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Faites tomber les murs !

Vers un décloisonnement de la création musicale dans les conservatoires.

Le 17 novembre dernier s’est tenue au CRR d’Aubervilliers-La Courneuve une Journée nationale de rencontre professionnelle organisée par la Maison de la Musique Contemporaine sur la question de l’enseignement et de la place de la création musicale dans les Conservatoires. Anabelle Miaille, chargée de mission « observation et veille opérationnelle » à la MMC reprend ici les échanges et les idées qui ont été développés tout au long de la journée.

Le programme de cette journée nationale de rencontre professionnelle a été élaboré à la suite d’ateliers de réflexions qui ont réuni des professionnel·le·s de ce secteur et qui ont permis de faire émerger les constats et problématiques rencontrés sur le terrain.

Le premier constat est que la transmission de la création musicale, aussi bien dans le « faire jouer » que dans l’éveil de la créativité des élèves, est encore largement absente de l’apprentissage de la musique dans ces établissements. Par ailleurs, il semblerait que l’enseignement dans les Conservatoires, tel que dispensé actuellement et quelles que soient les disciplines, s’essouffle. Les élèves de ces établissements manquent de motivation et peuvent se montrer peu ouverts et curieux aux originalités sonores. Et pour finir, l’image d’élitisme et d’érudition de la composition emprisonne son enseignement dans des enclaves. La sacralisation qui entoure la composition entraîne une inhibition peu propice à la créativité.

Mais face à ces constats, la présentation de projets novateurs et porteurs de sens ont également permis d’envisager des possibilités de dépassement de ces écueils. L’un des objectifs de cette journée était donc de valoriser ces projets ainsi qu’une nouvelle façon de concevoir l’enseignement dans les Conservatoires, qui promouvrait une logique de décloisonnement entre les classes, avec la création musicale comme vecteur d’inclusion et de partage.

Cet article résume les échanges et les idées qui ont été développés tout au long de la journée.

Il apparaît dans un premier temps qu’il est important de sortir de la reproduction pour aller vers la production. Le socle reste aujourd’hui encore de former des interprètes technicien·ne·s. Mais l’aller-retour entre acquis techniques et expression de la créativité est essentiel pour former des artistes complets. Il s’agit donc d’éveiller la créativité des élèves dès le plus jeune âge et dans toutes les classes d’enseignement auxquelles ils participent. La création ne doit pas être une spécialité réservée à un temps dédié, à partir d’un certain nombre d’années d’expérience. Pour susciter des vocations de créateur·rice·s, il faut envisager les élèves non pas comme des étudiant·e·s en instrument ou en composition mais bien comme des « artistes en herbe ». En effet la création est multiple par essence et s’exprime dans une multiplicité de pratiques et d’esthétiques. Les créateur·rice·s sont « tou·te·s métisses » de la création musicale (instrumentale, électroacoustique, improvisation…).

Dans la continuité de cette acception, l’interdisciplinarité avec d’autres formes d’expressions artistiques prend également tout son sens. Le croisement des pratiques avec les arts sonores (radio, live, performance…) mais aussi les beaux-arts (installation sonore, utilisation du phénomène sonore comme matière…) repositionne le son au cœur du processus de création, et augmente ainsi l’ouverture des champs d’application. Dans cette perspective, le conservatoire de Marseille a fusionné avec l’École supérieure d’art et de design Marseille-Méditerranée pour devenir l’Institut national supérieur d’enseignement artistique Marseille-Méditerranée – INSEAMM en 2020. Cette fusion a permis de rapprocher des étudiants du conservatoire avec des étudiants l’école d’art et de design, et ainsi de développer d’autres logiques de création. Le conservatoire de Saint-Étienne a également initié des projets de collaboration avec l’École supérieure d’art et design de la ville.

La création est multiple et diffuse, et ne serait être contrainte, alors comment mettre en place un cadre pédagogique qui favoriserait son éclosion ?

Placer la création musicale au cœur d’un projet pédagogique

La création musicale doit faire partie de l’enseignement dès le premier cycle, en formation musicale et en classe d’instrument ou de chant. Le conservatoire prenant ainsi le relais des différentes actions culturelles qui se développent de plus en plus dans les écoles. La pratique de jeux sonores et rythmiques, par exemple, amènent les élèves à s’exprimer avec leur instrument via de petites improvisations. Le conservatoire de Gennevilliers a ainsi développé le dispositif « Tous Compositeurs » qui s’adressent aux élèves dès l’entrée en premier cycle.

L’enseignement de la création musicale devrait comprendre l’enseignement de l’écriture, de l’analyse, des techniques du son, de la MAO (musique assistée par ordinateur), de l’improvisation, de l’arrangement, de l’électroacoustique… en lien avec les classes d’instrument pour impulser une synergie collective de partage d’expériences entre les élèves eux-mêmes, dans une pédagogie de projets. Chaque « artiste en herbe » ayant ses propres affinités, il est important que l’organisation pédagogique puisse proposer plusieurs parcours d’enseignement pour orienter les élèves vers leur forme d’expression privilégiée (écriture, improvisation, électroacoustique…). Les classes de pratiques collectives doivent être au cœur des projets de création pour une véritable circulation des élèves entre les différentes approches, créant ainsi une symbiose entre diversité et inclusivité. Dans une visée d’autonomisation, les élèves sont replacés au cœur du processus d’apprentissage afin de favoriser l’initiative des projets par eux-mêmes. Le conservatoire d’Aubervilliers-La Courneuve a ainsi créé un espace de travail collaboratif et collectif sous la forme d’un collectif de création, « Fabrica ».

Les temps communs sont également essentiels pour fédérer les élèves et les enseignant·e·s. Masterclasses, concerts, réunions de rentrée avec tous les élèves sont autant d’évènements qui permettent la circulation et favorisent la rencontre des étudiant·e·s. Le conservatoire de Bordeaux organise des soirées de la création qui prennent la forme de concerts où tous les élèves peuvent faire entendre leur travaux, toutes esthétiques confondues, avec une présentation de l’œuvre en amont. L’ouverture des cours en auditeur·rice libre est aussi une façon d’encourager les élèves à venir découvrir le travail de création.

La pédagogie de projet, qui offre des situations qui sortent de l’ordinaire, stimule les élèves et donne l’envie d’approfondir les savoirs. Cette stimulation est d’autant plus forte lorsque que les projets du conservatoire s’inscrivent dans le cadre de partenariats avec d’autres institutions culturelles du territoire. Impliquer l’écosystème génère un rayonnement du conservatoire au-delà de ses murs tout en apportant un enrichissement des projets et des élèves.

Autre aspect important, la collaboration avec des interprètes et des compositeur·rice·s. Envisager des résidences d’artistes avec une réelle présence dans l’établissement sur des temps longs, permet d’approfondir les échanges avec l’ensemble des élèves, de tous les niveaux et de tous les âges. L’accueil d’ensembles dédiés à la création en résidence est une façon d’envisager la transmission des modes de jeu spécifiques. Il serait par ailleurs intéressant que des compositeur·rice·s puissent travailler avec les enseignant·e·s pour réfléchir ensemble à la forme que pourrait prendre un matériel de transmission efficace mais néanmoins musicalement riche. Combiner l’expertise de l’enseignant·e concernant la transmission d’une part et la sensibilité du·de la compositeur·rice d’autre part.

S’unir pour avancer

Avec l’idée d’un enseignement global, l’intégration et l’implication de l’ensemble des professeur·e·s du conservatoire deviennent indispensables. Pour un bon fonctionnement, toute l’équipe pédagogique doit participer à l’encadrement afin de lier les initiatives. Mais si le désir est souvent présent, il peut exister parfois une certaine forme de résistance au changement de mode de fonctionnement. L’accompagnement des enseignant·e·s est donc tout aussi essentiel. La généralisation de formations spécifiques, initiales ou en formation continue, permettraient de développer le nombre de personnes ressources, porteuses de dynamiques d’innovations dans leurs établissements. Cette généralisation initierait de plus une énergie de partage et de diffusion entre les conservatoires.

En effet l’isolement s’avère être un frein majeur à toute logique de développement. C’est pourquoi la mise en réseau se révèle cruciale pour mutualiser les expériences. Cela permet également d’apporter du poids lorsqu’il s’agit de convaincre les personnes décisionnaires (élu·e·s, financeur·se·s, décideur·se·s politiques). La nécessité de créer un réseau de la pédagogie et de la création en France pour valoriser la création musicale comme une voie possible du renouvellement de l’enseignement dans les conservatoires a donc été l’une des grandes conclusions de cette journée de réflexion.

Vous pouvez retrouver sur le site de la Maison de la Musique Contemporaine le programme détaillé avec la liste de tous les intervenant·e·s à cette journée, ainsi que l’enregistrement de la table-ronde animée par Marie Hédin-Christophe : La création dans les conservatoires et le créateur dans la société.

Comment faire prendre conscience du caractère épanouissant de la créativité ?

Comment intégrer le conservatoire dans un tissu municipal et territorial grâce à la création ?

Comment placer la création au sein d’un écosystème ?

Anabelle Miaille

Chargée de mission « observation et veille opérationnelle »

Maison de la Musique Contemporaine

anabelle.miaille@musiquecontemporaine.org


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