Au conservatoire de Saint-Denis, l’atelier de piano pour adultes débutants a été créé pour intégrer des adultes dans la classe de piano. D’une durée d’une heure hebdomadaire sur six mois, cet atelier collectif vise à acquérir les bases du jeu polyphonique, d’improvisation, voire de lecture si demande du participant. Céline Roulleau, professeure de piano qui encadre cet atelier, a recueilli les témoignages de trois participants du premier semestre dernier.
Voici un extrait du journal de bord de trois adultes participant à l’atelier de piano débutant. J’en ai réalisé une synthèse qui permet une relecture des séances sur deux mois de pratique. Ce cahier virtuel reprend ici une vieille idée dans la classe de piano : celle de cahier collectif, que chacun peut emprunter durant la semaine afin d’y rapporter son expérience personnelle et collective… Les adultes de cet atelier se sont particulièrement bien prêtées au jeu et je les remercie de m’avoir autorisée à publier une partie de leurs remarques (les prénoms ont été modifiés).
Tania
« Et voilà ! Je débute enfin le piano. 40 ans que j’attends cela ! Enfin, cela fait réellement 20 ans que j’envie ces copines capables d’enchaîner un Nocturne de Chopin avec cette fluidité dans les doigts dont je rêve tant.
J’ai tenté de démarrer seule, je me suis procurée un clavier. Jouer du piano ne me paraissait pas si sorcier ! Mais deux mains ensemble sur cette étendue de 88 touches, avec un pied sur une pédale tout en tentant de lire les notes, ça a vite fait de me décourager !
Bref, premier cours de piano et première rencontre à quatre, autour d’un piano droit et un à queue. Quand on est débutant et qu’on n’y connaît rien c’est rassurant de ne pas être seule, soyons francs. Pas de piano à la maison pour mes collègues, ce n’est pas discriminant.
Et quelle surprise, à peine quelques mots échangés et le professeur nous encourage déjà à jouer ensemble. L’instrument impressionne, mais très vite nous dépassons cette appréhension.
Des sons longs puis courts, découverte de l’instrument dans ce qu’il a de plus intime : le clavier bien sûr, mais pas seulement ! Cordes, bois, piques, chevalets, table d’harmonie, pédalier… tout y passe ! On frappe, on glisse, on pince. On nomme, on écoute, on disserte sur nos moments préférés, on s’écoute… Tiens, ma comparse vient de créer un son ténébreux en frottant ses ongles le long d’une corde grave. Un florilège de sonorités !
Et mon désir de Chopin ? Plus que jamais vaillant, mais j’ai découvert de multiples chemins que j’aimerais explorer davantage, à commencer par le mélange des timbres.
Rendez-vous samedi prochain… »
Enza
« La semaine est passée si vite, j’ai à peine eu le temps de relire mes notes que nous nous retrouvons toutes les quatre, fidèles au poste et en avance ! Les langues se délient et nous en apprenons davantage sur nos motivations personnelles : le morceau rêvé, les projets personnels passionnants, comme accompagner sa classe de maternelles avec quelques rythmes d’accompagnement, créer des nappes sonores improvisées pour enrichir son jeu d’acteur, jouer un morceau avec son fils apprenti-musicien…
La séance porte aujourd’hui sur le mode de do. Je n’imaginais pas quelle liberté pouvait m’offrir ce mode et quel aimant pouvait devenir cette note : je repère ce do fétiche et nous voici parties dans un jeu de notes libres, accompagnées par une collègue. Les do résonnent sur son clavier grâce à la pédale forte et créent un écrin à nos déambulations à cinq doigts sur notre clavier. J’ai envie de sons ensemble et je commence à me repérer sur le clavier ! Nos doigts se mêlent et nos voix résonnent ensemble, très naturellement, pour trouver un chant commun, puis des voix superposées. C’est donc cela la polyphonie ! »
Sophie
« Nous avons échangé nos coordonnées : pratique, si l’on veut s’entraîner ensemble de temps en temps… D’ailleurs notre groupe Whatsapp nous a permis à toutes d’emprunter des claviers auprès des médiathèques de la ville.
La séance sur le rythme ensemble m’a vraiment marquée. Après des jeux de gestes, nous avons tenté de trouver une respiration commune, un balancement commun, un geste commun. Je comprends que le rythme se ressent et le geste musical aussi !
Le plus intéressant c’est d’apprendre des autres élèves, nous apprenons la même chose mais nous rendons des sons différents. Notre perception est différente ainsi que notre compréhension, ce qui nous permet aussi d’échanger, partager et se donner des conseils. Une bienveillance s’est installée naturellement dans nos échanges et elle favorise beaucoup la curiosité et la compréhension. »
Enza
« Les semaines suivantes, tout s’accélère…
Nous retravaillons le rythme en percussions corporelles, cela devient un élément fondateur de chaque séance. Nous n’avons de cesse d’enrichir nos découvertes rythmiques depuis que nous avons compris la pyramide des rythmes. Nous partons de rythmes fondamentaux que certaines d’entre nous maintiennent et répètent facilement (étrangement), pendant que nous proposons et superposons de nouveaux enchaînements rythmiques. On apprend à lâcher prise et l’émulation est forte ! »
Sophie
« Nous avons développé nos conversations musicales : ensemble, les sonorités sont riches et colorées. Parfois on se concerte, on se donne un fil conducteur, parfois non. C’est mon moment préféré dans la séance… »
Tania
« Aujourd’hui, nous avons découvert un nouveau mode : pentatonique sur les touches noires. Notre chouchou pour le jeu ensemble ! Nous nous enregistrons en souvenir.
Mon envie de sons ensemble s’est également concrétisée : deux puis trois puis quatre notes jouées ensemble avec mes deux mains. Je crée un chemin d’accords : une seule note change entre chaque accord. Les sonorités de ces quatre notes groupées ne cessent de me surprendre ; et que dire de l’écoute des progressions d’accords des autres ! Je souhaite mémoriser certains enchaînements entendus. Mais au fait, comment les noter ?
Cela fait plusieurs semaines que nous jouons ensemble, sans aucun lien à l’écrit et je ne m’en étais pas aperçue. La question de la mémoire par l’écrit me taraude…
Le chiffrage américain est une porte d’entrée, un accès rapide dans lequel nous nous engouffrons assez vite une fois compris la constitution des accords et les intervalles. Il y a un atout : chacun garde sa liberté de réalisation. On repousse encore un peu la rencontre avec les autres formes d’écrits, il y a tant de chemins à explorer ! Est-ce si grave après tout ? »
Bilan à deux mois : qu’avons-nous appris ?
Tania : « Regarder dans la même direction sans pour autant prendre le même chemin. Nous avons su créer un groupe homogène. »
Sophie : « Partager des perceptions et donner des conseils. Improviser sans retenue… génial ! »
Enza : « Installer un rythme commun et inventer des enchaînements rythmiques. »
Céline : « Le professeur se fond dans le groupe, orientant les apprentissages sans diriger. »
Céline Roulleau
Professeure de piano
au conservatoire de Saint-Denis