Une rubrique pour les amoureux du septième art !
Que tu sois cinéphile du dimanche, fan inconditionné d’animation japonaise, nostalgique de la Nouvelle Vague…ou encore cinéphile aguerri, cette rubrique est faite pour toi ! De l’Atelier Critiques du FIFH à des critiques de films en tous genres (ou même de séries) en passant par des informations sur des avant-premièreset les films à venir, tu y trouvera ton bonheur ! Par Emilie Mistrot TG07

Scarface, Brian De Palma

L’intrigue se déroule en 1980, époque durant laquelle le premier ministre de Cuba, Fidel Castro, accorde la liberté d’expatriation à ceux qui en font la demande et autorise ainsi les opposants au régime communiste qui le souhaitent à quitter l’île.  C’est ainsi que anise les Etats Unis offrirent l’asile politique aux immigrés de Cuba opposés au communisme, et environ trois mille bateaux partirent des Etats-Unis pour ramener ces Cubains dépouillés par Castro.

Ce dernier saisit l’occasion pour obliger les propriétaires des bateaux à ramener avec eux les délinquants devenus indésirables dans l’île. Ainsi, sur les 125 000 réfugiés politiques, 25 000 avaient un casier judiciaire dont Tony Montana et ses complices.

Tony Montana, réfugié cubain en Floride, est parti de rien. Avec son bras droit, Manny Lopez, il gravit les échelons au sein de la mafia et se voit accorder toujours plus de responsabilités. Il n’hésite pas à tuer son propre patron et à se marier avec sa femme devenue veuve, Elvira. Mais son besoin de devoir tout contrôler, y compris ses proches, conduit à leur rupture. Rendu fou par le pouvoir, l’argent et la drogue, il donne la mort à plusieurs de ses proches comme sa sœur et Manny, avant de finir lui-même assassiné.

Habituellement, je n’aime pas trop les films violents mais j’ai trouvé Scarface très bien réalisé. Tony, parti de rien au départ, réalise une ascension fulgurante vers la richesse, mais s’enfonce en même temps au plus profond des ténèbres. Après avoir tué son patron, il a tout ce qu’il voulait et semble être heureux. Il épouse Elvira, entretient de très bonnes relations avec Sosa. Il a de bons contacts sur qui compter, offre un salon de beauté à sa sœur Gina, les affaires sont florissantes. Mais il ne respecte pas une des deux règles principales énoncées au début du film par Franck : ne jamais être  dépendant de sa propre camelote. Quand il a enfin acquis tout ce qu’il voulait : l’argent, le pouvoir, une superbe villa et la femme de ses rêves, c’est comme si ses désirs ne s’étaient pas assouvis. Il est pathétique et vulgaire, si bien qu’Elvira lui dira qu’elle préférait son ancien mari Franck Lopez, personnage pourtant ennuyeux. Il  parle d’argent à longueur de journée, devient repoussant. C’est un tueur et délinquant mégalomane qui détruit tout ce qui lui est cher autour de lui.

Deux moments m’ont particulièrement marqué. Le premier, c’est sa rupture violente au restaurant avec Elvira. Il est méprisant avec elle, il lui manque terriblement de respect, l’insulte de junkie alors que lui même est toxicomane. Il lui reproche de ne pas pouvoir avoir d’enfant avec elle, que c’est de sa faute car elle est « pourrie de  l’intérieur ». Mais Elvira s’indigne : quel père ferait-il ? Un pauvre drogué, qui ne pourrait même pas les emmener à l’école !

Elle est désespérée, ne reconnaît plus en Tony l’homme qu’elle pensait aimer et qui lui avait promis une vie heureuse. Quand elle part en le quittant, raccompagnée par Manny, la nouvelle ne l’atteint même plus. Désabusé, il se met à vociférer contre les riches clients du restaurant luxueux. Il les met face à leurs responsabilités. Au moins, Tony assume : il ne se cache pas devant ce qu’il se sait être. Les gens sont tous aveugles dans ce qu’ils voient, et refusent de croire que Tony est le reflet de leur  nature. Ils préfèrent le pointer du doigt et dire que c’est lui « le méchant ». Les Etats Unis ont besoin d’un bouc émissaire comme lui pour endosser tous les mauvais côtés  du système qu’ils ont adopté.

Sa vie et celle d’Elvira n’ont pas de sens. Avec l’argent, la seule chose qu’il a gagné, c’est l’envie d’en avoir encore plus. Tony est là, riche, puissant… et tout seul. Sans famille, sans amis, sans amour, sans personne.

Le deuxième moment qui m’a marqué, c’est quand Tony tue Manny, celui qui l’avait toujours épaulé. Tony a toujours entretenu une relation ambiguë avec sa soeur, presque incestueuse. Il refuse qu’elle soit avec un homme et devient très violent quand elle se fait séduire. Alors quand il voit son meilleur ami dans la même maison que sa soeur, la rage l’envahit. En effet, Manny venait de se marier avec Ginna et le jeune couple voulaient faire lui faire la surprise. Manny, contrairement à Tony, est resté lui même et lucide tout au long du film. Il aurait peut être même pu se contenter du travail qu’il avaient au début du film, dans le snack. J’ai trouvé cette scène très dure à regarder car Tony détruit tout sur son passage. Ivre de colère, il n’est plus maître de lui même. Le fait que cette scène soit au ralenti accentue la dureté de ce moment. Sa soeur, décomposée, se jette sur le cadavre de Manny. Folle de chagrin, les adjoints de Tony doivent l’obliger à quitter la maison. Ce passage m’a rendue très triste d’autant plus que depuis le début du film, j’avais trouvé attachant le personnage de Manny, et il n’y avait aucun mal à ce qu’il soit tombé amoureux de Ginna. Tony n’a plus personne sur qui compter. Avide de pouvoir, corrompu jusqu’a la moelle, il a ruiné sa vie. Il se pense invincible et protégé par son argent, comme si rien ne pouvait l’atteindre.

A la fin du film, il reçoit un contrat de Sosa qui a pour but d’assassiner un représentant de l’ONU qui veut dénoncer la corruption et les meurtres commis par Sosa et ses complices. Mais Tony ne mène pas à bien le contrat car cela implique la mort d’enfants, et finit par tuer le bras droit d’Alejandro Sosa. Preuve que Tony reste malgré tout encore attaché à certaines valeurs, et n’est pas totalement sans scrupules.  Mais pour lui, c’est la fin. Sosa et ses complices lui déclarent la guerre, un véritable bain de sang a lieu chez lui.

Pendant un instant, il a un moment de lucidité très bref durant lequel il réalise le gouffre qu’il a créé, mais ses délires reprennent le dessus, frénétiques. Les caméras de surveillance qu’il avait fait installer ne servent plus à rien, il ne prête même pas attention aux intrus qui s’immiscent chez lui. C’est une fois qu’il perd ce qu’il aimait qu’il en réalise la valeur. Quand Gina, sa soeur, meurt, il la prend dans les bras, lui parle, lui dit qu’il aime… mais c’est trop tard. Dépassé par la situation, il est à l’apogée de sa folie. Les balles ne semblent même plus l’atteindre. La mitraillette à la main depuis son balcon doré, il hurle, insulte ses ennemis : il se prend pour un Dieu.  Mais pour celui qui prétendait ne jamais se faire enculer, c’est pourtant un coup de mitraillette tiré dans son dos qui achève son règne. Là, il tombe, les bras tendus, et fini sa chute dans sa piscine intérieure, éclaboussant la pièce de l’eau et de son sang.  Une fin à son image, majestueusement dramatique. C’est à ce moment qu’on voit la phrase « Le monde est à vous » (« The world is yours » en anglais), écrite en lettres d’or sur une statue, avec à côté le corps de Tony, gisant inerte. Paroxysme de l’ironie de la situation. La musique de la fin du film renforce l’idée de sa défaite, terrible. Son rêve américain est tombé à l’eau.

Il meurt au milieu de l’empire qu’il s’était créé. Une mort minable dans un endroit qu’il croyait intouchable, glorieux.

Pour moi, Tony est vraiment la caricature de l’homme corrompu et avide. Les plans sur les liasses innombrables de billets, les sacs de dollars acheminés dans les banques, les montagnes de cocaïne, les longs travellings sur les intérieurs kitchs et les tableaux immondes reflètent bien la décadence dans laquelle il est tombé. C’est un trafiquant à la fois pathétique, mégalomane, mais parfois attachant. Parti de rien, Tony essaie de combler ses frustrations par des modèles trompeurs de réussite de la société  américaine. C’est pour cela qu’à certains moments, il m’a presque inspirée de la pitié.  Finalement, il s’est bercé d’illusions et de mensonges, il est comme le tigre enchaîné dans le zoo privé de la villa : enclavé, esclave et captif de son propre système. Quand il succombe instantanément sous le charme d’Elvira, c’est la même chose : il tombe amoureux d’un physique, cliché de la femme américaine parfaite : icône de magazine, un mannequin blond dans une vitrine. Tout est factice. D’une certaine manière, il est le fruit de deux extrêmes, qu’il incarne aussi bien par son ascension écœurante que par sa défaite, inexorable. D’un autre côté, il faut se garder de jugements à caractère moral sur le personnage parfois, car il est victime d’un ensemble de fils qui forment son destin, et auquel il n’échappe pas.

J’ai trouvé le jeu d’acteur d’Al Pacino vraiment excellent, car il aurait été facile de rendre creux, sans envergure ou ridicule le personnage de Tony, mais il parvient à lui donner une humanité et une psychologie complexe. Différents aspects sont intéressants à étudier, comme la liberté, à laquelle Tony aspirait tant. Au final, quand il a enfin tout ce qu’il voulait et qu’il possède la capacité de faire ce qu’il souhaite, il dépense une fortune en divers engins et systèmes de sécurité et de surveillance. Il l’avouera d’ailleurs à son ami Manny : il a besoin de tout ça « pour dormir tranquille ». Mais est- ce vraiment cela la liberté ? Tony a-t-il « travaillé si dur » (selon ses termes) pour vivre dans la crainte ?

Scarface est donc un film que j’ai beaucoup apprécié. C’est une belle découverte, avec des jeux d’acteurs incroyables et une période historique très bien relatée. Il pourrait être étudié pendant bien plus longtemps, en s’intéressant par exemple aux allusions et références du Scarface de Howard Hawks, ayant inspiré Brian de Palma. Pour finir, ce film a également influencé d’autres œuvres, comme Le parrain de Francis Ford  Coppola.

Par MORENO Anaëlle, TG07

« Herculine Babin : archéologie d’une révolution », Catherine Marnas, 2022

 

Dans la salle Jean Vauthier du TnBA, c’est le destin d’une jeune fille qui se joue. Un homme est assis, il lave ses mains, doucement. Il se lève, se dirige vers un lit, le découvre de ses draps blancs. Là, la jeune reprend son souffle, elle renaît : Herculine Barbin.  Catherine Marnas, metteure en scène et directrice du TnBA, questionne le genre à travers le destin tragique de la première hermaphrodite, s’appuyant sur les mémoires de cette dernière écrites par Jean-Michel Foucault.

« J’ai beaucoup souffert et j’ai souffert seul. Seul, abandonné de tous. » Que fait-on lorsque l’on a à peine vingt ans et que la vie nous pousse dans le monde des hommes… alors que l’on est née fille ? Herculine Barbin s’est battu contre lui-même, contre la société entière, contre une vie qui l’a laissé. Ce destin tragique devient plus qu’une réflexion du XIXème siècle, se transposant à notre monde contemporain. Catherine Marnas bouleversée par cette histoire se lance dans une adaptation où le combat pour le droit à la différence se poursuit, aujourd’hui plus que jamais. Elle confie : « Je n’avais jamais réalisé l’ampleur du sujet avant de voir de plus en plus de jeunes confier leurs troubles à notre jury. Je me suis demandée ce que cela racontait de notre monde. »

Comment ne pas saluer la performance des deux comédiens ? Herculine est un rôle sur mesure pour Yuming Hey. Il nous transporte dans son interprétation tantôt émouvante, tantôt transcendante. Il nous captive dans son regard, dans ses gestes, dans son individualité toute entière. Yuming Hey vit dans le corps d’Herculine Barbin. A ses côtés, Nicolas Martel interprète différents personnages faisant éruption dans la pièce. Lui aussi, nous captive. Son jeu polyvalent, ses chants et sa sensibilité nous convainquent dès les premières minutes de la pièce.

Avoir vu Herculine Barbin : archéologie d’une révolution c’était faire face à un véritable touchant et plus que marquant.

 

Metteuse en scène : Catherine Marnas

Avec Yuming Hey et Nicolas Martel

Avec la complicité de Vanasay Khamphommala et Arnaud Alessandrin

Conseil Artistique : Procuste Oblomov

Assistanat à la mise en scène : Lucas Chemel

Scénographie : Carlos Calvo

Son : Madame Miniature

Lumière : Michel Theuil

Costumes : Kam Derbali

Production : TnBA

Coproduction : La Comédie de Caen – CDN de Normandie

Par Orakoch SRIJUMNONG

FIFH : Où est Anne Frank !, Ari Folman

Un voyage de tolérance entre passé et présent

Par Emilie Mistrot, élève de terminale 7 et membre de l’atelier critique du Festival international du film d’histoire de Pessac

Avec Où est Anne Frank !, Ari Folman s’adresse à la jeune génération sur la question de la tolérance.

Par des allées et venues dans le passé d’Anne Frank, Ari Folman met en scène la Seconde Guerre Mondiale, dans unr Amsterdam occupér par les nazis, figurés en grands méchants de films enfantins. Seuls personnages masqués, et rappelant le Sans-visage (Kaonashi) dans Le Voyage de Chihiro, on comprend alors que le choix de représentation de ces derniers n’est pas anodin. Le Sans-visage de Miyazaki semblait être dévoué à la jeune fille, prêt à réaliser les pires folies, masquant en réalité un réel besoin de solitude. Son masque de nô symbolisant par ailleurs la dissimulation de soi et la confusion des identités, que l’on pourrait voir dans la représentation des nazis par Ari Folman, formés et endoctrinés dès leur plus jeune âge à servir aveuglement leur führer. En les déshumanisant ainsi, tous représentés de la même manière, Ari Folman lance un message politique antifasciste.

L’esthétique animée du film, permet à la fois d’atténuer la violence et la terreur des événements mais aussi d’utiliser l’imaginaire. C’est alors par des graphismes doux et chaleureux
(hormis lors des scènes représentant les nazis) que Ari Folman peut inventer et créer l’imaginaire. En effet, les couleurs sont harmonieuses et ne sont jamais trop vives, les traits des visages expressifs et les yeux d’Anne Frank pétillants. Les dessins sont par ailleurs accompagnés de musiques mélodieuses et lumineuses lorsque les scènes portent un message de paix. À l’inverse, les scènes représentant les nazis donnent une impression d’enfermement, le ciel est nuageux et sombre, et seul le bruit des pas lourds des soldats se fait entendre. L’imaginaire du réalisateur et surtout de la jeune Anne Frank en adoucissent alors les contours lors des affrontements, par l’intervention des créatures mythologiques et du mythe grec des enfers qui fascinent tant Anne Frank et de nombreux autres enfants.

Par-delà une démarche historique, le réalisateur expose son opinion politique, critiquant la marchandisation moderne des figures du passé. « Anne est partout », tout autour de cet appartement les bâtiments modernes et des ponts ont repris son nom, des pièces de théâtre lui sont dédiées, les centaines d’éditions de son journal sont vendues dans le monde entier et ses mots en deviennent déformés. Le propriétaire du musée qu’est devenu l’immeuble nous apparaît d’ailleurs caricaturé, semblant détaché de l’histoire de la jeune fille et vivant pourtant sur le dos de celle-ci. La façon dont Ari Folman représente ce musée et les touristes qui le visitent semble également faire le rapprochement avec toute l’économie développée sur les souffrances des autres. Notamment, les visites des camps de concentration et d’extermination où les employés sont décrits avec le même détachement que l’homme enrobé.

On remarque par ailleurs tout au long du film l’affichage de sortes d’avis de recherches du fameux journal, en l’échange d’une somme importante en récompense, comme si l’on pouvait donner un prix journal… Ces affiches peuvent alors être vues comme la satire de la propagande, de la publicité, et des préoccupations parfois futiles des sociétés contemporaines. Le rôle central de la mémoire et de la réelle portée des messages de ces anciennes figures est alors présenté comme une responsabilité collective par le réalisateur, mettant en scène la jeune Kitty défendant Anne Frank et critiquant la pièce qui lui est dédiée : « Elle n’a jamais dit ça ! ». Ari Folman veut ainsi faire de ses spectateurs, et notamment de la jeune génération, des héritiers du passés et acteurs du présent. Le parallèle fait avec la situation actuelle des réfugiés et des enfants de réfugiés, longuement décrite et illustrée, s’inscrit alors également dans sa démarche politique. En effet ces derniers sont finalement sauvés par le message d’Anne Frank rappelé par la jeune Kitty : « Faites tout votre possible pour préserver une seule âme. Une seule âme ! ». On peut alors voir un slogan dans le titre du film, dont le point d’exclamation apporte une dimension politique.

Les scènes de flashback finissent toutefois par être lassantes, donnant l’impression que Ari Folman aborde des passages obligatoires de la vie d’Anne Frank, et se prive de raconter l’histoire du présent pour faire retourner Kitty dans le passé. En effet, lorsque Kitty plonge dans le passé de Anne au travers de la lecture du journal, l’encre qui s’évapore donne lieu à des scènes qui deviennent répétitives au point d’avoir le sentiment d’observer un générique de dessin animé à maintes reprises. Elles donnent ainsi lieu à une scène qui paraît indispensable pour le réalisateur, au théâtre Anne Frank, dans laquelle Kitty s’installe parmi les spectateurs, non pour observer le spectacle mais pour plonger dans le journal, demandant à son voisin de la lumière pour lire dans la salle plongée dans le noir. Le sentiment que le réalisateur avait une scène à placer, dans le but d’aborder tous les moments clés de la vie d’Anne Frank mais sans réellement savoir où est alors déplaisant. On se sent par ailleurs soulagé lorsque celles-ci n’apparaissent plus, comme s’il en était de même pour lui, ayant rempli ses obligations. Il est également dommage que certaines répliques et scènes semblent parfois trop enfantines et idéalistes bien que cet aspect pourrait être lié à la jeunesse d’Anne Frank (décédée à 15 ans seulement) et de Kitty. Par ailleurs, la relation que Kitty développe tout au long du film avec un jeune garçon (Peter, apparemment orphelin), alors décrite comme une relation amoureuse dès la première rencontre s’inscrit également dans une démarche plutôt naïve. Si elle peut être vue comme un parallèle avec l’histoire d’Anne Frank et de Peter dans l’appartement d’Amsterdam, elle n’apporte
rien au film. Kitty a été envoyée dans le présent pour faire perdurer le réel message d’Anne Frank et le faire entendre dans le monde entier. La relation amoureuse développée, entre une personne réelle et imaginaire, paraît dès lors superflue, en plus d’être un peu gênante.

Reste que l’appel d’Ari Folman à ses spectateurs retentit avec force, amplifié par un mégaphone. Au travers d’un message de tolérance et d’espoir, le cinéaste apporte son soutien aux familles et enfants réfugiés, victimes d’une histoire en perpétuelle répétition.

Où est Anne Frank !

Belgique, France, Israël, Pays-Bas, Luxembourg, 2021

Titre original : Where Is Anne Frank
Réalisation : Ari Folman
Scénario : Ari Folman, d’après Le Journal
d’Anne Frank
Musique : Ben Goldwasser et Karen O
Genre : animation, historique, fantastique
Durée : 99 minutes
Date de sortie en France : 8 décembre 2021

FIFH : Le Diable n’existe pas, Mohammad Rasoulof

Le lien exécutif

Par Emilie Mistrot, élève de terminale 7 et membre de l’atelier critique du Festival international du film d’histoire de Pessac

Dans un Iran totalitaire et répressif, Mohammad Rasoulof met brillamment en scène quatre récits liés par l’extrême violence d’une loi toujours en vigueur dans le pays : la peine de mort.

C’est dans une dimension politique que Mohammad Rasoulof fait de son film un plaidoyer contre la peine de mort, nous entrainant dans la vie quotidienne de personnages sans cesse tourmentés. Les quatre récits indépendants s’imbriquent ainsi les uns les autres comme s’il s’agissait de courts-métrages, séparés par des écrans noirs. Le premier est particulièrement perturbant : la responsabilité individuelle et la liberté de conscience rongent les personnages, magnifiquement interprétés. Les interprétations d’Heshmat (Ehsan Mirhosseini), le père de famille hanté par son travail, de Pouya (Kaveh Ahangar), jeune homme conscrit réticent à tuer, de Javad (Mohammad Valizadegan), prisonnier d’un dilemme cornélien ou encore de Bharam (Mohammad Seddighimehr), prenant une décision cruciale pour sa fille, sont toutes d’une justesse et d’un réalisme impressionnants. Si certains personnages répondent alors avecobéissance au régime, d’autres affirment leur refus catégorique et se rebellent, chacun à leur manière.

Tourné en clandestinité, toute la puissance du film réside dans des scènes clés, parfois choquantes. La toute première scène nous induit d’ailleurs en erreur, montrant Heshmat aidé par un autre homme en train de porter un grand sac lourd dans le coffre de sa voiture. On pense alors à un meurtre avec Heshmat dans le rôle de l’assassin , possiblement sous les ordres du régime. Puis vient
le contrôle du véhicule. Un garde ouvre le coffre et lui demande ce dont il s’agit. Un simple sac de riz, la provision annuelle du père de famille. Bienvenue en Iran, un pays où l’on cache son
approvisionnement de riz comme on dissimulerait un cadavre. Bienvenue dans la dictature. Par ailleurs, la dernière scène de ce premier récit ébranle : la découverte du métier complétement
inhumain de Heshmat, appuyant sur un simple bouton qui met fin à toute une vie, plongeant la caméra et notre regard dans la pièce d’en face, où le dernier jugement des prisonniers est rendu. Heshmat, le jeune Pouya du deuxième récit et Javad, du troisième sont en réalité des bourreaux, forcés sous la pression du régime, sous peine de passer de l’autre côté de cette pièce. La scène dure, et nous force à regarder uniquement les pieds et les jambes tendues des prisonniers impuissants, pendus, pour lesquels nous savons que l’acte qu’ils subissent n’est pas justifié. Dans un contexte aussi oppressif, la magnifique esthétique de l’œuvre impressionne. La voie des hurlements et de la rébellion violente n’est pas la bonne, et Mohammad Rasoulof l’a compris. Il nous transporte alors
avec délicatesse vers le régime totalitaire, au travers de paysages splendides et d’une photographie attentionnée. Le réalisateur n’hésite pas à prendre son temps afin de capter tous les moments de la vie de ses personnages. Pour autant, au fil des scènes, une colère profonde se fait ressentir. La ferme volonté de la paix et de la libération de son pays. Pour cela, Rasoulof n’hésite pas à filmer le quotidien des hommes et des femmes vivant en Iran. Il s’amuse d’ailleurs à accompagner cette esthétique des plans par des musiques parfois entrainantes, comme « Bella Ciao », qu’il utilise à deux reprises afin de nous faire comprendre le lien qui unit le deuxième et le dernier récit, dans le cadre d’une insurrection du peuple, d’une rébellion, au cœur d’un soulèvement révolutionnaire. Pour autant, le réalisateur sait aussi poser un silence lorsqu’il le faut. Certains plans fixes nous plongent alors dans des sons naturels et un calme plat : Heshmat en voiture, très tôt le matin alors qu’il fait encore nuit, laissant le feu passer au vert plusieurs fois avant de démarrer, comme s’il prenait le temps de devenir quelqu’un d’autre, d’être absent, hors de lui-même, afin d’aller vers l’horreur quotidienne qu’il est forcé de réaliser ; Javad et la femme qu’il souhaite épouser, appuyés chacun sur le côté d’un arbre, le regard perdu vers la rivière, faisant face à une affreuse nouvelle, comme surveillés par l’uniforme du militaire disposé de façon humaine sur les branches d’un arbre à leur droite, tel un spectre de la terreur du régime qui les observe. La représentation des femmes est d’ailleurs une facette importante du film tout au long des quatre récits. En effet, si les personnages principaux semblent toujours être des hommes, ils sont tous accompagnés par des rôles féminins, les guidant à travers le régime despotique. Elles aussi voguent entre intégrité et révolte, avec force et fragilité, poussant parfois les hommes à l’acte de rébellion : Elle m’a dit « Tu peux le faire », titre du deuxième récit s’opposant aux ordres du régime : « C’est ton devoir. Tu n’as pas le choix ».

La portée philosophique du film rappelle alors le concept de la « banalité du mal » théorisé par Hannah Arendt. Lorsqu’elle est acceptée par les populations, elle leur permet de vivre aisément, mais sous peine d’une force mentale incorruptible (Heshmat). Elle apporte également le mensonge et la souffrance, et pousse à créer une opposition : « À quoi bon dire une vérité qui détruit la vie de l’autre ? ».

Mohammed Rasoulof blâme alors avec brio et poésie la situation alarmante de son pays, condamné par son régime à vivre dans l’oppression, la peur et la révolte. Film humaniste, poignant et lumineux, Le Diable n’existe pas s’inscrit ainsi parmi les nombreux chef-d’œuvre, cherchant à prouver toute la beauté que l’Iran peut nous offrir.

Le Diable n’existe pas

Allemagne, Iran, République Tchèque, 2021

Réalisateur : Mohammad Rasoulof
Acteurs : Ehsan Mirhosseini, Kaveh Ahangar, Alireza Zareparast, Salar Khamseh
Genre : Drame
Distributeur : Pyramide Distribution
Durée : 2h32mn
Titre original : Sheytan vojud nadarad
Date de sortie : 1er décembre 2021

FIFH : Miss Marx, Susanna Nicchiarelli

Une flamme mal ravivée

Par Orakoch Srijumong, élève de terminale et membre de l’atelier critique du Festival international du film d’histoire de Pessac

Pour son 4ème long métrage, Susanna Nicchiarelli s’attaque à la figure méconnue d’Eleanor Marx, fille cadette de Karl Marx. La réalisatrice met en avant, tant bien que mal, la femme brillante et intelligente que Tussy, comme ses proches l’appelaient, était. Elle met ainsi en lumière ses combats politiques sur le travail des prolétaires et son activisme féministe. Sa passion pour Edward Aveling causera sa fin. Susanna Nicchiarelli raconte ce pan de l’histoire moderne en l’accompagnant d’une musique punk-rock, afin de créer un effet anachronique.

Le film s’ouvre par un gros plan sur le visage d’Eleanor, bercé par les guitares et les cris de « Wave of History » des Downtown Boys. Le ton est donné. Le personnage principal nous apparaît déjà comme en marge de sa société. Elle nous est montrée comme visionnaire, à la tête du mouvement féministe. Elle se distingue par ses costumes moins habillés et plus colorés, synonyme de sa part d’excentricité, marquée durant l’entièreté du film. Très colorées, les images sont belles, comme dans la scène où les cendres d’Engels sont jetées : le paysage bucolique (une barque sur une rivière mouchetée de rayons de soleil) apporte de la douceur et un moment de calme au film. Avant que « l’Internationale » entonnée a capella par le cortège se transforme, dans la scène d’archives qui suit, en hymne punk. Le calme côtoie ainsi toujours la tempête, comme dans la relation toxique dans laquelle la jeune Marx se trouve, nous montre bien les malheurs qu’a pu rencontrer l’héroïne durant sa vie.

Filmer et raconter le destin d’Eleanor est un choix judicieux et une prise de risque importante, mais qui ne paye pas vraiment. Voir Miss Marx c’est faire face à un univers décalé accentué par la bande-originale moderne au film mais qui n’est pas en adéquation avec les idéaux politiques véhiculés, au lieu de renforcer ceux-ci, elle crée simplement un décalage qui ne produit pas grand-chose. La musique exprimant la rage et la vivacité de Tussy crée des fractures, que l’on ne peut rater, avec son personnage aux allures calmes. Nous pouvons aussi regretter que le long métrage soit plus centré sur son histoire d’amour avec Edward Aveling que sur les combats menés par E. Marx. Bien que les acteurs soient convaincants, on s’attend au départ à une mise en scène et des dialogues plus concrets, nous éclairant sur la vie d’Eleanor Marx. Les scènes s’enchaînent et se brouillent, nous laissant parfois dans une incompréhension totale. À la fin du film, Tussy, après qu’Aveling soit enfin rentré après des mois, délivre un long discours sur la condition des travailleurs et des femmes de son siècle, puis se met à danser comme une folle sur un nouveau morceau des Dowtown Boys. Dans la séquence suivante, elle se suicide, ce qui ne peut que laisser dubitatif.

Sur le papier, le fait de faire un biopic sur une femme avant-gardiste semble être une bonne idée, mais les choix forts de mise en scène de Susanna Nicchiarelli rendent le long métrage confus. On ne s’attarde que trop peu sur Eleanor Marx et ses idéaux, et plus le film avance, plus l’intérêt disparaît. Il ne reste finalement qu’une impression de fadeur et d’ennui.

 

Italie, Belgique, 2020

Réalisation : Susanna Nicchiarelli

Image : Crystel Fournier

Décors : Igor Gabriel, Alessandro Vannucci

Son : Aldriano Di Lorenzo

Durée : 107 minutes

Casting : Ramola Garai (Eleonor Marx), Patrick Kennedy (Edward Aveling), John Gordon Sinclair (Friedrich Engels)

FIFH : Leave no traces, Jan P. Matuszynski

Parole en guise de parure

Par Orakoch Srijumnong, élève de terminale et membre de l’atelier critique du Festival international du film d’histoire de Pessac

Ne pas laisser de traces. Alors que reste-t-il ? Mis à part le combat, mis à part la parole. Dénoncer les miliciens c’est se jeter dans la gueule du loup. Jurek (Tomasz Zietek) décide de témoigner dans un régime où l’on cherche à faire taire. Dès le début du film, dans une scène où un jeune homme se fait passer à tabac en hors champ, les policiers masquent la vue du témoin de leur violence. On ne voit pas, on entend : les cris suffisent à remplir les images. Cela nous plonge dans une atmosphère de répression et de manipulation étatique qui restera présente du début à la fin. En 1983, Jurek, jeune poète, rejoint son ami Grzegorz Przemyk pour fêter la fin de son baccalauréat à Varsovie. Ces derniers se font arrêter sans raison et le jeune bachelier meurt quelques jours après après le lynchage subi. Commence alors une quête de vérité opposant le régime polonais et son peuple, sur laquelle repose Leave no traces.

La pomme de la discorde vient d’être jetée au sein du gouvernement du Général Jaruzelski, marquant ainsi un réel jeu d’ombre et de lumière autour de cette affaire, appuyée par la mise en scène jouant sur les points de vue des différents partis. Les scènes alternent politiques et personnages centraux et sont contrastées. Du côté des politiques, des couleurs froides nous ramènent vers les enjeux du gouvernement cherchant à étouffer l’affaire afin de préserver son pouvoir. Il s’agit pour les hommes politiques d’écarter ce lynchage, pourtant pas anodin et isolé, des projecteurs des médias et de l’opinion publique. Dans le camp où on lutte pour la vérité, les nuances chaudes des costumes choisis ou des plans toujours bien éclairés créent un fossé avec le gouvernement. Ici, c’est la vérité qui est recherchée, non le secret. De plus, le point de vue changeant et les scènes filmées à l’épaule donnent au long métrage un rythme soutenu, tout comme le combat que mène Jurek et Barbara, mère de Grzegorz (Sandra Korzeniak). Ce combat d’une vie, confrontation directe avec le régime totalitaire polonais, est le témoignage de la manipulation que subit le peuple, vivant dans une peur quotidienne.

Le film nous entraîne alors de plus en plus dans le destin de Jurek et Barbara, tout aussi décourageant qu’illusoire. Ils sont victimes d’un système corrompu qui met tous les moyens d’action en place pour faire oublier les faits. Chaque victoire se transforme en échec minutieusement organisé par un régime machiavélique et l’espoir est évincé. L’intériorité des personnages se dévoile à travers leurs doutes et trahisons. L’un voit son père (Jacek Braciak) le dénoncer et sa famille se dissoudre lentement, l’autre finit par se retirer du procès sous la pression et la fatigue morale. Dans la scène de procès longtemps repoussée, Jurek se retrouve face à une procureure indifférente et corrompue. Matuszynski capte alors de manière poignante l’abandon progressif de Jurek, qui finira par ne plus répondre aux questions et simplement répéter sans cesse une même phrase, reflétant son désespoir de ne pouvoir avoir droit à un procès juste.

Jan P. Matuszynski nous livre une critique des systèmes politiques post-soviétiques. L’adaptation de ce fait divers controversé est un témoignage fort de la violence policière en Pologne durant l’Etat de siège. Le réalisateur parvient à nous plonger dans la nostalgie, à travers les décors, les costumes ou encore le choix de la musique centré sur le rock des années 1980. Ce sont certainement les bascules de point de vue et le jeu des acteurs qui font de Leave no traces un film fidèle à ses idéaux de liberté et de justice qui laissera, sans aucun doute, des traces.

Pologne, 2021

Réalisation : Jan P. Matuszynski

Costumes : Malgorzata Zacharska

Photographie : Kacper Fertacz

Montage : Przemyslaw Chruscielewski

Durée : 2h40

Casting : Tomasz Zietek (Jurek Popiel), Jacek Braciak (Tadeusz Popiel), Sandra Korzeniak (Barbara Sadowska)

FIFH : L’évènement, Audrey Diwan

Le paradoxe des années 60 : entre soif de liberté et censure

Par Julie Colliou, élève de terminale 7 et membre de l’atelier critique du Festival international du film d’histoire de Pessac

Le destin d’Anne (Anamaria Vartolomei) qui prend un tournant inattendu est mis en parallèle lors d’une visite médicale à celui d’un jeune homme étudiant en lettres tout comme elle, tous deux promis à un grand avenir. La seule différence entre ces deux êtres est que le futur d’Anne semble quant à lui basculer vers un futur incertain. En adaptant le roman autobiographique choc d’Annie Ernaux, Audrey Diwan aborde les injustices des années 60 en France.

La réalisatrice fait le choix d’émouvoir les spectateurs par des scènes crues sans pour autant être violentes visuellement. Au lieu de chercher à présenter les interventions précaires avec des éléments explicites, elle met en scène des plans rapprochés permettant de se plonger pleinement dans la scène et d’en percevoir les plus subtils détails. Aussi, il n’y a pas seulement la proximité avec le corps d’Anne qui est frappante mais également le contexte social du parcours de la jeune fille qui doit traverser seule cette tragédie en raison du tabou de la question.

Tout au long du film, Anne demeure confiante. Elle est convaincue qu’elle parviendra à trouver un moyen de mettre un terme à la grossesse ou du moins cherche à se convaincre de ceci. Ce caractère obstiné dépeint tout d’abord une forme de naïveté de sa part étant persuadée que quelqu’un lui viendra en aide puis, elle se résout à agir seule, livrée à elle-même. Cette détermination sans faille souligne le fait que la souffrance physique ressentie lors de l’avortement apparaît comme infiniment inférieure à celle de la condamnation à vivre avec un être que l’on ne désire pas. Ainsi, Diwan révèle le parcours tumultueux d’Anne mais durant lequel elle ne se détourne jamais de son objectif. Et sachant que cette question s’adresse uniquement aux femmes et que celles-ci soient résolues à avorter, comment se fait-il que l’opinion publique s’y oppose quitte à braver leur santé et ainsi le bien-être de la mère et du fœtus ? Paradoxe d’autant plus élevé que comme le souligne Guy Bedos “Ceux qui sont contre l’avortement sont ceux-là mêmes qui sont pour la peine de mort”.

Au début du récit conté par Diwan, une majorité de personnages s’opposent à l’IVG et nient les possibles transgressions à la loi mais, ce premier constat évolue lorsqu’on aborde la question à l’échelle de l’individu et non d’après un ensemble. Cette image relève de l’influence de la société et de son diktat. Ainsi, certains finissent par s’engager dans cette lutte clandestine en s’émancipant de la censure exercée par la société. C’est notamment le cas d’une femme au visage dur qui à la manière d’Isabelle Huppert dans Une affaire de femmes, vient en aide à ses femmes en pratiquant l’avortement. Ce sujet lourd est pertinemment traité et heurtant par son réalisme. En effet, l’œuvre met en scène un chemin particulièrement long et douloureux. Cela le rend plus crédible puisqu’au-delà de ce qui est souvent présenté comme un dilemme pour la femme, le plus dur dans l’histoire d’Anne est de trouver de l’aide et de réaliser l’intervention dans des dispositions insalubres.

La réalisatrice prend des libertés de réalisation par rapport au roman qu’elle adapte en ne décrivant pas en détail les pensées de la protagoniste. Ce manque d’informations quant aux songes et aux émotions de celle-ci peut ainsi lui être reproché. Contrairement à l’œuvre originale formulée sous la forme d’un dialogue intérieur, le personnage est presque déshumanisé par l’absence de ses états d’âme bien que ce flou pourrait être interprété comme précisément la distance placée entre elle et le fœtus et la volonté de s’en détacher.

Ce film soulève de nombreuses problématiques de la société et résonne comme un appel à la tolérance face à un tel sujet qui constitue toujours un vif débat. Et ce, malgré l’acquisition de ce droit en France avec la loi Veil de 1975. La prise de position de certains acteurs extérieurs à la question apparaît comme hautement problématique.

Ainsi, ce qu’on peut voir comme le meurtre d’un enfant correspond à l’échelle de la femme à sa propre mort puisque cet évènement la conduirait à remettre sa vie en cause et à renoncer à de nombreux aspects de celle-ci. Ne pas avorter apparait finalement comme le “choix” le plus cruel lorsque la vie de la femme et son épanouissement sont compromis. Et corroborant la vision de Simone Veil le film argumente le fait qu’“aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes »

 

L’évènement

France, 2021

Réalisation Audrey Diwan

Scénario Audrey Diwan,  Marcia Romano, Anne Berest

Direction artistique Omid Gharakhanian

Photographie Laurent Tangy

Son Antoine Mercier, Philippe Welsh

Décors Diéné Bérète

Montage Géraldine Mangenot

Musique Evgueni Galperine, Sasha Galperine

Production Edouard Weil et Alice Girard

Distributeur Wild Bunch

Durée 1h40

Sortie France 24 novembre 2021

FIFH de Pessac : Le Jeune Karl Marx, Raoul Peck

Critique de la critique critique

Par Julie Colliou, élève de terminale 7 et membre de l’atelier critique du Festival international du film d’histoire de Pessac

Un an après le succès d’ I am not your negro, Raoul Peck relève avec Le Jeune Karl Marx le défi de représenter la figure de l’homme avant celle du philosophe. Il vise ainsi à humaniser Marx (August Diehl) en allant au-delà de son travail et en s’intéressant davantage au contexte de l’une de ses œuvres majeures, Le manifeste du parti communiste. Le film le suit ainsi au cours de ses jeunes années (1843-1848).

Peck dresse un portrait simple du personnage en le montrant dans des situations quotidiennes banales. On y perçoit ses failles, ses qualités mais aussi ses tourments et on parvient à entrer dans son intimité. Les scènes avec sa femme et ses filles sont touchantes et permettent de le voir sous un angle nouveau, assez peu abordé. Son caractère passionnel qui se ressent dans ses écrits est développé à travers sa relation d’une complicité extraordinaire avec son épouse (Vicky Krieps). Cet aspect fusionnel se manifeste à l’écran par des regards, des sourires ainsi que par une confiance totale en l’autre.

L’élément central du film n’est pas seulement le développement des idées politiques mais aussi son amitié naissante avec Engels (Stefan Konarske), qui demeurera à ses côtés jusqu’à la fin de sa vie. Ce choix installe le climat d’un buddy movie centré sur ces deux révolutionnaires que tout semblait au premier abord opposer. Engels transparaît en effet comme un être libre, plein de fougue là où Marx semble plus torturé par ses recherches et par sa théorie récente de la lutte des classes. Cet antagonisme révèle la complémentarité qui leur sera hautement bénéfique au cours de leur carrière.

Suivant ce principe, contrairement à ce que le titre semble indiquer, Marx n’est pas le seul protagoniste du film. On y observe en effet l’importance de son ami, Engels à qui il s’associe dans la ligue communiste ainsi que celle de sa femme qui participe activement à sa carrière et qui lui assure un soutien affectueux mais aussi politique. Celle-ci provient de la haute aristocratie allemande mais fait le choix de s’affranchir de son titre en s’engageant pour ce qui lui paraît plus juste. Elle met de ce fait en avant des valeurs d’amour, de mérite et de justice sociale.

Suivant le principe du buddy movie, Raoul Peck parvient à remettre l’œuvre de Marx au goût du jour en proposant une vision du philosophe et surtout de l’ami, du conjoint, du père, accessible à tous. Le film n’en est que plus divertissant et ne se résume ainsi pas seulement à la simple contextualisation de la pensée marxiste et du principe de lutte des classes.

La scène de sa deuxième rencontre avec Engels appuie cette idée puisqu’on le voit s’amuser auprès de ce jeune homme qu’il apprend tout juste à connaître et avec qui les échanges sont pleinement spontanés. Une forme d’insouciance juvénile transparaît également lorsqu’ils prennent la fuite devant les autorités, qu’ils s’engagent dans une direction différente pour finir par se retrouver, à bout de souffle.

On peut néanmoins reprocher au cinéaste le manque de singularité et de prises de risque quant à au récit qui suit de manière trop linéaire le parcours de Marx, Engels et Jenny.

Le réalisateur le conclut par la publication solidaire du Manifeste du parti communiste suivi par une multitude d’images d’archives, de vidéos, de témoignages qui mènent progressivement à l’époque contemporaine. Ainsi, avec en fond la chanson iconique de Bob Dylan « Like a rolling stones » qui modernise le récit, on constate l’impact toujours perceptible de Marx, d’Engels et de leurs actes qui tendent  à changer le monde et de leur théorie de la lutte des classes.

 

Le Jeune Karl Marx

France, 2017

Réalisation Raoul Peck

Scénario Pascal Bonitzer, Raoul Peck

Production Agat Films & Cie, Velvet Film, Rohfilm, Artémis Productions

Distribution Diaphana Films, Neue Visionen Filmverleih, Cinéart

Montage Frédérique Broos

Musique Alexei Aigui

Durée 1h57

Sortie 27 septembre