et quelle musique !

À la prérentrée, on discute le bout de gras pédagogique. Quand vient la généreuse idée des échanges de services, chacun avance des arguments préparés de longue date pour défendre la matière qu’il a envie d’enseigner. Cette année, personne ne s’est battu pour l’histoire. Matière que j’aurai bien laissée à d’autres mais dont j’ai hérité par un concours de circonstances malheureuses et une incapacité viscérale à contrarier mes collègues.

service-histoire

Cette semaine, premier échange de service avec ma collègue : Histoire contre Musique (elle vient chez moi, je vais chez elle). C’est toujours une aventure de sortir de sa classe pour découvrir les autres élèves dans leur « milieu naturel ». Je range mon bureau pour contrecarrer ma réputation d’enseignante « bordélique ». Je rappelle à mes élèves les règles élémentaires de bonne conduite pour laisser entendre à ma collègue que je dirige ma classe telle une cheffe d’orchestre… à la baguette.

Tel Napoléon conquérant

Armée de mes fiches de préparation, je traverse les couloirs d’un pas décidé et déterminé à faire pâlir l’aplomb de Napoléon. J’entre dans la classe, un sourire accroché aux lèvres, consciente que dans nos sociétés consuméristes, la forme l’emporte souvent sur le fond. Après de conventionnelles et chaleureuses présentations, je propose un travail en groupe et une question ouverte, introductrice du travail à venir. Je sens la lourdeur des regards de ceux qui calculent et évaluent mon éventuelle capacité à endurer leur résistance naturelle au travail. Je passe outre ce petit désagrément et circule entre les tables au risque, compte-tenu de l’étroitesse des allées, de me couvrir de bleus. Des cartables minent mon parcours mais je parviens à les enjamber avec brio (le 110m haies est une épreuve bien plus fade et moins périlleuse, croyez-moi !). Le volume sonore de la classe augmente ostensiblement et une mise au point s’avère nécessaire. Les effets de ce recadrage sont aussi immédiats qu’éphémères (ah, l’autorité, quand tu la tiens…).

Un enfant lève le bras avec insistance depuis un bon bout de temps. Je l’invite à prendre la parole avant qu’il ne se luxe l’épaule. Après un temps qui me paraît fort long, je me promets de couper son monologue dès sa première inspiration. Hélas, le bougre semble avoir deviné mon intention et parle en quasi-apnée. Jacques Mayol n’aurait pas fait mieux ! Hélas, le fil de sa réponse s’est perdu dans les méandres de ses pensées complexes et je me retrouve avec une pelote impossible à détricoter. J’ai à cœur de mettre en avant la presque pertinence de ses propos, son excellent débit verbal mais mon professionnalisme m’incite à lui faire comprendre qu’il ne sera jamais évalué à la quantité de mots émis (n’est pas Balzac qui veut). Ma bienveillance pédagogique me contraint à enrober mes remarques qui restent très positives et encourageantes. Je sens mon locuteur me fixer en plissant légèrement les yeux, tel un fauve concentré sur sa proie. Je me tourne vers son AVS (Assistante de Vie Scolaire). Je lis sur son visage l’annonce d’une catastrophe. On peut lire sur le mien l’incompréhension la plus extrême jusqu’à ce que mon élève volubile brise ce moment hors du temps :

« Putain, elle nous pète les couilles celle-là avec son histoire à la con ! En plus, elle va nous emmerder tous les jeudis ! C’est trop nul l’histoire…» lâche-t-il légèrement courroucé.

Oups…

Je n’étais pas sûre d’avoir entendu ce qui venait d’être proféré. Mais à l’expression contrite de l’AVS, je prends vite conscience que ce moment de grâce langagière a bel et bien existé.

La sonnerie de fin de journée, d’ordinaire agressive à mes oreilles, résonne comme une délivrance légère et mélodieuse.

Je traverse les couloirs d’un pas lourd et accablé en empruntant à César sa citation légèrement altérée par la situation « Je suis venue, j’ai vu, j’y r’tournerai plus ».

Une chronique de Fabienne Lepineux

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