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Faites tomber les murs !

Vers un décloisonnement de la création musicale dans les conservatoires.

Le 17 novembre dernier s’est tenue au CRR d’Aubervilliers-La Courneuve une Journée nationale de rencontre professionnelle organisée par la Maison de la Musique Contemporaine sur la question de l’enseignement et de la place de la création musicale dans les Conservatoires. Anabelle Miaille, chargée de mission « observation et veille opérationnelle » à la MMC reprend ici les échanges et les idées qui ont été développés tout au long de la journée.

Le programme de cette journée nationale de rencontre professionnelle a été élaboré à la suite d’ateliers de réflexions qui ont réuni des professionnel·le·s de ce secteur et qui ont permis de faire émerger les constats et problématiques rencontrés sur le terrain.

Le premier constat est que la transmission de la création musicale, aussi bien dans le « faire jouer » que dans l’éveil de la créativité des élèves, est encore largement absente de l’apprentissage de la musique dans ces établissements. Par ailleurs, il semblerait que l’enseignement dans les Conservatoires, tel que dispensé actuellement et quelles que soient les disciplines, s’essouffle. Les élèves de ces établissements manquent de motivation et peuvent se montrer peu ouverts et curieux aux originalités sonores. Et pour finir, l’image d’élitisme et d’érudition de la composition emprisonne son enseignement dans des enclaves. La sacralisation qui entoure la composition entraîne une inhibition peu propice à la créativité.

Mais face à ces constats, la présentation de projets novateurs et porteurs de sens ont également permis d’envisager des possibilités de dépassement de ces écueils. L’un des objectifs de cette journée était donc de valoriser ces projets ainsi qu’une nouvelle façon de concevoir l’enseignement dans les Conservatoires, qui promouvrait une logique de décloisonnement entre les classes, avec la création musicale comme vecteur d’inclusion et de partage.

Cet article résume les échanges et les idées qui ont été développés tout au long de la journée.

Il apparaît dans un premier temps qu’il est important de sortir de la reproduction pour aller vers la production. Le socle reste aujourd’hui encore de former des interprètes technicien·ne·s. Mais l’aller-retour entre acquis techniques et expression de la créativité est essentiel pour former des artistes complets. Il s’agit donc d’éveiller la créativité des élèves dès le plus jeune âge et dans toutes les classes d’enseignement auxquelles ils participent. La création ne doit pas être une spécialité réservée à un temps dédié, à partir d’un certain nombre d’années d’expérience. Pour susciter des vocations de créateur·rice·s, il faut envisager les élèves non pas comme des étudiant·e·s en instrument ou en composition mais bien comme des « artistes en herbe ». En effet la création est multiple par essence et s’exprime dans une multiplicité de pratiques et d’esthétiques. Les créateur·rice·s sont « tou·te·s métisses » de la création musicale (instrumentale, électroacoustique, improvisation…).

Dans la continuité de cette acception, l’interdisciplinarité avec d’autres formes d’expressions artistiques prend également tout son sens. Le croisement des pratiques avec les arts sonores (radio, live, performance…) mais aussi les beaux-arts (installation sonore, utilisation du phénomène sonore comme matière…) repositionne le son au cœur du processus de création, et augmente ainsi l’ouverture des champs d’application. Dans cette perspective, le conservatoire de Marseille a fusionné avec l’École supérieure d’art et de design Marseille-Méditerranée pour devenir l’Institut national supérieur d’enseignement artistique Marseille-Méditerranée – INSEAMM en 2020. Cette fusion a permis de rapprocher des étudiants du conservatoire avec des étudiants l’école d’art et de design, et ainsi de développer d’autres logiques de création. Le conservatoire de Saint-Étienne a également initié des projets de collaboration avec l’École supérieure d’art et design de la ville.

La création est multiple et diffuse, et ne serait être contrainte, alors comment mettre en place un cadre pédagogique qui favoriserait son éclosion ?

Placer la création musicale au cœur d’un projet pédagogique

La création musicale doit faire partie de l’enseignement dès le premier cycle, en formation musicale et en classe d’instrument ou de chant. Le conservatoire prenant ainsi le relais des différentes actions culturelles qui se développent de plus en plus dans les écoles. La pratique de jeux sonores et rythmiques, par exemple, amènent les élèves à s’exprimer avec leur instrument via de petites improvisations. Le conservatoire de Gennevilliers a ainsi développé le dispositif « Tous Compositeurs » qui s’adressent aux élèves dès l’entrée en premier cycle.

L’enseignement de la création musicale devrait comprendre l’enseignement de l’écriture, de l’analyse, des techniques du son, de la MAO (musique assistée par ordinateur), de l’improvisation, de l’arrangement, de l’électroacoustique… en lien avec les classes d’instrument pour impulser une synergie collective de partage d’expériences entre les élèves eux-mêmes, dans une pédagogie de projets. Chaque « artiste en herbe » ayant ses propres affinités, il est important que l’organisation pédagogique puisse proposer plusieurs parcours d’enseignement pour orienter les élèves vers leur forme d’expression privilégiée (écriture, improvisation, électroacoustique…). Les classes de pratiques collectives doivent être au cœur des projets de création pour une véritable circulation des élèves entre les différentes approches, créant ainsi une symbiose entre diversité et inclusivité. Dans une visée d’autonomisation, les élèves sont replacés au cœur du processus d’apprentissage afin de favoriser l’initiative des projets par eux-mêmes. Le conservatoire d’Aubervilliers-La Courneuve a ainsi créé un espace de travail collaboratif et collectif sous la forme d’un collectif de création, « Fabrica ».

Les temps communs sont également essentiels pour fédérer les élèves et les enseignant·e·s. Masterclasses, concerts, réunions de rentrée avec tous les élèves sont autant d’évènements qui permettent la circulation et favorisent la rencontre des étudiant·e·s. Le conservatoire de Bordeaux organise des soirées de la création qui prennent la forme de concerts où tous les élèves peuvent faire entendre leur travaux, toutes esthétiques confondues, avec une présentation de l’œuvre en amont. L’ouverture des cours en auditeur·rice libre est aussi une façon d’encourager les élèves à venir découvrir le travail de création.

La pédagogie de projet, qui offre des situations qui sortent de l’ordinaire, stimule les élèves et donne l’envie d’approfondir les savoirs. Cette stimulation est d’autant plus forte lorsque que les projets du conservatoire s’inscrivent dans le cadre de partenariats avec d’autres institutions culturelles du territoire. Impliquer l’écosystème génère un rayonnement du conservatoire au-delà de ses murs tout en apportant un enrichissement des projets et des élèves.

Autre aspect important, la collaboration avec des interprètes et des compositeur·rice·s. Envisager des résidences d’artistes avec une réelle présence dans l’établissement sur des temps longs, permet d’approfondir les échanges avec l’ensemble des élèves, de tous les niveaux et de tous les âges. L’accueil d’ensembles dédiés à la création en résidence est une façon d’envisager la transmission des modes de jeu spécifiques. Il serait par ailleurs intéressant que des compositeur·rice·s puissent travailler avec les enseignant·e·s pour réfléchir ensemble à la forme que pourrait prendre un matériel de transmission efficace mais néanmoins musicalement riche. Combiner l’expertise de l’enseignant·e concernant la transmission d’une part et la sensibilité du·de la compositeur·rice d’autre part.

S’unir pour avancer

Avec l’idée d’un enseignement global, l’intégration et l’implication de l’ensemble des professeur·e·s du conservatoire deviennent indispensables. Pour un bon fonctionnement, toute l’équipe pédagogique doit participer à l’encadrement afin de lier les initiatives. Mais si le désir est souvent présent, il peut exister parfois une certaine forme de résistance au changement de mode de fonctionnement. L’accompagnement des enseignant·e·s est donc tout aussi essentiel. La généralisation de formations spécifiques, initiales ou en formation continue, permettraient de développer le nombre de personnes ressources, porteuses de dynamiques d’innovations dans leurs établissements. Cette généralisation initierait de plus une énergie de partage et de diffusion entre les conservatoires.

En effet l’isolement s’avère être un frein majeur à toute logique de développement. C’est pourquoi la mise en réseau se révèle cruciale pour mutualiser les expériences. Cela permet également d’apporter du poids lorsqu’il s’agit de convaincre les personnes décisionnaires (élu·e·s, financeur·se·s, décideur·se·s politiques). La nécessité de créer un réseau de la pédagogie et de la création en France pour valoriser la création musicale comme une voie possible du renouvellement de l’enseignement dans les conservatoires a donc été l’une des grandes conclusions de cette journée de réflexion.

Vous pouvez retrouver sur le site de la Maison de la Musique Contemporaine le programme détaillé avec la liste de tous les intervenant·e·s à cette journée, ainsi que l’enregistrement de la table-ronde animée par Marie Hédin-Christophe : La création dans les conservatoires et le créateur dans la société.

Comment faire prendre conscience du caractère épanouissant de la créativité ?

Comment intégrer le conservatoire dans un tissu municipal et territorial grâce à la création ?

Comment placer la création au sein d’un écosystème ?

Anabelle Miaille

Chargée de mission « observation et veille opérationnelle »

Maison de la Musique Contemporaine

anabelle.miaille@musiquecontemporaine.org

Une heure au piano à la bibliothèque

Bibliothécaire passionné de piano, Claude-Marin Herbert a initié à la Bpi (bibliothèque publique d’information) du Centre Geroges-Pompidou de Paris un atelier de découverte du piano intitulé « Piano : premiers pas ». Il nous livre ici sa lecture de cette expérience.

Chaque jour au Centre-Pompidou, des milliers de personnes viennent à la bibliothèque. Ouverte à tous jusqu’à 22h, sans inscription ni droit d’entrée, c’est sans doute le plus vaste lieu d’échanges et de culture gratuit de la capitale (plus d’un million d’entrées annuelles). Sans les services associés au riche fonds de livres, revues, films, documents sonores, méthodes d’apprentissage, ce qui ne serait qu’un vaste espace de coworking donne en réalité à chacune et chacun la possibilité d’étudier, de se distraire, de s’informer et se former. Ainsi bien des lectrices et lecteurs initialement venus “chercher une place” (par exemple un dimanche, où la plupart des autres établissements sont fermés) découvrent au fil de leurs visite la richesse du fonds et l’étendue des services de la bibliothèque : parmi ceux-ci, l’espace musique et son pôle de découverte et de pratique du piano.

Contexte

Depuis une dizaine d’années, en complément de l’accès individuel à la documentation sur tous supports, l’espace musique de la Bpi (Bibliothèque publique d’information) propose en effet des moments de partage et de découverte : séances d’écoute, conférences, performances (avec un fort accent mis sur les pratiques contemporaines et expérimentales), ateliers. Certaines de ces actions (Improvisation jeux d’écoute, Poser sa voix) sont menées par des musiciens professionnels, d’autres assurées par les bibliothécaires : c’est le cas de “Piano premiers pas”, qui est une séance de découverte du piano que j’anime régulièrement depuis 2018.

Au niveau 3 de la bibliothèque, où l’on trouve les arts (littérature, arts, musique), deux pianos, de modèles différents (actuellement un Roland et un Yamaha), sont installés à proximité du fonds de partitions (environ 2000 titres) et de livres sur la musique. Comme nous sommes dans une bibliothèque, les pianistes autonomes qui ont réservé leur créneau (une heure) sont donc contraints de jouer sous casque aux heures d’ouverture ; mais en dépit de cette contrainte, les deux pianos sont utilisés de manière intensive (3000 réservations par an). Ces utilisations sont parfois très expertes (comme en témoigne de nombreuses séquences du film de Clément Abbey, Bibliothèque publique) ; d’autres sont plus élémentaires, voire “sauvages” ou spontanées – le contexte de la Bpi favorisant ce type d’appropriation, en musique comme dans d’autres domaines.

Ces pratiques novices légitimées, nous avons rapidement été amenés à répondre au désir de nombreux curieux de s’en remettre à une initiation pour “connaître les bases”. Mais pour le piano, comme pour d’autres savoirs que la bibliothèque met en partage en articulant ses services de base (fonds documentaire et places de travail) à des actions de médiation, l’information doit être claire d’emblée : nous proposons de la découverte, voire de l’initiation, pas des cours. Programmée le matin avant l’ouverture de la bibliothèque, “Piano premiers pas” sera donc une séance unique, un “one shot” permettant de faire quelques pas avant de se lancer dans quelque chose de plus suivi avec des professionnels de l’enseignement musical. La plaquette distribuée en fin de séance mentionne quelques structures où s’adresser (dont Piano ma non solo), et j’insiste en général sur la nécessité de ne pas se lancer seul. Même si j’apprécie que certain.e.s participant.e.s nous recontactent parfois plusieurs mois après pour me faire part de leurs progrès (ou au contraire de leur panne), je ne les vois donc en principe qu’une seule et unique fois, et cette fois-là dure une heure.

Notre objectif n’est donc pas d’apprendre l’instrument, ni même connaître “les bases” (lesquelles ne seraient pas friables au bout d’une heure ?), mais de passer un moment, le plus profitable et intense possible, autour du piano – un moment qui donne envie d’y revenir.

Déroulé

Au début, les séances étaient individuelles et je pouvais donc adapter le contenu aux envies de chacun. Certaines étaient très précises : apprendre les rudiments d’accords d’un standard (“Billie Jean”, “L’Aigle noir”, une chanson de Coldplay), essayer de retrouver la mélodie d’une musique de film, de jeu vidéo, voire d’une création personnelle, harmoniser un chant liturgique, “réparer” un début d’apprentissage contrarié (et là, c’est souvent le répertoire classique qui est en ligne de mire) ; d’autres plus ouvertes : l’envie de jouer du piano, tout simplement – de nombreuses personnes disent en avoir “toujours rêvé”. Mais très vite, face à la demande, nous avons opté pour des séances par petits groupes (quatre à six personnes) où d’autres dynamiques se créent, compensant le caractère très “sur-mesure” des séances individuelles du début. Dans tous les cas, même si des personnes expriment une attente précise, je m’appuie sur deux moments d’improvisation (le premier sur les touches noires, le second sur les blanches), la relative facilité avec laquelle l’instrument se laisse aborder pour “prendre contact”

Les premiers instants (10’-15’) sont consacrés à ce qui distingue le piano de tout autre instrument à clavier : la dynamique. C’est pourquoi je propose d’emblée l’improvisation sur touches noires, pédale sustain enfoncée, avec l’ensemble du corps (avant-bras, épaules, dos de la main). Cette abord a plusieurs avantages : comme je surjoue moi-même des gestes amples produisant beaucoup de volume, la précision n’est pas de mise. Les participant.e.s sont donc assez vite à l’aise pour insérer leurs propres touches ou blocs sonores ; en quelques secondes ils situent les registres (grave, medium, aigü) et au bout d’une à deux minutes expérimentent les nuances (sinon je les y invite en variant mes propres attaques) ; ils visualisent les sept séquences, « l’algorithme » des 3+2 touches noires, commencent à l’incorporer ; et, à deux pianos, avec une bonne écoute entre improvisateurs, des jeux d’imitation et de contrastes, ça sonne vite bien.

Il y a deux autres avantages à commencer de la sorte : l’un est très concret ; l’autre beaucoup plus du côté du langage. Côté mécanique-concret : en laissant vibrer l’accord obtenu à la fin de l’improvisation, et en embrayant la pédale pour interrompre cette vibration à un instant t – outre un bel effet de dilatation/silence – la question de savoir “à quoi sert la pédale” a sa réponse toute trouvée, et de ce fait peut donner lieu à quelques rudiments d’explications sur la mécanique de l’instrument. Côté langage, le fait que “ça sonne bien” quoiqu’on joue sur les touches noires permet d’enchaîner sur un court moment théorique où j’introduis sommairement la notion d’échelle, en prenant pour exemple l’échelle à cinq sons : je pars du continuum “chromatique” que donne un glissando grave-aigu à la voix, que je décompose en petit escalier régulier chromatique au clavier, et dont je retranche enfin toutes les touches blanches pour arriver à cet escalier à cinq marches dont les écarts ne sont pas tous égaux. L’idée est de montrer que ces échelles n’existent pas telles quelles “dans la nature”, mais qu’elles procèdent d’un choix effectué par les humains – en l’occurrence à toutes les époques et pratiquement toutes les latitudes (je joue une pseudo-chinoiserie dans les aigus, suivi d’un pseudo-balafon au milieu, et un blues dans les graves)

Au tiers de la séance (20’-30’), une nouvelle soustraction (un nouveau “choix”, des plus réduits) va nous amener à découvrir une nouvelle notion, celle d’intervalles – ainsi que son corollaire (en langage diatonique, du moins), la dualité “consonant”/ »dissonant ». Après avoir demandé aux participant.e.s de jouer uniquement sur les touches noires, je demande à l’une l’autre d’en choisir une, dans les graves (par exemple mi bémol), et aux autres de la répéter dans divers registres, du grave aux aigus puis inversement, puis dans le désordre (mais toujours la même note). En principe, les repères visuels s’accroissent et les gestes gagnent en précision. A ce moment-là, si les personnes sont à l’aise, je peux leur demander d’introduire de la régularité en jouant des rondes ou des blanches sur un tempo moyennement lent. Je leur demande si elles entendent le même son : entre un mi bémol 40Hz et un mi bémol 2500Hz la réponse est : non, bien sûr. Mais y a t’il un rapport entre ces deux sons, si différents ? Oui, surtout si en regard on plaque un triton mi bémol-la… Intervalle « consonant » entre deux notes (portant le même nom) ici ; intervalle « dissonant » là.

Bien sûr, le temps manque pour expliquer la relativité des notions de dissonance et de consonance, mais avec des personnes ouvertes il est toujours possible de jouer une gamme par tons pour en convenir. En général je préfère ou bien proposer un petit jeu au cours duquel, pendant que les participant.e.s font sonner leur mi bémol sur différents registres, j’introduis discrètement une note étrangère en leur demandant de me faire signe si elles l’entendent ; ou bien ouvrir une parenthèse physico-acoustique sur la fréquence des battements de l’air mis en vibration et la merveilleuse découverte pythagoricienne du rapport entre fondamentale et harmonique de rang 2, découverte dont je m’empresse aussitôt de dire qu’elle existe dans un lieu situé entre la nature et un ciel plus théorique – d’où le plaisir évident que nous prenons à laisser tourner ces octaves.

Plaisir évident, certes, de la consonance. Grâce au piano, à sa dynamique et aux repères qu’on y a pris, grâce aux octaves montées, descendues, déclinées, on est bien dans le son – si bien… Dans le son, certes, mais pas encore dans la “musique”. Pour tout dire, à moins d’être un adepte du zen ou d’adopter les stratégies de compositeurs minimalistes, de nos octaves on se lasse vite. C’est bien trop pur, ça manque de vie (on mesure la tâche que s’est donné La Monte Young d’en insuffler à une seule note).

Au milieu de l’heure (30’-40’) nous reprenons donc du matériau, et passons à un autre intervalle, un intervalle que nous allons peupler : la quinte. Je demande d’abord aux personnes de réaliser rapidement le même exercice que précédemment, mais sur les touches blanches. Beaucoup attendaient cela depuis le début, et découvrent alors qu’il est moins simple de se repérer parmi les 52 touches blanches (les séquences régulières des noires vont les y aider). On joue donc tous les, puis tous les do. Une fois repéré le do4, je leur demande de placer leur main en position “Mikrokosmos1” et de jouer simplement le pouce et l’auriculaire, soit une quinte do-sol. De nouveau, on reproduit rapidement cet intervalle à différents endroits du clavier (d’abord main droite, puis main gauche, puis mains ensemble). Certain.e.s participant.e.s sont sensibles, non seulement à la consonance de la quinte (différente des octaves jouées précédemment), mais à son caractère “augural”, une invitation à commencer. Pour inviter à peupler cette quinte, j’utilise deux images : celle d’un lac aux eaux plates, que la vie va troubler peu à peu ; celle d’une scène où entrent des personnages. Un.e participant.e (ou deux) prend le bourdon sur do-sol, pendant qu’une ou deux autres proposent de petits motifs uniquement sur les touches blanches, d’abord dans les limites de la quinte, puis sur toute l’échelle à partir de do4.

La difficulté à ce moment-là est d’encadrer l’improvisation, d’ouvrir les espaces nécessaires à un résultat d’ensemble, d’inviter à la répétition lorsqu’on “tient” quelque chose, de désigner un meneur pour aller vers une fin… et de ne pas oublier de bien faire résonner le dernier accord, de l’éteindre en embrayant la pédale sans précipitation. Ici, l’habitude de diriger de petits ensembles – une expérience qui me fait défaut – serait appréciable..

L’exercice amène à découvrir le rôle essentiel de la fondamentale dans cette nouvelle échelle (à sept sons) installée par défaut sous les touches blanches, et accessoirement à comprendre pourquoi on parle maintenant de quinte, comme tout à l’heure on parlait d’octave.

A l’entame du dernier quart d’heure (45’), je propose alors de déplacer notre bourdon de quinte deux degrés plus bas, soit un intervalle la-mi. Bien sûr, en pratiquant comme précédemment, les participants entendront la couleur différente, le caractère “mineur” (éolien), qu’entraîne ce déplacement. Mais ce sera encore plus clair si, pendant que tout le monde joue, j’introduis moi-même un personnage mélodique notoirement majeur, comme “L’’hymne à la joie”. A la fin de l’improvisation je leur demande si ce personnage est connu. La réponse est : oui, mais… ça n’est pas bien joyeux, dites-moi ? – En effet. Je rejoue donc à l’identique, mais sans accompagnement, et relance avec une fondamentale de do : on a retrouvé “L’hymne à la joie” (enfin… ce qui est tient lieu pour les besoins de la démonstration!).

En dix minutes, on a donc expérimenté à sept sons dans ses deux modes les plus connus. Il nous reste alors tout au plus dix autres minutes avant la fin de la séance et, selon comment ça tourne, j’ai le choix entre : creuser un peu cette notion de mode, écarter grâce à quelques exemples choisis (“Suzanne”, du klezmer ou de l’afro-cubain) l’idée reçue d’un mode majeur naturellement gai, franc, ouvert etc. versus un mode mineur au tropisme négatif, et proposer une improvisation en modes dorien ou – surtout – phrygien ; ou bien accepter de rester dans le dualisme majeur/mineur qui structure une bonne partie de la musique qui s’est installée au centre d’un certain système de références classiques et populaires : la musique tonale.

Les dix dernières minutes (50’-60’) peuvent donc être consacrées à construire des accords simples à trois sons, majeurs et mineurs, et à essayer d’en enchaîner (comme dans l’accompagnement d’un standard comme “Walk on the wild side” ou La Javanaise). C’est un moment où je vois vaciller l’attention de certains participants : d’une part parce que la demande étant souvent “sur mesure” la dynamique du groupe se perd un peu ; d’autre part parce qu’il n’est pas évident du tout d’intégrer la différence entre deux acceptions différentes du même attribut – “majeur”/“mineur” – selon qu’on parle du mode dans lequel est joué un morceau ou de la tierce d’un accord.

En tout état de cause, la plupart parviennent à transformer un accord majeur en mineur et vice-versa, et à entendre la différence (les plus courageux acceptent même de jouer au jeu de reconnaître une tierce plaquée au hasard). Surtout, la connaissance de ces quelques briques fondamentales ouvrent de jolies perspectives à celles et ceux qui aimeraient jouer des chansons, dans la mesure où ces briques constituent, dans les centaines de songbooks que la bibliothèque propose à proximité des pianos, la grille sur laquelle la plupart sont écrites.

Perspectives

Depuis la mise en place de cette permanence en 2018, des centaines de séances ont été réalisées, d’abord sur un rythme hebdomadaire en individuel, puis par petits groupes. Posté aux renseignements, j’ai revu certains participants à intervalles réguliers : une habituée avouant qu’elle avait eu “besoin de ce rendez-vous, comme un cadeau en plein dans la journée” ; un millenial qui m’avait posé le redoutable défi de parvenir à retrouver les accords d’”Alone again or” du groupe Love (une chanson datant de 1967 !) est devenu un habitué des pianos, et s’intéresse maintenant à Moondog et Steve Reich ; un autre, probablement évangéliste, que j’ai aidé à préparer (musicalement) ses prêches en m’appuyant sur du blues, soit la musique du diable (j’espère qu’il n’y a vu que du feu) ; j’attends actuellement les premières notes d’une comédie musicale dont une participante du nom de “pop” a imaginé les premiers airs avant de venir … sans oublier les nombreuses questions posées par mails après la séance – jusqu’aux plus retorses, comme celles d’une chanteuse m’écrivant qu’elle a “beaucoup appris”, mais qu’elle n’entend pas le demi-ton entre mi et fa, et lui préfère un ton entier (j’ai vérifié, cette dame chante spontanément lydien, ou carrément par tons entiers).

Le passage de séances individuelles à des séances par petits groupes a contraint à abandonner les séances “sur mesure”, et alléger le contenu de l’ensemble. Étant moins présent au clavier, je suis devenu un peu plus directif et j’organise la séance en confiant des rôles (choisir la note pour le jeu des octaves, trouver la note étrangère, jouer une tierce au hasard pour la devinette majeur/mineur, etc.). Tout le monde ne peut donc pas tout faire, mais chacun est mis en situation d’entendre et ressentir ce qui est joué. La personnalité du groupe ou de certains amène aussi à profiter davantage de certains moments (plus dynamique/romantique sur l’impro touches noires, hypnotique/contemplatif sur les octaves, mélodique/structuré sur les impros touches blanches – pour autant que ces mots reflètent quelque chose).

Le succès de ces séances invite à une triple réflexion :

  • comme dans d’autres domaines, la bibliothèque est bien perçue comme un endroit où on peut essayer de faire des choses qui, ailleurs, semblent entourées d’un mur invisible. Le piano et la musique en font partie. Une proposition analogue avec la guitare, mais plus encore la MAO (très adaptée à l’ambiance d’une bibliothèque). marcherait probablement aussi – ou dans un autre registre, le travail sur la voix ou les percussions (corporelles).
  • ces premiers pas en principe destinés à des novices complets donnent à des “faux débutants” l’occasion d’un nouveau départ, et à quelques autodidactes l’occasion de corriger ou confirmer certaines trajectoires. Tout en restant dans un format d’une heure ou deux, beaucoup de personnes seraient probablement heureuses de trouver, en plus de “Piano : premiers pas”, des séances de type “Piano : reprise”.
  • Enfin, compte-tenu de l’ancrage particulier de la bibliothèque du Centre-Pompidou dans la modernité et le XXè siècle, à la facilité d’accès à certaines partitions et à de la documentation (mais aussi, avouons-le, par goût personnel), je réfléchis à proposer des ateliers de découverte du répertoire contemporain. J’ai constaté qu’il y avait évidemment une forte demande autour de la pop, du jazz, de la musique de films ou de jeu vidéo ; mais j’espère être en mesure de proposer un jour au public d’aborder des approches comme celles de Bartok ou Kurtag, de l’atonalité, du minimalisme (Reich, Riley, Meredith Monk), des pièces ouvertes du répertoire (Cage, Cardew) ou – par exemple à partir de textes présents dans le fonds poésie contemporaine, ou au musée – à imaginer ensemble.

Claude-Marin Herbert

Bibliothécaire

Bpi Centre Georges-Pompidou Paris

claude-marin.herbert@bpi.fr

Les pianistes en collectif à Grigny

Marie-Thérèse Loustau est enseignante en piano et musique de chambre au conservatoire de Grigny (réseau CRD Essonne de Grand Paris Sud). Elle y a développé une pratique collective pour les pianistes, qu’elle raconte et analyse dix années après sa mise en place.

À Grigny, l’une des villes les plus défavorisées de France d’après la cour des Comptes, mon projet de pratique collective pour les pianistes s’inscrit dans une démarche plus globale tant du conservatoire que de la commune, en tant que ville-pilote dans le dispositif « Cité Éducative » – label obtenu en 2017, porté par le rapport Borloo sur les quartiers prioritaires. Devant le constat du fort taux d’échec et de décrochage scolaire, la nécessité s’est imposée aux élus de mettre en place une action d’envergure en direction de l’éducation des jeunes.

S’appuyant sur les récents travaux de recherche liant apprentissage artistique et performances cognitives (1), la ville de Grigny met en oeuvre, pour atteindre son objectif de réussite scolaire, le développement des pratiques artistiques, et en particulier musicales.

Philippe Rio, maire PCF de Grigny : « Nous visons l’excellence éducative pour le plus grand nombre, dans l’école et hors l’école. »

GRIGNY DANS LE PROGRAMME EUROPÉEN « URBACT »

Ainsi le conservatoire, sous l’impulsion de son directeur Edgar Solmi, développe son action sociale en prenant la culture comme support et la pratique musicale joue un rôle important dans l’éducation des enfants. C’est un acteur reconnu et un atout pour la Cité Educative de la ville de Grigny. En dehors du cursus traditionnel d’enseignement, de nombreux dispositifs ont vu le jour en quelques années dans et hors les murs, en partenariat avec les écoles de la ville : « ADA » (Ateliers de Découverte Artistique), orchestres « OSE » (Orchestre Symphonique Des Enfants) et « ONDE » (Orchestre Nomade Des Enfants), classes CHAM (Classes à Horaires Aménagés Musique), classe Maîtrise en partenariat avec l’Orchestre de Massy.

La spéci?cité de ce conservatoire réside dans son organisation autour de six modules, élaborés pour répondre aux besoins de la population : pédagogie traditionnelle ; parcours pédagogique innovant ; parcours artistique scolaire ; musique, art, santé, sciences ; fab-lab / lutherie ; studios de répétitions et d’enregistrement.

Et c’est précisément grâce à son enseignement particulier, à mi-chemin entre les champs artistique et social, que le conservatoire de Grigny a été choisi en 2018 pour représenter la France dans le programme d’échanges européens URBACT, destiné à élaborer un modèle d’excellence en repérant et modélisant des pratiques innovantes dans les domaines environnemental et sociétal, face à la forte immigration reçue en Europe les années antérieures. Le volet culturel y avait toute son importance, et en particulier la musique parce que langage universel. Selon l’adjoint en charge de la culture, Pascal Troadec, « l’objectif est de produire une méthode d’apprentissage collectif de la musique à l’échelle européenne ».

Les conservatoires de six pays européens se sont rencontrés pendant deux ans lors de journées d’étude dans leurs lieux d’enseignement, et ont pu ainsi donner une large palette de leurs pratiques respectives, désigner des pratiques d’excellence et les modéliser. Dans ce cadre, j’ai eu l’occasion de donner avec ma classe trois temps de démonstrations collectives, et ai été par la suite invitée à intervenir au conservatoire d’Aarhus au Danemark pour une session de formation auprès de 11 professeurs de piano.

DEUX PIANOS HUIT MAINS

Dans quel but ? La musique n’est pas un but en soi mais un moyen merveilleux de développement de la personne. De plus, face au désert de propositions collectives, la formation à 2 pianos 8 mains offre une réelle possibilité de pratique collective pour les pianistes, et, de par la richesse de son écriture, ouvre les élèves à une palette de sonorités orchestrale. En pratiquant collectivement, on apprend à être et faire ensemble : c’est par le contact avec les autres que l’on se découvre et se réalise progressivement soi-même. Notre objectif est de faire émerger et favoriser l’épanouissement de chaque personnalité, de voir chaque enfant devenir un adolescent puis un jeune adulte épanoui et développant toutes ses facultés. (2)

Quelle pratique collective pour les pianistes à Grigny ?

La pratique collective peut avoir de multiples canaux d’expression : depuis l’expérimentation de modes de jeu contemporains à l’exécution en concert de la transcription d’une symphonie, en passant par la forme libre de l’improvisation à plusieurs (au piano et/ou avec de petits instruments de percussion), l’analyse d’une oeuvre, le travail en commun autour d’un aspect technique ou musical, le champ est vaste !

Rechercher une sonorité homogène, une respiration et une gestuelle communes, réaliser un crescendo, un accelerando, vivre un point d’orgue ensemble, tout cela nous apprend à « entrer en communion » et à « faire UN » à plusieurs : c’est une expérience si réjouissante pour les élèves, qu’ils cherchent à la renouveler à chaque répétition et dans chaque nouvelle oeuvre !

La pratique collective, c’est aussi donner accès à nos élèves à de grandes musiques du répertoire qu’ils n’aborderaient pas autrement : ils ont par exemple joué dans le cadre de leur ?n de 1er cycle l’Étude n°3 de Chopin « Tristesse », à 2 pianos 8 mains, ou le 1er mouvement du Concerto pour 2 violons en la mineur de Vivaldi, à 3 pianos et 6 pianistes ; en ?n de 2ème cycle, les mouvements 2 et 3 du quintette « La Truite » de Schubert, ou le ?nale du Carnaval des Animaux de Saint-Saëns ; en 3ème cycle, l’ouverture des Noces de Figaro de Mozart, toujours à 2 pianos 8 mains.

Ce qui veut dire, pour nous enseignants, trouver du matériel existant dans la formation à 2 pianos 8 mains (s’agissant de transcriptions de grandes oeuvres, c’est généralement possible à partir du milieu de 2ème cycle) ou réaliser nous-mêmes nos propres arrangements sur mesure pour nos élèves. Il faut pour cela déceler si l’oeuvre se prête à une telle transcription, permettant d’alterner un découpage de l’écriture tantôt horizontal (les 2 pianos se répondent), tantôt vertical (les 2 pianos jouent en tutti). Il faut parfois savoir réécrire pour étoffer certaines parties, créer un contrechant, une basse d’accompagnement harmonique, un effet sonore particulier : le tout, sans dénaturer l’oeuvre !

Tout en veillant, pour des raisons pédagogiques, à ce que toutes les parties soient intéressantes et aient leur moment de « solo ».

MOTIVATION DES PIANISTES

Pourquoi une pratique collective pour les pianistes ? Lors de mon arrivée au conservatoire, le taux d’absentéisme observé dans les classes de piano était d’environ 50%. Le travail personnel était quasi inexistant, et aucun élève n’atteignait le niveau d’une ?n de 1er cycle. Les enfants pratiquaient des « activités », lesquelles n’étaient pas nécessairement reconduites l’année suivante. Il fallait donc de toute urgence éduquer les familles à comprendre que la pratique d’un instrument allait de pair avec une présence régulière en cours, avec la nécessité d’avoir un instrument à la maison pour permettre un entraînement personnel, et que cette pratique devait être engagée sur plusieurs années. Dès la mise en place de binômes et d’ateliers collectifs, j’ai pu constater que l’assiduité et l’engagement des élèves allaient grandissant d’un trimestre à l’autre : la pratique collective s’avérait être un puissant facteur de motivation pour eux. Venir au cours pour retrouver des copains avec qui monter des projets et se produire sur scène, voilà qui était stimulant et grati?ant !

Mais comment ? Cela commence par des considérations matérielles, pratiques… et ?nancières ! Car il ne s’agit pas de s’agglutiner à 4 ou 6 devant un médiocre piano droit : il faut d’autres moyens !

J’ai eu la chance de rencontrer, au cours de ma carrière, un directeur qui, dès son arrivée, a reçu chaque membre de l’équipe en entretien. D’entrée de jeu, il me pose cette question inattendue : « Comment seraient vos conditions de travail dans l’idéal ?

– Je ne pense pas que mon idéal soit réalisable… »

J’ai alors été invitée à décrire mon idéal « de rêve, même s’il n’était pas réalisable » :

« avoir un 2e piano dans ma salle ; disposer aussi d’une autre salle attenante à la mienne avec un 3e piano, accessible aux élèves sans ma présence ; modi?er les emplois du temps de manière à faire venir les élèves en groupe, par niveaux, deux fois dans la semaine… ».

Je vous raconte cela car peu de temps après, tout était mis en place – alors que je n’aurais pas cru cela possible. Donc, il nous appartient de le faire exister ! Riche de cette expérience, j’ai ensuite toujours annoncé, en candidatant pour de nouveaux postes, ces conditions – et les ai toujours obtenues…

Ça y est, vous avez en?n vos deux pianos, trouvé des partitions, créé vos groupes de travail. Et vous arrivez à votre premier cours collectif, seul ou à deux enseignants, avec un groupe d’élèves devant vous… En moins de dix minutes vous comprenez la nouvelle réalité qui s’impose : vous allez devoir vous transformer en animateur de groupe ! Vous devrez décupler votre énergie, pulser en permanence, occuper l’espace, tout en créant une bulle d’expérience « hors du temps ». Car ce cours doit être attrayant. Aussi la première chose est d’apporter les conditions d’une bonne

ambiance, d’une synergie de groupe, d’une harmonie ; ce cours se veut interactif, c’est-à-dire que chacun doit pouvoir participer et s’exprimer librement. Il s’agit de trouver un équilibre entre décontraction et sérieux : l’aspect humain sera aussi important que l’aspect musical !

Vous voulez soutenir l’intérêt et la participation active des élèves tout au long du cours ? La première clé sera de donner du rythme et faire en sorte qu’il n’y ait jamais de temps mort, en utilisant le contraste et la variation, dans les manières de travailler comme dans les positions physiques. Jamais de temps mort, cependant des temps de respiration ! Ce qui ne veut pas dire ne rien faire, mais simplement se reposer de l’action pianistique – par exemple en passant d’un temps d’exécution au piano à un temps de ré?exion partagée, où chacun peut suivre son rythme dans la participation.

Deux espaces sont aménagés dans ma salle lors des cours collectifs : l’espace de jeu avec deux pianos à queue et un piano droit, et un espace d’échanges avec des sièges disposés en demi-cercle.

Enfin il est important que les élèves et les familles s’engagent à une assiduité sans faille : s’il vous manque en permanence un partenaire dans une équipe, vous pourrez dif?cilement être à la fois au piano pour le remplacer (prévoyez des doubles de toutes les parties !), et à l’extérieur d’où vous écoutez et guidez le groupe… Il n’y a pas de réalisation collective sans l’engagement de chacun !

ORGANISATION PRATIQUE

J’ai mis en place cette pédagogie en collaboration avec l’un de mes collègues au conservatoire de Grigny, qui co-anime avec moi les ateliers collectifs. Nous disposons pour cela de deux salles contiguës, équipées chacune de deux pianos.

A Grigny, nous avons basé la pratique collective des pianistes sur quelques principes fondamentaux.

Tout d’abord, elle est ouverte à l’ensemble des élèves des quatre enseignants en piano : les élèves de

toutes les classes se retrouvent ainsi mélangés dans un cours collectif commun. Ensuite, nous avons conçu l’organisation de ces ateliers collectifs de manière libre et modulable d’une semaine à l’autre : nous animons ensemble ou séparément par demi-groupes, selon les besoins ; et il arrive parfois, en fonction des effectifs, que l’un de nous soit seul en charge d’un groupe de niveau. En?n, si l’objectif principal de cette pratique collective est avant tout de produire des pièces qui seront jouées en audition ou en concert d’élèves, nous avons aussi parfois d’autres objectifs : nous avons notamment pérennisé un atelier collectif d’une heure consacré à la préparation de la ?n de cycle, regroupant tous les élèves concernés. Celui-ci nous permet non seulement de proposer un travail de « mise à niveau » technique, au travers de l’étude de textes communs et d’exercice appropriés, mais aussi de travailler collectivement le morceau imposé du programme, ainsi que de préparer les élèves, tout au long de l’année, aux épreuves d’autonomie et de musique de chambre. Les élèves sont amenés à développer leur écoute, leur sens de l’observation et leur sens critique. Nous les invitons à faire leur propre commentaire, non seulement sur l’exécution des autres élèves, mais aussi sur leur propre prestation. Ils apprennent à demander de l’aide et à s’entraider, développant aussi leur con?ance, leur audace, leur autonomie – et leur sens de la « performance » !

Ce cours collectif est aussi un temps privilégié de soutien pour la préparation à l’épreuve de formation musicale, par l’analyse des textes, le travail sur les tonalités, les accords, les formes musicales, etc…

A mon sens, mettre en place de tels ateliers de pratique collective nécessite les deux éléments suivants, indispensables : premièrement, chaque enseignant en charge de la pratique collective des pianistes doit disposer de 1h30 pour un mi-temps à 3h pour un temps plein, à distribuer librement entre les différents niveaux (temps qui peut être donné à horaire ?xe toutes les semaines ; partiellement, avec une réserve pour des répétitions supplémentaires lors de préparations d’auditions ou de concerts ; à horaire, durée et fréquence modulables selon vos projets…) ; deuxièmement, il s’agit de repenser complètement l’organisation des temps de cours, conçus à la base pour des cours individuels de 30 minutes, 45 minutes ou une heure, et d’opérer une véritable révolution dans la distribution de ce temps : dès lors que l’on n’enseigne plus sous la forme de cours individuels (sauf très occasionnellement), le temps peut être réparti autrement et de manière bien plus pro?table pour les élèves !

C’est ainsi que j’ai conçu et mis en pratique depuis une dizaine d’années à Grigny une nouvelle répartition des temps de cours. J’ai mutualisé tous les temps de cours individuels des élèves de même niveau, qui s’additionnent avec ma propre réserve de temps à distribuer collectivement ; créé des binômes et réduit le temps de cours de 25 à 30% selon les cycles ; puis réparti le temps restant entre les différents groupes de niveau. Résultat :

-1er cycle (dès la 2e année) : 45’ en binôme + cours collectif 45’ (2 pianos 8 mains)

-2e cycle : 1h en binôme + cours collectif 1h (2 pianos 8 mains et/ou musique de chambre)

-3e cycle : 1h30 en binôme + cours collectif 1h30 (45’ à 2 pianos – 45’ en musique de chambre)

En?n, pour une bonne dynamique, il est souhaitable que deux enseignants co-animent ensemble !

Pour conclure, je laisse la parole à Edgar Solmi, directeur du conservatoire de Grigny : « Enseignants, ne vous considérez pas comme limités, ou enfermés dans un carcan de contraintes et de règles à respecter ! Tout au contraire : ouvrez votre esprit, autorisez-vous à imaginer les champs du possible …et sentez-vous illimités ! »

Marie-Thérèse Loustau

Enseignante en piano et musique de chambre,

coordinatrice des études au conservatoire de Grigny

Réseau CRD Essonne de Grand Paris Sud

coeur.silence@free.fr

  1. : Des spécialistes des neurosciences ont mis en évidence que la pratique musicale facilite le développement cognitif, et qu’elle est un moteur puissant dans la construction d’une personnalité sociable. Elle a des effets positifs sur la réussite scolaire et le développement personnel des élèves. Selon une évaluation de l’Institut Montaigne, la pratique de l’orchestre pendant trois ans se traduirait par une amélioration de la moyenne générale, des notes de vie scolaire, et une meilleure attitude de l’élève vis-à-vis de l’école.
  2. : Ma grande ?erté l’an dernier fut d’apprendre qu’une de mes élèves de 3ème cycle avait obtenu la note de 20/20 au grand oral du Baccalauréat, avec le sujet qu’elle avait choisi elle-même : « Quels sont les béné?ces de la pratique musicale pour le cerveau humain ? »

Élève en classe CHAM de la 6ème à la 3ème, elle a suivi nos ateliers collectifs pendant 12 ans, fait un double cursus piano / percussions classiques, et participé à toutes les auditions et concerts. Elle est désormais une étudiante épanouie : objectif atteint !

Stravinsky Revisited

Dans le cadre de la Biennale de piano collectif 2022, la classe de troisième cycle de piano du conservatoire de Saint-Denis a présenté le projet sur lequel elle a travaillé depuis le début de l’année : Stravinsky Revisited. (suite…)

Concert en mode radio : Multiplier

S’il y a bien un instrument qu’on entend souvent tout seul, c’est le piano.
Et quand il joue avec orchestre, c’est le plus souvent pour apparaître à nouveau en solitaire.
Alors qu’en sortant de la vision facilement romantique du pianiste virtuose, on peut imaginer y mettre
plus de deux mains. Et comme l’accumulation peut tourner à la surenchère, on peut même se
demander jusqu’où on peut aller.

Metaclassique, l’émission de David Christoffel, accueille deux compositrices pour son 161e numéro :
Graciane Finzi et Lucie Prod’homme qui partagent le point commun d’avoir composé pour 4 mains tout
en ayant des visions différentes du piano collectif.

Cette émission a été enregistrée en public le vendredi 28 janvier, dans le cadre de la Biennale de piano
collectif au Conservatoire de Saint-Denis, en association avec la Maison de la Musique Contemporaine
et sa chargée de veille, Anabelle Miaille.
Podcast : http://metaclassique.com/metaclassique-161-multiplier/

Table-ronde : La médiation de la musique contemporaine

La musique contemporaine véhicule encore aujourd’hui beaucoup de préjugés d’inaccessibilité.
Or, ce répertoire en pleine expansion recèle des richesses que le jeu ou la pratique collective
permettent de rendre sensibles au plus grand nombre.
A travers le témoignage croisé de deux compositeurs, Florentine Mulsant et Alexandros Markeas, la
Maison de la Musique Contemporaine propose de découvrir les bénéfices d’une médiation incarnée de
la création musicale.

Modérateur : Simon Bernard

Podcast : https://soundcloud.com/user-193412593/table-ronde-mediation-de-la-musique-
contemporaine

Journée en forêt (d’après Olivier Messiaen)

En cette année 2022, nous célébrons le trentième anniversaire de la disparition d’Olivier Messiaen :
pour lui rendre hommage, nous avons repris un des thèmes musicaux des Vingts regards sur l’enfant
Jésus, auquel nous superposons des chants d’oiseaux improvisés.
Par la classe de Cyrille Kirilov, du conservatoire de Croissy-Beaubourg.

La Biennale : expérimenter le conservatoire de demain !

Dans une société mal en point, les conservatoires (CRD, CRC) se redéfinissent plus que jamais comme outil à forte valeur ajoutée pour créer et entretenir toujours plus de lien entre politiques locales, enseignants et citoyens. Dans ce contexte, Gaëlle Pavie, professeure de piano au conservatoire de Dunkerque, nous détaille en quoi la Biennale de piano collectif redessine, autour de cet instrument, les contours du conservatoire désirable de demain. (suite…)

Le piano multiple : un bilan de la Biennale de piano collectif

Le piano peut être collectif,
c’est alors un lieu de rencontre.
Amateurs et professionnels ont joué ensemble, ont discuté, échangé, se sont mêlés sans se demander qui aime par passion, par nécessité, souvent les deux. On pouvait être élève, étudiant ou professeur aussi, et on partageait le même concert.
Le piano a rassemblé des enfants, des adolescents, des jeunes, des adultes, ceux qu’on appelle des seniors aussi.
On venait de Saint-Denis et d’ailleurs : ailleurs, juste à côté ou très loin, pour un concert ou pour les quatre jours ! La rencontre, c’était aussi celle des arts, des sciences, des disciplines : musique, dessin, neurosciences, paléontologie, didactique, histoire…
Quatre jours durant, c’est par la pratique que nous avons exploré les liens entre « Comment apprendre à jouer ensemble » et « Comment, ensemble » !

Le piano peut être collectif,
c’est alors une source de création.
Les musiques contemporaines ont habité cette première édition : dans les concerts, les ateliers mais aussi les réflexions pédagogiques.
Commandes et créations s’ajoutent au riche répertoire du piano à plusieurs.
Improvisations et arrangements ont côtoyé la pratique plus habituelle de l’interprétation.
A cela s’ajoutent de nombreuses expérimentations, parmi lesquelles le speed meeting ou encore le concert en mode radio.
Le tout a contribué à une diversité de la programmation et des publics, elle-même toujours source de création !

Le piano peut être collectif,
c’est alors un sujet de recherche.
Cette biennale a été un moment de formation : professionnelle initiale avec le Pôle Sup’93 et l’ESMD de Lille, mais aussi professionnelle continue durant les événements et dans les interstices, tous ces moments informels.
Elle a également été un moment de faire savoir, cherchant modestement à inciter et encourager la recherche sur le sujet, par les conférences et tables-rondes, mais aussi les différents partenariats.

Le piano peut être collectif,
c’est alors un instrument populaire.
Jeu (lieu de jeu mais aussi instrument à jouer).
Machine à clavier, en lien avec l’informatique.
Au-delà des normes et des règles.
Ouvert, divers, mobile.

 

Le 5e numéro du Journal de la biennale est entièrement consacré au bilan de la Biennale : https://lewebpedagogique.com/pianomanonsolo/?p=1250

Un exemple d’accompagnement au changement de modèle pédagogique par l’empirisme et le collectif

Elisabeth Marchand, ancienne directrice du conservatoire de Flers Agglo, en Normandie, nous relate la mise en oeuvre d’un apprentissage de la musique en cours collectifs, à l’échelle du conservatoire dans son ensemble. Cet article présente ainsi une synthèse de dix années d’une expérience vécue en équipe. (suite…)

L’accompagnement artistique des musiques actuelles

Avec ce second article, le musicien et professeur Nicolas Fournier nous plonge au cœur de l’accompagnement artistique. Un éclairage bienvenu sur le collectif et son accompagnement par le professeur dans les musiques actuelles, qui apporte sur notre piano collectif un regard extérieur, des idées, des envies ! (suite…)

Liszt Revisited

Au conservatoire de Saint-Denis, trois élèves de 3e cycle de la classe de piano ont enregistré Liszt Revisited au mois de juin 2021. En voici le lien : https://www.youtube.com/watch?v=glPAGAW86Bk

Ci-dessous, en guise d’introduction, un bref entretien avec Chadi, Mikhaïl et Adrien.

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Claviers tous Azimuts

Professeure de piano au conservatoire de Saint-Quentin, Anita Nutini a créé l’atelier « Claviers tous Azimuts », afin de permettre à de jeunes pianistes de jouer ensemble, sur différents instruments à clavier(s), modernes et anciens.

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Le B.A.-BA de l’A B A

Où le sens prend son sens…

Blandine Muller Leconte et Catherine Legrand Gaussen, professeures de piano, nous partagent quelques pistes pédagogiques sur la forme A B A.

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Du collectif au commun : la médiation de la musique contemporaine

Simon Bernard, de la Maison de la Musique Contemporaine, nous livre une réflexion sur la médiation et ses liens avec le collectif. Un collectif rassemblant l’ensemble des acteurs de la musique contemporaine, des artistes au public, en passant par le médiateur. Un collectif comme véritable outil de médiation.

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Quelques dates, pour mémoire…

Martine Joste, pianiste et pédagogue, nous livre l’historique d’expérimentations autour du piano collectif qui se sont déroulées dès 1972, d’abord au Conservatoire de Pantin, puis à l’Ecole Nationale de Musique du Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis. Elle nous les raconte en tant que participante active…

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Au piano avec 40 doigts et 88 touches

Le Quatuor Pianofolie, fondé en 2015 par les quatre pianistes Biljana Atanasovska, Marcia Dipold, Julia Froschhammer et Giada Stornetta, nous parle du répertoire à huit mains pour un seul piano. Interview avec Julia Froschhammer.

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Un atelier collectif d’adultes

Au conservatoire de Saint-Denis, l’atelier de piano pour adultes débutants a été créé pour intégrer des adultes dans la classe de piano. D’une durée d’une heure hebdomadaire sur six mois, cet atelier collectif vise à acquérir les bases du jeu polyphonique, d’improvisation, voire de lecture si demande du participant. Céline Roulleau, professeure de piano qui encadre cet atelier, a recueilli les témoignages de trois participants du premier semestre dernier.

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Le groupe, regard depuis les musiques actuelles

Nicolas Fournier, musicien accompagnant, professeur de FM et pratiques collectives à l’école de musique du Sud Est Manceau, nous propose cette réflexion sur le groupe et son accompagnement pédagogique. Un regard depuis les musiques amplifiées, à même d’offrir des résonances avec le piano collectif.

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En rêvant de Debussy

Au conservatoire de Croissy-Beaubourg, les pianistes improvisent à partir de pièces du répertoire. Leur professeur, Cyrille Kirilov, nous raconte leur expérience à partir de Préludes de Debussy.

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