Ce jeudi 21 novembre, les élèves de la section Histoire des Arts du lycée se sont rendus dans la capitale des Gaules pour visiter la Biennale d’Art Contemporain de Lyon. Départ à 10h de la rue Buffon!
Au cours de cette journée lyonnaise, les élèves ont pu découvrir certains des artistes les plus en vue du moment ; quelques belles découvertes… et quelques interrogations!
D. C., élève de terminale HIDA fac partage avec nous certaines de ses impressions. Il s’agit d’extraits de son compte-rendu de sortie.
« A l’issue de cette visite, il nous a été demandé de sélectionner six œuvres qui nous ont particulièrement plu. Huit d’entre elles m’ont en réalité conquise mais je me contenterai d’en retenir six afin de respecter la consigne [et seulement trois seront sélectionnées pour ce billet de blog!]
Thomas Feuerstein tout d’abord. Ce artiste est né en 1968 ; il vit actuellement à Vienne. Après avoir étudié l’histoire de l’art et la philosophie, il s’engage dans la recherche et décroche un doctorat. C’est aussi un écrivain qui a notamment écrit pour le magazine autrichien Medien Kuns Passagen. Multitâche, Thomas Feuerstein a su exploiter et réinvestir le produit de ses études dans son métier d’artiste. Il a ainsi imaginé une œuvre totalement folle mais aussi très ingénieuse inspirée par le mythe de Prométhée, Prométheus delivered. Ce mythe, comme chacun sait, raconte le vol du Feu par ledit Prométhée, et ce afin de le transmettre aux hommes. Mal lui en prend car il est puni et condamné, de ce fait, par Zeus, à une sentence horriblement cruelle : il est en effet condamné à avoir le foie dévoré chaque jour par les Aigles du Caucase. Ce supplice déjà horrible en lui-même est rendu éternel par le fait que, chaque nuit, son foie se régénère pour que le supplice puisse se renouveler… continuellement!

Thomas Feuerstein, Prometheus Delivered (détail), 2017-2019. Courtesy de l’artiste, de la Biennale de Lyon 2019 et gallery Elisabeth & Klaus Thoman, Innsbruck/Vienne
Thomas Feuerstein a donc choisi, comme indiqué dans l’intitulé de l’œuvre, de délivrer ce personnage mythologique. Il commence tout d’abord par recréer une sculpture en marbre de Prométhée avec ses Aigles, d’après un modèle du XVIIIe siècle. Dans un bioréacteur faisant partie de l’oeuvre, il crée ensuite un mélange composé d’eau, de pierres de fer et de sulfure, et ce afin de créer les conditions propices à la « naissance » d’une bactérie mangeuse de pierre! Ce mélange va ensuite être transporté par des tuyaux jusqu’à la sculpture. En s’écoulant sur elle, le mélange va provoquer son érosion et le charger de calcaire. L’artiste a choisi d’acheminer cette eau devenue calcaire à travers des tuyaux, et ce jusqu’à un autre bioréacteur situé à droite de la statue. Par un système de goutte à goutte il va venir reproduire la forme d’un foie à la manière d’un stalactite. Ce foie, c’est, évidemment, celui de Prométhée délivré par Feuerstein de sa sentence!! CQFD!

Thomas Feuerstein, Prometheus Delivered (détail), 2017-2019. Courtesy de l’artiste, de la Biennale de Lyon 2019 et gallery Elisabeth & Klaus Thoman, Innsbruck/Vienne
Et ce n’est pas fini ! En parallèle, l’artiste va collaborer avec des scientifiques autrichiens qui vont ensemble reproduire des cellules de foie humain. Il va intégrer ces dernières dans une autre sculpture, composée de matrice ayant une forme de monstre marin. Il va garder ces cellules et cette structure dans du formole et à partir de celles-ci, il va faire de l’alcool de foie humain! Pour cela, il intègre à son œuvre un distillateur qui va permettre la fabrication de l’alcool dont il va emplir quatre bouteilles présentées sur des étagères.
Cette œuvre est incroyable par son imagination et son ingéniosité. C’est un véritable chef d’œuvre autant artistique que scientifique. La guide l’a d’ailleurs appelé le « laboratoire de Thomas Feuerstein ». C’est une vraie œuvre de science-fiction!

Jean-Marie Appriou, Roncier, (détail) 2019. Courtesy de l’artiste, de la Biennale de Lyon 2019 et Galerie Jan Kaps, Cologne ; C L E A R I N G, New York/Bruxelles [Brussels]
D’un joli gris métallisé, ses ronces nous évoquent, à nous visiteurs, le conte de la Belle Au Bois Dormant par exemple : en effet, dans ce récit, les ronces prennent possession du royaume de la Belle pendant son long sommeil. La connotation est donc, pourrait-on dire, magique, fantastique, comme les œuvres de Minouk Lim et de Thomas Feuerstein qui ont été inspirées par des légende et des mythes.
Cet aspect enchanté et romanesque, contraste donc avec l’univers mécanique et manufacturier des Usines Fagor et pourtant, il y a un lien, peut être pas évident à percevoir à première vue : tout comme l’œuvre précédente, l’artiste souhaite montrer « une nature reprenant ses droits, mais il [le roncier] est aussi une métaphore temporelle » (site de la Biennale). De cette façon, la réalisation renvoie bien à l’histoire du bâtiment, des Usines qui ont été abandonnées et ces ronciers montrent cet abandon par le retour d’une nature proliférante dans des endroits délaissés par les hommes. [Une métaphore de la friche industrielle en somme!] Car, malgré l’appropriation des espaces par les hommes, la nature a aussi la capacité étonnante à reprendre ses droits, à reprendre possession de l’espace et de s’affirmer, voire de proliférer, à l’image de la Renouée du Japon et des Ronces.
L’œuvre d’Appriou est donc une belle œuvre poétique, à la fois engagée et représentative de l’histoire de son lieu d’exposition.
Les œuvres qui nous ont été présentées aux Usines Fagor m’ont beaucoup plu du fait de leur symbolique et de leur engagement, de leur prise de position vis-à-vis du monde qui les a fait naître, vis-à-vis de ce monde contemporain dans lequel nous évoluons. Les artistes m’ont fait découvrir des aspects du paysage, de la nature, auxquels je ne m’attendais pas, très axés sur la science et l’écologie et mélangeant mythes et légendes. J’ai trouvé que c’était de l’art « intelligent » c’est-à-dire avec un message, une profondeur, des techniques innovantes et non pas de la simple « esthétique ». »

Minouk Lim (1968 – ), Si tu me vois, je ne te vois pas, 2019, iinstallation d’un canal d’eau chaude, usines Fagor, Hall 2, Lyon.
Minouk Lim est une artiste sud-coréenne née en 1968. Elle vit et travaille à Séoul, dans son pays natal. Elle est une artiste pratiquant le « multimedia art » ce qui consiste à mélanger les matières et matériaux dans une œuvre ; mais elle est aussi une réalisatrice. Elle a suivi les cours de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Pour la Biennale, l’artiste a effectué une œuvre grandeur nature ; il s’agit d’une installation in situ.
En effet, elle a réalisé une source d’eau artificielle phosphorescente orange, située au cœur du Hall 2 des Usines Fagor. Dans un hall plongé dans l’obscurité, au sein même du sol noir, l’eau fluorescente détonne dans ce décor et donne une profondeur et une force à l’œuvre. De plus, l’écoulement de l’eau émet un bruit qui accentue cette profondeur et plonge le visiteur dans cette oeuvre, on est en totale immersion. Ce courant dessine sur le sol les contours d’un pays, d’une île, contours qui sont en fait les contours du pays de l’artiste : la Corée du Sud. La couleur particulière de l’eau est en fait une référence à la pollution et la radioactivité qui sévissent dans son pays depuis la catastrophe qui a eu lieu en face de celui-ci, au Japon, à Fukushima. Après cette catastrophe écologique, son pays a donc subi une forte exposition aux contaminations et c’est ce que Minouk Lim dénonce ici. Cet évènement a fortement marqué l’artiste qui a donc choisi d’exprimer, de noyer son propre chagrin vis à vis de cette catastrophe, dans cette rivière où l’eau représente, outre la pollution de celle-ci, ses larmes. Cette eau s’inscrit aussi comme une frontière entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, séparées depuis les années 1950. Elle porte donc en quelque sorte une dimension historique. Ce fleuve est donc à la confluence de plusieurs éléments : la tristesse personnelle de l’artiste, l’écologie mais aussi un hommage à la mémoire historique des deux pays si proches mais pourtant si éloignés. La réalisation entre donc parfaitement dans le thème des eaux qui se mêlent et dans la géographie de la ville de Lyon.
Ce n’est pas tout : l’artiste a choisi d’ajouter d’autres éléments à son œuvre. La boule en acier immaculé flottant dans l’eau et symbolisant le temps qui s’écoule lentement, tout comme s’écoule le fleuve. Les feuilles de miroir permettent aussi la réflexion du plafond des Usines Fagor sur celle-ci et renvoient à l’aspect industriel du lieu, et de ce fait, c’est un lien direct avec la pollution puisque maintes usines rejettent leur pollution et leurs déchets nuisibles à la Terre, dans les océans ou autres.
On peut également découvrir sur les rives artificielles du « fleuve » une sculpture en forme de chien aux yeux bandés qui évoque un mythe que l’on pourrait mettre en relation avec ceux qui nourrissent l’imaginaire de Feuerstein : il s’agit ici de la légende du Chien Céleste. Le souverain d’un royaume aurait ordonné à ce chien d’aller manger le Soleil, mais trop chaud pour lui, le Chien Céleste l’aurait recraché. Il lui aurait ensuite été ordonné de manger la Lune, mais trop froide, le chien l’aurait donc régurgitée également. C’est ainsi que les éclipses de Soleil et de Lune seraient nées. Et d’ailleurs, encore aujourd’hui, une fête de la Lune a lieu chaque année en Corée, au Japon et en Chine. Dans cette fête, une tenue traditionnelle y est portée et cette tenue est aussi présente dans le décor de l’oeuvre, posée à même le sol. La manière dont est posée la tenue traditionnelle est aussi une manière de signifier les corps absents, qui s’évadent au cours du temps, de l’histoire.
Chaque élément est relié à la symbolique de l’autre : le Chien Céleste et le costume abordent le côté traditionnel et sont en quelque sorte un hommage aux origines de l’artiste. La boule et le fleuve sont un symbole du temps qui passent et sont, de ce fait, reliés à la signification des corps absents que représente le costume ; mais ils représentent aussi un aspect malheureusement plus actuel et moderne : la pollution de l’environnement à cause de l’industrie, des usines, des catastrophes nucléaires. Cette œuvre est donc forte par son aspect « esthétique » tout d’abord, puis par les aspects symboliques qu’elle contient. Elle est par ailleurs totalement en accord avec le thème de la Biennale : « Là où les eaux se mêlent »! » [Merci à D.C]
Au Musée d’Art Contemporain de Lyon que nous avons parcouru l’après-midi, c’est avec les artistes Renée Levi ou Daniel Dewar que nous avons pu faire connaissance avec plus ou moins de bonheur si l’on en juge aux commentaires « à chaud » de nos historiens de l’art en herbe !
Cette journée lyonnaise a quoi qu’il en soit complété la visite du Couvent de la Tourette à Eveux où les élèves de terminale et de 1ère cette fois avaient pu apprécier la puissance de l’œuvre de Anselm Kiefer qui, dans le cadre de la Biennale, est l’invité des Frères dominicains, 50 ans après son premier séjour dans le Couvent de Le Corbusier. Pour le coup, on a tous…kiffé Kiefer !

Palmsonntag, (détail) 2007, huile, émulsion, gomme-laque, argile, plantes séchées, méta, tissu et plâtre sur contreplaqué sous verre dans des cadres en acier avec palmier en résine et terre, détail d’un ensemble de 33 vitrines, chacune 190 x 140 cm