ÉPISODE 1
C’était une jeune adolescente sans charme. Elle était fille unique, née dans une famille d’employés modestes. Ses parents n’étaient ni riches ni pauvres. Au collège, elle n’était ni bonne ni mauvaise élève. Elle avait quelques camarades de classe. Sa jalousie comme une maladie incurable l’empêchait d’entretenir une quelconque relation amicale sincère. Elle enviait toutes les choses que les autres filles du collège pouvaient avoir. Dès qu’une camarade de classe avait un nouveau vêtement, elle souhaitait le même. Elle se sentait frustrée de ne pouvoir l’acheter. Elle n’avait jamais été satisfaite de ce qu’elle possédait. Le jour de sa treizième année arrivait à grand pas et elle songeait aux cadeaux que l’on pouvait lui faire. Elle songeait à ce magnifique sac rose de Léa. Elle songeait aux nombreux bracelets clinquants de Mathilde. Elle songeait au nouveau Smartphone de Matthieu. Elle songeait à ces montres dorées et aux chaussures Italiennes que l’on exposait dans les vitrines brillantes de Paris.
Qu’avaient prévu ses proches pour son anniversaire ? Qui sait, qui sait ? En réalité, ses parents avaient pensé à son anniversaire en invitant ses grands parents et en lui offrant une collection de livres ; ils voulaient tellement lui faire plaisir. Mais une fois encore la jeune fille serait déçue. Et vu le peu d’amis qu’elle avait, elle ne pouvait pas compter sur eux cette fois-ci encore. Lorsque l’on est plein d’avidité comme Eva, il est normal de récolter ce que l’on sème.
C’était enfin le jour de son anniversaire ! Elle était excitée par cette journée si spéciale. Elle se rendit au collège comme à son habitude en espérant une surprise de ses camarades de classe. La journée passa lentement pour Eva malgré les petites attentions de quelques copines. Elle se demandait ce qu’elle allait faire avec la carte d’Emma, le savon de Louise et la bougie d’Astrid. Elle attendait secrètement bien plus : une soirée d’anniversaire inoubliable ! Elle rentra en fin d’après-midi chez elle où l’attendaient ses grands parents. Mais en les voyant elle se mit à pleurer de déception comme une petite enfant gâtée. Pour la réconforter toute la famille prit une bonne part de gâteau au chocolat. Pourtant elle ne voulait rien savoir, elle aurait tellement aimé une soirée extraordinaire. Au moment d’ouvrir son cadeau, une lueur d’espoir illumina son regard. Quelle déception quand elle vit la collection de livres !
Qu’allait-elle faire de cela ? Qu’allait-elle dire à ses camarades lorsqu’ils lui demanderaient ce qu’elle avait eu comme cadeau ?
ÉPISODE 2
Lorsqu’Eva retrouva la solitude de sa chambre, elle se jeta sur son lit et pleura à chaudes larmes. Lorsqu’elle releva la tête et que son regard embué de larmes tomba sur la petite pile de livres, une bouffée de colère la submergea. Elle donna un violent coup de pied à ces maudits ouvrages. Ils tombèrent dans un froissement et leurs chutes furent étouffées par le moelleux de la moquette. Lorsque la jeune insatisfaite fut fatiguée de pleurer, elle prit son portable et d’un rageur snapchat, elle prit une mine boudeuse et haschtagua sa déception.
Tout à coup, elle aperçut une petite enveloppe jaunie qui dépassait d’un des livres. Dans sa chute l’un deux avait vu sa couverture s’arracher et dans un interstice de la reliure un petit espace s’était révélé. Était-ce fait exprès ?
Eva se jeta sur ce petit trésor. L’enveloppe était cachetée. Un bouton rouge scellait le contenu mystérieux. Le sceau semblait représenter un serpent à la gueule ouverte. La jeune fille, curieuse, regarda la première de couverture du livre tombé. Il s’agissait d’un vieux roman La peau de chagrin de Balzac. Encore une histoire bien ennuyeuse à l’image de ses grand parents ? Pensa-t-elle. Elle retourna vite à la petite enveloppe tachetée par le temps et déchira la pastille de cire qui s’effrita avec un léger crépitement. Une odeur d’œuf pourri envahit alors la chambre. Une ride d’inquiétude traversa son front de jeunesse. Elle déposa, du bout des doigts, le carré de papier méticuleusement plié sur son bureau. Elle ouvrit la fenêtre car l’odeur devenait insupportable et elle fut à deux doigts de vomir dans sa petite poubelle argentée. Mais ce qui lui arrivait était tellement étonnant qu’elle se sentit l’âme d’une aventurière et prise d’une volonté de fer, elle résista à ce haut le cœur et retint sa respiration. Avec une pince à épiler, elle déplia le papier qui fit apparaître une élégante écriture à l’encre de chine. Des symboles obscurs, ésotériques, imperméables étaient délicatement dessinés à chaque coin. Lorsqu’elle lut les quatre lignes, un frisson qu’elle n’avait jamais connu la traversa. L’odeur nauséabonde n’était à ce moment là plus un problème…
Ton existence, tu changeras
Avec la personne de ton choix
Attention, un prix tu paieras
Au danger, tu n’échapperas pas,,,
ÉPISODE 3
La jeune fille sentit une bouffée de joie monter en elle. Changer de vie avec la personne de son choix, quel bonheur ! Eva était tellement obnubilée par les deux premières phrases qu’elle en oublia le reste. Elle pourrait devenir immensément riche comme Agathe ou populaire comme Lise. Elle pourrait dormir dans des draps de soie, boire dans des verres de cristal, se délasser dans une baignoire gigantesque et elle se laissa tomber lourdement sur son lit. Elle pesa chaque personne. Quelques minutes plus tard, elle avait choisi. Elle échangerait avec Anna ! En effet, ses parents avaient beaucoup d’argent et elle était très connue dans le collège, c’était parfait ! Eva se releva en vitesse et se posta devant le bout de papier.
– Je veux devenir Anna ! S’écria t-elle.
Juste avant d’être envoyée à la place d’Anna, Eva vit le papier se décomposer et finalement disparaître dans une légère brume rougeâtre. Elle ferma les yeux et se fut comme dans la cale d’un bateau en pleine tempête. Quand elle les réouvrit, elle se trouva dans une grande chambre toute colorée de rose et de saumon. Les moquettes étaient douces, blanches et épaisses. Des bibelots de porcelaine se répandaient sur de hautes étagères et l’on devinait le marbre sous les napperons. Eva se dirigea sans attendre devant un grand psyché qui se trouvait près d’un petit secrétaire envahi de flacons multicolores et brillants. Dior, Chanel, Sisley ou Guerlain trônaient, fiers, dans leur écrin de beauté. Son physique avait totalement changé de la couleur, de ses yeux aux vêtements qu’elle portait ! Elle était belle, leste, pétillante. Les cheveux se soulevaient, souples et parfumés, à chacun de ses pas. Sa peau de lait semblait inviter chaque papillon à se reposer sur cet océan lacté.
Toute joyeuse, elle descendit pour rencontrer ses nouveaux parents.
La maison était immense et tout était très doré, très blanc, très épuré. Mais les parents d’Anna n’étaient nulle part. Une fois qu’Eva eut trouvé la cuisine, elle aperçut un post-it sur lequel était écrit :
Anna, ton père et moi sommes partis en course, et nous rentrerons en fin de journée. Bisous, maman ?
Eva comprit un peu plus tard que ses nouveaux parents n’étaient quasiment jamais présents. elle passa la soirée, seule, à contempler ce temple de solitude. Elle aurait voulu appeler ses amies mais pour leur dire quoi ? On la prendrait pour une folle et elle ne pouvait pas se le permettre, elle ne pouvait pas gâcher cet incroyable don du hasard.
Le lendemain, à l’école, elle s’aperçut que le changement était bien réel. On lui parlait, on lui souriait, on plaisantait un peu mais très vite on la quittait. Les gens ne semblaient pas vouloir rester à ses côtés. On aimait sa présence mais fugacement, sans profondeur. Elle regarda dans son nouveau smartphone mais il était vide. Cette popularité n’était donc que factice ? N’avait elle donc pas d’amies ? On s’asseyait près d’elle, on lui pressait amicalement le bras, mais rapidement la conversation s’effritait, se morcelait et disparaissait dans un simple mouvement de main.
Au bout d’une semaine, Eva n’était plus satisfaite de la vie qu’elle menait en étant Anna. Tout, chez cette dernière, était ennuyant. Alors elle formula le souhait de retrouver sa vie d’avant, mais rien ne se produisit. Eva était désormais coincée dans le corps d’Anna, pour toujours !
FIN
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