurées par les bibliothécaires : c’est le cas de “Piano premiers pas”, qui est une séance de découverte du piano que j’anime régulièrement depuis 2018.

Au niveau 3 de la bibliothèque, où l’on trouve les arts (littérature, arts, musique), deux pianos, de modèles différents (actuellement un Roland et un Yamaha), sont installés à proximité du fonds de partitions (environ 2000 titres) et de livres sur la musique. Comme nous sommes dans une bibliothèque, les pianistes autonomes qui ont réservé leur créneau (une heure) sont donc contraints de jouer sous casque aux heures d’ouverture ; mais en dépit de cette contrainte, les deux pianos sont utilisés de manière intensive (3000 réservations par an). Ces utilisations sont parfois très expertes (comme en témoigne de nombreuses séquences du film de Clément Abbey, Bibliothèque publique) ; d’autres sont plus élémentaires, voire “sauvages” ou spontanées – le contexte de la Bpi favorisant ce type d’appropriation, en musique comme dans d’autres domaines.

Ces pratiques novices légitimées, nous avons rapidement été amenés à répondre au désir de nombreux curieux de s’en remettre à une initiation pour “connaître les bases”. Mais pour le piano, comme pour d’autres savoirs que la bibliothèque met en partage en articulant ses services de base (fonds documentaire et places de travail) à des actions de médiation, l’information doit être claire d’emblée : nous proposons de la découverte, voire de l’initiation, pas des cours. Programmée le matin avant l’ouverture de la bibliothèque, “Piano premiers pas” sera donc une séance unique, un “one shot” permettant de faire quelques pas avant de se lancer dans quelque chose de plus suivi avec des professionnels de l’enseignement musical. La plaquette distribuée en fin de séance mentionne quelques structures où s’adresser (dont Piano ma non solo), et j’insiste en général sur la nécessité de ne pas se lancer seul. Même si j’apprécie que certain.e.s participant.e.s nous recontactent parfois plusieurs mois après pour me faire part de leurs progrès (ou au contraire de leur panne), je ne les vois donc en principe qu’une seule et unique fois, et cette fois-là dure une heure.

Notre objectif n’est donc pas d’apprendre l’instrument, ni même connaître “les bases” (lesquelles ne seraient pas friables au bout d’une heure ?), mais de passer un moment, le plus profitable et intense possible, autour du piano – un moment qui donne envie d’y revenir.

Déroulé

Au début, les séances étaient individuelles et je pouvais donc adapter le contenu aux envies de chacun. Certaines étaient très précises : apprendre les rudiments d’accords d’un standard (“Billie Jean”, “L’Aigle noir”, une chanson de Coldplay), essayer de retrouver la mélodie d’une musique de film, de jeu vidéo, voire d’une création personnelle, harmoniser un chant liturgique, “réparer” un début d’apprentissage contrarié (et là, c’est souvent le répertoire classique qui est en ligne de mire) ; d’autres plus ouvertes : l’envie de jouer du piano, tout simplement – de nombreuses personnes disent en avoir “toujours rêvé”. Mais très vite, face à la demande, nous avons opté pour des séances par petits groupes (quatre à six personnes) où d’autres dynamiques se créent, compensant le caractère très “sur-mesure” des séances individuelles du début. Dans tous les cas, même si des personnes expriment une attente précise, je m’appuie sur deux moments d’improvisation (le premier sur les touches noires, le second sur les blanches), la relative facilité avec laquelle l’instrument se laisse aborder pour “prendre contact”

Les premiers instants (10’-15’) sont consacrés à ce qui distingue le piano de tout autre instrument à clavier : la dynamique. C’est pourquoi je propose d’emblée l’improvisation sur touches noires, pédale sustain enfoncée, avec l’ensemble du corps (avant-bras, épaules, dos de la main). Cette abord a plusieurs avantages : comme je surjoue moi-même des gestes amples produisant beaucoup de volume, la précision n’est pas de mise. Les participant.e.s sont donc assez vite à l’aise pour insérer leurs propres touches ou blocs sonores ; en quelques secondes ils situent les registres (grave, medium, aigü) et au bout d’une à deux minutes expérimentent les nuances (sinon je les y invite en variant mes propres attaques) ; ils visualisent les sept séquences, « l’algorithme » des 3+2 touches noires, commencent à l’incorporer ; et, à deux pianos, avec une bonne écoute entre improvisateurs, des jeux d’imitation et de contrastes, ça sonne vite bien.

Il y a deux autres avantages à commencer de la sorte : l’un est très concret ; l’autre beaucoup plus du côté du langage. Côté mécanique-concret : en laissant vibrer l’accord obtenu à la fin de l’improvisation, et en embrayant la pédale pour interrompre cette vibration à un instant t – outre un bel effet de dilatation/silence – la question de savoir “à quoi sert la pédale” a sa réponse toute trouvée, et de ce fait peut donner lieu à quelques rudiments d’explications sur la mécanique de l’instrument. Côté langage, le fait que “ça sonne bien” quoiqu’on joue sur les touches noires permet d’enchaîner sur un court moment théorique où j’introduis sommairement la notion d’échelle, en prenant pour exemple l’échelle à cinq sons : je pars du continuum “chromatique” que donne un glissando grave-aigu à la voix, que je décompose en petit escalier régulier chromatique au clavier, et dont je retranche enfin toutes les touches blanches pour arriver à cet escalier à cinq marches dont les écarts ne sont pas tous égaux. L’idée est de montrer que ces échelles n’existent pas telles quelles “dans la nature”, mais qu’elles procèdent d’un choix effectué par les humains – en l’occurrence à toutes les époques et pratiquement toutes les latitudes (je joue une pseudo-chinoiserie dans les aigus, suivi d’un pseudo-balafon au milieu, et un blues dans les graves)

Au tiers de la séance (20’-30’), une nouvelle soustraction (un nouveau “choix”, des plus réduits) va nous amener à découvrir une nouvelle notion, celle d’intervalles – ainsi que son corollaire (en langage diatonique, du moins), la dualité “consonant”/ »dissonant ». Après avoir demandé aux participant.e.s de jouer uniquement sur les touches noires, je demande à l’une l’autre d’en choisir une, dans les graves (par exemple mi bémol), et aux autres de la répéter dans divers registres, du grave aux aigus puis inversement, puis dans le désordre (mais toujours la même note). En principe, les repères visuels s’accroissent et les gestes gagnent en précision. A ce moment-là, si les personnes sont à l’aise, je peux leur demander d’introduire de la régularité en jouant des rondes ou des blanches sur un tempo moyennement lent. Je leur demande si elles entendent le même son : entre un mi bémol 40Hz et un mi bémol 2500Hz la réponse est : non, bien sûr. Mais y a t’il un rapport entre ces deux sons, si différents ? Oui, surtout si en regard on plaque un triton mi bémol-la… Intervalle « consonant » entre deux notes (portant le même nom) ici ; intervalle « dissonant » là.

Bien sûr, le temps manque pour expliquer la relativité des notions de dissonance et de consonance, mais avec des personnes ouvertes il est toujours possible de jouer une gamme par tons pour en convenir. En général je préfère ou bien proposer un petit jeu au cours duquel, pendant que les participant.e.s font sonner leur mi bémol sur différents registres, j’introduis discrètement une note étrangère en leur demandant de me faire signe si elles l’entendent ; ou bien ouvrir une parenthèse physico-acoustique sur la fréquence des battements de l’air mis en vibration et la merveilleuse découverte pythagoricienne du rapport entre fondamentale et harmonique de rang 2, découverte dont je m’empresse aussitôt de dire qu’elle existe dans un lieu situé entre la nature et un ciel plus théorique – d’où le plaisir évident que nous prenons à laisser tourner ces octaves.

Plaisir évident, certes, de la consonance. Grâce au piano, à sa dynamique et aux repères qu’on y a pris, grâce aux octaves montées, descendues, déclinées, on est bien dans le son – si bien… Dans le son, certes, mais pas encore dans la “musique”. Pour tout dire, à moins d’être un adepte du zen ou d’adopter les stratégies de compositeurs minimalistes, de nos octaves on se lasse vite. C’est bien trop pur, ça manque de vie (on mesure la tâche que s’est donné La Monte Young d’en insuffler à une seule note).

Au milieu de l’heure (30’-40’) nous reprenons donc du matériau, et passons à un autre intervalle, un intervalle que nous allons peupler : la quinte. Je demande d’abord aux personnes de réaliser rapidement le même exercice que précédemment, mais sur les touches blanches. Beaucoup attendaient cela depuis le début, et découvrent alors qu’il est moins simple de se repérer parmi les 52 touches blanches (les séquences régulières des noires vont les y aider). On joue donc tous les, puis tous les do. Une fois repéré le do4, je leur demande de placer leur main en position “Mikrokosmos1” et de jouer simplement le pouce et l’auriculaire, soit une quinte do-sol. De nouveau, on reproduit rapidement cet intervalle à différents endroits du clavier (d’abord main droite, puis main gauche, puis mains ensemble). Certain.e.s participant.e.s sont sensibles, non seulement à la consonance de la quinte (différente des octaves jouées précédemment), mais à son caractère “augural”, une invitation à commencer. Pour inviter à peupler cette quinte, j’utilise deux images : celle d’un lac aux eaux plates, que la vie va troubler peu à peu ; celle d’une scène où entrent des personnages. Un.e participant.e (ou deux) prend le bourdon sur do-sol, pendant qu’une ou deux autres proposent de petits motifs uniquement sur les touches blanches, d’abord dans les limites de la quinte, puis sur toute l’échelle à partir de do4.

La difficulté à ce moment-là est d’encadrer l’improvisation, d’ouvrir les espaces nécessaires à un résultat d’ensemble, d’inviter à la répétition lorsqu’on “tient” quelque chose, de désigner un meneur pour aller vers une fin… et de ne pas oublier de bien faire résonner le dernier accord, de l’éteindre en embrayant la pédale sans précipitation. Ici, l’habitude de diriger de petits ensembles – une expérience qui me fait défaut – serait appréciable..

L’exercice amène à découvrir le rôle essentiel de la fondamentale dans cette nouvelle échelle (à sept sons) installée par défaut sous les touches blanches, et accessoirement à comprendre pourquoi on parle maintenant de quinte, comme tout à l’heure on parlait d’octave.

A l’entame du dernier quart d’heure (45’), je propose alors de déplacer notre bourdon de quinte deux degrés plus bas, soit un intervalle la-mi. Bien sûr, en pratiquant comme précédemment, les participants entendront la couleur différente, le caractère “mineur” (éolien), qu’entraîne ce déplacement. Mais ce sera encore plus clair si, pendant que tout le monde joue, j’introduis moi-même un personnage mélodique notoirement majeur, comme “L’’hymne à la joie”. A la fin de l’improvisation je leur demande si ce personnage est connu. La réponse est : oui, mais… ça n’est pas bien joyeux, dites-moi ? – En effet. Je rejoue donc à l’identique, mais sans accompagnement, et relance avec une fondamentale de do : on a retrouvé “L’hymne à la joie” (enfin… ce qui est tient lieu pour les besoins de la démonstration!).

En dix minutes, on a donc expérimenté à sept sons dans ses deux modes les plus connus. Il nous reste alors tout au plus dix autres minutes avant la fin de la séance et, selon comment ça tourne, j’ai le choix entre : creuser un peu cette notion de mode, écarter grâce à quelques exemples choisis (“Suzanne”, du klezmer ou de l’afro-cubain) l’idée reçue d’un mode majeur naturellement gai, franc, ouvert etc. versus un mode mineur au tropisme négatif, et proposer une improvisation en modes dorien ou – surtout – phrygien ; ou bien accepter de rester dans le dualisme majeur/mineur qui structure une bonne partie de la musique qui s’est installée au centre d’un certain système de références classiques et populaires : la musique tonale.

Les dix dernières minutes (50’-60’) peuvent donc être consacrées à construire des accords simples à trois sons, majeurs et mineurs, et à essayer d’en enchaîner (comme dans l’accompagnement d’un standard comme “Walk on the wild side” ou La Javanaise). C’est un moment où je vois vaciller l’attention de certains participants : d’une part parce que la demande étant souvent “sur mesure” la dynamique du groupe se perd un peu ; d’autre part parce qu’il n’est pas évident du tout d’intégrer la différence entre deux acceptions différentes du même attribut – “majeur”/“mineur” – selon qu’on parle du mode dans lequel est joué un morceau ou de la tierce d’un accord.

En tout état de cause, la plupart parviennent à transformer un accord majeur en mineur et vice-versa, et à entendre la différence (les plus courageux acceptent même de jouer au jeu de reconnaître une tierce plaquée au hasard). Surtout, la connaissance de ces quelques briques fondamentales ouvrent de jolies perspectives à celles et ceux qui aimeraient jouer des chansons, dans la mesure où ces briques constituent, dans les centaines de songbooks que la bibliothèque propose à proximité des pianos, la grille sur laquelle la plupart sont écrites.

Perspectives

Depuis la mise en place de cette permanence en 2018, des centaines de séances ont été réalisées, d’abord sur un rythme hebdomadaire en individuel, puis par petits groupes. Posté aux renseignements, j’ai revu certains participants à intervalles réguliers : une habituée avouant qu’elle avait eu “besoin de ce rendez-vous, comme un cadeau en plein dans la journée” ; un millenial qui m’avait posé le redoutable défi de parvenir à retrouver les accords d’”Alone again or” du groupe Love (une chanson datant de 1967 !) est devenu un habitué des pianos, et s’intéresse maintenant à Moondog et Steve Reich ; un autre, probablement évangéliste, que j’ai aidé à préparer (musicalement) ses prêches en m’appuyant sur du blues, soit la musique du diable (j’espère qu’il n’y a vu que du feu) ; j’attends actuellement les premières notes d’une comédie musicale dont une participante du nom de “pop” a imaginé les premiers airs avant de venir … sans oublier les nombreuses questions posées par mails après la séance – jusqu’aux plus retorses, comme celles d’une chanteuse m’écrivant qu’elle a “beaucoup appris”, mais qu’elle n’entend pas le demi-ton entre mi et fa, et lui préfère un ton entier (j’ai vérifié, cette dame chante spontanément lydien, ou carrément par tons entiers).

Le passage de séances individuelles à des séances par petits groupes a contraint à abandonner les séances “sur mesure”, et alléger le contenu de l’ensemble. Étant moins présent au clavier, je suis devenu un peu plus directif et j’organise la séance en confiant des rôles (choisir la note pour le jeu des octaves, trouver la note étrangère, jouer une tierce au hasard pour la devinette majeur/mineur, etc.). Tout le monde ne peut donc pas tout faire, mais chacun est mis en situation d’entendre et ressentir ce qui est joué. La personnalité du groupe ou de certains amène aussi à profiter davantage de certains moments (plus dynamique/romantique sur l’impro touches noires, hypnotique/contemplatif sur les octaves, mélodique/structuré sur les impros touches blanches – pour autant que ces mots reflètent quelque chose).

Le succès de ces séances invite à une triple réflexion :

  • comme dans d’autres domaines, la bibliothèque est bien perçue comme un endroit où on peut essayer de faire des choses qui, ailleurs, semblent entourées d’un mur invisible. Le piano et la musique en font partie. Une proposition analogue avec la guitare, mais plus encore la MAO (très adaptée à l’ambiance d’une bibliothèque). marcherait probablement aussi – ou dans un autre registre, le travail sur la voix ou les percussions (corporelles).
  • ces premiers pas en principe destinés à des novices complets donnent à des “faux débutants” l’occasion d’un nouveau départ, et à quelques autodidactes l’occasion de corriger ou confirmer certaines trajectoires. Tout en restant dans un format d’une heure ou deux, beaucoup de personnes seraient probablement heureuses de trouver, en plus de “Piano : premiers pas”, des séances de type “Piano : reprise”.
  • Enfin, compte-tenu de l’ancrage particulier de la bibliothèque du Centre-Pompidou dans la modernité et le XXè siècle, à la facilité d’accès à certaines partitions et à de la documentation (mais aussi, avouons-le, par goût personnel), je réfléchis à proposer des ateliers de découverte du répertoire contemporain. J’ai constaté qu’il y avait évidemment une forte demande autour de la pop, du jazz, de la musique de films ou de jeu vidéo ; mais j’espère être en mesure de proposer un jour au public d’aborder des approches comme celles de Bartok ou Kurtag, de l’atonalité, du minimalisme (Reich, Riley, Meredith Monk), des pièces ouvertes du répertoire (Cage, Cardew) ou – par exemple à partir de textes présents dans le fonds poésie contemporaine, ou au musée – à imaginer ensemble.

Claude-Marin Herbert

Bibliothécaire

Bpi Centre Georges-Pompidou Paris

claude-marin.herbert@bpi.fr

J.-S. Bach – Prélude et fugue en do mineur

Marie-Thérèse Loustau, pianiste et professeure de piano au conservatoire de Grigny, nous offre cet arrangement. Arrangement pour 8 mains sur 2 pianos du Prélude en do mineur, suivi de la Fugue, pour 6 mains, extraits du Clavier bien tempéré. Envoi des parties séparées sur simple demande : coeur.silence@free.fr

Paul Lyonnaz – Correspondances

Présentation du recueil Correspondances, un recueil pour faire école buissonnière avec 3 à 4 mains sur 1 à 2 pianos.

Paul Lyonnaz est un compositeur et pianiste né à Bordeaux et résidant à Nantes.
Il est l’auteur de plusieurs musiques originales et improvisées pour l’image et le spectacle vivant, ainsi que de productions phonographiques. Sa discographie comprend un album piano solo « Résidence(s) » sous son nom d’artiste POL. Il s’est produit dans plusieurs festivals nationaux en solo et en trio (Festival Piano en Trièves, Festi’piano, Festival des Rendez-Vous de l’Erdre à Nantes, Finaliste du tremplin national RéZZo Focal Jazz à Vienne 2019, etc.). Entre néoclassique et jazz, sa sensibilité et sa musique se nourrissent de nombreuses rencontres humaines et artistiques, en croisée des arts. En savoir plus : paullyonnaz.fr
Son premier recueil dédié au piano duo est publié aux éditions Buissonnières (mars 2021).

Avec l’aimable accord des éditions Buissonnières, il nous en offre une pièce : Okanagan Valley.

L’idée de ce recueil de partitions miniatures pour duo de pianistes est née alors que mon fils
suivait des cours de piano. L’enseignant accueillait deux élèves en même temps, chacun sur
un piano électronique dans une même salle. Chaque séance durait une heure.
Lorsque j’ai posé la question à mon fils « jouez-vous ensemble ? », j’ai été très surpris de sa
réponse négative.
Quel paradoxe de disposer de deux pianos, d’avoir en présence deux pianistes et de ne pas
profiter d’une telle aubaine pour jouer ensemble ! Comment alors faciliter l’accès au jeu en
duo à des pianistes débutants ? Comment les initier à cette grisante sensation d’être
intimement transporté par la musique tout en partageant le même voyage musical ?

Au-delà de fournir du matériel musical et un accompagnement pédagogique adapté à ces
duettistes, je suis convaincu que la pratique naturelle du piano est à la fois « solitaire et
communautaire » (1). Et en corollaire, il n’y a probablement pas d’œuvre sans relation.
J’aime à penser que les compositeur·trice·s, les interprètes et les mélomanes partagent sans
le savoir la même espièglerie enfantine : s’échapper en complicité pour « entrer dans la
musique » (2) et, tout simplement, jouer ensemble. Entrer dans la musique, comme on se
précipite dans la cour de re-création. Jouer à dérober du temps pour pouvoir s’absenter et
ouvrir des passages secrets vers des mondes sensationnels, entre réel et irréel.
Le piano est un instrument magique. Il a le pouvoir de courber le temps et l’espace. Il se fait
interface en interconnectant les deux pianistes pour les propulser dans d’autres dimensions.
A chaque « traversée », chaque piano se révèle être un véhicule vivant, singulier, mi-machine
mi-animal. D’ailleurs, avec un peu d’attention et de curiosité enfantine, on peut s’interroger
au passage pourquoi en France les pianos ont une queue, et pourquoi en Allemagne ils ont
des ailes (3). Difficile alors de ne pas percevoir dans chaque piano un authentique aéronef de
l’imaginaire.

Il est intéressant aussi de se rappeler que le mot « partition » a pour source étymologique et
latine : partitio dérivé de partire qui signifie diviser, partager. Mais en activant votre oreille
mutine avec moi, peut-être entendrez-vous que ce dérivé latin sonne phonétiquement,
comme une invitation, avec un léger accent italien : « partir et… ». En suspension dans ce
silence qui suit, on peut s’amuser à improviser une suite : « partir et… voyager ».
Les partitions seraient alors des invitations au voyage, des sortes de cartes d’imaginaires avec
des destinations à prendre et des paysages à explorer avec « cœur, corps et esprit » (4).

C’est tout de même une merveille que l’on oublie trop souvent d’admirer : le mystère de la
musique qui génère de « l’Ouvert » (5) et libère les imaginaires. Cette musique permet aussi de
tisser des relations, assez intimes au fond puisqu’il s’agit d’émotions partagées. Les sensations
peuvent être vertigineuses lorsqu’elles entrent en résonance.
C’est une joie intense que d’être traversé par la musique et ses bulles imaginaires parfois
infiniment petites, d’autres grandes comme d’immenses sphères. On peut y entrer et, au
passage, s’affranchir des lois de l’univers. Le temps s’y suspend, s’y dilate ou s’y contracte. La
gravité y disparait au point de ne retrouver la sensation de pesanteur qu’au moment où l’on
déconnecte délicatement ses doigts du clavier.
Et cette joie intense que j’évoque est décuplée lorsqu’on partage la même expérience
musicale et imaginaire, le même voyage, presque les mêmes émotions, en même temps.
Je retrouve là des similarités avec le cinéma pour lequel j’ai la chance d’œuvrer
conjointement. En musique, ce sont les interprètes qui allument « ce petit cinéma qui est dans
notre tête » (6) en projetant le court métrage ou le long métrage qui se déroule sur la partition
alors devenue pellicule de féérie.

Composer en scénariste bien plus qu’en pédagogue (que je ne suis pas vraiment), telle a été
ma démarche pour écrire ces pièces et proposer des univers à animer.
Les deux premières miniatures Deux Amis et Les Automates offrent une facilitation de la
rencontre entre les deux pianistes selon deux niveaux de jeu, en progression. Hypnos et la
lune
propose au duo de se faire interprètes complices d’un petit conte poétique. Un Air Frais
et La Marche du Temps font entrer le duo dans la dynamique consistant à générer les
sensations du « déplacement » à travers le temps et l’espace.

Les 5 premières pièces sont écrites pour être jouées sur deux pianos. Les deux dernières pièces
offrent la possibilité de jouer en 3 à 4 mains sur deux pianos ou bien sur un seul et même
piano. De niveaux différents, et là encore en progression, ces deux partitions en fin de recueil
appellent les pianistes à se connecter plus intimement encore dans leur jeu, pour pouvoir
partir dans des contrées plus lointaines.
Okanagan Valley les propulse à cheval en Colombie-Britannique, un des deux pianistes
pouvant être tout à fait débutant. La dernière pièce est d’un niveau plus soutenu.
Elle expédie le duo au Japon sur l’île Miyako à la rencontre de Jizô, bouddha enfant et
protecteur des voyageurs.
J’ai écrit ce recueil pour permettre à des pianistes débutant·e·s ou non d’accéder à ce plaisir
simple et si intense de jouer ensemble, avec la conviction qu’il n’y a pas besoin de gros bagages
techniques pour y parvenir. D’ailleurs, voyager léger aide bien à décoller. Et le piano duo est
un chemin d’initiation auquel il faut faciliter l’accès pour développer en chaque interprète le
goût de la rencontre, cette ouverture et cette sensibilité poétique à l’inconnu, à l’Autre tout
en libérant son propre imaginaire.
N’en doutons pas, composer, interpréter et écouter de la musique, c’est faire communauté.
Et le piano duo est une fantastique opportunité de vivre cette mystérieuse « mélodie des
choses » (7), en correspondances.

Remerciements :
Paul Lyonnaz remercie Catherine Walmetz et les éditions Buissonnières, la professeure de
piano Marguerite Deleuze ainsi que les pianistes-concertistes Sophie Arsénian et Philippe Alaire
qui ont offert leur expertise en relecture de ce recueil.

Paul Lyonnaz

Compositeur pianiste

contact@paullyonnaz.fr

(1) Rainer Maria Rilke. Notes sur la mélodie des choses. Editions Allia, 2008
(2) Jacques Drillon. La musique comme paradis. Essai. Editions Buchet-Chastel, 2018
(3) En allemand le piano à queue est dénommé Flügel, qui se traduit littéralement par le mot « aile »
(4) Encore Jacques Drillon 🙂
(5) Encore Rilke 🙂
(6) Citation d’Edgar Morin

(7) Encore et encore Rilke 🙂

https://www.musiques-buissonnieres.fr/notre-collection/1087-correspondances-paul-lyonnaz.html

Paul Lyonnaz – Okanagan Valley

Pianiste et compositeur, Paul Lyonnaz nous offre cette pièce pour 3 ou 4 mains sur 1 ou 2 pianos, extraite de son recueil Correspondances, aux éditions Buissonnières.

Pour télécharger la partition, avec l’aimable autorisation des éditions Buissonnières :

Présentation de son recueil par Paul Lyonnaz : https://lewebpedagogique.com/pianomanonsolo/?p=1367

Recueil complet aux éditions Buissonnières : https://www.musiques-buissonnieres.fr/clavier/1087-correspondances-paul-lyonnaz.html

Journal de la biennale – Numéro 6

Numéro 6, Décembre 2022 :

Stravinsky Revisited

Dans le cadre de la Biennale de piano collectif 2022, la classe de troisième cycle de piano du conservatoire de Saint-Denis a présenté le projet sur lequel elle a travaillé depuis le début de l’année : Stravinsky Revisited. (suite…)

Concert en mode radio : Multiplier

S’il y a bien un instrument qu’on entend souvent tout seul, c’est le piano.
Et quand il joue avec orchestre, c’est le plus souvent pour apparaître à nouveau en solitaire.
Alors qu’en sortant de la vision facilement romantique du pianiste virtuose, on peut imaginer y mettre
plus de deux mains. Et comme l’accumulation peut tourner à la surenchère, on peut même se
demander jusqu’où on peut aller.

Metaclassique, l’émission de David Christoffel, accueille deux compositrices pour son 161e numéro :
Graciane Finzi et Lucie Prod’homme qui partagent le point commun d’avoir composé pour 4 mains tout
en ayant des visions différentes du piano collectif.

Cette émission a été enregistrée en public le vendredi 28 janvier, dans le cadre de la Biennale de piano
collectif au Conservatoire de Saint-Denis, en association avec la Maison de la Musique Contemporaine
et sa chargée de veille, Anabelle Miaille.
Podcast : http://metaclassique.com/metaclassique-161-multiplier/

Conférence : Une histoire du piano collectif

Cette conférence propose de donner une trame historique du répertoire pour piano collectif
afin d’entrevoir l’évolution de ce répertoire, tant au niveau des époques qu’il a pu traverser,
qu’au niveau de ce que l’instrument a pu susciter,
en terme aussi bien de styles que de nombre de pianistes par exemple.
Les œuvres à partir de trois interprètes et plus, pour un piano ou plus, y sont présentées de la période
baroque jusqu’à nos jours.

Par Emmanuelle Tat, pianiste musicologue

Podcast : https://soundcloud.com/user-193412593/conference-une-histoire-du

Table-ronde : La médiation de la musique contemporaine

La musique contemporaine véhicule encore aujourd’hui beaucoup de préjugés d’inaccessibilité.
Or, ce répertoire en pleine expansion recèle des richesses que le jeu ou la pratique collective
permettent de rendre sensibles au plus grand nombre.
A travers le témoignage croisé de deux compositeurs, Florentine Mulsant et Alexandros Markeas, la
Maison de la Musique Contemporaine propose de découvrir les bénéfices d’une médiation incarnée de
la création musicale.

Modérateur : Simon Bernard

Podcast : https://soundcloud.com/user-193412593/table-ronde-mediation-de-la-musique-
contemporaine

Journée en forêt (d’après Olivier Messiaen)

En cette année 2022, nous célébrons le trentième anniversaire de la disparition d’Olivier Messiaen :
pour lui rendre hommage, nous avons repris un des thèmes musicaux des Vingts regards sur l’enfant
Jésus, auquel nous superposons des chants d’oiseaux improvisés.
Par la classe de Cyrille Kirilov, du conservatoire de Croissy-Beaubourg.

Conférence : Neurosciences et apprentissage collectif

Que nous disent les neurosciences sur la musique en général, et son apprentissage collectif en
particulier ?

Au sujet : le son et sa complexité, le geste et son apprentissage, et plus largement
l’autonomie de l’élève et la posture du professeur.
Podcast : https://soundcloud.com/user-193412593/conference-neurosciences-et

Par Hervé Glasel, neuropsychologue, spécialiste du développement de l’enfant et de l’adolescent,
directeur fondateur des écoles du CERENE (Centre de Référence pour l’Evaluation Neuropsychologique
de l’Enfant).

 

Hervé Glasel a publié aux éditions Odile Jacob Une Ecole sans échec – L’Enfant en difficulté et les
sciences cognitives :
Avoir du mal à lire et à écrire dans une société où toute la scolarité passe par la lecture de textes et la
rédaction, être dyslexique, dyspraxique, dysphasique ou avoir du mal à se concentrer, est un véritable
obstacle pour donner à voir son plein potentiel. Pourtant, ces enfants sont intelligents. Heureusement,
l’échec scolaire n’est pas une fatalité ! Grâce aux dernières avancées des sciences cognitives, on sait
mieux aujourd’hui comment le cerveau apprend et on peut aider les élèves en difficulté, grâce à une
meilleure compréhension de leurs troubles. Ce livre, dédié aux enseignants et aux parents, présente les
concepts permettant de mieux penser les mécanismes en jeu, lors des apprentissages et propose des
solutions concrètes pour aider les enfants touchés par les troubles des apprentissages.

La Biennale : expérimenter le conservatoire de demain !

Dans une société mal en point, les conservatoires (CRD, CRC) se redéfinissent plus que jamais comme outil à forte valeur ajoutée pour créer et entretenir toujours plus de lien entre politiques locales, enseignants et citoyens. Dans ce contexte, Gaëlle Pavie, professeure de piano au conservatoire de Dunkerque, nous détaille en quoi la Biennale de piano collectif redessine, autour de cet instrument, les contours du conservatoire désirable de demain. (suite…)

Le piano multiple : un bilan de la Biennale de piano collectif

Le piano peut être collectif,
c’est alors un lieu de rencontre.
Amateurs et professionnels ont joué ensemble, ont discuté, échangé, se sont mêlés sans se demander qui aime par passion, par nécessité, souvent les deux. On pouvait être élève, étudiant ou professeur aussi, et on partageait le même concert.
Le piano a rassemblé des enfants, des adolescents, des jeunes, des adultes, ceux qu’on appelle des seniors aussi.
On venait de Saint-Denis et d’ailleurs : ailleurs, juste à côté ou très loin, pour un concert ou pour les quatre jours ! La rencontre, c’était aussi celle des arts, des sciences, des disciplines : musique, dessin, neurosciences, paléontologie, didactique, histoire…
Quatre jours durant, c’est par la pratique que nous avons exploré les liens entre « Comment apprendre à jouer ensemble » et « Comment, ensemble » !

Le piano peut être collectif,
c’est alors une source de création.
Les musiques contemporaines ont habité cette première édition : dans les concerts, les ateliers mais aussi les réflexions pédagogiques.
Commandes et créations s’ajoutent au riche répertoire du piano à plusieurs.
Improvisations et arrangements ont côtoyé la pratique plus habituelle de l’interprétation.
A cela s’ajoutent de nombreuses expérimentations, parmi lesquelles le speed meeting ou encore le concert en mode radio.
Le tout a contribué à une diversité de la programmation et des publics, elle-même toujours source de création !

Le piano peut être collectif,
c’est alors un sujet de recherche.
Cette biennale a été un moment de formation : professionnelle initiale avec le Pôle Sup’93 et l’ESMD de Lille, mais aussi professionnelle continue durant les événements et dans les interstices, tous ces moments informels.
Elle a également été un moment de faire savoir, cherchant modestement à inciter et encourager la recherche sur le sujet, par les conférences et tables-rondes, mais aussi les différents partenariats.

Le piano peut être collectif,
c’est alors un instrument populaire.
Jeu (lieu de jeu mais aussi instrument à jouer).
Machine à clavier, en lien avec l’informatique.
Au-delà des normes et des règles.
Ouvert, divers, mobile.

 

Le 5e numéro du Journal de la biennale est entièrement consacré au bilan de la Biennale : https://lewebpedagogique.com/pianomanonsolo/?p=1250

buy windows 11 pro test ediyorum