Scarface, Brian De Palma

L’intrigue se déroule en 1980, époque durant laquelle le premier ministre de Cuba, Fidel Castro, accorde la liberté d’expatriation à ceux qui en font la demande et autorise ainsi les opposants au régime communiste qui le souhaitent à quitter l’île.  C’est ainsi que anise les Etats Unis offrirent l’asile politique aux immigrés de Cuba opposés au communisme, et environ trois mille bateaux partirent des Etats-Unis pour ramener ces Cubains dépouillés par Castro.

Ce dernier saisit l’occasion pour obliger les propriétaires des bateaux à ramener avec eux les délinquants devenus indésirables dans l’île. Ainsi, sur les 125 000 réfugiés politiques, 25 000 avaient un casier judiciaire dont Tony Montana et ses complices.

Tony Montana, réfugié cubain en Floride, est parti de rien. Avec son bras droit, Manny Lopez, il gravit les échelons au sein de la mafia et se voit accorder toujours plus de responsabilités. Il n’hésite pas à tuer son propre patron et à se marier avec sa femme devenue veuve, Elvira. Mais son besoin de devoir tout contrôler, y compris ses proches, conduit à leur rupture. Rendu fou par le pouvoir, l’argent et la drogue, il donne la mort à plusieurs de ses proches comme sa sœur et Manny, avant de finir lui-même assassiné.

Habituellement, je n’aime pas trop les films violents mais j’ai trouvé Scarface très bien réalisé. Tony, parti de rien au départ, réalise une ascension fulgurante vers la richesse, mais s’enfonce en même temps au plus profond des ténèbres. Après avoir tué son patron, il a tout ce qu’il voulait et semble être heureux. Il épouse Elvira, entretient de très bonnes relations avec Sosa. Il a de bons contacts sur qui compter, offre un salon de beauté à sa sœur Gina, les affaires sont florissantes. Mais il ne respecte pas une des deux règles principales énoncées au début du film par Franck : ne jamais être  dépendant de sa propre camelote. Quand il a enfin acquis tout ce qu’il voulait : l’argent, le pouvoir, une superbe villa et la femme de ses rêves, c’est comme si ses désirs ne s’étaient pas assouvis. Il est pathétique et vulgaire, si bien qu’Elvira lui dira qu’elle préférait son ancien mari Franck Lopez, personnage pourtant ennuyeux. Il  parle d’argent à longueur de journée, devient repoussant. C’est un tueur et délinquant mégalomane qui détruit tout ce qui lui est cher autour de lui.

Deux moments m’ont particulièrement marqué. Le premier, c’est sa rupture violente au restaurant avec Elvira. Il est méprisant avec elle, il lui manque terriblement de respect, l’insulte de junkie alors que lui même est toxicomane. Il lui reproche de ne pas pouvoir avoir d’enfant avec elle, que c’est de sa faute car elle est « pourrie de  l’intérieur ». Mais Elvira s’indigne : quel père ferait-il ? Un pauvre drogué, qui ne pourrait même pas les emmener à l’école !

Elle est désespérée, ne reconnaît plus en Tony l’homme qu’elle pensait aimer et qui lui avait promis une vie heureuse. Quand elle part en le quittant, raccompagnée par Manny, la nouvelle ne l’atteint même plus. Désabusé, il se met à vociférer contre les riches clients du restaurant luxueux. Il les met face à leurs responsabilités. Au moins, Tony assume : il ne se cache pas devant ce qu’il se sait être. Les gens sont tous aveugles dans ce qu’ils voient, et refusent de croire que Tony est le reflet de leur  nature. Ils préfèrent le pointer du doigt et dire que c’est lui « le méchant ». Les Etats Unis ont besoin d’un bouc émissaire comme lui pour endosser tous les mauvais côtés  du système qu’ils ont adopté.

Sa vie et celle d’Elvira n’ont pas de sens. Avec l’argent, la seule chose qu’il a gagné, c’est l’envie d’en avoir encore plus. Tony est là, riche, puissant… et tout seul. Sans famille, sans amis, sans amour, sans personne.

Le deuxième moment qui m’a marqué, c’est quand Tony tue Manny, celui qui l’avait toujours épaulé. Tony a toujours entretenu une relation ambiguë avec sa soeur, presque incestueuse. Il refuse qu’elle soit avec un homme et devient très violent quand elle se fait séduire. Alors quand il voit son meilleur ami dans la même maison que sa soeur, la rage l’envahit. En effet, Manny venait de se marier avec Ginna et le jeune couple voulaient faire lui faire la surprise. Manny, contrairement à Tony, est resté lui même et lucide tout au long du film. Il aurait peut être même pu se contenter du travail qu’il avaient au début du film, dans le snack. J’ai trouvé cette scène très dure à regarder car Tony détruit tout sur son passage. Ivre de colère, il n’est plus maître de lui même. Le fait que cette scène soit au ralenti accentue la dureté de ce moment. Sa soeur, décomposée, se jette sur le cadavre de Manny. Folle de chagrin, les adjoints de Tony doivent l’obliger à quitter la maison. Ce passage m’a rendue très triste d’autant plus que depuis le début du film, j’avais trouvé attachant le personnage de Manny, et il n’y avait aucun mal à ce qu’il soit tombé amoureux de Ginna. Tony n’a plus personne sur qui compter. Avide de pouvoir, corrompu jusqu’a la moelle, il a ruiné sa vie. Il se pense invincible et protégé par son argent, comme si rien ne pouvait l’atteindre.

A la fin du film, il reçoit un contrat de Sosa qui a pour but d’assassiner un représentant de l’ONU qui veut dénoncer la corruption et les meurtres commis par Sosa et ses complices. Mais Tony ne mène pas à bien le contrat car cela implique la mort d’enfants, et finit par tuer le bras droit d’Alejandro Sosa. Preuve que Tony reste malgré tout encore attaché à certaines valeurs, et n’est pas totalement sans scrupules.  Mais pour lui, c’est la fin. Sosa et ses complices lui déclarent la guerre, un véritable bain de sang a lieu chez lui.

Pendant un instant, il a un moment de lucidité très bref durant lequel il réalise le gouffre qu’il a créé, mais ses délires reprennent le dessus, frénétiques. Les caméras de surveillance qu’il avait fait installer ne servent plus à rien, il ne prête même pas attention aux intrus qui s’immiscent chez lui. C’est une fois qu’il perd ce qu’il aimait qu’il en réalise la valeur. Quand Gina, sa soeur, meurt, il la prend dans les bras, lui parle, lui dit qu’il aime… mais c’est trop tard. Dépassé par la situation, il est à l’apogée de sa folie. Les balles ne semblent même plus l’atteindre. La mitraillette à la main depuis son balcon doré, il hurle, insulte ses ennemis : il se prend pour un Dieu.  Mais pour celui qui prétendait ne jamais se faire enculer, c’est pourtant un coup de mitraillette tiré dans son dos qui achève son règne. Là, il tombe, les bras tendus, et fini sa chute dans sa piscine intérieure, éclaboussant la pièce de l’eau et de son sang.  Une fin à son image, majestueusement dramatique. C’est à ce moment qu’on voit la phrase « Le monde est à vous » (« The world is yours » en anglais), écrite en lettres d’or sur une statue, avec à côté le corps de Tony, gisant inerte. Paroxysme de l’ironie de la situation. La musique de la fin du film renforce l’idée de sa défaite, terrible. Son rêve américain est tombé à l’eau.

Il meurt au milieu de l’empire qu’il s’était créé. Une mort minable dans un endroit qu’il croyait intouchable, glorieux.

Pour moi, Tony est vraiment la caricature de l’homme corrompu et avide. Les plans sur les liasses innombrables de billets, les sacs de dollars acheminés dans les banques, les montagnes de cocaïne, les longs travellings sur les intérieurs kitchs et les tableaux immondes reflètent bien la décadence dans laquelle il est tombé. C’est un trafiquant à la fois pathétique, mégalomane, mais parfois attachant. Parti de rien, Tony essaie de combler ses frustrations par des modèles trompeurs de réussite de la société  américaine. C’est pour cela qu’à certains moments, il m’a presque inspirée de la pitié.  Finalement, il s’est bercé d’illusions et de mensonges, il est comme le tigre enchaîné dans le zoo privé de la villa : enclavé, esclave et captif de son propre système. Quand il succombe instantanément sous le charme d’Elvira, c’est la même chose : il tombe amoureux d’un physique, cliché de la femme américaine parfaite : icône de magazine, un mannequin blond dans une vitrine. Tout est factice. D’une certaine manière, il est le fruit de deux extrêmes, qu’il incarne aussi bien par son ascension écœurante que par sa défaite, inexorable. D’un autre côté, il faut se garder de jugements à caractère moral sur le personnage parfois, car il est victime d’un ensemble de fils qui forment son destin, et auquel il n’échappe pas.

J’ai trouvé le jeu d’acteur d’Al Pacino vraiment excellent, car il aurait été facile de rendre creux, sans envergure ou ridicule le personnage de Tony, mais il parvient à lui donner une humanité et une psychologie complexe. Différents aspects sont intéressants à étudier, comme la liberté, à laquelle Tony aspirait tant. Au final, quand il a enfin tout ce qu’il voulait et qu’il possède la capacité de faire ce qu’il souhaite, il dépense une fortune en divers engins et systèmes de sécurité et de surveillance. Il l’avouera d’ailleurs à son ami Manny : il a besoin de tout ça « pour dormir tranquille ». Mais est- ce vraiment cela la liberté ? Tony a-t-il « travaillé si dur » (selon ses termes) pour vivre dans la crainte ?

Scarface est donc un film que j’ai beaucoup apprécié. C’est une belle découverte, avec des jeux d’acteurs incroyables et une période historique très bien relatée. Il pourrait être étudié pendant bien plus longtemps, en s’intéressant par exemple aux allusions et références du Scarface de Howard Hawks, ayant inspiré Brian de Palma. Pour finir, ce film a également influencé d’autres œuvres, comme Le parrain de Francis Ford  Coppola.

Par MORENO Anaëlle, TG07

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