En dépit de l’optimisme affiché du gouvernement – qui annonce une croissance de plus de 1 % en 2010, selon le Premier Ministre – le quotidien Le Monde propose une analyse bien plus prudente, et s’attend à une « reprise décevante » en 2010 :
Les données publiées ces derniers mois laissent penser que la France a connu à nouveau, au troisième trimestre, une croissance de son produit intérieur brut (PIB) : l’Insee prévoit une hausse de 0,5 %, après 0,3 % au deuxième trimestre. Au second semestre, la croissance française sera ainsi dans le vert et celle de la zone euro y reviendra. Pour la suite, le premier ministre, François Fillon, a versé dans l’optimisme, mardi 13 octobre, en laissant entendre que l’hypothèse du budget 2010 (une hausse de 0,75 % du PIB) serait sans doute dépassée : « Les prévisions que je fais pour l’année 2010, les économistes disent qu’elles sont trop prudentes, qu’on aura sans doute plus de 1 % de croissance. » La crise ne sera-t-elle alors déjà qu’un mauvais souvenir ?
Il faut le souhaiter. Mais rien n’assure que le rebond observé actuellement – de part et d’autre de l’Atlantique – se prolongera à l’identique : « Depuis six mois, un fort rebond a été enregistré grâce aux politiques de relance budgétaire et monétaire, aux perfusions – a priori temporaires – apportées à certains secteurs, comme l’automobile ou l’immobilier, et à l’effet technique de la fin du déstockage des entreprises, qui conduit à un redémarrage de la production sensible sur un ou deux trimestres », souligne Bruno Cavalier, chef économiste de la société de Bourse Oddo.
En 2010, une phase de « transition » s’ouvrira, où la demande privée devra prendre le relais. Or le doublement du prix du pétrole (de 33,87 dollars en décembre 2008 à plus de 75 dollars, soit 50,30 euros aujourd’hui) ou les difficultés d’accès au crédit vont peser lourdement. La zone euro sera aussi particulièrement pénalisée par la flambée de la monnaie unique face à un billet vert affaibli : le cours de l’euro est passé de 1,25 dollar en février à près de 1,50 dollar…
En 2009, l’investissement public s’est substitué autant que faire se peut à la demande privée. « Mais cet effet s’essoufflera à partir de la mi-2010 » en France, prévient Natacha Valla, économiste de Goldman Sachs. « Qu’est-ce qui prendra le relais ? L’investissement des entreprises et la consommation des ménages ne semblent pas en mesure de reprendre vigoureusement ; reste à savoir si le commerce extérieur sera suffisamment dynamique », indique-t-elle. Mais la compétitivité des produits fabriqués en zone euro est aujourd’hui sous pression : « Le taux de change fondamental de l’euro se situe autour de seulement 1,15 à 1,20 dollar. L’Europe, qui n’est pas à l’origine de la crise, risque d’être le dindon de la farce et d’être la dernière zone à redémarrer véritablement », estime l’économiste Marc Touati, directeur général de la société de Bourse Global Equities. Il évalue le coût de cet euro trop fort à environ 0,8 point de PIB en 2009 et 0,5 point en 2010 – en France comme dans la zone euro. « La Banque centrale européenne a trop joué avec le feu en tardant à abaisser ses taux d’intérêt et en les maintenant à 1 %, alors que ses homologues se sont toutes rapprochées rapidement de 0 %, ce qui a encouragé l’euro trop fort », poursuit-il.»
M. Touati anticipe toutefois une baisse de l’euro à partir du printemps ou de l’été 2010, permettant de réduire les effets du change « à partir de l’automne 2010 ». Aujourd’hui, en effet, les Européens paient le risque qu’ont pris les responsables américains de relancer leur économie par des moyens non conventionnels – comme la monétisation de la dette publique ou des taux d’intérêt proches de 0 % -, ce qui mine le dollar, tandis que la BCE est restée plus orthodoxe. Une fois que la reprise de l’économie sera installée outre-Atlantique, produisant une tension des taux d’intérêt américains à long terme, le dollar retrouvera de la vigueur. Un autre scénario est possible, mais pas souhaitable : la Réserve fédérale américaine (Fed) pourrait être obligée, en cas de crise de confiance sur le billet vert, d’augmenter plus tôt que prévu ses taux directeurs.
Par ailleurs, pour que les mesures de relance entraînent l’économie de la zone euro, elles doivent être accompagnées d’une reprise du crédit, qui est loin d’être acquise. Les entreprises sont confrontées à la frilosité des banques et à un taux d’utilisation de leurs capacités de production encore historiquement bas, et donc peu incitatif pour investir.
En France, Mme Valla attend plutôt de 2010 « un rebond technique des investissements des entreprises après une chute brutale ». « Si certaines grandes entreprises peuvent à nouveau se financer à des conditions intéressantes sur les marchés, des difficultés persistent pour les secteurs cycliques ou les entreprises les plus fragiles. Quant aux PME, elles sont aux prises avec des problèmes urgents d’accès au crédit, notamment de trésorerie, simplement pour financer leur exploitation avant même de songer à investir », indique-t-elle. Les ménages sont aussi touchés : « On peut espérer seulement que la phase aiguë de la crise immobilière sera passée et que l’investissement dans le logement arrêtera de freiner la croissance, mais pas qu’il la soutiendra », prévoit M. Cavalier. De plus, la deuxième vague – sociale – de la crise et la hausse des prix de l’énergie feront sentir leurs effets.
« La consommation des ménages sera durablement affectée par la montée du chômage et la fin de la désinflation », juge Mme Valla.
Enfin, l’hétérogénéité de la zone euro, porteuse de tensions sur les marchés obligataires et de difficultés pour piloter la politique monétaire de la BCE, représente un autre risque. « L’Allemagne et la France, qui n’ont pas connu les comportements les plus extrêmes et les plus aberrants dans la bulle du crédit, s’en sortiront le mieux. A l’inverse, je ne serais pas surpris que l’Espagne subisse encore une contraction de son PIB l’an prochain car elle a perdu son moteur de croissance : le surdimensionnement incroyable du secteur immobilier », dit M. Cavalier. Et la situation restera aussi difficile à la périphérie de la zone, au Royaume-Uni et dans les pays d’Europe de l’Est.
Finalement, « l’année 2010 va décevoir ceux qui extrapolent la poursuite de l’amélioration que l’on observe depuis six mois, en fait très largement due à des phénomènes techniques et temporaires. Elle va aussi décevoir ceux qui pensent que nous allons renouer rapidement avec les rythmes de croissance des cinq années d’avant-crise », conclut M. Cavalier. C’est même à « un affaissement des rythmes d’activité » que l’on assisterait, selon lui, au premier semestre 2010, de part et d’autre de l’Atlantique. M. Cavalier attend 0,9 % de croissance en zone euro en 2010, 1 % en France et 2 % aux Etats-Unis, mais ces chiffres traduisent « en grande partie des phénomènes statistiques dits d’acquis de croissance de la fin 2009 ». Dans l’Hexagone, 2010 pourrait donc manquer de punch. « D’où l’idée du grand emprunt qui devrait permettre à la France, et à son industrie notamment, de sauver les meubles en 2010, c’est-à-dire de rester sur le chemin d’une croissance, mais seulement d’une croissance molle », ajoute M. Touati. Plus tard, le désendettement public risquera de peser à son tour, en espérant que la reprise sera alors plus assurée.
Adrien de Tricornot
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