Sukkwan Island de David Vann : hystérie collective ?

Avec un titre aussi américain (qui n’est pas sans rappeler le Shutter Island de D. Lehane), le livre de David Vann ne pouvait que nous décevoir. Pourquoi ? Parce que cela fait longtemps que la littérature américaine se résume (et c’est dramatique) à P. Roth (qui attend patiemment son Nobel) et J. Irving. Evidemment, cela est absurde et faux, mais il est légitime de se demander ce que viennent faire dans la cour des grands (qui sont aujourd’hui proches de devenir des mythes) de nouveaux auteurs, alors que tout avant eux semble avoir été fait et (très) bien fait.

Eh bien David Vann nous prouve brillamment qu’il n’a rien à envier à ceux que l’on pourrait considérer (à tort) comme ses maîtres. Son livre (et c’est très rare) ne peut pas être lâché. Alors, bien sûr, son roman pâtit parfois du fait que l’auteur est encore un débutant, que c’est un premier roman, et qu’il ne maîtrise pas encore les artifices, ou plutôt les roueries qui, on le sait sans soi même les maîtriser, tranchent entre un bon roman et une merveille littéraire. Les descriptions, trop longues et souvent inutiles, alourdissent considérablement le cours du récit.

Reste quand même, plusieurs mois après la lecture, un indicible sentiment de rancœur, d’écoeurement presque, sans nul doute recherché avec succès par l’auteur, ainsi qu’une formidable réflexion sur l’éphémérité de la vie humaine, et plus encore celle d’un enfant. Inutile de dire, qu’avec autant de talent, on promet à David Vann un long et brillant avenir littéraire. Pour l’exemple, on peut remarquer le subtil changement de narrateur, vers le milieu du roman, dont un coup de feu est l’annonciateur.

L’histoire peut paraître simple, cet imbroglio de désamour père fils, de divorce mal digéré,  de décrépitude adolescente, d’hystérie familiale, qui finit (évidemment) par le drame qu’une quatrième de couverture oh combien maladroite nous avait trop tôt annoncé. Et pourtant rien n’est moins prévisible que ce que l’auteur, à l’esprit visiblement torturé par une enfance apocalyptique, a prévu pour nous. L’apparente sobriété de la forme – oui, et peut-être aussi du fond – cache en fait l’extrême complexité du thème abordé, mais surtout de sa portée. Ce livre est donc une merveille de ce dont la littérature a tant besoin, ce qu’elle réclame avec avidité et rapacité et que si peu d’auteur savent lui donner : le renouveau. La deuxième partie de l’œuvre est passionnante, menée d’une main de maître, à une vitesse folle, le lecteur est sans cesse plongé à la limite entre la vie et la mort, cette limite que la littérature aime tant décrire – avec plus ou moins de succès, précisons-le.

Si la figure paternelle est passionnante, celle du fils, qui est pourtant censée être la principale, laisse quelque peu à désirer : on attendait un peu plus de tragique, de ressentiment envers tout ce que sa famille peut (ou pas) lui apporter.

Mais le père, donc, est tout simplement ensorcelant. Rien ni personne ne peut le cerner, lui qui est déchiré entre l’amour de son fils, une farouche hostilité vis-à-vis du monde qui l’entoure et un égoïsme inqualifiable. Le lecteur se plaira à tenter de le comprendre, de l’analyser, alors même qu’il va de l’évidence que ce personnage est tout simplement incompréhensible, comme en témoignent ses pleurs nocturnes qui terrorisent son fils et que, le matin, le père semble avoir oublié. Tout ce que le père a d’amour, il le voue à son fils ; le reste n’est que déni d’appréhension, et de lui-même.

Comment réagit-il face au drame ? De manière on ne peut plus banale, en fait. Peut-être, surtout, que l’amour est affreusement banal, même chez un personnage que l’on sait hors du commun. Alors, on comprend ce qu’il a d’étrange, voire de malsain, chez ce personnage, qui s’oppose incessamment à ce qu’il avait montré quelques pages auparavant. Ce père au comportement imprévisible, glauque, à l’humour si noir qu’il en devient répugnant. On se souviendra notamment de : « Le gamin n’avait pas si bonne mine, t’es un sacré père et un vrai comique », ou encore : « J’ai un gamin en pleine croissance avec moi, un gamin costaud » alors que, rappelons-le, le gamin en question n’est plus de ce monde – pour utiliser un euphémisme qui choquera moins les âmes candides qui n’avaient pas, dès la troisième page, prévu le drame. Voilà comment réagit cet homme torturé face au drame le plus désastreux qui puisse arriver à un père.

Pourtant, au fil des pages, le lecteur comprend vite que, malgré les apparences, rien n’est écrit, et que, finalement, l’horizon romanesque est on ne peut plus ouvert, et c’est ce qu’il y a d’excitant avec un livre de cette ampleur. Au final, ce voyage n’aura fait qu’exacerber et mettre au grand jour les douleurs que chacun, dans la vie quotidienne, refoulait allègrement.

David Vann nous livre donc un premier ouvrage oppressant, à l’ambiance si bien décrite qu’elle en devient grisante, un livre qui prend aux tripes ; aucune fioriture, aucun mot de trop. Il est heureux qu’il n’ait pas tenu à cœur à l’auteur (et surtout à l’éditeur) que son ouvrage fasse plus de pages, car, ne nous voilons pas la face, cela est très souvent le cas, et l’éditeur (si la faute lui revient) est alors responsable d’un gâchis phénoménal. On est évidemment impatient de savoir ce que ce dernier a encore à nous offrir.

Sukkwan Island de David Vann, Gallmeister 2010.

Axel Maybon, classe de terminale 703, lycée Barthou de Pau, janvier 2011.

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